Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
T
TABLATURE.—Donner de la tablature à quelqu’un.
Le mot tablature désigne la totalité des lettres et des signes dont on se servait pour écrire la musique, avant l’invention des notes, et dont se servent encore beaucoup de compositeurs allemands pour écrire des morceaux à plusieurs parties. Comme cette méthode offrait d’assez grandes difficultés, elle fit naître la locution donner de la tablature à quelqu’un, c’est-à-dire lui donner de la peine, de l’embarras, du fil à retordre.
TABLE.—La table est l’entremetteuse de l’amitié.
A table les haines s’éteignent, les inimitiés cessent et l’amitié se resserre davantage. C’est une vérité que Minos et Lycurgue avaient reconnue lorsqu’ils établirent des repas de confraternité. Aristée regardait comme contraire à la sociabilité la coutume des Égyptiens, qui mangeaient séparément et n’avaient jamais des festins communs.
On ne vieillit point à table.
Les uns ont attribué ce proverbe à madame de Thianges, que madame de Sévigné nous a représentée se mettant à table en personne persuadée qu’on n’y vieillit point; les autres en ont fait honneur au célèbre gourmand Broussin; mais ce proverbe était usité en France et en Italie longtemps avant l’époque à laquelle on prétend qu’il est né. Peut-être fut-il présent à l’esprit du trouvère qui imagina de placer la fontaine de Jouvence dans le pays de Cocagne.
Laurent Joubert, dans le Ramas de propos vulgaires qu’on trouve à la suite de son livre des Erreurs populaires, édition de 1579, fait cette question qu’il ne résout point: Pourquoi dit-on qu’on ne vieillit point à table ni à la messe?—Je crois que la messe a été réunie à la table dans le proverbe, à cause des repas nommés agapes, que les Chrétiens fesaient dans l’église après le sacrifice divin. Mensas faciebant communes, et peracta synaxi post sacramentorum communionem inibant convivium (Chrysostomi Homelia XXVII).—Plusieurs étymologistes pensent que le mot messe est dérivé de mensa, mense ou table, et que la formule ite, missa est, fut primitivement ite mensa est; mensa, disent-ils, devint messa, et messa fut changé en missa par deux effets successifs de la prononciation qui adoucissait ou supprimait le n, et qui donnait à l’e le son de l’i.
Point de mémoire à table.
C’est le proverbe antique odi memorem compotorem. Je hais un convive qui a de la mémoire.—Il était défendu chez les Grecs de rien révéler de ce qui se passait dans les festins, afin que la crainte des indiscrétions n’y vint pas comprimer les libres épanchements de la gaieté; et lorsqu’ils étaient réunis dans la salle du banquet, le plus âgé des convives montrait la porte aux autres en leur disant: Souvenez-vous qu’aucune parole ne doit sortir par cette porte. Cet usage avait été introduit primitivement à Sparte par une loi de Lycurgue.
TARARE.—Tarare-pon-pon.
Tarare est une onomatopée du bruit de la trompette, et pon-pon en est une de celui du tambour. On se sert de cette expression pour se moquer de quelqu’un qui étale de la vanité dans un récit, dans des projets, ou pour foire entendre à quelqu’un qui menace qu’on ne le craint ni à pied ni à cheval.
TARGE.—N’avoir ni écu ni targe.
C’est n’avoir pas le sou.—La targe, dit Le Duchat, était une petite monnaie du duché de Bretagne, ainsi appelée parce qu’elle portait sur son revers, au lieu de l’écu ordinaire des armoiries, l’empreinte d’une targe, espèce de bouclier presque carré. Cette expression, presque inusitée aujourd’hui, a été employée par Villon.
TARTUFFE.—C’est un tartufe.
