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Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

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O

O.Rond comme l’O du Giotto.

Expression reçue parmi les peintres pour désigner une figure parfaitement ronde.—Le Giotto, élève de Cimabué, était un célèbre peintre Toscan, qui fit oublier son maître, et fut regardé comme le régénérateur de la peinture. Il venait de terminer les six grandes fresques du Campo Santo de Pise, dans lesquelles il avait représenté les misères et la patience de Job, lorsque le pape Boniface VIII, qui voulait l’employer à Rome, envoya auprès de lui un de ses gentilshommes pour juger si son mérite égalait sa réputation. Le Giotto, piqué de ce que le Saint-Père paraissait douter de ses talents, refusa obstinément de remettre à l’envoyé des dessins que celui-ci a lui mandait; mais prenant une feuille de papier, il y traça, sous ses yeux, au courant du crayon, un cercle parfait qu’il le pria de présenter à sa sainteté. Cette figure fut admirée de Boniface VIII, qui se hâta d’appeler l’artiste à Rome, et elle obtint en peu de temps une célébrité proverbiale.

OBÉIR.Il faut apprendre à obéir pour savoir commander.

Proverbe pris de cette maxime de Solon, citée par Stobée: Apprenez à obéir avant de commander, car ayant apprit à obéir, vous saurez commander.—La même maxime se trouve dans Aristote.

Nos anciens chevaliers regardaient l’obéissance comme l’apprentissage du commandement. «Il convient, dit l’Ordène de Chevalerie[68], que le jeune gentilhomme soit subject avant d’estre seigneur, car autrement ne cognoistroit-il point la noblesse de sa seigneurie quand il seroit grand et maistre de ses actions. De mesme que celui qui veut apprendre à estre cousturier ou charpentier, doibt avoir un maistre en ce mestier, de mesme aussi celui qui veut être expert en fait de chevalerie et de bon commandement, doibt premierement avoir un maistre, qui soit courtois chevalier.»—C’est d’après ce principe que les fils des seigneurs étaient placés comme pages et valetons auprès de quelque suzerain.

Louis XIV, dans les mémoires qu’il fit pour l’instruction de son fils, lui donnait cette sage leçon parmi beaucoup d’autres: «Si vous n’écoutez pas les ordres de ceux que j’ai préposés pour votre conduite, comment suivrez-vous les conseils de la raison quand vous serez votre maître?»

OCCASION.L’occasion fait le larron.

L’occasion détermine souvent l’action.—Il est certain que la facilité qu’on trouve dans les grandes villes pour le vice, est la principale cause du nombre infini de gens qui s’y livrent.

On lit dans le recueil des adages des SS. pères: In arcâ apertâ etiam justus peccat. Un coffre ouvert fait pécher le juste même.

Il faut saisir l’occasion aux cheveux.

Il faut user de diligence pour ne pas laisser échapper le temps favorable de faire une chose.

Les anciens représentaient l’occasion debout sur une roue mobile, ayant des ailes aux pieds et tournant sur elle-même en rond avec une prodigieuse vitesse. Elle avait la partie antérieure de la tête garnie d’une touffe de cheveux, et la partie postérieure entièrement chauve, de sorte que, si on ne la saisissait pas au passage par la première, il n’y avait pas moyen de la prendre par la seconde.

ŒIL.Pleurer d’un œil et rire de l’autre.

Cela se dit particulièrement des enfants contrariés qui pleurent et rient en même temps; on le dit aussi pour signifier un deuil joyeux.—L’origine de cette façon de parler doit être rapportée à nos anciennes représentations théâtrales où les acteurs étaient masqués, comme dans celles de l’antiquité. Celui qui était chargé de jouer un rôle, tantôt triste, et tantôt gai, portait un masque dont un côté exprimait la douleur et l’autre la joie, afin de montrer tour à tour aux yeux des spectateurs les deux affections opposées, au moyen de ce masque toujours offert de profil.—L’expression Jean qui pleure et Jean qui rit est dérivée de la même source. Le célèbre peintre anglais Reynolds, voulant caractériser le double talent de Garrick dans la tragédie et dans la comédie, le peignit pleurant d’un œil et riant de l’autre, entre Melpomène et Thalie.

Se battre l’œil d’une chose.

Se battre l’œil, c’est proprement se frapper l’œil avec la paupière qu’on abaisse et qu’on relève alternativement, ce qui se fait en signe de dérision et de mépris: de là cette expression employée figurément pour dire qu’on se moque d’une chose.

