← Retour

Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues

16px
100%

C

CAGOT.

Court de Gebelin dérive ce mot de caco-deus, rapporté par Ducange. Caco, dit-il, signifiant faux, sera devenu cagot, hypocrite; et comme l’hypocrite a toujours le nom de Dieu à la bouche, et l’emploie à tout, il aura été surnommé, chez les peuples qui appellent Dieu God, kakle-God, caquette-Dieu, et insensiblement cak-god et cagot.

Rabelais donne à cagot une origine moins honnête. C’est, suivant lui, la première personne de l’indicatif présent du verbe italien cagare, qu’il est difficile de traduire en français par le mot propre; et dans son Ile sonnante, il nous montre les cagots comme atteints de la maladie des harpies.

D’autres prétendent que cagot vient de cagoule. Mais il est positif que cagoule est beaucoup moins ancien que cagot. Cagoule ne date que du seizième siècle, et il a été introduit par corruption de cogule (cuculla), espèce de capuce ou capuchon.

Il est probable que cagot s’est formé par contraction de caas-goths, chiens goths, dénomination injurieuse déjà usitée en 507 pour désigner les Goths, à cause de leur attachement à l’arianisme, objet de scandale et de haine pour nos catholiques ancêtres qui traitèrent ces malheureux, réfugiés dans les Pyrénées, comme les Indiens traitent les parias et les poulichis.

Disons un mot de cette espèce de Cagots dont les pères avaient renversé et fondé plusieurs empires. Cette race, vouée à la persécution des Francs qui la vainquirent à la bataille de Vouillé, fut obligée de se cacher dans les plus secrets réduits des montagnes pour conserver ses habitudes religieuses. Elle y contracta des maladies héréditaires qui la réduisirent à un état pareil à celui des crétins. Lorsque, dans la suite, elle abjura l’arianisme et se réunit à la communion romaine, il lui fut impossible de se régénérer. Les Cagots furent alors regardés comme ladres et infects. On leur défendit sous les peines les plus sévères d’habiter dans les villes et les villages, et d’être chaussés et habillés autrement que de rouge. Ils ne pouvaient entrer que par une porte particulière dans les églises, où ils avaient des siéges séparés du reste des fidèles. Les sacrements même leur étaient interdits en certains endroits par la même raison qu’aux bêtes. On ne recevait point leur témoignage en justice, et c’était par grâce que la coutume de Béarn avait établi que les dépositions de sept d’entre eux équivaudraient à une déposition légale. Aujourd’hui ils ne sont plus exposés à la réprobation des autres hommes, mais ils restent toujours accablés des infirmités que la viciation du sang et de la lymphe peut produire. Leurs traits son difformes et livides. Cependant on y démêle quelque trace d’une origine étrangère que la dégradation de l’espèce n’a pas effacée entièrement. Leur moral paraît frappé d’imbécillité.

On comprend dans la race des Cagots ces êtres disgraciés de la nature appelés cahets en Guienne et en Gascogne; coliberts dans le Maine, l’Anjou, le Poitou et l’Aunis; cacoux et caqueux en Bretagne; et caffons dans les deux Navarres. Ce nom de caffon, qu’on fait dériver de l’espagnol cafo, lépreux, est tout à fait semblable à celui de caffoni que les habitants des environs de Rome et de Naples donnent aux paysans les plus grossiers.

CAHIN-CAHA.Aller cahin-caha.

C’est-à-dire d’une manière inégale, incertaine, tant bien que mal, de mauvaise grâce. Ces deux mots, suivant Ménage, viennent de Quà hìnc quà hàc, deçà et delà.

L’esprit de l’homme, dit un proverbe cité par Martin Delrio, va clochant de côté et d’autre, claudicans in duas partes, c’est-à-dire cahin-caha. Luther l’a comparé à un paysan ivre à cheval, et qui redressé d’un côté, tombe de l’autre.

Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, accusé de favoriser tantôt les jésuites et tantôt les jansénistes, fut surnommé Cahin-caha, comme on le voit dans cette épitaphe épigrammatique qu’on lui fit le jour de sa mort:

Ci-gît Louis Cahin-caha,
Qui dévotement appela,
De oui de non s’entortilla,
Puis dit ceci, puis dit cela,
Perdit la tête et s’en alla.

Tout le monde connaît la chanson de Cahin-caha par Pannard que Marmontel appelait le La Fontaine du vaudeville. Elle fut tellement goûtée quand elle parut, que Pannard, en publiant ses œuvres, ne crut pouvoir trouver de meilleur moyen pour en assurer le succès que de mettre au titre: Par l’auteur de Cahin-caha.

CAILLE.Chaud comme une caille.

On a reconnu, dit Buffon, généralement plus de chaleur dans les cailles que dans les autres oiseaux, et c’est de là qu’est venue l’expression proverbiale.

Maris qui voulez être aimés de vos femmes, femmes qui voulez être aimées de vos maris, vous n’avez qu’à prendre un couple de cailles dont vous extrairez les deux cœurs pour les porter sur vous, à savoir: le mari celui du mâle, et la femme celui de la femelle, et vous pouvez compter que vous ferez très bon ménage. Ce n’est pas moi qui donne cette précieuse recette, c’est Antoine Mizauld, médecin français du seizième siècle, auteur d’un livre de Centuries où il l’a consignée. (Cent. 8, n. 18.)

CAILLETTE.

Ce mot, qu’on applique à une personne frivole et babillarde, est regardé par quelques étymologistes comme un diminutif de caille, oiseau qui jabotte sans cesse, et par quelques autres comme un dérivé de cail, qui, en celtique, désigne une jeune fille de village.

Marot a employé caillette dans le sens de timide, peureux ou niais, dans les vers suivants:

Bref, si jamais j’en tremble de frisson,
Je suis content qu’on m’appelle caillette.

Peut-être aussi a-t-il voulu faire allusion à Caillette, fou de François Ier. Quoi qu’il en soit, le mot a eu les trois acceptions que je viens d’indiquer, et même celle de badaud; car les badauds de Paris ont été surnommés caillettes.

On appelait autrefois et l’on appelle encore, je crois, caillette-maman, un petit garçon habitué à se tenir comme une fillette auprès de sa mère au lieu d’aller jouer avec ses camarades.

CALENDES.Renvoyer aux calendes grecques.

Les Romains appelaient calendes le premier jour de chaque mois où les créanciers avaient coutume d’exiger l’argent qu’ils avaient prêté, et ce mot venait du verbe latin calo, j’appelle, je convoque, parce que ce jour là un pontife annonçait au peuple convoqué le retour de la nouvelle lune. Mais les Grecs n’avaient point de calendes, et c’est ce qui donna lieu au proverbe Renvoyer aux calendes grecques, c’est-à-dire à une époque chimérique.

La plupart des étymologistes font venir calendes d’un verbe grec; mais il n’est pas probable que les Romains aient pris le mot dans la langue d’un peuple qui ne connaissait pas la chose.

Philippe II, roi d’Espagne, avait envoyé à Élisabeth, reine d’Angleterre, un message ainsi conçu:

Te veto ne pergas bello defendere belgas.
Quæ Drakus eripuit nunc restituantur oportet.
Quas pater evertit jubeo te condere cellas,
Relligio papæ fac restituatur ad unguem.

Élisabeth répondit sur-le-champ par ces vers:

Ad græcas, bone rex, fient mandata calendas.

CÂLIN.Faire le câlin.

C’est cacher la finesse sous un air niais, indolent, et prendre un ton doucereux pour se ménager l’esprit d’une personne dont on veut obtenir quelque chose.

Le mot câlin a une origine douteuse; il peut venir du verbe caler, qui signifie au figuré céder, se soumettre, comme dans cette phrase de Montaigne (liv. III, chap. 12): «Eust-on ouy de la bouche de Socrate une voix suppliante? Cette superbe vertu eust-elle calé au plus fort de sa montre?»

Un étymologiste a dérivé câlin des paroles que l’exécuteur des hautes-œuvres adressa à Dom Carlos, infant d’Espagne, pour l’engager à ne pas se débattre au moment où il allait l’étrangler par ordre d’un père barbare: Calla, calla, senor Dom Carlos! todo lo que se haze es por su bien. Tout doux, tout doux, seigneur Dom Carlos! tout ce qui se fait est pour votre bien.

CALOMNIE.La calomnie s’arme du vraisemblable.

Proverbe tiré de Sénèque, qui a dit (Quest. natur., préf. du liv. IV): C’est toujours à l’aide du vrai que le mensonge attaque la vérité. La même pensée se trouve dans la vie d’Alexandre par Plutarque, chap. 75.

Le calomniateur ne manque pas de sagacité pour découvrir et pour attaquer le côté le plus faible. Son propre est d’exagérer plutôt que d’inventer. C’est un adroit faussaire de la vérité.

Calomniez, calomniez: il en reste toujours quelque chose.

On est généralement disposé à penser qu’une personne à qui l’on reproche beaucoup est nécessairement coupable de quelque chose, et ce pernicieux préjugé fait le succès du calomniateur. De là ce mot, que Beaumarchais a mis dans la bouche de Basile, mais qu’il n’a pas inventé; car avant lui Bacon l’avait cité comme proverbial dans son ouvrage de La dignité et de l’accroissement des sciences, liv. VIII, chap. 2, et le traducteur français de cet ouvrage l’avait rendu en ces termes: Va! calomnie hardiment: il en restera quelque chose.

CAMÉLÉON.C’est un caméléon.

Se dit d’un homme qui change d’avis et de conduite suivant les circonstances, parce que les anciens, de qui nous avons emprunté cette expression métaphorique, croyaient que le caméléon n’avait pas de couleurs propres et individuelles, et qu’il réfléchissait comme une glace toutes celles des objets environnants. Mais cette opinion, quoique adoptée par Aristote, Pline, Élien, etc., a paru erronée aux naturalistes modernes. Le caméléon, disent-ils, est un reptile de la famille des lézards; sa taille n’excède guère quatorze pouces, en y comprenant la queue qui en a sept. Sa tête est surmontée d’une espèce de pyramide cartilagineuse rejetée en arrière. L’ouverture de sa gueule est vaste, mais très peu apparente, à cause de l’union très exacte des deux mâchoires. Il ne se nourrit pas de vent et d’air, comme l’ont prétendu les naturalistes de l’antiquité: il mange des mouches, des vers et d’autres insectes qu’il trouve sur le sommet des arbres, où il se plaît à se promener, en s’aidant de sa queue qu’il roule autour des rameaux. Sa peau est d’un tissu transparent, et ses couleurs changent, varient, s’altèrent, suivant la nature des impressions qu’il éprouve, le degré de chaleur ou les effets de la lumière auxquels il est exposé: les teintes les plus habituelles sont le rouge, le jaune, le noir, le vert, le blanc. Le célèbre Bichat attribuait particulièrement cette variation de couleurs à la quantité d’air que l’animal aspire, et combine avec le sang artériel. En effet, le caméléon possède la faculté d’avaler une grande quantité d’air; il s’enfle et se désenfle à volonté, ce qui l’a fait appeler par Tertullien une peau vivante; et chaque fois qu’il use d’une telle prérogative, son corps reflète des nuances diverses. La nuit, et lorsqu’il se refroidit, il prend une couleur blanche, et quand il est mort il la conserve. Voilà les observations vraies, fidèles et sûres auxquelles on doit s’en tenir. Le reste n’est qu’un mensonge poétique; mais comme ce mensonge n’a rien de dangereux, on ne cessera point de voir dans le caméléon l’emblème de la flatterie, l’image ou le modèle des courtisans, qui, suivant leurs intérêts ou leurs passions, se parent de toutes les nuances, adoptent toutes les livrées, se couvrent de tous les masques.

CAMELOT.Quand le camelot a pris son pli, c’est pour toujours.

L’étoffe appelée camelot, parce que originairement elle était faite de poil de chameau, ne perd que très difficilement les mauvais plis qu’elle a pris. De là le proverbe, qu’on applique à une personne incorrigible.

CANCAN.Faire du cancan d’une chose.

C’est faire du bruit d’une chose pour un motif frivole.

Le mot quanquàm (quoique) était fort à la mode au seizième siècle; les orateurs de l’Université l’affectionnaient particulièrement. Ils regardaient comme un trait de génie de le faire figurer le premier en tête de leurs discours, et ils en avaient fait, en raison de cette prééminence, le nom d’une harangue latine récitée en public par un écolier à l’ouverture des thèses de philosophie; mais la prononciation de ce mot passait alors pour défectueuse. On disait kankam, à la manière gothique. Le célèbre Ramus soutint qu’il fallait dire couancouam, conformément à la prononciation romaine, et les professeurs du collége royal se rangèrent à son avis. Les docteurs de Sorbonne s’opposèrent à l’innovation, et défendirent de l’adopter sous peine de leur censure. Cette menace eut bientôt son effet: un jeune ecclésiastique s’étant avisé, dans un discours d’apparat, de faire entendre le couancouam réprouvé, nos docteurs scandalisés s’assemblèrent, crièrent à l’hérésie, et déclarèrent vacant un bénéfice que le beau diseur possédait. Celui-ci, très peu résigné à son rôle de victime grammaticale, interjeta appel au parlement. Il parut à l’audience escorté d’une foule de maîtres, de sous-maîtres et d’écoliers. Ramus était chargé de défendre sa cause. Il parla avec toute l’autorité du talent et de la raison; il ne négligea point de faire ressortir le ridicule des partisans de kankam. Les juges rendirent un arrêt qui réhabilita le bénéficiaire, et laissa à chacun la liberté de prononcer comme il voudrait. C’est de ce fameux litige, dans lequel se trouve peut-être la vraie cause de l’assassinat de Ramus, que plusieurs étymologistes font venir le mot cancan, employé d’abord pour signifier une discussion orageuse sur un sujet de peu d’importance, et appliqué depuis à tous les bavardages de société où il entre de la médisance. Quelques autres pensent qu’il a été formé par onomatopée du cri des canards; mais leur opinion pour être admise a besoin d’être appuyée de faits qui établissent qu’il était en usage avant la dispute de Ramus avec la Sorbonne, et jusqu’ici ils n’en ont rapporté aucun. La remarque faite par Buffon, que le verbe cancaner exprime le cri désagréable des perroquets dans le langage des Français d’Amérique, ne peut leur fournir une induction probante en ce cas, puisque l’établissement de ces colons est postérieur à l’époque dont il est question.