A quelle idée le nom de tartufe fait-il allusion? Les opinions sont divisées sur ce point. Tartufo, en italien, signifie truffe. On raconte que, dînant avec un monsignor de la suite du légat, Molière fut si frappé de l’accent de sensualité que ce béat mettait à prononcer le mot tartufo, qu’il en fit le nom caractéristique de son faux dévot, auquel il avait donné d’abord le nom de Panuphle.—Le Duchat, dans ses notes sur Ménage, prête à ce nom une étymologie plus savante; truffer, dans l’ancien langage, était synonyme de tromper: comment vous savez bien vous truffer des pauvres gens, dit en effet Panurge à Dindenaud. De plus, dans l’ancien langage aussi, on disait tartuffe pour truffe. Ce savant part de là pour insinuer que Molière, en appelant son faux dévot tartufe, a voulu indiquer que la pensée d’un hypocrite n’est pas plus facile à découvrir que les truffes. Il y a de mauvaises étymologies tirées de moins loin.—Quoi qu’il en soit, tartufe a pris, sous la plume de Molière, une valeur spéciale. Ce nom est devenu usuel, non seulement parce qu’il a été créé par un homme de génie, mais parce qu’il manquait à la langue (A. V. Arnault).
TEMPLIER.—Boire comme un templier.
Cet adage, dit M. Raynouard, n’a été imaginé que longtemps après la destruction des templiers. Il ne se trouve point dans les recueils des anciens proverbes français, et il ne prouve pas davantage contre les chevaliers que l’adage, sans doute plus ancien, bibere papaliter, boire comme un pape, ne prouve contre les pontifes romains.—J’adopte l’opinion de M. Raynouard, et j’ajoute que boire comme un templier a dû peut-être son origine au passage suivant qu’on lit dans le Mode de réception des chevaliers du Temple, ancien manuscrit de la bibliothèque Corsini, imprimé à Rome, en 1786: «De nostre religion vous ne véés qui l’escorche qui est par defors; car l’escorche si est que vos nos véés avoir biaus chevaus et biaus harnois, et bien boivre et bien mangier et bèles robes.» L’expression bien boivre qui autrefois, comme le remarque le savant Baluze, signifiait vivre dans l’aisance, aura été prise dans le sens de faire débauche de vin.
Feydel pense que le mot templier a été substitué à temprier, lequel, inusité maintenant, avait autrefois plusieurs significations, et désignait aussi l’artisan que nous nommons verrier. En effet, les ouvriers qui soufflent le verre sont obligés, par état, ainsi que les gouverneurs de hauts-fourneaux, les forgerons à martinet, de boire souvent, afin de remplacer leurs sueurs continuelles.
TEMPS.—Le temps perdu ne se répare jamais.
Napoléon étant allé un jour visiter une école, dit en sortant aux élèves, dont quelques-uns avaient été interrogés par lui: «Jeunes gens, souvenez-vous bien que chaque heure du temps perdu est une chance de malheur pour l’avenir.» Mot remarquable d’un homme qui connaissait toute la valeur du temps.
La plus belle épargne est celle du temps.
Proverbe qui paraît pris de cette pensée de Théophraste: «La plus forte dépense qu’on puisse faire, est celle du temps.» Ménagez le temps, car la vie en est faite, disait le bonhomme Richard.
Il n’y a pas d’homme qui ne perde au moins un quart-d’heure par jour, et cette perte ne paraît rien. Cependant elle est fort grande, car en employant bien ce quart-d’heure répété, on pourrait faire quelque chose qui donnerait à la fois honneur et profit. Un fait va le prouver: On raconte que le chancelier Daguesseau, habitué à se rendre dans la salle à manger aussitôt qu’on l’avertissait pour dîner, ayant reconnu que sa femme le fesait attendre régulièrement cinq minutes, prit le parti d’arriver au même instant qu’elle, et composa un de ses ouvrages dans le temps qu’il gagna par ce moyen.
La vie n’est pas composée d’un assez grand nombre de quarts-d’heure pour qu’on en puisse perdre un chaque jour. Elle n’est qu’un point imperceptible dans le temps, et le temps tout entier est lui même assez borné. Savez-vous bien qu’il n’y a pas un milliard de minutes que le Christ a paru sur la terre pour apprendre aux hommes à faire le meilleur usage du temps qu’ils perdent avec tant d’insouciance?