ŒUVRE.A bon jour bonne œuvre.

Ce proverbe ne devrait se dire que des bonnes actions qui se font pendant les jours de grande fête; mais comme l’occasion de l’appliquer en ce sens s’est toujours offerte rarement, on a pris le parti de l’employer d’une manière ironique en parlant des mauvaises actions, qui sont beaucoup plus fréquentes les jours fériés que les autres jours.

OFFENSEUR.L’offenseur ne pardonne jamais.

Ce proverbe, traduit de l’italien Chi offende non perdona mai, se retrouve dans cette réflexion de Tacite: Proprium humani ingenii est odisse quem læseris (Agricol. vita, no 41). C’est le propre de la nature humaine de haïr celui qu’on a offensé. Le même écrivain remarque que les causes de la haine sont d’autant plus violentes qu’elles sont injustes: Odii causæ acriores quia iniquæ (Annal., lib. I, c. 33). Sénèque avait dit avant Tacite: Hoc habent animi magnâ fortunâ insolentes quòd læserint et oderint (De irâ, lib. II, c. 33). Le vice des hommes rendus insolents par une grande fortune est de joindre la haine à l’offense.

C’est pour cela que Voltaire écrivait à quelqu’un qui avait eu des torts graves envers lui: Je vous demande pardon de vous être moqué de moi.

OGRE.Manger comme un ogre.

Manger excessivement. La Monnoye a fait dériver le mot ogre du grec ἀγρίος, sauvage, féroce. Un savant de ma connaissance m’en a indiqué une autre origine très curieuse: il le croit tiré de la Bible, et formé de Og rex, Og roi de Basan, qui fut vaincu à Edréhi, et exterminé avec tous les siens par Moïse. Ce terrible Og, dit le Deutéronome (ch. III, v. 11), était demeuré seul de la race des Réphaïms ou des géants. Son lit, que l’on montrait dans Rabba, ville des enfants d’Amnon, avait une longueur de neuf coudées et une largeur de quatre.

Je mets de côté plusieurs étymologies de même farine pour arriver plus vite à la véritable donnée par M. de Walckenaer. Suivant lui, les ogres sont les Oïgours ou Igours, dont il est fait mention dans Procope, dès le VIe siècle (De bello Vandalico, lib. I, c. 4). C’était une race turque, originaire du centre de l’Asie, et célèbre par sa férocité parmi les Tartares féroces. Quelques Oïgours pénétrèrent en Europe avec les autres Tartares, se fixèrent en Crimée, et se servirent d’une langue appelée lingua ougaresca par les commerçants italiens qui les fréquentèrent les premiers. D’autres tribus, jointes aux Madgiars partis des bords du Wolga, allèrent s’établir dans la Dacie et la Pannonie. On les désigna alors sous le nom de Hunni-Gours, et leur nouveau pays prit le nom de Hunni-Gourie. Ces dénominations se changèrent dans la suite en celles de Hongrois et de Hongrie. Les Hongrois, au IXe siècle, sont les Oïgours, et dans les écrits en langue romane du XIIe et du XIIIe siècle, ce sont les Ogres. Qu’on ouvre le dictionnaire de la langue romane au mot Ogre, et l’on y trouvera pour synonyme le mot Hongrois; il n’y a rien de plus certain ni de mieux prouvé que cette origine. Ces Hongrois, ces Hunni-Gours ou ces Oïgours, firent deux irruptions en France dans le Xe siècle; ils parcoururent la Lorraine, la Bourgogne, et se répandirent jusqu’aux environs de Toulouse, incendiant les villes, pillant les monastères, outrageant les vierges, massacrant les hommes et emmenant les enfants en captivité. Les horreurs qu’ils commirent, et auxquelles l’imagination ajoutait encore, imprimèrent la terreur à des esprits imbus de mille superstitions; et cette terreur les fit regarder comme des êtres hideux, épouvantables et stupides, qui avaient faim de chair humaine. Les conteurs de profession, les auteurs du Mabinogion[69], et après eux les bonnes vieilles et les nourrices, employèrent dans leurs fictions les Oïgours ou les Ogres au lieu de bêtes féroces, comme le principal ressort de terreur.

OIE.L’oie de la Saint-Martin.