CAPHARNAÜM.C’est un capharnaüm.

Capharnaüm ou Capernaüm était une ville de la Judée, située à l’extrémité septentrionale du lac de Génézareth, dans la province de Galilée. L’éloignement où cette province se trouvait de la Judée proprement dite, la tenant en dehors de l’influence morale de Jérusalem, l’avait souvent exposée aux troubles intérieurs, et lui avait fait donner par le prophète Isaïe la dénomination de contrée de ténèbres et d’ignorance (ce qui est rappelé dans l’évangile selon saint Mathieu, chap. 4, v. 16). C’est de là qu’on a dit par allusion en parlant d’une assemblée où le désordre et la confusion régnent: C’est un capharnaüm.

CAPON.Faire le capon.

C’est faire un acte de poltronnerie ou de lâcheté, chercher à tromper, dissimuler pour arriver à ses fins; et, dans un sens spécial, hanter quelque tripot afin d’y prêter à gros intérêts de l’argent aux joueurs.

Le terme de capon s’appliqua primitivement aux Juifs. Il y a une charte de Philippe-le-Bel qui appelle leur communauté Societas caponum, et le lieu de leurs assemblées Domus societatis caponum, maison de la société des capons ou chapons. On ne sait pas au juste pourquoi ils furent désignés ainsi; mais les raisons qui firent depuis employer ce terme comme synonyme de poltron, lâche, fourbe, hypocrite, usurier, s’expliquent aisément par les habitudes de cette race autrefois proscrite et malheureuse. Il ne leur était pas permis de paraître en public sans une marque jaune sur l’estomac. Philippe-le-Hardi les obligea même de porter une corne sur la tête. Il leur était défendu de se baigner dans la Seine; et quand on les pendait, c’était toujours entre deux chiens. En horreur au peuple qui leur fesait essuyer toute sorte d’avanies, exposés aux mauvais traitements des seigneurs qui voulaient les rançonner, victimes de l’avarice des princes qui les chassaient pour s’emparer de leurs biens et qui leur accordaient ensuite la permission de revenir moyennant de fortes sommes, les Juifs nécessairement devaient manquer de courage, opposer la ruse et l’hypocrisie à la violence, et chercher à réparer par l’usure d’iniques spoliations.

CAPUCIN.Un verre de vin est la chemise d’un capucin.

D’après un précepte d’hygiène, il faut, lorsqu’on est en sueur, ou changer de chemise ou boire un verre de vin. Or, les capucins, qui ne portaient point de chemise d’après la règle de saint François leur fondateur, buvaient en ce cas un verre de vin, et de là le proverbe.

On dit aussi: Un verre de vin vaut un habit de velours. Ce qui a beaucoup d’analogie avec un proverbe latin qui se trouve dans le festin de Trimalcion: Calda potio vestiarius est. Le vin est désigné ici par les mots calda potio, chaude boisson, pour exprimer la chaleur qu’il a naturellement et non la chaleur qui lui est communiquée par le feu. C’est ainsi que l’eau est appelée, dans un sens opposé, frigida potio, froide boisson.

CAQUETÉ.Les morceaux caquetés se digèrent mieux.

Le plaisir de la conversation mêlé à celui de la bonne chère est un préservatif contre l’indigestion, parce qu’en parlant on mange plus lentement, et que les aliments s’imbibent mieux de salive, deux points importants pour les gastronomes qui tiennent à conserver un bon estomac, et qui pensent avec Brillat-Savarin qu’on ne vit pas de ce qu’on mange, mais de ce qu’on digère.

C’est à tort qu’on a regardé ce proverbe comme inventé par Piron, car il est beaucoup plus ancien que cet auteur.

CARAT.A vingt-quatre carats.

On dit qu’une personne est sotte, impertinente, folle, etc., à vingt-quatre carats, pour signifier qu’elle l’est au souverain degré, parce qu’on divisait autrefois en carats le titre de l’or qu’on divise actuellement en millièmes, et parce que l’or le plus pur était alors défini à vingt-quatre carats, quoiqu’il ne fût réellement qu’à vingt-trois carats sept huitièmes, à cause de l’affinage.

Le savant auteur des Amusements philologiques rapporte une étymologie curieuse du mot carat. Ce mot, qu’on a écrit primitivement karat, vient de l’arabe kouara, qui est le nom d’un arbre appelé corallodendron par les naturalistes, sans doute à cause de la couleur de sa fleur et de son fruit rouges comme du corail. Ce fruit, renfermé dans une coque ronde extrêmement dure, est une espèce de fève marquée d’une raie noire dans le milieu. Les fèves du kouara, ou les carats, ne variant presque pas de poids lorsqu’elles sont bien sèches, servirent à peser l’or chez les Shangallas dès les premiers âges du monde; et de là vint la manière d’estimer ce métal plus ou moins fin à tant de carats. Du pays de l’or, en Afrique, le carat passa dans l’Inde, où il fut aussi employé comme poids dans le commerce des pierres précieuses et surtout des diamants.

CARDINAL.Qui entre pape au conclave en sort cardinal.

Tous les cardinaux ont le même droit à la tiare, et il n’en est pas un seul peut-être qui ne désire l’obtenir; mais comme plusieurs d’entre eux ne peuvent raisonnablement compter que sur leur propre suffrage, ils se désistent d’une prétention inutile en faveur de ceux dont ils jugent l’élection avantageuse à leurs intérêts: il se forme alors dans le conclave divers partis qui épuisent les ressources de la cabale pour parvenir à leurs fins. Lorsqu’un de ces partis a des chances probables de succès, les opposants pour l’ordinaire, faisant de nécessité vertu, se joignent à lui de peur de s’aliéner par une résistance vaine le nouveau maître qu’il va leur donner: si de part et d’autre, au contraire, l’influence est à peu près égale, la rivalité continue jusqu’à ce que, de guerre lasse, on s’accorde à choisir dans un rang neutre quelque sujet dont la vieillesse peut bien faire espérer à l’intrigue une prochaine occasion de s’exercer avec plus d’avantage, mais n’en est pas moins, quoi qu’on dise, une solide garantie pour la morale religieuse. Et c’est ainsi que se vérifie, à la confusion des ambitieux, le proverbe, Qui entre pape au conclave en sort cardinal.

Le cardinal Julien de la Rouvère, promu au pontificat sous le nom de Jules II, en 1503, fit exception à ce proverbe. Il usa si bien de ses moyens d’influence pour assurer son élection, qu’elle précéda, à proprement parler, l’entrée des cardinaux dans le conclave.

CARÊME.Il ne faut pas prêcher sept ans pour un carême.

Il ne faut pas répéter sans cesse et sottement la même chose. Ce proverbe a été imaginé par allusion à cet autre: Si le carême durait sept ans, tu serais un habile homme à Pâques. C’est-à-dire, si tu avais l’instruction que peuvent donner les sermons prononcés dans le carême pendant sept ans, tu cesserais après ce temps d’être compté parmi les imbéciles.

Arriver comme marée en carême.

C’est-à-dire fort à propos, comme la marée ou le poisson dans le carême.

Arriver comme mars en carême.

Se dit d’une chose qui arrive toujours en certain temps, comme le mois de mars dans le carême.

CASAQUE.Tourner casaque.

C’est-à-dire changer de parti.

On a prétendu que cette locution était fondée sur la conduite versatile du duc de Savoie, Charles Emmanuel Ier, qui, tantôt l’allié de la France, tantôt l’allié de l’Espagne, retournait son justaucorps blanc d’un côté et rouge de l’autre, quand il abandonnait la cause du premier de ces pays pour celle du second. Mais la locution date d’une époque plus ancienne; elle est née au commencement des guerres de la réforme. Comme les catholiques et les religionnaires portaient des casaques de couleur différente, celui qui voulait passer d’un camp dans l’autre avait soin de mettre la sienne à l’envers quand il s’approchait des postes avancés, afin de faire connaître qu’il ne se présentait pas en ennemi; et cet acte de transfuge, alors très commun, s’appelait proprement Retourner ou Tourner casaque.

Nous disons aussi: Changer de casaque;—Changer d’écharpe;—Changer de cocarde; et il est à remarquer que le prophète Sophonie (c. 1, v. 8) a dit dans le même sens: Indui veste peregrinâ, revêtir un habit étranger.

Le recueil d’Oudin rapporte cette autre expression proverbiale: Porter casaque de diverses couleurs, c’est-à-dire se ranger facilement à toutes sortes de partis.

CASTILLE.Avoir castille avec quelqu’un.

Ce mot qui, dans le langage familier, signifie un différend, une petite querelle, désignait anciennement l’attaque d’une tour ou d’un château. Il fut employé depuis, dit Lacurne de Sainte-Palaye, pour les jeux militaires qui n’étaient que la représentation des véritables combats. La cour de France, en 1546, passant l’hiver à la Roche-Guyon, s’amusait à faire des castilles (châteaux ou forteresses en bois) que l’on attaquait et l’on défendait avec de pelotes des neige. Mais le bon ordre que Nitharda fait remarquer dans les jeux militaires de son temps ne régnait point dans celui-ci. La division se mit entre les chefs, la dispute s’échauffa, et il en coûta la vie au duc d’Enghein.

CATHERINE.Rester pour coiffer sainte Catherine.

C’était autrefois l’usage, en plusieurs provinces, le jour où une jeune fille se mariait, de confier à une de ses amies qui désirait faire bientôt comme elle, le soin d’arranger la coiffure nuptiale, dans l’idée superstitieuse que cet emploi portant toujours bonheur, celle qui le remplissait ne pouvait manquer d’avoir à son tour un époux dans un temps peu éloigné; et l’on trouve encore au village plus d’une jouvencelle qui, sous le charme d’une telle superstition, prend secrètement ses mesures afin d’attacher la première une épingle au bonnet d’une fiancée. Or, comme cet usage n’a pu jamais être observé à l’égard d’aucune des saintes connues sous le nom de Catherine, puisque, d’après la remarque des légendaires, toutes sont mortes vierges, on a pris de là occasion de dire qu’une vieille fille reste pour coiffer sainte Catherine, ce qui signifie en développement qu’il n’y a chance pour elle d’entrer en ménage qu’autant qu’elle aura fait la toilette de noces de cette sainte, condition impossible à remplir.

Cette explication, qui ma été communiquée, est bonne à connaître, parce qu’elle rappelle des faits assez curieux; mais elle me paraît un peu trop compliquée: en voici une autre plus simple, fondée sur l’ancienne coutume de coiffer les statues des saintes dans les églises. Comme on ne choisissait que des vierges pour coiffer sainte Catherine, la patrone des vierges, il fut très naturel de considérer ce ministère comme une espèce de dévolu pour celles qui vieillissaient sans espoir de mariage, après avoir vu toutes les autres se marier.

Les Anglais disent dans le même sens: To carry a weeping willow branch, porter la branche du saule pleureur, soit par allusion à la romance du saule, où gémit une amante délaissée, soit parce que cet arbre, étant l’emblème de la mélancolie, peut très bien servir d’attribut à ce caractère malheureux que M. de Balzac appelle la nature élégiaque et désolée de la vieille fille.

CATHOLIQUE.Catholique à gros grains.

Mauvais catholique qui ne dit de son chapelet que les pater marqués par de gros grains, et passe les ave marqués pour de petits grains, beaucoup plus nombreux que les autres. Cette expression était très usitée du temps de la ligue; et le fanatique Ravaillac, qui assassina Henri IV, l’employait fréquemment pour désigner le duc d’Épernon. Le fait est consigné dans une pièce du procès instruit contre ce régicide.

CEINTURE.Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.

On lit dans les Paraboles de Salomon (ch. 22, v. 1): Melius est nomen bonum quam divitiæ multæ, la bonne renommée vaut mieux que les grandes richesses; et probablement notre proverbe n’est qu’une traduction de cette phrase; car, ceinture s’est dit pour impôt, trésor (voy. Ducange, Zona reginæ), dans un temps où l’on portait la bourse attachée à la ceinture, et où la ceinture et la bourse n’étaient souvent qu’une seule et même chose. Cependant il passe pour avoir une autre origine que voici.

On se donnait autrefois le baiser de paix à l’église, d’après un usage établi par le pape Léon II, vers la fin du septième siècle, quand le prêtre prononçait les paroles Que la paix du Seigneur soit avec vous! La reine Blanche, épouse de Louis VIII, donna un jour ce baiser de paix à une courtisane dont le costume annonçait une dame honnête, et cette méprise, qui lui fut très déplaisante, la porta à faire rendre une ordonnance pour défendre aux femmes de mauvaise vie la robe à collet renversé et à queue avec la ceinture dorée, ordonnance que le parlement de Paris renouvela en 1420. Comme on ne tint pas la main à l’exécution de ce règlement, la ceinture cessa bientôt d’être une marque de distinction, et les femmes sages, que l’uniformité de l’habillement confondit avec les autres, s’en consolèrent par le témoignage de leur conscience, en disant: Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.

Lacurne de Sainte-Palaye n’admet point cette explication. Il dit que lorsque les tournois eurent ruiné la plupart des nobles et dégradé la chevalerie, la ceinture d’or des chevaliers fut souvent accordée à l’intrigue et à la richesse, au lieu de rester le prix du courage et de la vertu, et qu’un tel abus fit naître le proverbe, qu’on a depuis appliqué mal à propos aux dames seulement, puisque les hommes ont toujours porté la ceinture aussi bien qu’elles.