Qui a temps, a vie.
Pour signifier qu’il n’y a pas d’affaire si désespérée à laquelle le temps ne puisse porter remède; que le temps est le véritable élément du succès en toutes choses.
L’histoire présente mille traits à l’appui de ce proverbe. En voici un qui n’est pas moins suprenant que singulier. Un roi maure de Grenade, nommé Mahomet IX, fesait garder depuis plusieurs années dans un château-fort, à deux lieues de cette ville, son frère aîné Joseph III, qu’il avait détrôné; étant sur le point de mourir, il ne voulut point laisser à son jeune fils un trône menacé par la vie d’un prince dont les partisans recommençaient à s’agiter. Il ordonna à un officier de ses gardes d’aller couper la tête du prisonnier et de la lui apporter. Joseph jouait aux échecs lorsque ce messager de mort vint lui notifier sa sentence. Il eut recours aux supplications les plus touchantes pour en faire suspendre l’exécution pendant quelques heures, et il parvint à obtenir le temps d’achever sa partie. On croira sans peine qu’il mit tous ses soins à la prolonger. Pendant qu’il était occupé à jouer si gros jeu, des cris se firent entendre tout à coup à la porte de sa prison, et lui apprirent que ses partisans l’avaient fait élire successeur du roi qui venait d’expirer; de sorte que ce peu de temps, obtenu par ses prières, l’arracha des mains de la mort et lui donna une couronne.
TENDRESSE.—
Tendresse maternelle
Toujours se renouvelle.
Ce charmant proverbe qui est aussi allemand, Mutterlub! ist immer neu, s’explique très bien par cette pensée, aussi délicate qu’ingénieuse, le cœur d’une mère est le chef-d’œuvre de l’amour.
Une mère, vois-tu, c’est là l’unique femme
Qui nous aime toujours,
A qui le ciel ait mis assez d’amour dans l’ame
Pour chacun de nos jours. (M. Latour.)
Il a paru en 1803, à Zurich, une collection de gravures d’après les dessins originaux de J. Martin Ustéri, dans lesquelles ce proverbe est développé d’une manière très intéressante. Les explications placées à côté de chaque estampe ajoutent un nouveau prix à cette collection, qui est devenue le sujet d’un petit roman sentimental publié depuis à Paris.
TENIR.—Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
La possession d’un bien présent vaut mieux que la promesse ou l’espérance de deux biens qui sont incertains. Les anciens disaient: Il vaut mieux avoir l’œuf aujourd’hui que la poule demain.
TENTATION.—Le plus sûr moyen de vaincre la tentation, c’est d’y succomber.
Proverbe favori de la présidente Drouillet, qui passe pour l’avoir formulé. Il n’a rien de surprenant dans la bouche d’une femme galante; mais on doit s’étonner d’en trouver l’équivalent dans les écrits d’un philosophe. Helvétius a osé dire: «En s’abandonnant à son caractère, on s’épargne du moins les efforts inutiles qu’on fait pour y résister.» C’est absolument le principe des Manichéens, qui prétendaient dompter la chair en l’assouvissant, faire taire le monstre en emplissant la gueule aboyante, suivant l’expression de M. Michelet.
TERRE.—Bonne terre, mauvais chemins.
Les chemins sont presque toujours mauvais dans les grasses terres. De là ce proverbe, dont le sens figuré est que la plupart des avantages sont mêlés de quelques inconvénients.
Qui terre a, guerre a.
Qui a du bien, est sujet à avoir des procès.
Il n’y a pas de terre sans voisin.
Avis aux ambitieux qui voudraient tout avoir, parce qu’ils croient n’avoir rien s’ils n’ont tout.
Ce proverbe se trouve dans l’Ane d’Or d’Apulée, liv. IX, où l’un des trois frères que le mauvais riche fait périr, pour s’emparer de leur champ, lui adresse, en expirant, ces paroles: Scias, licet privato suis possessionibus paupere, fines usque et usque proterminaveris, habiturum te tam en vicinum aliquem. Sache que tu as beau étendre les limites de tes terres, en dépouillant le pauvre de son héritage, il faudra toujours que tu aies quelque voisin.