L’Église romaine a eu autrefois jusqu’à trois carêmes, celui d’avant Pâques qu’elle a conservé, et deux autres qu’elle a supprimés: l’un de ces derniers précédait Noël, et commençait le 12 novembre, lendemain de la fête de Saint-Martin. Cette fête était alors consacrée, comme l’est aujourd’hui le mardi-gras, aux réjouissances et aux festins, et l’oie rôtie, qui fesait le régal de nos bons aïeux, figurait sur toutes les tables. L’oie a été remplacée depuis par le dindon, oiseau indigène du Paraguay, importé en Europe par les jésuites au XVIe siècle; cependant son règne n’est pas encore passé. Les artisans, dans beaucoup d’endroits, sont restés fidèles à l’usage de se réunir en famille pour manger l’oie de la Saint-Martin.

J. C. Frohman a écrit en latin, sur cet antique usage, un savant traité qui a pour titre: Tractatus curiosus de ansere Martiniano, Lipsiæ, 1720, in-4o.

Qui a plumé l’oie du roi, cent ans après il en rend la plume.

La prescription, c’est-à-dire la manière d’acquérir la propriété d’une chose, ou d’exclure une demande en justice par une possession non interrompue durant un temps déterminé, était légalement acquise autrefois comme aujourd’hui, au bout de trente années, contre les réclamations des particuliers, mais elle ne pouvait l’être contre celles des agents du domaine royal qu’après un siècle révolu: de là le proverbe où l’oie figure, parce qu’on élevait beaucoup d’oies dans les maisons de campagne de nos anciens rois, depuis que Charlemagne, par un article de ses Capitulaires, avait ordonné que ses basses-cours en fussent abondamment pourvues.

Ce proverbe s’emploie maintenant pour signifier qu’il ne fait jamais bon s’attaquer à plus fort que soi.

OIGNON.Il y a de l’oignon.

Il y a quelque chose de caché là-dessous.—L’oignon a été pris pour symbole du mystère et de la duplicité à cause de ses nombreuses tuniques qui s’enveloppent l’une dans l’autre, et c’est là probablement ce qui a donné lieu à cette expression proverbiale, beaucoup plus ancienne qu’une chanson populaire à laquelle elle sert de refrain, et d’où l’on prétend à tort qu’elle a tiré son origine.—On trouve de bailler l’oignon dans la 33me des Cent Nouvelles.

Les Italiens disent d’un homme qui déguise sa façon de penser, sur la parole de qui on ne peut compter: E piu doppio ch’una cipolla. Il est plus double qu’un oignon.

Pythagore, le père de la double doctrine, avait fait un traité sur les oignons.

Se mettre en rang d’oignon.

Prendre place parmi des gens de distinction, dans une réunion où l’on n’est pas invité, dans une assemblée à laquelle on n’a pas le droit d’assister.—On croit que cette façon de parler rappelle le baron d’Oignon qui remplissait les fonctions de grand-maître des cérémonies aux états de Blois de 1576, et assignait à chaque député son rang et sa place.—Il y a un proverbe qui dit: Bien des gens se mettent en rang d’oignon et ne valent pas une échalotte.

Marchand d’oignons se connaît en ciboules.

Ce proverbe signifie qu’on est difficilement trompé sur les choses de son métier. Il se dit particulièrement d’un homme qui reproche aux autres des choses qu’il sait par expérience personnelle.

Regretter les oignons d’Égypte.

Regretter son ancien état, quoiqu’on soit dans un état meilleur. Personne n’ignore que c’est une allusion aux Israélites, qui, délivrés de la servitude d’Égypte, se plaignaient à Moïse d’être privés des oignons qu’ils mangeaient dans ce pays.

OISEAU.Être battu de l’oiseau.

Être découragé, rebuté par une suite de mauvais succès, de traverses; expression prise de la fauconnerie où elle s’emploie au propre en parlant du gibier harcelé par le faucon.

Léger comme l’oiseau de saint Luc.

C’est-à-dire lourd comme un bœuf. On a donné pour attribut à saint Luc un bœuf ailé qui rumine à côté de lui. Ce quadrupède, équipé comme un volatile, est consideré tout de bon comme un symbole du génie de l’évangéliste; mais ce n’est que par ironie qu’il est pris comme un type de légèreté.

OISIVETÉ.L’oisiveté est la mère de tous les vices.

Le bonhomme Richard disait: L’oisiveté va si lentement que tous les vices l’atteignent.—Les Allemands et les Italiens appellent proverbialement l’oisiveté l’oreiller du diable.—Des Tunfels Ruhebank.Capezzolo del diavolo.