CÉLESTIN.Voilà un plaisant célestin.

Les religieux de l’ordre de saint Benoît, nommés célestins parce qu’ils furent institués par le pape Célestin V, ont pu donner lieu à ce dicton par l’orgueil que leur inspiraient leurs richesses, leurs nombreux priviléges et la grande faveur dont ils jouirent auprès de quelques-uns de nos rois. Cependant Richelet assure qu’il a eu une autre origine. Autrefois, à Rouen, dit-il, les célestins n’étaient exempts de payer l’entrée de leur boisson qu’à la charge qu’un des frères de leur couvent précéderait la première des charrettes sur lesquelles on transportait cette boisson, et qu’il sauterait et danserait en passant devant l’hôtel du gouverneur de la ville: un jour, le frère chargé d’un pareil office parut extrêmement gai; ses gestes excitèrent un rire universel, et le gouverneur s’écria: Voilà un plaisant célestin! Mot qui passa en proverbe pour désigner un homme dont l’esprit est un peu aliéné, un bouffon arrogant, un original qui n’observe pas les convenances. Richelet avait appris cette anecdote du père Le Comte, célestin.

Suivant un historien de la ville de Rouen, les célestins n’étaient pas seulement tenus de sauter et de danser pour avoir droit de passage avec une charrette chargée, il fallait aussi qu’ils jouassent du flageolet en passant.

CERNOIR.Faire de l’arbre d’un pressoir le manche d’un cernoir.

C’est réduire presque à rien une chose considérable, se ruiner par de folles dépenses. Les Italiens disent: Far d’una lancia una spinella; faire d’une lance une épingle.

L’arbre d’un pressoir est une pièce de bois fort longue et fort grosse, tandis que le manche d’un cernoir est un morceau de bois fort court et fort petit. Le mot cernoir, que l’Académie a omis dans son dictionnaire, désigne un couteau destiné à cerner les noix, c’est-à-dire à les séparer de leur coque pour en faire des cerneaux.

CHAMEAU.Rejeter le moucheron et avaler le chameau.

Éviter de petites fautes et s’en permettre de grandes.—Cette expression est prise de l’évangile selon saint Mathieu (ch. 23, v. 24) où Jésus-Christ adresse ces paroles aux pharisiens hypocrites: «Malheur à vous, guides aveugles, qui faites passer votre boisson de peur d’avaler un moucheron, et qui avalez un chameau! Excolantes culicem et camelum glutientes.»

Les Italiens disent: Scrupoleggiare sul galateo e peccare contra il decalogo; être scrupuleux sur le galatée et pécher contre le décalogue.—Le galatée est un traité sur la politesse composé par Jean della Casa, archevêque de Bénévent, orateur et poëte italien du seizième siècle. Cet ouvrage, qui jouit d’une réputation méritée, fut imprimé en 1560 à Florence sous ce titre: Galateo, owero de costumi.

Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le ciel.

Proverbe tiré de l’évangile selon saint Mathieu (ch. 19, v. 24). Quelques interprètes pensent que ce proverbe a été altéré par la substitution d’un e à un i dans l’orthographe du mot hébreu que la vulgate traduit par chameau, et qu’il faudrait traduire par câble, en admettant leur rectification. Mais ils se trompent; et ce qui le prouve, c’est cet autre proverbe familier aux anciens Juifs, et rapporté dans la Talmud[26]: Serais-tu comme ceux de Pumbédéta, qui font passer un éléphant par le trou d’une aiguille?

CHAMPAGNE.Être du régiment de Champagne.

C’est se moquer de l’ordre.—Dans un bal qui fut donné en 1747, au palais de Versailles, en réjouissance du mariage du dauphin fils de Louis XV, un inconnu prit place sur une banquette réservée, et voulut y rester malgré l’injonction que lui fit un garde du corps de se mettre ailleurs. Comme cette injonction réitérée devint impérieuse, il répondit: Je m’en moque, en se servant d’une expression militaire que je ne rapporte pas très historiquement; et il ajouta: Si cela ne vous convient pas, monsieur, je suis un tel, colonel du régiment de Champagne. Une dame témoin de cette scène se trouvait également sur un siége qui était destiné à une autre; invitée à son tour de quitter la place, elle s’écria fièrement: Je n’en ferai rien, je suis aussi du régiment de Champagne. Le mot fit rire et passa en proverbe.

Quelques officiers français qui étaient allés à Berlin, ayant été admis à l’honneur de faire leur cour au grand Frédéric, l’un deux se présenta devant Sa Majesté sans uniforme et en bas blancs. Le monarque lui demanda: Quel est votre nom?—Le marquis de Beaucour, Sire.—Et votre régiment?—Le régiment de Champagne.—Ah! ah! repartit Frédéric en lui tournant le dos, ce régiment où l’on se moque de l’ordre. Après cela il ne lui adressa plus la parole et il causa beaucoup avec tous les autres qui étaient en uniforme et en bottes.

Regarder en Picardie pour voir si la Champagne brûle.

On dit aussi Regarder en Gatinois, etc., témoin ces vers d’un poëte comique:

......Son œil qui toujours dissimule
Regarde en Gatinois la Champagne qui brûle.

Cette locution signifie avoir des yeux louches, des yeux qui prennent leur visée d’une manière si oblique, qu’en se dirigeant vers la Champagne ils semblent se tourner du côté de la Picardie, lors même que le point de mire leur est indiqué par un incendie, c’est-à-dire par l’objet le plus apparent. Ces provinces sont situées, par rapport à Paris, de telle sorte qu’on ne saurait les regarder à la fois de cette ville, ou de quelque autre lieu intermédiaire, sans une extrême divergence dans les rayons visuels. Les Anglais disent: To look at once on the ground, and at the north pole star; regarder à la fois vers la terre et vers l’étoile polaire. Presque tous les peuples emploient des phrases proverbiales de la même espèce pour désigner l’action de loucher. Mais ce sont les Grecs qui leur en ont fourni le modèle. On trouve dans la comédie des Chevaliers par Aristophane (acte I, sc. 3): Tourner l’œil droit du côté de la Carie et le gauche du côté de la Chalcédoine, parce que la Carie et la Chalcédoine, jadis tributaires d’Athènes, l’une au midi, l’autre au nord de cette ville, étaient placées aux deux extrémités de l’Asie, et séparées par un espace qui comprenait la mer Égée, l’Hellespont et la Propontide.—Nous disons aussi: Tourner un œil en Normandie et l’autre en Picardie.

Il ne sait pas toutes les foires de Champagne.

Cela se dit d’un homme qui se croit bien informé du fond et des détails d’une affaire, et qui ne l’est point. Les foires de Champagne, dont il est fait mention, dès l’an 427, dans une lettre de Sidoine Apollinaire à saint Loup, étaient fort célèbres au moyen âge, en raison de leur ancienneté et de leur importance commerciale. Elles offraient un point central de réunion aux marchands d’Espagne, d’Italie et des Pays-Bas, qu’on y voyait arriver en foule, et elles trouvaient dans la législation simple et commode qui les régissait toute sorte d’éléments de prospérité. Mais il cessa d’en être ainsi à dater du règne de Philippe-le-Bel devenu maître de la Champagne par sa femme. Elles furent multipliées dans un intérêt tout fiscal, et donnèrent lieu à une grande quantité de règlements qui gênèrent beaucoup les transactions. A ces embarras s’en joignirent d’autres produits par la variation et l’altération des monnaies dont il n’était pas facile d’établir le pair; et il fut très naturel de juger de l’habileté d’un négociant d’après la connaissance qu’il avait de ce qui concernait ces foires.

CHAMPENOIS.Quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenois font cent bêtes.

«On donne à ce dicton, dit l’abbé Tuet, une origine qui a tout l’air d’un conte. Lorsque César fit la conquête des Gaules, le principal revenu de la Champagne consistait en troupeaux de moutons qui payaient au fisc un impôt en nature. Le vainqueur, pour favoriser le commerce de cette province, exempta de la taxe tous les troupeaux au-dessous de cent bêtes; alors les Champenois ne formèrent plus que des troupeaux de quatre-vingt-dix-neuf moutons. Cela n’était pas si bête; mais César, instruit de la ruse, ordonna qu’à l’avenir le berger de chaque troupeau serait compté pour un mouton et paierait comme tel.»

Thibault IV, comte de Champagne, voulant faire face aux dépenses occasionnées par les fêtes qu’il donnait, mit aussi un impôt sur les troupeaux de cent moutons, et usa du même expédient que César pour faire payer cet impôt que ses sujets prétendaient éluder à la façon de leurs aïeux. Mais le dicton paraît antérieur à ce second fait, auquel il se rattacherait avec plus de vraisemblance qu’au premier.

Les Champenois le regardent comme une allusion à leur excessive bonté qu’on a voulu assimiler à la bêtise, et ils soutiennent que la bêtise leur a été imputée fort gratuitement, puisque la Champagne a produit, aussi souvent que toute autre contrée de la France, des talents éminents dans tous les genres. Je crois qu’ils ont raison, et je leur conseille de prendre pour devise ces deux vers de Juvénal:

Summos posse viros et magna exempla daturos
Vervecum in patriâ crassoque sub aëre nasci.

Des hommes supérieurs, et dont la vie est fertile en grands exemples, peuvent naître dans une atmosphère épaisse et dans la patrie des moutons.

Cette expression vervecum patria, la patrie des moutons, était proverbiale chez les anciens, qui croyaient que l’air de certains lieux abrutissait les hommes, lorsqu’il était favorable aux animaux. C’est à cause de cela que les Béotiens passaient pour les sots de la Grèce et les Campaniens pour les sots de l’Italie. Il est très probable que les Champenois en France auront été victimes du même préjugé fortement réveillé dans les esprits par le nom latin Campani qui leur est donné dans les chartes du moyen âge, et qui est le même que celui des habitants de l’ancienne Campanie. L’homonymie leur a porté malheur.

CHANCELIER.Il faut se défier de la messe du chancelier.

Le chancelier de L’Hôpital, qui avait défendu les calvinistes avec tant de courage et d’éloquence, était accusé par les catholiques intolérants de pencher pour le calvinisme, quoiqu’il assistât régulièrement à la messe; et le proverbe fut l’expression de ce reproche, que beaucoup de personnes encore aujourd’hui regardent comme fondé. Mais il est certain que ce grand homme ne fut pas moins opposé à l’esprit de secte qu’à l’esprit de persécution. S’il en eût été autrement, Adrien Turnèbe, son contemporain, ne lui aurait pas adressé une belle épître en vers latins qui le loue dignement et roule en partie sur cette opinion remarquée d’une manière trop vague par les historiens, que les huguenots voulaient rendre les Français à la barbarie en les empêchant d’étudier les langues et les auteurs de l’antiquité.

CHANDELEUR.A la Chandeleur, les grandes douleurs.

Ces grandes douleurs sont les grands froids qui se font ordinairement sentir vers le commencement de février, temps où arrive la fête de la Chandeleur, ainsi nommée à cause de l’extraordinaire quantité de chandelles de cire qu’on portait autrefois à la procession et aux offices de cette fête. Chaque fidèle en avait une, quelquefois deux; ce qui était moins un signe de piété que de superstition, car on attribuait à ces luminaires consacrés, de même que les païens aux flambeaux de Cérès[27], une foule de vertus surnaturelles propres à conjurer les vents, les tonnerres, les grêles, les tempêtes, les spectres nocturnes et les démons, comme le disent les vers suivants:

Mira est candelis illis et magna potestas;
Nam tempestates creduntur tollere diras
Accensæ, simul et sedare tonitrua cœli,
Dæmonas atque malos arcere horrendaque noctis
Spectra, atque infaustæ mala grandinis atque pruinæ, etc.

(Naogeorgus Hospinian, lib. IV Regni papistici.)

CHANDELLE.Devoir à Dieu une belle chandelle.

On dit d’une personne sauvée de quelque danger qu’elle doit à Dieu une belle chandelle, par allusion à la coutume d’offrir des chandelles de cire à Dieu et aux saints, en reconnaissance de leur protection. Autrefois ces chandelles étaient plus ou moins belles, selon le degré d’importance qu’on attachait aux grâces obtenues. Les grands seigneurs offraient des cierges égaux à leur corps en poids et en longueur, et cela s’appelait donner son pesant de cire. Louis XI se fit remarquer plusieurs fois par cette dévotion.

Les habitants de Paris, après la bataille de Poitiers où le roi Jean fut fait prisonnier, eurent un tel effroi des gens de guerre qui ravageaient la campagne, qu’ils offrirent à Notre-Dame une bougie roulée comme une corde et assez longue, dit-on, pour faire le tour de leur ville.

A chaque saint sa chandelle.

Il faut faire la cour à chaque personne qui peut nous faire du bien ou du mal.

Donner une chandelle à Dieu et une au diable.

C’est se ménager adroitement la faveur de deux partis opposés.—Robert de La Mark avait fait peindre sur ses enseignes sainte Marguerite avec le diable, et lui-même, à genoux en leur présence, tenant une chandelle dans chaque main. Cette singulière peinture avait pour inscription les mots suivants: «Si Dieu ne me veut aider, le diable ne saurait me manquer.» Le fait est rapporté par Brantôme.

La chandelle qui va devant vaut mieux que celle qui va derrière.

Sous l’écorce grossière de ce proverbe, dit l’abbé Tuet, est cachée une belle pensée, savoir: que les aumônes qu’on fait durant sa vie sont plus méritoires que les legs pieux qu’on laisse après sa mort.

Moucher la chandelle comme le diable sa mère.

C’est en arracher la mèche en voulant la moucher.—Un voleur, surnommé le Diable, étant conduit au pied de la potence, demanda à embrasser sa mère avec laquelle il était brouillé. On la lui amena, et lorsque cette pauvre femme se fût jetée dans les bras de son fils, ce scélérat lui saisit le nez avec les dents, et en arracha un morceau qu’il lui cracha au visage, en disant: Si vous m’aviez corrigé dans mon enfance, je n’aurais pas commis les crimes qui m’ont fait condamner au supplice, et vous n’auriez pas été mouchée de la sorte. Cette anecdote, qui n’est qu’une variante de la fable d’Ésope intitulée le Voleur et sa Mère, a été l’origine de notre expression proverbiale.