On raconte que Louis XIV, pendant qu’il fesait agrandir le parc de Versailles, ayant vu un paysan qui, au lieu de travailler, restait appuyé contre un arbre, lui demanda à quoi il pensait, et en reçut cette réponse: Je pense, sire, que vous avez beau agrandir votre parc, vous aurez toujours des voisins. J.-B. Rousseau a rimé ainsi cette anecdote dans une ode adressée au comte de Sinzindorf (Ode 7, liv. III):
Écoutez la leçon d’un Socrate sauvage
Faite au plus puissant de nos rois.
Pour la troisième fois du superbe Versailles
Il fesait agrandir le parc délicieux.
Un peuple harassé de ses vastes murailles
Creusait le contour spacieux.
Un seul, contre un vieux chêne appuyé, sans mot dire,
Semblait à ce travail ne prendre aucune part.
A quoi rêves-tu donc, dit le prince?—Hélas! sire,
Répond le champêtre vieillard,
Pardonnez; je songeais que de votre héritage
Vous avez beau vouloir élargir les confins:
Quand vous l’agrandiriez trente fois davantage,
Vous aurez toujours des voisins.
Tant vaut l’homme, tant vaut la terre.
C’est l’industrie, l’intelligence du propriétaire qui fait valoir plus ou moins la propriété; c’est en proportion de sa capacité personnelle, que chacun réussit dans son état.
TÊTE.—Grosse tête peu de sens.
Ce proverbe est le pendant de celui-ci: En petite tête gît grand sens. L’un et l’autre sont venus d’une opinion fort contestable d’Aristote, qui dit, dans un de ses problèmes (section 30), que les hommes qui ont la tête petite sont plus sages que ceux qui l’ont grosse. Voici le passage d’après la traduction latine: Inter homines qui minori sunt capite prudentiores nascuntur quam qui sunt grandiori.
Mal de tête veut repaître.
Le mal de tête est souvent un indice du besoin de l’estomac, et dans ce cas on l’apaise en mangeant.
Ne savoir où donner de la tête.
Ne savoir comment se tirer d’embarras.—Métaphore prise des bêtes à cornes, qui, se voyant attaquées de plusieurs côtés à la fois, ne savent où donner de la tête; c’est-à-dire où frapper de la tête.
Laver la tête à quelqu’un.
C’est lui faire une sévère réprimande.—«Celui qui lave la teste à un autre, dit Nicot, la lui frotte, tourne et retourne, et rebourse les cheveux, comme s’il le pelaudait; par ainsi, laver la teste à quelqu’un, c’est aussi le traiter à la rigueur.»
Quand on emploie cette expression, il ne faut point oublier la convenance des idées, comme l’a fait Voltaire; dans ce vers de l’Enfant prodigue, justement critiqué:
Lavons la tête à ce large visage.
TINTER.—Les oreilles ont dû lui tinter.
Cette expression, dont on se sert pour dire qu’on a beaucoup parlé de quelqu’un, est fondée sur la croyance superstitieuse que les absents, sur le compte desquels on tient des discours, en sont avertis par le tintement de leurs oreilles. Absentes, dit Pline le Naturaliste, tinnitu aurium præsentire sermones de se receptum est. Ces discours sont supposés favorables, si c’est l’oreille droite qui tinte, et défavorables, si c’est la gauche.
Les Romains, qui nous ont transmis cette superstition, l’avaient reçue des Grecs; on lit dans une lettre d’amour d’Aristénète: Ton oreille ne résonnait-elle pas quand je parlais de toi en pleurant?
TINTOUIN.—Avoir du tintouin.
Avoir du souci, de l’inquiétude pour le succès de quelque chose.—Expression dérivée de la même source que la précédente.
TISON.—Les tisons relevés chassent les galants.