Il y a des gens qui prétendent excuser l’oisiveté en disant: Quel mal peut-on faire lorsqu’on ne fait rien? On leur répond par un mot de Caton l’Ancien, consigné dans ce vieux proverbe: En rien faisant on apprend à mal faire, ou par cette réflexion de l’Ecclésiastique (ch. XXXIII, v. 29): Multam malitiam docuit otiositas. L’oisiveté a toujours enseigné beaucoup de mal.

L’homme oisif est à la disposition de tous les vices. L’homme laborieux, au contraire, n’a point à redouter leur pernicieuse influence; ses occupations lui forment une sauve-garde. Hésiode a dit admirablement: Dieu a posé le travail pour sentinelle de la vertu.

OLIBRIUS.Faire l’olibrius.

On pense généralement qu’il s’agit ici d’Olibrius, sénateur romain de la famille Anitienne, qui avait épousé Placidie, fille de Valentinien III, et qui fut placé sur le trône d’Occident, en 472, par Ricimer, chef des Suèves, lorsque ce barbare, habitué à donner et à reprendre la couronne selon son caprice, eut fait massacrer l’empereur Anthème, son beau-père, dans la ville de Rome livrée au pillage. Comme Olibrius ne fut qu’un fantôme de prince, et ne se fit remarquer que par son incapacité et par sa sottise, pendant les sept mois que dura son règne, son nom devint, dit-on, un titre de mépris donné aux hommes qui font les entendus et les glorieux. Mais ce nom se prend dans une autre acception que ne justifie point l’histoire de l’empereur qui le porta. Il s’applique assez souvent à quelqu’un qui fait le méchant, le furieux, comme on le voit dans les exemples suivants:

«Mon mary, passez votre colère; et, au lieu de faire ainsi l’Olybrius, remerciez messire Itace.» (Contes de Despériers, tom. I, pag. 98, édit. d’Amsterdam, 1735.)

Mettons flamberge au vent et bravoure en campagne;
Faisons l’Olibrius, l’occiseur d’innocents.

(Molière, l’Étourdi, act. III, sc. 5.)

D’après cela, on est fondé à croire que l’expression proverbiale fait allusion à un autre Olibrius plus ancien, qui fut gouverneur dans les Gaules pour l’empereur Dèce. Cet Olibrius poursuivit les chrétiens avec le plus grand acharnement pendant la septième persécution. Il fit décapiter sainte Reine, vierge-martyre, à Alixia (Alise, en Bourgogne), pour la punir du double refus qu’elle avait fait de l’épouser et de renoncer au christianisme.

Cyrano de Bergerac a dit faire l’Olibrius et le Vespasien, dans plusieurs endroits de ses ouvrages, notamment dans le Pédant joué (art. II, sc. 2).

Je ne sais à quel titre Vespasien peut avoir mérité cette flétrissure proverbiale, si ce n’est pour avoir fait mourir Éponine et Sabinus.

ONGLE.Savoir sur l’ongle.

Voyez Savoir sur le bout du doigt, page 322.

Avoir les ongles fleuris.

Au propre, c’est avoir les ongles marqués de petites taches blanches, ou noires, ou rouges; au figuré, c’est avoir l’habitude de mentir, parce qu’une superstition, qui a été autrefois très répandue, fait croire que l’habitude de mentir produit ces diverses taches, qui ont été appelées mensonges pour cette raison. Cette superstition existait chez les Romains, et Horace l’a rappelée dans l’Ode 9 du livre II, où il parle de l’ongle marqué de Barine.

ONGUENT.C’est de l’onguent miton mitaine.

C’est un remède qui ne fait ni bien ni mal, un expédient inutile qu’on se propose dans quelque affaire que ce soit.—Miton mitaine, vient, dit-on, de mixtum mixtanum, onguent mixte, ou de ce qu’on mitonne et enveloppe de mitaines la partie malade.

Dans les petites boîtes sont les bons onguents.

Flatterie proverbiale qu’on adresse à une personne de petite taille, et qu’on prend à peu près dans le même sens que le proverbe en petite tête gît grand sens.—L’opinion, que les personnes de petite taille ont plus d’esprit que les autres, existe jusque chez les sauvages. Un chef des Illinois, haranguant M. de Boisbriant, officier distingué, lui disait: «Nos guerriers pensent comme moi, que c’est la force de ton esprit qui a empêché ton corps de croître. Aussi l’auteur de la nature t’a copieusement dédommagé de la petitesse de ton corps, en t’accordant la grandeur de l’ame avec des sentiments vraiment héroïques, pour protéger contre leurs ennemis les hommes illinois.»