La Mésangère a donné cette autre explication: «Le diable, c’est le soleil; sa mère, c’est la lune à qui il arrache le nez, quand elle est en décours.» Mais, où a-t-il pris que la lune ait jamais été regardée comme la mère du soleil?

Il y a des nouvelles à la chandelle.

Cela se dit lorsqu’on voit se former au lumignon ou à la mèche d’une chandelle des boutons nommés champignons, qui sont supposés annoncer l’arrivée de quelque lettre, ou la visite de quelque étranger. C’est le reste d’une superstition qui leur attribuait jadis bien d’autres présages. Suivant qu’ils apparaissaient brillants ou ternes, rouges ou bleus, flamboyants ou fumants, on les regardait comme des indices des événements heureux ou malheureux auxquels on devait s’attendre, et même de la présence des anges ou des diables dans sa maison; et les gens du peuple pouvaient lire leur destinée dans les lampes, comme les monarques dans les comètes, également bien.

C’est un bon enfant, il ne mange pas des bouts de chandelle.

On sous entend: Mais il sait où l’on en vend; et c’est pour cela que cette locution populaire, qui paraît vouloir dire, il n’est pas bête, signifie le contraire. Elle fait allusion à un ancien usage de galanterie, qui consistait à avaler des bouts de chandelle allumés, pour l’amour de sa maîtresse. Shakespeare a dit dans son Henri IV (part. II, act. 3, sc. 4): Drinks off candles’ ends for flap-dragons; il avale des bouts de chandelle pour un brûlot. Le flap-dragons désigne des grains de raisin qu’on fesait brûler dans un verre d’eau-de-vie, et qu’on avalait tout enflammés. La même chose se pratique encore fréquemment dans le midi de la France, avec un quartier de poire ou de pomme, qu’on larde d’un morceau d’amande ou de noix, en guise de mèche.

Il y a en Normandie cet autre dicton: Il ne mange pas des bouts de chandelle le vendredi. Ce qui est fondé, à ce qu’on prétend, sur l’histoire d’une vieille dévote qui était à confesse un vendredi soir. Au moment où elle sortait du confessionnal, le prêtre lui recommanda de moucher des chandelles placées tout près de là sur un pupitre; elle crut entendre qu’il lui disait de les manger, et elle se mit, en effet, à donner un commencement d’exécution à cet acte qu’elle regardait comme une partie essentielle de la pénitence qui lui avait été imposée. Mais fatiguée de mâcher et de remâcher sans en venir à bout, elle s’écria piteusement: Ah! mon père, je ne pourrai jamais avaler la mèche!—Eh! qui vous oblige à le faire? répondit le confesseur étonné.—Hélas! mon père, c’est vous, pour mes péchés.—Moi, madame! vous vous êtes étrangement méprise. Allez, allez, et dites votre chapelet en expiation, afin que Dieu vous pardonne d’avoir fait gras un jour maigre comme le vendredi.

CHAPE.Se débattre de la chape à l’évêque.

C’est disputer à qui s’emparera d’un objet sur lequel ceux qui se le disputent n’ont aucun droit de propriété, comme la chape de l’évêque qui n’appartient qu’à lui seul; ou, dans un autre sens, c’est contester pour une chose à laquelle aucun des contestants n’a ni ne peut avoir d’intérêt.

Le concile de Pontion en Champagne, dans l’année 876, défend de piller les meubles d’un évêque après sa mort, et ordonne aux économes de l’église de les tenir en réserve, afin qu’ils soient remis au successeur, ou appliqués à quelques usages pieux pour le repos de l’âme du défunt. C’est de cet abus de piller les meubles de l’évêque après sa mort qu’est venue, suivant quelques auteurs, l’expression proverbiale: Se débattre ou Disputer de la chape à l’évêque, De capâ episcopi litigare. D’autres en rapportent l’origine à une coutume anciennement pratiquée en Berri, lorsque l’archevêque de Bourges fesait sa première entrée dans la cathédrale. Le peuple, qui attendait le prélat à la porte, lui enlevait sa chape attachée sur ses épaules par un simple fil de soie, et la déchirait en s’en disputant les lambeaux.—Cette coutume avait été introduite sans doute à l’imitation de celle des premiers chrétiens qui découpaient les vêtements de leurs évêques morts, pour s’en distribuer les morceaux comme de saintes reliques.

Chercher ou Trouver chape-chute.

C’est chercher ou trouver l’occasion de profiter de la négligence ou du malheur d’autrui. La même expression s’emploie aussi pour dire: chercher ou trouver quelque aventure désagréable, fâcheuse. Le sens de ces locutions est déterminé par les mots qui les précèdent ou qui les suivent.

Attendre chape-chute n’est pas susceptible d’avoir deux sens opposés. Il signifie attendre bonne aubaine, bonne fortune.

Messer loup attendait chap-chute à la porte.

(La Fontaine, liv. IV, fab. 16.)

Chut, chute, qu’on a remplacé par chu, chue, dont on ne se sert plus guère, est le participe du verbe choir; et chape-chute est la même chose que chape tombée.

CHAPEAU.Frère chapeau.

On donnait autrefois le surnom de frère chapeau, chez les religieux mendiants, à un frère qui avait l’emploi d’accompagner un père dans les quêtes, parce que ce frère portait un chapeau au lieu de capuchon. Maintenant on appelle quelquefois ainsi, par allusion, un homme qui s’attache à quelque patron pour lui servir de compère, et pour faire valoir son mérite dans le monde. Mais on entend plus souvent par frère chapeau un vers oiseux, qui n’est amené que par le besoin de rimer le distique, auquel il va tout juste comme un œil postiche à un borgne. Cette dernière acception a été créée par Boileau.

C’est la plus belle rose de son chapeau.

C’est-à-dire le plus grand, le plus précieux de ses avantages. On dit aussi: C’est le plus beau fleuron de sa couronne.—Le chapeau, chapel ou chapelet de roses, était une couronne que nos pères se plaisaient à porter dans les circonstances solennelles. Cette couronne était aussi le prix qu’un servant d’amour recevait de sa très honorée dame, dont les blanches mains la lui posaient sur la tête.

Être comme saint Roch en chapeau.

Cette expression proverbiale qu’on emploie pour dire qu’on est abondamment pourvu d’une chose, qu’on en a plus qu’il n’en faut, est fort controversée. Les uns prétendent que le mot chapeau doit y être écrit au singulier, les autres qu’il doit y être écrit au pluriel. Diderot a adopté la dernière orthographe dans cette phrase de Jacques le fataliste et son maître: «Te voilà en chirurgiens comme saint Roch en chapeaux;» et l’éditeur des œuvres de ce philosophe a remarqué, dans une note, que saint Roch avait trois chapeaux, avec lesquels on le voit souvent représenté. Cependant on a soupçonné cet éditeur d’avoir pris sous son bonnet les trois chapeaux de saint Roch, et j’avoue pour mon compte que, n’ayant pu découvrir aucune preuve du fait iconologique dont il parle, je suis porté à croire que saint Roch a toujours été peint avec un seul chapeau, le chapeau de pèlerin, mais si grand, à la vérité, qu’il en vaut bien trois.

Les lecteurs voudront bien choisir entre les deux explications, ou attendre des renseignements plus positifs. Une si grave question ne peut manquer d’être résolue dans une nouvelle édition du chapitre des chapeaux cité par Sganarelle.

Qui a bonne tête ne manque pas de chapeaux.

L’homme habile trouve toujours le moyen de se procurer ce qui lui est nécessaire, et de réparer les pertes qu’il a éprouvées.

CHAPELET.Il faut se défier du chapelet du connétable.

Proverbe auquel donna lieu la singulière dévotion du connétable Anne de Montmorency, qui avait toujours son chapelet à la main pendant la marche de l’armée, et, tout en le roulant entre ses doigts, commandait tantôt de mettre le feu à un village, tantôt de faire main basse sur une garnison, et tantôt de châtier ou de pendre quelque soldat.

On disait aussi: Il faut se défier du cure-dent de monsieur l’amiral, parce que l’amiral de Coligni agissait à peu près de la même manière en se curant les dents.

CHAPITRE.N’avoir pas voix en chapitre.

C’est n’être pas consulté, n’avoir aucun crédit, parce qu’il n’y avait que les principaux personnages d’un chapitre qui eussent voix délibérative.—Le chapitre, lieu de l’assemblée d’une communauté religieuse, fut ainsi nommé, parce qu’on y lisait un chapitre, capitulum, de la règle et de l’Écriture. L’usage de faire des réprimandes dans cette assemblée, appelée aussi chapitre, a introduit dans notre langue le verbe chapitrer.

CHAPON.Qui chapon mange chapon lui vient.

Le bien vient à ceux qui en ont déjà; l’argent cherche l’argent.

Semper eris pauper, si pauper es, Æmiliane,
Dantur opes nullis nil nisi divitibus.
(Martial.)

Si tu es pauvre, Emilien, tu seras toujours pauvre. Les richesses ne sont données qu’à ceux qui sont déjà riches.

CHARBON.Le méchant est comme le charbon.

On sous-entend: s’il ne vous brûle, il vous noircit.

Le charbon n’est jamais si bien éteint qu’en s’approchant du feu il ne se rallume.

Le méchant n’est jamais si bien corrigé de ses vices, qu’il ne s’y livre encore sous l’influence de l’occasion.

Amasser des charbons ardents sur la tête de son ennemi.

Cette expression est littéralement traduite des Paraboles de Salomon (ch. 25, v. 22): Prunas congregare super caput inimici. Ce que les pères de l’Église expliquent en ces termes: Celui qui fait du bien à son ennemi, le rend par là plus inexcusable, et le livre à la colère divine, représentée par les charbons ardents.

CHARBONNIER.La foi du charbonnier.

Le diable déguisé en docteur de Sorbonne entra un jour dans la cabane d’un charbonnier qu’il voulait tenter, et lui dit: Que crois-tu?—Je crois ce que croit la sainte Église.—Et que croit la sainte Église?—Elle croit ce que je crois. L’esprit malin vit échouer toutes ses ruses contre de telles réponses, et fut obligé de renoncer à son projet. De ce conte est venue, dit-on, l’expression de la foi du charbonnier, pour signifier une foi simple et sans examen.

Charbonnier est maître chez soi.

François Ier s’étant égaré à la chasse entra, à la nuit tombante, dans la cabane d’un charbonnier dont il trouva la femme seule et accroupie auprès du feu. C’était en hiver, et le temps était pluvieux. Le roi demanda à souper et à passer la nuit; mais il fallut attendre le retour du mari, ce qu’il fit en se chauffant assis sur l’unique chaise qu’il y eût dans la cabane. Arrive enfin le charbonnier, las de son travail, tout mouillé et fort affamé. Le compliment d’entrée ne fut pas long. A peine eut-il salué son hôte et secoué son chapeau couvert de pluie, qu’il se fit rendre le siége que le roi occupait, et prit la place la plus commode en disant: J’agis ainsi sans façon, parce que c’est mon habitude et que cette chaise est à moi.

Or, par droit et par raison,
Chacun est maître en sa maison.

François Ier applaudit au proverbe, et s’assit sur une sellette de bois. On soupa, on régla les affaires du royaume. Le charbonnier se plaignait des impôts, et voulait qu’on les supprimât. Le prince eut de la peine à lui faire entendre raison. Eh bien! soit, répondit notre homme; mais ces défenses rigoureuses contre la chasse, les approuvez vous aussi? Je vous crois fort honnête homme, et je pense que vous ne me dénoncerez pas. J’ai là un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre, mangeons-le; et que le grand nez[28] n’en sache rien. François Ier promit tout, soupa avec appétit, se coucha sur des feuilles sèches et dormit bien. Le lendemain, sa suite l’ayant rejoint, il se fit connaître au charbonnier qui se crut perdu; il lui paya généreusement l’hospitalité qu’il en avait reçue et lui permit la chasse. C’est à cette aventure, rapportée dans les Commentaires de Blaise de Montluc, qu’on attribue le proverbe Charbonnier est maître chez soi, qui n’est qu’une variante de celui dont le charbonnier se servit.

CHARITÉ.Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Prima sibi charitas. Les Polonais expriment ainsi la même pensée: Kazdi ma rence do siebie, chacun porte les mains tournées vers soi. On disait dans le moyen âge, avant que le concile de Trente, par une décision prise à la pluralité de trois voix, eût imposé le célibat aux prêtres, Le prêtre baptise son enfant le premier, ce qui se dit encore en Angleterre, où les ecclésiastiques sont mariés.

Il est juste, ou du moins naturel de songer à ses propres besoins plutôt qu’à ceux des autres. Tel est le sens dans lequel on applique ordinairement notre proverbe dont l’égoïsme a fait sa maxime favorite; mais il a aussi un sens conforme à la charité chrétienne: c’est qu’avant de morigéner les autres, et de prétendre leur imposer des lois, il faut se morigéner soi-même, s’imposer à soi-même des lois.

Pour réformer ce qui va mal, il faut commencer par sa maison, dit un autre proverbe.

CHARYBDE.Tomber de Charybde en Scylla.