Dicton fondé sur un usage très ancien, d’après lequel une jeune fille, lorsqu’elle voulait se débarrasser des poursuites d’un jeune homme qui la recherchait en mariage, lui donnait rendez-vous chez elle, et courait se cacher aussitôt qu’elle le voyait arriver, après avoir relevé les tisons du feu; signifiant par là sans doute, que l’un et l’autre ne devaient pas avoir un foyer commun.
Il se pratique encore aujourd’hui quelque chose d’analogue dans le département des Hautes-Alpes, où les belles congédient les galants, en leur présentant le bout non allumé d’un tison.
L’usage symbolique de notifier un refus de mariage en offrant aux yeux du prétendant les tisons relevés, c’est-à-dire, le foyer sans feu, donna lieu dans la suite à une superstition dont il reste encore quelque vestige. «Lorsqu’il y a une femme veuve ou quelque fille à marier dans une maison, dit le curé Thiers, et qu’elles sont recherchées en mariage, il faut bien se donner de garde de lever les tisons, parce que cela chasse les amoureux.» (Traité des superst., tome III, p. 455.)
TOILE.—C’est la toile de Pénélope.
Expression usitée chez les Grecs et chez les Romains, en parlant d’une affaire qui recommence toujours et ne finit point.—On sait que Pénélope, obsédée par ses nombreux amants, qui voulaient la contraindre à choisir parmi eux un époux, à la place d’Ulysse qu’on croyait mort, leur promit de faire son choix aussitôt qu’elle aurait terminé une pièce de toile à laquelle elle travaillait, et fit durer l’ouvrage en défesant de nuit ce qu’elle avait fait pendant le jour.
Vous parlez trop, vous n’aurez pas ma toile.
C’est ce qu’on dit à un babillard qui cherche à séduire par des beaux discours.—Allusion à un conte de vieille, que l’abbé Tuet rapporte ainsi, d’après Fleury de Bellingen: Une paysanne avait chargé son fils d’aller vendre au marché une pièce de toile, et comme il n’était pas bien fin, elle lui avait défendu de la vendre à un grand parleur, qui l’enjôlerait pour avoir la marchandise à bas prix. Ce benêt retint si bien sa leçon, qu’il ne trouva point d’acheteur qui ne parlât trop à son gré; car dès qu’on lui avait demandé combien la toile, et qu’il en avait dit le prix, si on lui répondait c’est trop cher, il répliquait à l’instant: Vous parlez trop, vous n’aurez pas ma toile, et renvoyait ainsi tout son monde.
Une autre version dit que ce Jocrisse, prévenu par sa mère d’éviter de faire marché avec des femmes bavardes, renvoya toutes celles qui se présentèrent, en leur disant: Vous parlez trop, vous n’aurez pas ma toile; et, comme il lui avait été recommandé de ne pas revenir sans s’être défait de sa marchandise, il l’offrit à une madone placée sur la route et la lui laissa, parce qu’elle ne parlait point.
TOIT.—Prêcher une chose sur les toits.
C’est la divulguer, la rendre publique.—Cette expression, plusieurs fois employée dans l’Écriture-Sainte, est venue de ce que les grands édifices de la Judée étaient couverts par une plate-forme ou terrasse, sur laquelle on avait la liberté de monter, et du haut de laquelle on haranguait quelquefois le peuple. Le temple de Jérusalem n’était pas couvert autrement.
TON.—C’est le ton qui fait la chanson ou la musique.
Pour signifier qu’il y a dans le langage, en certaines circonstances, un accent qui modifie le sens des mots et porte à l’oreille une expression différente; que c’est moins ce qu’on dit qui blesse que la manière dont on le dit.
TONDU.—Je veux être tondu si...