Magnus Alexander corpore parvus erat.

OPINION.L’opinion est la reine du monde.

Opinione regitur mundus.—«L’opinion est si bien la reine du monde, dit Voltaire, que quand la raison veut la combattre, la raison est condamnée à la mort. Il faut qu’elle renaisse vingt fois de ses cendres, pour chasser enfin tout doucement l’usurpatrice. L’opinion a changé une grande partie de la terre. Non seulement des empires ont disparu sans laisser de traces, mais les religions ont été englouties dans ces vastes ruines.»

Bossuet a dit: «Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux grands, sinon l’opinion? Combien toutes les richesses de la terre sont-elles insignifiantes sans son consentement? L’opinion dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde.»

OR.Tout ce qui reluit n’est pas or.

Les Italiens disent: Ogni lucciola non e fuoco. Tout ver luisant n’est pas feu.—Ce proverbe peut s’appliquer à toutes les choses qui brillent d’un éclat trompeur. Il s’applique philosophiquement à la condition des grands, que les petits ont le tort d’envier, parce qu’ils ne la connaissent pas, et qui cesserait d’être bientôt l’objet de leur envie, si la vérité, déchirant le voile de l’apparence, leur montrait ce qu’ont à souffrir ces grands, dont le malheur réel est caché sous les dehors séduisants du bonheur.—Un autre proverbe nous apprend qu’on est plus heureux dans les petites conditions que dans les grandes. «On ne perd rien dans les petites conditions, dit Bernardin de Saint-Pierre; on y compte pour des biens les maux qu’on n’y éprouve pas. Souvent, au contraire, dans les grandes, on répute pour des maux les biens dont on est privé: ainsi le juste ciel a compensé toutes choses.»

ORANGE.Manger des perdrix sans orange.

Le jus de l’orange a été regardé comme la véritable sauce de la perdrix. De là cette expression pour dire: manger quelque chose sans l’apprêt qui lui convient.

OREILLE.Se faire tirer l’oreille.

Chez les Romains, quand il survenait quelque différend qui ne pouvait se terminer à l’amiable, l’offensé citait devant le préteur celui dont il croyait avoir à se plaindre; et quand ce dernier ne comparaissait point dans les délais fixés, le plaignant sommait les témoins, s’il en avait, de venir déposer. Si ceux-ci refusaient, ce qui arrivait souvent, pour une cause ou pour une autre, il était autorisé à les amener par l’oreille, et à la leur pincer fortement, dans le cas où ils feraient résistance. De là l’expression conservée, se faire tirer l’oreille, pour dire: Avoir de la peine à consentir à quelque chose.

Il vaut mieux se fier à ses yeux qu’à ses oreilles.

Proverbe usité chez les Grecs et chez les Latins.—On est plus sûr de ce qu’on voit que de ce qu’on entend. Les yeux trompent rarement, et les oreilles trompent souvent. C’est pourquoi Thalès disait que la vérité était éloignée du mensonge, comme les yeux des oreilles.

«Ne vous en rapportez qu’à vos propres yeux, et ne vous fiez jamais à ce qu’on vous redira. Nos yeux sont toujours à nous; mais nos oreilles appartiennent aux autres. Le premier de ces organes ne peut guère nous tromper; le second peut à chaque instant nous induire en erreur, et nous faire commettre d’irréparables fautes.» (Madame Campan.)

Pendants d’oreilles.

Henri Estienne, dans son livre intitulé: deux Dialogues du langage français, italianisé et autrement déguisé, nous apprend qu’on appelait autrefois pendants d’oreilles les gens obséquieux qu’on voit toujours pendus aux oreilles des grands. Ce sobriquet, dont on peut faire l’application dans tous les temps, mérite d’être conservé. Il n’y a pas de mot qui peigne mieux la chose.

ORGUEIL.Lorsque orgueil va devant, honte et dommage le suivent.

Philippe de Commines nous apprend que Louis XI, qui était, dit-il, humble en paroles et en habits, et naturellement ami des gens de moyen état, se servait de ce proverbe pour répondre aux reproches qu’on lui fesait de ne pas assez garder sa dignité.