D’un péril en un autre.—De mal en pis.—Un ancien journal, La feuille villageoise, a donné l’explication suivante: «Les tremblements de terre et les volcans, fléaux terribles auxquels la Sicile fut sujette de tout temps, firent crouler dans la Méditerranée l’isthme qui attachait le sol sicilien au reste de l’Italie. De là vient le détroit de Scylla et de Charybde, deux écueils opposés et redoutables. Charybde est du côté de la Sicile et près de Messine, Scylla du côté de l’Italie au bord de la Calabre. Charybde est un gouffre vaste et profond dans lequel la mer s’enfonce en tournoyant, avec une rapidité qui ne permet pas aux vaisseaux de résister ni de revirer de bord; Scylla est un rocher menaçant, au pied duquel sont plusieurs autres rochers et des cavernes souterraines où les flots se précipitent. On les entend mugir de loin; en approchant, le bruit redouble. Si le pilote effrayé, en voyant d’un côté des rochers contre lesquels il va se briser et de l’autre un gouffre où il va se perdre, ne garde pas un juste milieu, il ne se sauve d’un rocher que pour se jeter dans un abîme, ou d’un abîme que pour se briser contre un rocher. De là le proverbe, Tomber de Charybde en Scylla

On pense que ce proverbe a dû être usité chez les anciens; cependant il n’est consigné dans aucun de leurs écrits; et il se trouve pour la première fois dans l’Alexandréide, poëme en vers latins de Philippe Gaultier, auteur du moyen âge. Ce poëte, dans son livre V, vers 299-301, apostrophe ainsi Darius fuyant devant Alexandre:

...........Nescis, heu! perdite, nescis
Quem fugias: hostes incurris, dum fugis hostem;
Incidis in Scyllam cupiens vitare Charybdim.

Les Espagnols disent: Escape del trueno y di en el relampago, proverbe remarquable qui peut se traduire par ce vers:

En fuyant le tonnerre on tombe sous la foudre.

Quoique les mots tonnerre et foudre dans l’usage commun se prennent assez ordinairement l’un pour l’autre, ils offrent néanmoins une différence de signification qu’il faut distinguer si l’on veut parler exactement. Le tonnerre est le bruit ou l’explosion, et la foudre est le feu ou le coup de l’électricité.

CHAT.Acheter chat en poche.

C’est acheter une chose sans l’avoir vue, faire un marché de dupe.—L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie prétend que ce dicton a été altéré dans son orthographe, qu’il rectifie ainsi: Acheter chat’en poche, ce qui signifie au propre, suivant lui, Acheter un bijou chatoyant sans l’avoir fait démonter. Mais son interprétation n’est pas admissible. Il s’agit certainement, non d’un bijou, mais d’un chat mis à la place d’un lièvre dans une poche de gibecière pour tromper un acheteur de peu de précaution, et la preuve en est dans cet autre dicton qui a la même signification, Acheter le chat pour le lièvre.—Montaigne a dit (liv. III, ch. 5), Acheter chat en sac.

Il est comme le chat qui tombe toujours sur ses pieds.

Comparaison proverbiale fréquemment employée en parlant d’une personne qui sait se tirer avec adresse de toutes les situations embarrassantes.—«Les chats, quand ils tombent d’un lieu élevé, tombent ordinairement sur leurs pieds, quoiqu’ils les eussent d’abord en haut et qu’ils dussent par conséquent tomber sur la tête. Il est bien sûr qu’ils ne pourraient pas eux-mêmes se renverser ainsi en l’air où ils n’ont aucun point fixe pour s’appuyer; mais la crainte dont ils sont saisis leur fait courber l’épine dorsale de manière que leurs entrailles sont poussées en haut; ils allongent en même temps la tête et les jambes vers les lieux d’où ils sont tombés, comme pour les retrouver, ce qui donne à ces parties une plus grande action de levier. Ainsi leur centre de gravité vient à être différent de leur centre de figure et placé au-dessus. Il s’ensuit que ces animaux vent faire un demi-tour en l’air, et retourner leurs pattes en bas, ce qui leur sauve presque toujours la vie. La plus fine connaissance de la mécanique ne ferait pas mieux dans cette occasion que ce que fait un sentiment de peur confus et aveugle.» (Mémoires de l’Académie des Sciences, an 1700, p. 156.)

Chat échaudé craint l’eau froide.

Quand on a été attrapé en quelque chose, on craint tout ce qui a l’apparence d’une nouvelle surprise. L’auteur de l’histoire des chats prétend que ces animaux ne peuvent être dupés deux fois, et qu’ils sont armés de défiance non-seulement contre ce qui les a trompés, mais contre tout ce qui fait naître l’idée d’une nouvelle tromperie.—On dit aussi: Chat échaudé ne revient pas en cuisine.

Le chat qui a été mordu par un serpent appréhende jusqu’à la corde. (Proverbe arabe.)

Tranquillas etiam naufragus horret aquas. (Ovide.)

Celui qui a été exposé au naufrage redoute jusqu’aux eaux tranquilles.

Qui naquit chat court après les souris.

C’est-à-dire que les inclinations originelles conservent leur influence, et que le naturel perce toujours en dépit de l’éducation.—Proverbe dérivé d’une fable d’Ésope mise en vers par La Fontaine, dans laquelle il s’agit d’une chatte changée en femme qui, oubliant sa métamorphose à la vue d’une souris, s’élance sur cet animal pour le dévorer.

Ce proverbe est très usité en Italie, chi gata nasce sorice piglia; et un auteur de ce pays lui a attribué une autre origine que je rapporterai, car elle se rattache à une anecdote curieuse. Dante et Cecco avaient l’habitude de se proposer l’un à l’autre des questions philosophiques à résoudre. Un jour ils disputèrent sur celle-ci: L’art l’emporte-t-il sur la nature? Dante se prononça pour l’affirmative, et il allégua l’exemple de son chat qu’il avait dressé à tenir entre les pattes une chandelle allumée pour se faire éclairer pendant le repas du soir. Cecco soutint la négative, en disant qu’il pourrait opposer au fait cité quelque fait plus concluant encore, et les deux antagonistes se séparèrent sans avoir pu s’accorder. Le lendemain la dispute recommença de plus belle. Dante crut la terminer à son avantage par l’expérience du chat. Aussitôt que le docile animal fut en fonction, Cecco tira une boîte de sa poche, l’ouvrit, et lacha deux souris qu’il y avait enfermées. Le chat ne les eut pas plutôt aperçues qu’il laissa tomber la chandelle, et se précipita à leur poursuite, donnant par là gain de cause à Cecco.

Dante changea dès lors d’opinion, et il proclama la supériorité de la nature sur l’art, dans un vers de sa Divina comedia, où il dit que la nature est la fille de Dieu, tandis que l’art n’en est que le petit-fils.

C’est un nid de souris dans l’oreille d’un chat.

Cela se dit pour marquer une situation périlleuse ou une chose impossible.

Propre comme une écuelle à chat.

Pour bien comprendre cette comparaison, il faut connaître la différence qui distingue la netteté de la propreté. Le chat rend l’écuelle nette à force de la lécher; mais cette écuelle n’est pourtant pas propre. Elle ne devient telle qu’après avoir été lavée. C’est pour cela qu’on dit très bien d’une personne ou d’une chose dont la propreté est équivoque, qu’Elle est propre comme une écuelle à chat.

Appeler un chat un chat.

C’est-à-dire, nommer les choses par leur nom.—On connaît ce vers de Boileau passé en proverbe à cause de sa simplicité et du sens naïf qu’il renferme:

J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon.

Rolet était procureur au parlement de Paris, où on l’avait surnommé l’Ame damnée. Son improbité présentait un caractère si peu douteux et si public, que le président de Lamoignon disait ordinairement c’est un Rolet, quand il voulait désigner un insigne fripon. Ce procureur, que Furetière, dans son Roman bourgeois, a peint sous le nom de Volichon, ayant été convaincu d’avoir fait revivre une obligation de cinq cents livres, dont il avait déjà reçu le paiement, fut condamné par un arrêt du mois d’août 1681 au bannissement pour neuf années, à quatre mille livres de réparation civile et à d’autres amendes.

Les Grecs disaient: Appeler une figue une figue et un bateau un bateau, ce que Rabelais a eu en vue dans cette phrase: «Nous sommes simples gens puisqu’il plaît à Dieu, et appelons les figues figues.» (Pantagr., liv. IV, ch. 54.)

Les Latins avaient la même expression que les Grecs, en y remplaçant le mot bateau par le mot hoyau: Ficus, ficus, ligonem, ligonem vocare.

Emporter le chat.

C’est s’en aller sans payer ou sans prendre congé. Ce dicton a les deux acceptions que je viens d’indiquer dans le recueil d’Oudin, ainsi que dans tous les anciens recueils. L’abbé Tuet et La Mésangère ne lui ont attribué que la dernière, sans doute parce qu’elle leur a paru seule conforme à l’origine qu’ils en voulaient donner. Le premier a pensé qu’il pouvait être une allusion à quelque trait trop peu important pour qu’on en eût conservé la mémoire, par exemple, au trait d’un homme qui, emportant le chat d’une maison, se serait sauvé sans dire adieu, dans la crainte que l’animal ne vînt à miauler et à découvrir le vol. Le second l’a rattaché à un usage observé encore dans les Vosges, où une jeune fille congédie un jeune garçon qui n’est plus dans ses bonnes grâces en lui faisant l’envoi d’un chat, Je crois qu’il doit être expliqué différemment. Ce n’est que par calembourg que le mot chat s’entend ici d’un animal; il désigne proprement une monnaie du même nom qui était autrefois en grande circulation, particulièrement dans le Poitou. Le Glossaire de Ducange parle de cette monnaie au mot Chatus, et rapporte cette phrase d’une charte de 1459: Confessus est recepisse in chatis et aliâ monetâ... Il avoua avoir reçu en chats et autre monnaie... Ainsi Emporter le chat c’est emporter l’argent, s’en aller sans payer, et par extension, partir sans prendre congé.

Payer en chats et en rats.

Les chats, comme je viens de le dire, étaient une monnaie qui avait cours autrefois. Payer en chats pourrait donc signifier payer en espèces sonnantes; mais en ajoutant et en rats, on fait entendre qu’il n’est question d’espèces que par plaisanterie ou par calembourg, et l’expression s’emploie en parlant des personnes qui paient fort mal ou qui ne paient pas du tout. L’Académie dit qu’elle signifie payer en bagatelles, en toute sorte d’effets de mince valeur. Cette signification, qui repose sur une fausse interprétation, est très moderne.

La nuit tous chats sont gris.

La nuit, il est facile de se méprendre; ou, dans un sens particulier qui est le plus usité, il n’y a point de différence pour la vue, pendant l’obscurité, entre les belles et les laides, Hélène n’a aucun avantage sur Hécube, comme dit Henri Étienne. Les Grecs se servaient d’un proverbe analogue passé dans la langue latine en ces termes: Sublatâ lucernâ, nihil discriminis inter mulieres; quand la lampe est ôtée, les femmes ne diffèrent pas l’une de l’autre. Plutarque rapporte, dans son traité Des préceptes du mariage, qu’une belle et chaste dame cita ce proverbe à Philippe roi de Macédoine, pour l’engager à cesser les poursuites amoureuses dont elle était l’objet de la part de ce roi.

Il ne faut pas faire passer tous les chats pour des sorciers.

Il ne faut pas conclure du particulier au général; il ne faut pas imputer à tous les fautes ou les vices de quelques individus.—Ce proverbe fut sans doute originairement une réclamation de quelque bonne femme amie des chats contre une croyance superstitieuse qui les fesait regarder non-seulement comme inséparables compagnons des sorciers, mais comme sorciers eux-mêmes. On allait jusqu’à les accuser de se rendre à un sabbat général, la veille de la Saint-Jean. Aussi était-ce œuvre pie de faire ce jour-là des perquisitions dans les gouttières, de s’emparer de tous les matous qui s’y étaient réfugiés, et de les enfermer dans une grande cage qu’on plaçait sur le feu de joie pour en faire un auto-da-fé. Cette coutume bizarre existait en plusieurs villes de France, particulièrement à Paris, où un fournisseur breveté était chargé d’apporter sur le bûcher que le roi devait allumer un sac rempli de chats, afin de faire rire Sa Majesté. Elle ne fut abolie qu’au commencement du règne de Louis XIV.

CHAUSSES.Va te promener, tu auras des chausses.

Les religieux et les religieuses de la congrégation des feuillants[29] devaient suivre pieds nus le chemin du paradis, conformément aux statuts de leur ordre, et ils marchèrent sans bas avec des socques jusqu’en 1715, où un bref du pape Clément XI, sollicité par leur supérieur, les obligea de renoncer à un usage qui entraînait des inconvénients plus graves encore que les rhumes et les catarrhes. Avant cette réforme, il ne leur était permis d’être chaussés que lorsqu’ils allaient à la campagne, et de là vint le dicton, Va te promener, tu auras des chausses, dont on se sert pour renvoyer un mendiant ou un importun.

Gentilhomme de Beauce, qui se tient au lit quand on raccommode ses chausses.

Les gentilshommes de Beauce fesaient autrefois triste figure à cause de leur extrême pauvreté. Rabelais a dit d’eux, dans son Gargantua, qu’ils déjeunaient de bâiller, parce qu’on bâille beaucoup quand on a le ventre creux. Il semble qu’alors l’estomac, par ses tiraillements, veuille forcer la bouche à s’ouvrir, afin qu’elle lui transmette les aliments dont il a besoin.

On dit aussi: Gentilhomme de Beauce, qui vend ses chiens pour avoir du pain.

CHAUSSURE.Cordonnier, borne-toi à la chaussure.

Apelle venait de terminer un beau tableau. Il l’exposa aux regards du public, et se tint caché derrière une toile pour écouter les observations auxquelles son ouvrage donnerait lieu. Un cordonnier y signala un défaut dans la chaussure du principal personnage, et le peintre le corrigea. Le lendemain, le même cordonnier, enhardi par le succès de la remarque qu’il avait faite la veille, s’avisa de critiquer la jambe. Apelle indigné se montra et lui dit: Cordonnier, borne-toi à la chaussure.

Voltaire disait à maître André, son perruquier, qui avait composé une tragédie et la lui avait dédiée: Maître André, faites des perruques.