Cette espèce d’imprécation proverbiale est venue de l’usage où l’on était autrefois de dégrader un homme en le tondant. Dans les commencements de la monarchie, les serfs avaient la tête rase. On jurait sur ses cheveux, comme on jure aujourd’hui sur son honneur, et les couper à quelqu’un, c’était le déshonorer. En saluant une personne, rien n’était plus poli que de s’arracher un cheveu et de le lui présenter; c’était dire, qu’on lui était aussi dévoué que son esclave. Clovis s’arracha un cheveu et le donna à saint Germier, évêque de Toulouse, pour marquer à quel point il l’honorait; chaque courtisan fit le même présent à ce vertueux évêque, qui s’en retourna dans son diocèse enchanté, dit Saint-Foix, des politesses de la cour. (L’abbé Tuet.)
L’horreur des cheveux courts dura longtemps en France, parce qu’on tondait les hommes détenus dans les prisons ou condamnés par jugement à une déshonorante détention. Quand le comte de Saint-Germain, ministre sous Louis XV, voulut faire couper les cheveux aux soldats, l’armée fut sur le point de se révolter, et l’on fut obligé de lui laisser ses cheveux.
TONNEAU.—Les tonneaux vides sont ceux qui font le plus de bruit.
L’origine et l’explication de ce proverbe se trouvent dans ce mot de Phocion: Les grands parleurs sont comme les vases vides qui résonnent plus que les pleins.
Les Grecs comparaient les grands bavards dont les paroles semblent renaître d’elles-mêmes, aux chaudrons de Dodone. Ces chaudrons d’airain, placés dans le temple, étaient disposés de telle sorte qu’en frappant sur le premier, le son se communiquait successivement jusqu’au dernier.
Nec Dodonæi cessat tinnitus aheni. (Ausone.)
Les Latins disaient tonitrua Claudiana, non, comme on pourrait le croire, par allusion aux vers ampoulés et ronflants du poëte Claudien, mais par allusion à des machines de bronze, inventées par Claudius Pulcher, pour l’usage des théâtres, où on les agitait fortement, après les avoir remplies de cailloux, afin d’imiter le roulement du tonnerre.
Les Chinois disent: les grosses cloches sonnent rarement.
TONNER.—Tant tonne qu’il pleut.
Pour dire qu’après les menaces viennent les coups. On rapporte l’origine de ce proverbe à un mot de Socrate: on sait que sa femme était une mégère; un jour elle l’accabla d’injures, et, voyant qu’il n’y était nullement sensible, elle finit par lui jeter un seau d’eau sur la tête. «Je savais bien, dit froidement le philosophe à ses amis, qu’après le tonnerre viendrait la pluie.»—Salomon compare la femme querelleuse à un toit d’où l’eau dégoutte toujours. Tecta jugiter perstillantia, litigiosa mulier.
TOURTERELLE.—La tourterelle chante.
Aristote a remarqué, dans son Histoire des animaux (liv. IX, ch. 49), et plusieurs autres naturalistes ont remarqué comme lui, que la tourterelle pète fréquemment lorsqu’elle chante, de là ce dicton dont on fait l’application lorsqu’une personne donne carrière à son postérieur.
TRAMONTANE.—Perdre la tramontane.
Avant la découverte de la boussole, les marins qui voguaient le long des côtes sud d’Espagne, de France, d’Italie et de Grèce, remarquaient, pour diriger leur navigation, l’étoile polaire qu’ils avaient nommée tramontane, de deux mots latins trans, au delà, et montes, les monts, parce qu’elle leur apparaissait au delà des monts. La présence de cette étoile, en leur indiquant le Nord, leur fesait connaître aussi le point d’Orient; mais, dès qu’ils la perdaient de vue, ils ne pouvaient plus s’orienter, ni savoir par conséquent où ils étaient. Ainsi, perdre la tramontane signifie au propre être désorienté, et au figuré, être déconcerté par les difficultés qui se présentent, ou par l’aspect du danger.
TRAVAIL.—Qui hait le travail, hait la vertu.
Ce proverbe peut s’expliquer par cet autre, l’exercice est la mort du péché. La vertu est laborieuse, et le vice est oisif: laboriosa virtus est, vitium est iners. Il n’y a pas de plus grand moralisateur que le travail; il est la base de toute vertu. (Voyez l’oisiveté est la mère des vices.)