Ubi fuerit superbia, ibi erit et contumelia (Salomon, Parab. c. XI, v. 2). Où sera l’orgueil, là aussi sera la confusion.

L’orgueil précède les chutes.

Proverbe tiré de l’Écriture sainte.—Les Basques disent: Urguluac cerura abia-eta, io seguin ifernura. L’orgueilleux ayant pris son vol vers le ciel, alla tomber aux enfers.

ORME.Attendez-moi sous l’orme.

C’était sous quelque gros arbre, ordinairement sous un orme, planté devant la porte de l’église ou du manoir seigneurial, que se tenaient les assises judiciaires, appelées pour cette raison les plaids de la porte. C’était là aussi que se payaient les redevances et dettes, ainsi que l’attestent de vieilles cédules évocatoires qui enjoignent aux débiteurs de comparoir sous l’orme Saint-Gervais, à Paris. Sans doute les assignés manquaient souvent à l’appel, et de là vint l’expression attendez-moi sous l’orme, pour faire comprendre à quelqu’un qu’on ne veut point se trouver à un rendez-vous, ou qu’on ne compte point sur sa parole.

Cette expression peut tout aussi bien avoir tiré son origine de l’usage des plaids et gieux sous l’ormel, espèce de cour d’amour qui jugeait gravement les affaires de galanterie, et voulait obliger les amants à la constance, et les époux à la concorde. L’autorité d’un pareil tribunal était méconnue impunément, et l’on pouvait dire à celui par qui on y était cité: attendez-moi sous l’orme, expression ironique qui était fort de saison.

OUBLIER.Qui songe à oublier se souvient.

«Il n’est rien qui imprime si vivement quelque chose en notre souvenir que le désir de l’oublier. C’est une bonne manière de donner en garde et d’empreindre en notre ame quelque chose que de la solliciter de la perdre.» (Montaigne, Ess., liv. II, ch. 12.)

Moncrif a employé ce proverbe d’une manière très heureuse dans ce charmant couplet d’une romance:

Pour bannir de la souvenance

L’ami secret,

Que l’on éprouve de souffrance

Pour peu d’effet!

Une si douce fantaisie

Toujours revient:

En songeant qu’il faut qu’on l’oublie

On s’en souvient.

OURS.C’est un ours mal léché.

On a cru longtemps, sur la foi d’Aristote et de Pline le Naturaliste, que les oursons naissaient informes, et que leur mère corrigeait ce défaut à force de les lécher; ce qu’elle ne fait que pour les dégager des membranes dont ils sont enveloppés en naissant. C’est de cette opinion erronée qu’est venue cette expression métaphorique par laquelle on désigne un homme mal fait et grossier.

Il est de la nature de l’ours, il ne maigrit pas pour pâtir.

C’est ce qu’on dit d’une personne qui prend de l’embonpoint, quoiqu’elle mange peu et se donne beaucoup de peine.—L’ours, disent les naturalistes, peut passer plusieurs semaines sans prendre de la nourriture, car l’abondance de sa graisse lui fait supporter l’abstinence; et, vers le commencement de l’hiver, il se recèle dans sa bauge, d’où il ne sort qu’au bout de quarante jours, presque aussi gros qu’il y était entré. De là cette expression proverbiale qui n’est pas nouvelle, puisque le troubadour Richard de Barbésieu a dit dans une de ses chansons, en parlant de l’état de dépérissement où l’avaient conduit les rigueurs de sa dame: Je ne suis pas de la nature de l’ours, qui engraisse à force de mal avoir.

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir mis par terre.

Il ne faut pas disposer d’une chose avant de la posséder; il ne faut pas se flatter trop tôt d’un succès incertain. Proverbe pris d’un apologue d’Ésope très bien imité par la Fontaine. Philippe de Commines, dans ses Mémoires, a mis cet apologue dans la bouche de l’empereur Frédéric pour répondre aux ambassadeurs du roi de France, qui, au nom de leur souverain, l’engageaient à se saisir des terres que le duc de Bourgogne tenait de l’Empire.

Il faut le faire monter sur l’ours.

Ce dicton, qu’on applique à un homme qui a peur, à un poltron, est fondé sur une superstition dont Thiers a parlé dans son Traité des superstitions (liv. v, ch. 4). «Monter sur un ours, dit-il, et faire quelques tours dessus pour être préservé de la peur, est une chose qui se pratiquait autrefois en France, où les ours étaient plus communs qu’aujourd’hui.»


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