Louis XV dit un jour au peintre Latour, qui fesait son portrait, un mot noble et spirituel dont le sens est parfaitement analogue à celui du proverbe. L’artiste, tout en travaillant, causait avec Sa Majesté, qui avait la bonté de le permettre; mais naturellement indiscret, il poussa la témérité jusqu’à s’écrier: Au fait, Sire, nous n’avons point de marine.—Et Vernet donc? répliqua le monarque.

CHEMIN.Qui trop se hâte reste en chemin.

Ce proverbe est de Platon, qui s’en servait pour recommander de ne pas agir avec précipitation, mais de suivre une marche bien mesurée. Caton l’ancien avait coutume de dire: Sat cito, si sat bene; assez tôt, si assez bien. Tout cela revient au mot célèbre de Chilon, hâte-toi lentement, que l’empereur Auguste se plaisait à répéter, et qu’Erasme appelait le roi des adages.

Il faut se hâter lentement dans les affaires importantes, surtout dans l’étude; car on gagne bien du temps en n’allant pas trop vite, et l’on ne peut bien connaître que ce qu’on a examiné en grand détail.

A chemin battu il ne croît point d’herbe.

Dans une profession ou dans un négoce dont trop de personnes se mêlent il n’y point de gain à faire.

Tout chemin mène à Rome.

Quelques moyens qu’on emploie, on peut, en s’y prenant bien, parvenir au but qu’on se propose. La Fontaine (liv. XII, fable 27) a fait une application plaisante de ce proverbe à la canonisation.

Mener quelqu’un par un chemin où il n’y a point de pierres.

Le traiter fort durement, sans qu’il puisse se défendre; car les pierres sont les armes de ceux qui n’ont pas d’autres moyens de défense.

Aller par quatre chemins.

Expression qui a été quelquefois employée pour dire: aller sans savoir où l’on va, sans avoir un but fixe. Elle fait peut-être allusion à ce qui se pratiquait chez les Francs lorsqu’on affranchissait un esclave. On plaçait cet esclave dans un carrefour qu’on appelait la place des Quatre-Chemins, Compitam quatuor viarum, parce qu’elle aboutissait à quatre chemins, et on prononçait cette formule: Qu’il soit libre, et qu’il aille où il voudra. Le malheureux affranchi, qui n’avait pas de demeure, devait probablement errer sur ces quatre chemins pour en trouver une où l’on voulût le recevoir.—Cette expression n’est plus guère en usage maintenant que pour exprimer une manière d’agir qui manque de franchise. Il ne faut pas aller par quatre chemins, c’est-à-dire, il ne faut pas chercher des détours.

CHEMINÉE.Il faut faire une croix à la cheminée.

C’est ce qu’on dit à la vue d’un événement agréable et inattendu, particulièrement quand on voit venir dans une maison une personne qui n’y avait point paru depuis longtemps, et qui y était désirée. Les Italiens disent qu’il faut faire une croix avec un charbon blanc, Segnare col carbon bianco, pour faire ressortir la rareté du fait par la rareté du signe.

L’abbé Tuet conjecture qu’on a écrit primitivement, Mettre la croye à la cheminée, et que ce mot croye, qui signifie craie, a été remplacé, dans la suite, par le mot croix. Mais il semble que nos dévots aïeux ont dû penser plutôt au signe du christianisme qu’ils étaient habitués à tracer partout et en toute occasion. Quoi qu’il en soit, la cheminée choisie pour recevoir la croix ou la craie, donne à entendre qu’il s’agit d’un événement agréable marqué par des traits blancs, les plus apparents de tous, sur un mur noirci par la fumée. Ainsi notre expression correspond exactement pour le sens à l’expression latine, Dies albo notanda lapillo, jour digne d’être marqué par une pierre blanche. Ce qui est une allusion à l’usage pratiqué chez les Thraces et les Crétois, de noter les jours heureux par des cailloux blancs et les jours malheureux par des cailloux noirs.

Se chauffer à la cheminée du roi Réné.

C’est se chauffer au soleil, ou, comme on dit encore: Se chauffer aux dépens du bon Dieu.—Le roi Réné, forcé de renoncer à la couronne de Sicile, revint gouverner paisiblement son comté de Provence, où il vécut au milieu de ses sujets comme un père au milieu de ses enfants. On le voyait presque tous les jours, en hiver, environné de bourgeois et de gens du peuple, faire sa promenade dans les endroits abrités contre le vent du mistral ou du mistrau, et prendre sa place au soleil à côté d’eux pour se pénétrer de ses rayons. Ce qui donna lieu à l’expression très usitée chez les Provençaux, Se chauffer à la cheminée du roi Réné.

CHEMISE.Que ta chemise ne sache ta guise.

C’est-à-dire ta façon de penser.—Le sénateur Q. Metellus le Macédonique fut, dit on, l’inventeur de ce proverbe, en répondant à quelqu’un qui lui demandait à quoi tendaient les marches et les travaux qu’il fesait faire à ses troupes, après avoir levé le siége de la ville de Contébrie en Espagne: Si ma tunique savait mon secret, je brûlerais à l’instant ma tunique.—La tunique était un vêtement de laine sans manches qui se portait sous la toge, et servait de chemise aux Romains.

La chemise est plus proche que le pourpoint.

Les Latins disaient: Tunica pallio propior est, la tunique est plus proche que le manteau; et les Grecs: Le genou est plus proche que la jambe. Nous disons encore: La peau est plus proche que la chemise.—Ces proverbes signifient que les droits à notre bienveillance doivent se mesurer sur les degrés de la parenté, ou que nous devons penser à nos propres affaires avant de penser à celles de nos parents et amis.—Le pourpoint était un vêtement d’homme qui couvrait la partie supérieure du corps, depuis le cou jusqu’aux aines. Les paysans de la Provence et du Languedoc portent encore ce vêtement qu’ils appellent rebonde.

CHERTÉ.Cherté foisonne.

Lorsqu’une marchandise est chère, les vendeurs ayant intérêt à s’en dessaisir et les consommateurs à s’en priver, elle se trouve partout en abondance. Lorsqu’elle est bon marché, au contraire, elle devient quelquefois très rare, soit parce que ceux qui la possèdent attendent pour s’en défaire une occasion plus avantageuse, soit parce que les spéculateurs se hâtent de l’accaparer. L’historien Socrate (Hist. de l’église, liv. II) nous apprend que l’empereur Julien ayant voulu baisser le prix des denrées à Antioche, y causa une horrible disette; et ce fait prouve combien Duclos a eu raison de dire: «La nature donne les vivres et les hommes font la famine.»

CHEVAL.L’œil du maître engraisse le cheval.

Tout va mieux dans une maison quand le maître surveille lui-même ses affaires.—Plutarque cite ce proverbe dans son traité qui a pour titre: Comment il faut nourrir les enfants (ch. 27), et il le donne comme une réponse faite par un écuyer à quelqu’un qui avait demandé quelle était la chose qui engraissait le plus un cheval.

Le cheval du père Canaye.

Le père Canaye, jésuite, né à Paris en 1594, était un très mauvais cavalier qui disait qu’il lui fallait un cheval très doux et très facile à gouverner, equus mitis et mansuetus, comme on le voit dans un petit ouvrage fort ingénieux attribué à Charleval, et inséré dans les œuvres de Saint-Évremond, sous le titre de Conversation du maréchal d’Hocquincourt et du père Canaye. Les vers suivants, extraits de l’Anglomane, comédie de Saurin, offrent l’application et l’explication de cette locution proverbiale:

Il vous faut un cheval comme au père Canaye,

Un doux et paisible animal
Qui plus que son maître soit sage,
Et qui ne songe point à mal,

Tandis que votre esprit dans la lune voyage.

A cheval donné, il ne faut point regarder à la bouche.

Il faut toujours avoir l’air de trouver bon ce qu’on a reçu en présent et ne point chercher à le déprécier. Non oportet equi dentes inspicere donati; il ne faut point inspecter les dents d’un cheval donné.

Il n’est si bon cheval qui ne bronche.

Les plus habiles sont sujets à se tromper.—On raconte qu’un membre du parlement de Toulouse allégua ce proverbe devant le roi ou son ministre comme une espèce d’excuse de l’assassinat juridique de Calas, perpétré par ce parlement, et qu’il lui fut répondu: Passe pour un cheval; mais toute l’écurie!...

Les Italiens disent: Erra il prete a l’altare, le prêtre se trompe à l’autel. Nous disons encore: Il n’est si bon qui ne faille.

Cela ne se trouve point dans le pas d’un cheval.

C’est une chose qui ne se trouve point facilement.—Le vieux Géronte s’écrie dans les Fourberies de Scapin (acte II, sc. 2): «Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d’un cheval?» Cette façon de parler fait allusion à une vieille superstition d’après laquelle la trouvaille d’un fer de cheval était regardée comme un présage de fortune. Cette superstition se rattachait à une légende rapportée sous le proverbe: Il ne faut pas mépriser les petites choses.

Il y a un vers latin de je ne sais quel auteur du moyen âge qui me paraît propre à justifier l’explication que je viens de donner:

Copia nummorum ferro non pendet equino.

Il est bien aisé d’aller à pied, quand on tient son cheval par la bride.

Une privation n’est point pénible quand on se l’impose volontairement, et qu’on peut la faire cesser sans retard; ou, dans un autre sens, il fait bon poursuivre une affaire lorsqu’elle ne coûte d’autre peine que celle qu’on veut bien se donner et qu’on a des moyens tout prêts pour en faciliter et en assurer le succès.—On se sert particulièrement de ce proverbe en réponse à quelqu’un qui, étant en position de faire une chose à l’aise, s’étonne qu’elle paraisse difficile et hasardeuse à ceux qui n’ont pas les mêmes facilités que lui.—Montaigne a dit (liv. III, ch. 3): «Il a bel aller à pied, qui mène son cheval par la bride. Mon ame se rassasie et se contente de ce droit de possession.»

C’est un bon cheval de trompette.

Il est accoutumé au bruit et ne s’en épouvante pas. Les Italiens disent: E una cornacchia di campanile, c’est une corneille de clocher. Cet oiseau ne redoute ni carillon ni tocsin.

Parler à cheval à quelqu’un.

C’est-à-dire avec hauteur et dureté, comme fesait, dans les joutes et dans les tournois, un chevalier qui demandait raison à un autre.

C’est son grand cheval de bataille.

C’est la chose sur laquelle il s’appuie et compte le plus dans une discussion ou dans une affaire, comme le guerrier d’autrefois sur son grand cheval de bataille.

Monter sur ses grands chevaux.

Parler avec hauteur et emportement.—Les chevaliers avaient des chevaux pour la route et des chevaux pour le combat. Ces derniers, appelés dextriers ou destriers, parce que les écuyers chargés de les conduire les tenaient à leur dextre ou droite, étaient d’une taille plus élevée que les autres, et, quand l’ennemi paraissait, ils étaient amenés à leurs maîtres, qui montaient alors sur leurs grands chevaux, sur leurs grands chevaux de bataille, pour se lancer dans la mêlée.

CHÈVRE.Ménager la chèvre et le chou.

C’est ménager deux intérêts opposés, pourvoir à deux inconvénients contraires. Cette locution est fondée sur le problème suivant qu’on propose aux enfants pour exercer leur sagacité: Un batelier doit passer en trois fois du bord d’un fleuve à l’autre bord un loup, une chèvre et un chou, sans laisser la chèvre exposée à la dent du loup, ou le chou à la dent de la chèvre. Comment faut-il qu’il s’y prenne? Voici la solution de ce problème: il faut qu’il passe 1º la chèvre, 2º le chou qu’il gardera dans son bateau, 3º le loup qu’il débarquera avec le chou.

La locution Ménager la chèvre et le chou s’applique d’ordinaire en mauvaise part, et ce n’est point sans raison. Il y a par le temps qui court tant de gens qui ne ménagent la chèvre et le chou que dans l’espoir de mettre le chou au pot et la chèvre à la broche! comme dit très bien M. A. A. Monteil.

Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute.

Suivant Feydel, ce proverbe ne concerne pas les hommes. Il ne concerne pas même les femmes en général, et il n’a guère d’application que pour imposer silence poliment à une femme qui se plaint de son mari. Tel est, en effet, le sens qu’il a eu autrefois; mais le sens actuel est que toute personne doit se résigner à vivre dans l’état où elle se trouve engagée, dans le lieu où elle est établie. Le texte a subi aussi un changement. Dans plusieurs éditions du Dictionnaire de l’Académie, il était énoncé ainsi: Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle y broute; dans celle de 1835, on a supprimé l’avant-dernier mot autorisé par l’usage ancien de la langue, et condamné par l’usage moderne qui le regarde comme une périssologie.

Il aimerait une chèvre coiffée.

Cette expression, qu’on emploie en parlant d’un homme qui s’éprend de toutes les femmes quelque laides qu’elles soient, n’est pas aussi hyperbolique qu’elle le paraît. On peut en voir la preuve dans le Lévitique (ch. 17, v. 7), dans le traité de Plutarque, Que les bêtes usent de la raison (ch. 17), et dans un chapitre des Mémoires d’Artagan, où il est parlé de deux mille chèvres qui étaient couvertes de caparaçons de velours avec des galons d’or, et avaient la tête parée d’ornements de poupée.

Rhulières rapporte qu’à une époque qu’il ne précise point, la cour de Russie s’amusa à célébrer le mariage d’un bouffon avec une chèvre.

On connaît la fameuse épigramme de l’Anthologie qui a été traduite par Voltaire, et qui commence par ce vers:

Charmantes filles de Mendès, etc.

On n’a jamais vu chèvre morte de faim.

La chèvre trouve à vivre partout; elle broute également les plantes de toute espèce, les herbes grossières et les arbrisseaux chargés d’épines. De là ce proverbe, qu’on emploie pour signifier qu’il y a de l’avantage à prendre l’habitude de n’être point difficile sur les aliments et de manger de tout.

Prendre la chèvre.