TRÉPASSÉ.—Il va à la messe des trépassés; il y porte pain et vin.
Ce dicton, qu’on emploie en parlant d’un homme qui va à la messe après avoir bien déjeuné, est fondé, dit-on, sur la coutume établie dans plusieurs diocèses de présenter à l’offrande du pain et du vin aux messes d’enterrement. Cette coutume a été regardée par quelques savants comme un reste des sacrifices ollaires qui se fesaient annuellement, dans la plus haute antiquité, pour les morts du monde antédiluvien, et qui consistaient en semences bouillies, à cause de la tradition des semences conservées dans l’arche. Les Égyptiens, les Hébreux, les Celtes, les Grecs, les Romains, et autres peuples, ajoutèrent ou substituèrent des aliments à ces semences, et ce fut l’origine du festin funèbre, epulum funebre, qu’ils servaient sur les tombes, autant pour les vivants que pour les morts. Ce festin fut adopté par les chrétiens, et saint Augustin nous apprend qu’il avait lieu tous les jours dans les églises d’Afrique en l’honneur des martyrs; il était aussi très fréquent dans celles d’Europe. Les abus qui en résultèrent le firent interdire en France par les premiers conciles provinciaux d’Arles et de Tours; cependant il se maintint en plusieurs endroits longtemps après l’interdiction. Il en reste encore aujourd’hui quelque chose dans ce qui se pratique après les funérailles dans quelques provinces, notamment en Sologne: les personnes qui ont été du convoi d’un mort reviennent dans sa maison, où elles tâchent de se consoler à table le verre à la main. Cet usage, où il entre un peu de superstition, s’est conservé, sans doute, parce qu’on se rend de loin aux enterrements, et qu’on ne peut pas s’en retourner sans avoir mangé. Il semble que le maintien de toute superstition ait une cause naturelle pour principe, et le maintien de celle-ci est fondé sur une assez bonne raison dans les pays dont les habitants sont disséminés dans des hameaux peu rapprochés.
TRINITÉ.—A Pâques ou à la Trinité.
C’est-à-dire à une époque très incertaine, sur laquelle on ne saurait compter.—Ce dicton, que la chanson de Malborough a rendu si populaire, fait allusion aux ordonnances des rois de France du treizième et du quatorzième siècle, pour le remboursement des sommes qu’ils avaient empruntées. Ils y promettaient de payer à Pâques ou à la Trinité, et comme ces fêtes passaient presque toujours sans amener le résultat attendu, elles furent considérées comme des échéances illusoires ou du moins fort douteuses.
TROMPETTE.—Il y a plus de trompés que de trompettes.
Ce jeu de mots proverbial s’adresse aux personnes qui ne veulent pas convenir de quelque désappointement, de quelque mésaventure, et il signifie que, parmi les gens pris pour dupes, ceux que la honte empêche d’en rien dire sont plus nombreux que ceux que le ressentiment fait parler.
TROP.—Rien de trop.
Maxime du sage Chilon, dont les vers suivants de Panard prouvent la vérité:
Trop de repos nous engourdit,
Trop de fracas nous étourdit,
Trop de froideur est indolence,
Trop d’activité turbulence.
Trop d’amour trouble la raison,
Trop de remède est un poison,
Trop de finesse est artifice,
Trop de rigueur est cruauté,
Trop d’audace est témérité,
Trop d’économie avarice:
Trop de bien devient un fardeau,
Trop d’honneur est un esclavage,
Trop de plaisir mène au tombeau,
Trop d’esprit nous porte dommage:
Trop de confiance nous perd,
Trop de franchise nous dessert;
Trop de bonté devient faiblesse,
Trop de fierté devient hauteur,
Trop de complaisance bassesse,
Trop de politesse fadeur.
TRUC.—Avoir le truc.
M. Ch. Nodier a donné cette explication ingénieuse: «Truc, de l’italien trucco, billard, et tous deux du bruit de la bille qui tombe dans la blouse quand on la bloque, autre mot qui pourrait bien être aussi une onomatopée. Le peuple dit, à Paris, avoir le truc, être fin, subtil, délié, comme il dit se blouser, pour être gauche, étourdi, mal avisé. Les gens qui ont le truc sont ceux qui blousent les autres.»