«La chèvre, dit Buffon, est vive, capricieuse et vagabonde... L’inconstance de son naturel se marque par l’irrégularité de ses actions; elle marche, elle s’arrête, elle court, elle bondit, elle saute, s’approche, s’éloigne, se montre, se cache, ou fuit, comme par caprice et sans autre cause déterminante que celle de la vivacité bizarre de son sentiment intérieur; et toute la souplesse des organes, tout le nerf du corps, suffisent à peine à la pétulance et à la rapidité de ces mouvements qui lui sont naturels.» Quelqu’un qui courrait après une chèvre échappée pour la prendre serait donc obligé de se donner une agitation extraordinaire, et il éprouverait en même temps beaucoup d’impatience. On croit que de là est venue l’expression, Prendre la chèvre, pour dire se fâcher, s’emporter sans raison.

Peut-être vaudrait-il mieux rapporter cette expression au jeu de la cabre ou de la chèvre, espèce de trépied de bois que les joueurs renversent avec des bâtons lancés d’une distance de vingt à trente pas, et que l’un d’eux relève dans un rond marqué, jusqu’à ce qu’il ait mis la main sur quelqu’un de ceux qui osent franchir ses lignes pour reprendre leurs bâtons, tandis que ce trépied est debout. Le cabrier ou chevrier, c’est-à-dire l’individu chargé de garder la chèvre ou de prendre la chèvre, suivant les termes techniques du jeu, ne cesse de se démener, afin de redresser son trépied fréquemment abattu, et de poursuivre ses adversaires entrés dans son quartier. Il va, vient, court de côté et d’autre, s’élance par sauts et par bonds, et présente l’image naturelle d’un homme qui se laisse emporter à tous les brusques mouvements que l’impatience et la colère peuvent produire.

Ce jeu, en usage dans quelques départements du midi, fesait autrefois le délassement des soldats, et l’on peut s’étonner que Rabelais ait oublié de l’ajouter à la liste des deux cent-quinze jeux auxquels s’esbattait le jeune Gargantua, après s’estre lavé les mains de vin frais, et s’estre escuré les dents avec un pied de porc.

Les chèvres de Blois.

Ce sobriquet, rapporté par Guill. Crétin (page 176), fut autrefois donné aux femmes de Blois, parce que, dit Le Duchat, elles étaient toutes, généralement parlant, laides et de mauvais air, de vraies chèvres coiffées.

Je crois que le sexe blaisois possède aujourd’hui toutes les qualités opposées aux défauts signalés dans cette citation, dont il ne saurait se plaindre, s’il est vrai qu’il n’y ait que la vérité qui offense.

CHEVRIER.Les chevriers de Nîmes.

Le territoire de cette ville comprenait autrefois une très vaste lande aujourd’hui défrichée, où l’on fesait paître beaucoup de chèvres. De là le sobriquet de Cabriers ou Chevriers de Nîmes.

On dit, en Languedoc et en Provence, d’un homme qui brave le respect humain: Il fait parler de lui comme le chevrier de Nîmes. Ce qui vient, dit-on, de ce qu’un chevrier nîmois, rustique Érostrate, voulut mettre le feu à la Maison carrée pour se rendre célèbre.

CHIEN.Chien qui aboie ne mord pas.

C’est-à-dire que celui qui fait le plus de menaces n’est pas celui qui est le plus à craindre.—Ce proverbe est très ancien. Quinte-Curce nous apprend qu’il était usité chez les Bactriens. Apud Bactryanos vulgo usurpabant canem timidum vehementius latrare quam mordere.—Les Turcs disent: Le chien aboie, mais la caravane passe.

Un chien regarde bien un évêque.

On ne doit pas s’offenser d’être regardé par un inférieur.

Ce dicton, qu’on adresse à un sot dont la susceptibilité s’irrite quand on fixe les yeux sur lui, signifie en développement: Êtes-vous donc un objet si sacré qu’il faille baisser respectueusement la vue en votre présence, et un homme ne peut-il vous regarder, lorsqu’un chien peut regarder un évêque qui est un personnage bien au-dessus de vous? Quant au rapprochement du chien et de l’évêque, qui fait le sel de ce dicton, il n’a pas été produit par le simple caprice de l’imagination, qui aurait pu choisir tout aussi bien un chien et un roi, un chien et un pape; il a probablement sa raison dans ce fait historique peu connu: c’est qu’autrefois il était défendu aux évêques d’avoir chez eux aucun chien. La défense avait été faite par le second concile de Mâcon, le 23 octobre 585, afin que les fidèles qui iraient leur demander l’hospitalité ne fussent point exposés à être mordus.

C’est le chien de Jean de Nivelle,
Il s’enfuit quand on l’appelle.

Jean II, duc de Montmorency, voyant que la guerre allait se rallumer entre Louis XI et le duc de Bourgogne, fit sommer à son de trompe ses deux fils, Jean de Nivelle et Louis de Fosseuse, de quitter la Flandre où ils avaient des biens considérables, et de venir servir le roi. Ni l’un ni l’autre n’obéirent; leur père, irrité, les déshérita en les traitant de chiens.—Suivant le dictionnaire de Trévoux, Jean de Montmorency, seigneur de Nivelle, ayant donné un soufflet à son père, fut cité au parlement, proclamé et sommé à son de trompe pour comparaître en justice. Mais plus on l’appelait, plus il se hâtait de fuir du côté de la Flandre. Il fut traité de chien, à cause de l’horreur qu’inspiraient son crime et son impiété.

Telle est l’explication généralement adoptée; en voici une autre moins connue et peut-être plus exacte. Il y avait autrefois sur le haut du clocher de Nivelle un homme de fer, appelé Jean de Nivelle, qui frappait les heures sur la cloche de l’horloge. Comme les heures, représentées par des statues, ne se montraient que pour disparaître à mesure que ce jaquemart semblait les appeler avec son marteau, on disait d’une personne qui se dérobait à un appel, qu’elle était comme les heures de Jean de Nivelle. Le peuple, qui abrége volontiers les termes, même aux dépens du sens, supprima les heures, en attribuant le rôle qui leur appartenait à Jean de Nivelle; et plus tard, probablement à l’époque où l’on traita de chien le seigneur du même nom, il introduisit cette épithète dans le dicton.

La Fontaine paraît avoir cru qu’il s’agissait d’un véritable chien, lorsqu’il a dit:

Une traîtresse voix bien souvent vous appelle;

Ne vous pressez donc nullement.

Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez-m’en,

Que le chien de Jean de Nivelle.

Les Italiens disent: Far come il can d’Arlotto che chiamato se la batte; faire comme le chien d’Arlotto, qui décampe quand on l’appelle. Ici le mot chien désigne l’animal de ce nom.

Jamais bon chien n’aboie à faux.

Proverbe qu’on applique à un homme qui ne menace point sans frapper, ou à un homme dont les paroles et les résolutions ne restent point sans effet.

Il n’est pas nécessaire de montrer le méchant au chien.

Proverbe fort ancien, qui se trouve dans le petit lexique de l’ancienne langue bretonne, à la suite des origines gauloises de Boxhornius: Nid rhaid dangos diriaid i gwn.—Le chien est doué d’un instinct merveilleux qui le tient constamment en garde contre les hommes capables de nuire ou de faire du mal à son maître. Il les connaît aux vêtements, à la physionomie, à la voix, à la démarche, aux gestes. Il semble même qu’averti par l’odorat, il les devine avant de les apercevoir. De là ce proverbe, dont le sens est qu’il n’est pas besoin de signaler à un homme habile et vigilant les piéges qu’il doit éviter.

Bon chien chasse de race.

Les enfants tiennent ordinairement des inclinations et des mœurs de leurs parents. Ce proverbe, appliqué à un homme, s’emploie en bonne et en mauvaise part; appliqué à une femme, il se prend toujours en mauvaise part.

Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.

On trouve aisément un prétexte quand on veut quereller ou perdre quelqu’un.

Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.

Il arrive toujours quelque accident aux gens querelleurs.

Battre le chien devant le lion.

C’est châtier le faible devant le fort, ou le petit devant le grand, pour une faute que l’un et l’autre ont commise. Ma fille, disent les Turcs, c’est à vous que je parle, afin que ma bru me comprenne.

Entre chien et loup.

Cette expression, qui a de l’analogie avec le πρῶτη υπ̓ Αμφιλυκη des Grecs (à la première heure autour du loup), est fort ancienne en France, puisqu’on lit dans les Formules de Marculfe, auteur du VIIe siècle, Infra horam vespertinam, inter canem et lupum. Elle s’emploie pour dire: à l’heure du crépuscule du soir, lorsque n’étant plus jour il n’est pas encore nuit; sideribus dubiis. Mais ce n’est point par allusion à la difficulté qu’éprouve alors la vue de discerner les objets sans se méprendre entre ceux qui se ressemblent, sans confondre, par exemple, un chien avec un loup, ou un loup avec un chien, comme l’ont prétendu tous les glossateurs qui ont adopté pour explication ces deux vers de Baïf:

Lorsqu’il n’est jour ne nuit, quand le vaillant berger
Si c’est un chien ou loup ne peut au vrai juger.

L’expression Entre chien et loup désigne proprement l’intervalle qui sépare le moment où le chien est placé à la garde du bercail et le moment où le loup profite de l’obscurité qui commence pour aller rôder à l’entour, car c’est un usage, de tout temps observé par les bergers, de lâcher le chien ou de le mettre en sentinelle aussitôt que la chute du jour les avertit que le loup ne tardera pas à sortir du bois; et de là vient sans doute qu’on ne peut dire Entre loup et chien, comme on dit Entre chien et loup, car l’ordre des faits serait interverti.

On trouve dans des lettres de rémission de 1409: «A l’heure tarde, quæ vulgariter vocatur inter canem et lupum, à l’heure d’encour (entour) chien et leu.» Madame de Sévigné a employé substantivement l’expression Entre chien et loup, pour signifier des idées douteuses ou obscures. On lit dans sa 802e lettre à madame de Grignan: «Il me semble que vous êtes une substance qui pense beaucoup. Que ce soit du moins d’une couleur à ne pas vous noircir l’imagination. Pour moi, j’essaie d’éclaircir mes entre chiens et loups, autant qu’il m’est possible.»

Leurs chiens ne chassent point ensemble.

Les chiens savent pénétrer les sentiments de leur maître et s’y conformer. Prévenants pour ses amis, ils se déclarent contre ses ennemis, et s’éloignent même par un instinct naturel des chiens qui leur appartiennent. De là cette expression proverbiale, qu’on emploie en parlant des personnes qui ne sont pas en bonne intelligence.

Les chiens d’Orléans.

Mathieu Paris, dans la vie de Henri III roi d’Angleterre, rapporte que les Orléanais furent appelés chiens, pour être demeurés tranquilles spectateurs et même approbateurs de la violence qui fut faite aux écoliers et au clergé de leur ville par les pastoureaux, brigands dont les bandes fanatiques désolèrent la France durant la captivité de saint Louis. Il paraît que ce fut leur évêque qui les qualifia de la sorte dans une bulle qu’il fulmina contre eux à cause de leur lâche silence. Si cette origine est vraie, dit l’abbé Tuet, il faut prendre le sobriquet dans le sens du passage de l’Écriture, Canes muti non valentes latrare... chiens muets qui ne savent pas aboyer. Mais Lemaire, dans ses Antiquités d’Orléans, pense que ce sobriquet fut donné aux Orléanais parce qu’ils firent preuve de fidélité envers nos rois.

Il n’est chasse que de vieux chiens.

Parce que les vieux chiens sont les plus habiles à dépister le gibier dont ils connaissent toutes les ruses. Le sens figuré du proverbe est, qu’il n’y a point d’hommes plus propres au conseil et aux affaires que les vieillards, à cause de leur expérience.

Camus, évêque de Belley, fit un jour à ce proverbe une variante assez singulière. Peu partisan des saints nouveaux, il s’écria dans un de ses sermons: Je donnerais cent de nos saints nouveaux pour un ancien. Il n’est chasse que de vieux chiens; il n’est châsse que de vieux saints.—Il avait peut-être raison dans le fond, à cause de certains abus de la canonisation. Mais il avait tort dans la forme, et l’on aurait pu lui adresser cette interrogation proverbiale de l’Ecclésiastique (ch. 13, v. 22): Quæ communicatio sancto homini ad canem? quel rapport a le saint avec le chien?

D’oiseaux, de chiens, d’armes, d’amours,
Pour un plaisir mille doulours.

Ce vieux proverbe atteste combien les anciens seigneurs français devaient prendre à cœur tout ce qui concernait la fauconnerie, la vénerie, les tournois et la galanterie, quatre objets importants de leurs occupations et de leurs goûts.

Rompre les chiens.

Au propre, c’est rappeler les chiens de la voie qu’ils suivaient, leur faire quitter ce qu’ils chassaient; au figuré, c’est interrompre des propos qui prenaient une tournure désagréable pour quelqu’un des auditeurs, ramener la conversation sur un autre sujet.

CHOSE.Il ne faut pas mépriser les petites choses.

Notre Seigneur Jésus-Christ, dit une vieille légende, se promenant un jour avec quelques-uns de ses disciples, aperçut un morceau de fer de cheval qui se trouvait sous les pas de saint Pierre, et il invita cet apôtre à le ramasser; mais celui-ci, dédaignant une si pauvre trouvaille, le repoussa du pied. Le Seigneur ne dit rien, se baissa modestement et le prit dans sa main. Bientôt après, un atelier de forgeron s’offrit sur la route. Il y entra et vendit le fragment de fer pour lequel il reçut trois sous. Avec cet argent, il acheta des cerises, les mit dans un pan de sa robe, et continua la promenade. Lorsque tout le monde fut bien fatigué, il laissa tomber les cerises l’une après l’autre. Saint Pierre, qui avait grand’soif, s’empressa de s’en emparer à mesure qu’elles tombaient, et se désaltéra en les mangeant. Comme il portait la dernière à la bouche, le fils de Dieu, qui l’avait vu faire sans avoir l’air de le regarder, se tourna vers lui en souriant et lui dit avec beaucoup de douceur: «Pierre, tu n’as pas voulu te baisser une fois pour prendre le morceau de fer, et tu t’es baissé plus de cent pour prendre les cerises, dont tu aurais été privé si j’avais été aussi dédaigneux que toi de ce débris. Tu sens maintenant le tort que tu as eu: souviens toi donc qu’il ne faut jamais mépriser les petites choses, et qu’elles ont souvent d’importants résultats.»—Celui qui méprise les petites choses, dit un autre proverbe, n’en aura jamais de grandes.