Je ne partage point l’opinion de M. Nodier. Je crois que truc, dans cette locution, est un terme roman qui signifie adresse, finesse, invention, le même que trut et treuf, et qu’il n’a pas de rapport avec son homonyme truc, billard, autre terme roman, substantif du terme truca, frapper, battre, d’où les Italiens ont pris trucco. Je reconnais que truc, dans ce dernier sens, est une onomatopée, un écho du son, vox repercussæ naturæ.
TRUIE.—Tourner la truie au foin.
C’est détourner la conversation du but où elle doit tendre, pour la diriger vers un autre but où elle ne doit point aller; c’est agir inconsidérément comme un homme qui chercherait à éloigner une truie du gland dont elle se veut repaître, pour la mettre au foin dont elle n’a que faire. Cette expression proverbiale se trouve dans le passage suivant du Pédant joué de Cyrano de Bergerac (act. II, sc. 9): «Ce n’est pas de cela dont j’ai à vous parler. Mais à quoi diable vous sert de tourner ainsi la truie au foin?»
TU AUTEM.—Savoir le tu autem.
C’est savoir, comme on dit, le fin et la fin d’une affaire. Ménage et Lamonnoye disent, d’après le Moyen de parvenir (ch. LX), que cette locution est prise des leçons du bréviaire, qui se terminent par les mots: Tu autem, Domine, miserere nobis.
Le prédicateur Menot a dit, dans un de ses sermons: Post mortem, poterimus cognoscere omne tu autem: après notre mort, nous pourrons connaître tout le tu autem.
TURLUPIN.—Enfant de Turlupin, malheureux de nature.
On a dit aussi: Malheureux comme Turlupin. Ces expressions proverbiales, qui ne sont presque plus usitées aujourd’hui, rappellent la société des pauvres, ou secte des turlupins, espèce de cyniques qui fesaient profession d’impudence, se promenaient tout nus dans les rues, et avaient commerce avec les femmes publiquement: Cynicorum sectam suscitantes de nuditate pudendorum et de publico coïtu, dit la chronologie de Genebrard. Le chef de ces hérétiques, qui existaient sous le règne de Charles V, fut brûlé vif, par ordre de ce prince, avec plusieurs d’entre eux, et tous leurs livres et meubles, dans un grand feu allumé au marché aux Pourceaux de Paris, hors la porte Saint-Honoré.
On assigne diverses étymologies à leur nom. Les uns disent qu’il est composé de tire, pour ressemble, et lupins, petits loups, parce qu’ils habitaient les bois comme les loups, quod ea tantum habitarent loca quæ lupis exposita erant. Les autres disent de lubins, parce qu’ils ressemblaient aux frères lubins, moines mendiants. «Rabelais, dit Le Duchat, a écrit tirelupins pour turlupins, parce qu’il semblait qu’ils vécussent de lupins tirés par-ci, par-là. Dans la VIe volume de Perceforest, il est parlé de turpellins et turpellines comme d’une secte, ce qui fait que je ne doute pas que ce ne soit celle des turlupins, ainsi appelée par inversion de turpellins, fait de turpis, à cause du scandale que donnait leur vie débordée.»
C’est un turlupin.
C’est-à-dire un farceur, un mauvais plaisant. Ce nom reçut cette acception parce qu’il fut pris par un acteur fameux, dont le vrai nom était Legrand, qui, sous le règne de Louis XIII, fesait beaucoup rire les Parisiens avec ses deux associés, Gautier-Garguille et Gros-Guillaume. On appela turlupinades les scènes qu’il composait et jouait, et l’on dit turlupiner, pour signifier foire comme Turlupin. Ces mots sont restés dans la langue, où ils signifient des plaisanteries fondées sur de mauvais jeux de mots, et l’action de faire de telles plaisanteries.