Il ne faut pas négliger les petites choses.

«Parfois petite négligence accouche d’un grand mal, dit le bonhomme Richard: faute d’un clou, le fer du cheval se perd; faute du fer, on perd le cheval; et faute du cheval, le cavalier lui-même est perdu, parce que l’ennemi l’atteint et le tue: le tout pour n’avoir pas fait attention à un clou de fer de cheval.»

Qu’on examine les grandes affaires, et l’on verra que la négligence des menus détails les empêche presque toujours de réussir. Qui spernit modica paulatim decidet (Ecclésiastique, ch. 19, v. 1), qui ne fait pas attention aux petites choses, tombera peu à peu.

L’attention aux petites choses, dit Confucius, est l’économie de la vertu.

CHOU.Envoyer quelqu’un planter ses choux.

C’est le reléguer à la campagne, le priver de son emploi. La Dixmerie prétend que Dioclétien donna lieu à cette expression proverbiale lorsque, après avoir abdiqué l’empire, il vivait à Salone sa patrie, occupé à cultiver son jardin. Les députés du sénat étant venus l’engager à remonter sur le trône, il leur montra des choux supérieurement plantés de ses mains, en disant: «Voilà mes nouveaux sujets: ils répondent à mes soins, ils ne sont jamais indociles; je ne veux pas les échanger contre d’autres.»

Chou pour chou, Aubervilliers vaut bien Paris.

Autrefois, le terrain du village d’Aubervilliers était presque entièrement planté de choux qui passaient pour meilleurs que ceux des autres endroits. De là ce proverbe, dont on se sert pour égaler sous quelque rapport deux choses dont l’une a été trop rabaissée, ou pour signifier que chaque chose a une qualité qui la rend recommandable.

Arrive qui plante, ce sont des choux.

Cette phrase proverbiale, dont le second membre explique le premier, s’employa primitivement pour dire qu’on n’attachait point d’importance à une chose, et qu’on en laissait le soin à qui voudrait. Elle ne s’emploie aujourd’hui que pour signifier la résolution qu’on a prise de faire une chose, au risque de tout ce qui peut arriver; et le dernier membre de la phrase est presque toujours supprimé.

Il s’y entend comme à ramer des choux.

C’est-à-dire, il ne s’y entend pas du tout, il n’a pas la moindre connaissance de la chose dont il veut se mêler. Ramer signifie soutenir des plantes grimpantes avec des rames, petits branchages qu’on fiche en terre. On rame les pois, dont les tiges ont besoin de support parce qu’elles s’élèvent à une certaine hauteur; mais on ne rame point les choux.

CHOUETTE.Larron comme une chouette.

La chouette dont il est ici question est une espèce de corneille, le petit choucas, que les Latins nommaient monedula, parce que cet oiseau aime beaucoup à prendre et à cacher les pièces d’argent et d’or qu’il peut trouver. Monedula, dit Vossius, quasi monetula a surripiendis monetis.—On dit aussi: Larron comme une pie, et l’histoire de la pie voleuse est bien connue.

Faire la chouette.

C’est jouer seul contre plusieurs qui jouent alternativement.

Être la chouette d’une société.

C’est être l’objet ordinaire des railleries de cette société.

Ces expressions sont des métaphores empruntées de la chasse à la pipée. Cette chasse est due à l’antipathie naturelle qu’ont les oiseaux de jour pour les oiseaux de nuit. Le pipeur, caché dans une loge de feuillage, au pied d’un arbre qu’il a couvert de petits tuyaux de paille enduits de glu, imite le cri de la chouette ou fait crier une chouette qu’il a avec lui. A ce cri, les oiseaux irrités accourent pour se jeter sur l’ennemi nocturne qui ose se montrer en plein jour. Le plus petit roitelet, n’écoutant que sa haine et son courage, arrive comme les autres, impatient de donner aussi son coup de bec. Ils se posent sur l’arbre fatal, ils voltigent de branche en branche afin de découvrir la chouette. La glu s’attache à leurs ailes, arrête leurs pieds délicats et les livre au chasseur qui s’applaudit du succès de la ruse.—Le mot pipée est une onomatopée du cri, ou, comme dit Nicod, du pippis des petits oiseaux, parce que dans cette chasse on imite aussi le cri de ces petits oiseaux, ou l’on en fait crier un qu’on a pris, afin d’attirer les autres.

CHRÊME.Être du bon chrême.

C’est être fort crédule. Mauvaise allusion au saint-chrême, dont l’évêque oint le front de ceux qu’il confirme dans la foi. On trouve dans les XV joyes de Mariage (p. 64, éd. de 1726): «Le bonhomme est de la bonne foy et du bon cresme

CHUTE.De grande montée, grande chute.

Leçon donnée aux ambitieux. La fortune est inconstante: E summo retro volvi suevit, dit Tite-Live. Ainsi monter ce n’est souvent qu’élever sa chute; et plus une chute est élevée, plus elle creuse un abîme profond.

.......Tolluntur in altum
Ut lapsu graviore ruant.
(Claudien.)

Les Espagnols emploient le même proverbe en y ajoutant un exemple tiré de l’histoire naturelle: De gran subida gran cayda: por su mal nacen las alas a la hormida; de grande montée, grande chute: pour son mal naissent les ailes à la fourmi.

Nous disons encore: Qui saute le plus haut, descend le plus bas.—Les Italiens disent: A cader va chi troppo in alto sale; c’est se précipiter que de s’élancer trop haut.

CIMETIÈRE.Il a de l’esprit, il a couché au cimetière.

Ingenio valet in cœmeterio dormivit. C’est comme si l’on disait: c’est un adroit, un rusé pèlerin; car ce proverbe est venu de ce que des pèlerins, faisant vœu de ne coucher sous le toit d’aucun homme vivant, allaient passer la nuit dans les cimetières, où ils trouvaient des vivres préparés pour leur subsistance par les soins compatissants du clergé. La conduite de ces pieux voyageurs eut une conséquence remarquable. Comme le peuple se rendait auprès d’eux pour acheter des croix, des rosaires, des agnus, des scapulaires, etc., il en résulta l’usage des foires tenues dans les lieux des sépultures. Ces foires, à la vérité, n’y restèrent pas longtemps, parce que les synodes s’y opposèrent; mais alors elles furent transférées sur les terrains adjacents; et de là vient qu’on voit encore aujourd’hui des marchés près des anciens cimetières en plusieurs lieux de France et d’autres pays.

CIRE.Comme de cire.

On dit de deux hommes de même humeur, de même inclination, qu’ils sont égaux comme de cire, et d’un habit qui ne fait pas un pli, qu’il est ou qu’il va comme de cire. Regnier-Desmarais observe que dans ces deux phrases il n’y a nulle construction, et que, pour y en trouver quelqu’une, il faut y rétablir plusieurs mots ellipsés, savoir: que les deux hommes sont égaux comme deux figures de cire sorties du même moule; que l’habit est ou va comme celui qu’une statue de cire prend dans le moule. Les Espagnols se servent, ajoute-t-il, d’une expression tout à fait semblable à la dernière phrase, en parlant d’un habit qui vient extrêmement bien à la taille: Le viene como de molde; il va comme s’il sortait du moule, comme s’il était moulé.

Comme de cire, ou simplement de cire, signifie aussi, fort à propos. «Ah! vous voilà, infante de mon ame! vous arrivez comme de cire. Il y a longtemps que je vous attendais.» (Théât. ital. de Gherardi, Naissance d’Amadis, sc. 6.)

Tels dons étaient pour des dieux,
Pour des rois voulais-je dire.
L’un et l’autre y vient de cire.
Je ne sais quel est le mieux. (La Fontaine.)

Cela va de cire.

Locution elliptique dont la construction pleine est celle-ci: Cela va comme si c’était de cire; c’est-à-dire, cela va bien, cela va à souhait, cela va à merveille, parce que la cire est une matière molle et ductile qu’on façonne comme on veut. Telle est l’explication généralement adoptée. Mais il y en a une autre assez vraisemblable, d’après laquelle le mot cire aurait la signification de son homonyme sire (seigneur), qui s’écrivait autrefois de même (voyez C’est un pauvre sire). Et, dans ce cas, notre locution ainsi rectifiée, Cela va de sire, reproduirait exactement celle des Italiens, Questa cosa va da signore; cette chose va comme si elle était faite par un seigneur. Ce qui paraît fondé sur l’opinion qu’un seigneur, qui a toujours plus de facilité, plus de moyens que le commun des hommes, ne peut manquer de faire toutes choses merveilleusement.

CLAUDE.Être bien Claude.

L’empereur Claude a donné lieu à cette expression proverbiale, qu’on applique à un niais, à un idiot. Affligé, pendant son enfance, de maladies graves et opiniâtres, il ne fut jugé propre à aucune fonction. Auguste, son grand-oncle maternel, n’en faisait pas le moindre cas; et Antonia, sa mère, qui le traitait d’ébauche et d’avorton de la nature, disait, toutes les fois qu’elle voulait taxer quelqu’un de bêtise: Il est plus imbécile que mon fils Claude. Une telle opinion se trouva souvent confirmée par les sottises qu’il fit dans le cours de sa vie. Il prenait si peu garde à ses actions et à ses paroles, qu’il médita un édit pour permettre de soulager, à table, le ventre et l’estomac de l’incommodité des vents, et qu’il s’écria un jour en plein sénat, à propos de bouchers et de marchands de vin: Je vous le demande, pères conscrits, qui peut vivre sans andouillettes? Malgré des disparates si extraordinaires, il ne manquait pas d’instruction. Il inventa, dans sa jeunesse, trois nouvelles lettres qu’il fit ajouter dans la suite à l’alphabet, et dont il fit adopter l’usage pour les livres, actes publics et inscriptions de son temps. Il s’appliqua à la littérature, et composa plus de cinquante volumes, parmi lesquels se trouvaient les mémoires de sa vie, une apologie de Cicéron et deux histoires, l’une des Étrusques, l’autre des Carthaginois. Le philosophe Sénèque, qui l’avait loué pendant sa vie, le peignit, après sa mort, métamorphosé en citrouille dans l’Apocoloquintose. Et cette satire contribua beaucoup à accréditer les idées défavorables attachées au nom de Claude.

CLEF.Mettre les clefs sur la fosse.

C’est-à-dire renoncer à la succession. Cette expression a été littérale. On faisait autrefois acte de renonciation à un héritage en déposant les clefs, qui étaient le symbole de la propriété, sur le tombeau du testateur. «Et là (à Arras), la duchesse Marguerite (épouse de Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne), renonça à ses biens, meubles, pour le doute qu’elle ne trouvât trop grandes dettes, en mettant sur sa représentation sa ceinture, avec sa bourse et les clefs, comme il est de coutume, et de ce demanda instrument à un notaire public qui était là présent.» (Monstrelet.)

CLERC.Ce n’est pas un grand clerc.

Ce n’est pas un habile homme. Autrefois on disait clerc pour savant, mauclerc pour ignorant, et clergie pour science, parce qu’il n’y avait un peu d’instruction que parmi le clergé, les nobles tenant à honte de savoir quelque chose.—La vie d’un clerc était alors réputée si précieuse, qu’on avait établi en France, en Angleterre et en Allemagne, un privilége nommé bénéfice de clergie, beneficium clericorum, en vertu duquel on fesait grâce à un homme qui méritait la corde, lorsqu’il avait pu lire dans le livre des psaumes certains passages désignés par les juges; mais comme ces juges eux-mêmes ne savaient pas lire, ils s’en rapportaient à l’aumônier de la prison. Dès que celui-ci avait dit: Legit ut clericus, il lit comme un clerc, le coupable était mis en liberté sans autre punition que d’être marqué légèrement d’un fer chaud à la paume de la main.

Faire un pas de clerc.

C’est commettre quelque faute par inadvertance ou par inexpérience. On disait autrefois vice de clerc dans le même sens que pas de clerc.

Les plus grands clercs ne sont pas les plus fins.

Ce qu’un personnage de Rabelais exprime plaisamment par ce mauvais latin: Magis magnos clericos non sunt magis magnos sapientes.

Les savants, toujours trop occupés de leurs travaux pour attacher beaucoup d’importance aux détails vulgaires, sont souvent dans une profonde ignorance des choses de la société. Ils ne paraissent guère dans un cercle sans se faire remarquer par leurs distractions ou leurs gaucheries, et c’est ce qui a donné lieu à cet autre proverbe: Que les gens d’esprit sont bêtes! par lequel la médiocrité de l’homme du monde se console de leur supériorité.

Jean-Paul-Frédéric Richter a merveilleusement mis en action et développé cette pensée proverbiale dans un ouvrage fort original et fort comique, intitulé: «Voyage, aventures, exploits et jours d’angoisse d’un aumônier de régiment, avec une apologie de sa valeur, et une narration de ses hauts-faits, contenus dans une épître panégyrique et catéchétique.» Cet aumônier est un puits de science. Il n’y a rien qu’il ne connaisse et qu’il n’approfondisse, et avec tout cela il est le plus niais des mortels. Hors sa science, il ne sait absolument rien, comme disait le valet du père Griffet, en parlant de son maître.

L’un de nos meilleurs critiques, M. Philarète Chasles, a donné un excellent article sur cet ouvrage dans la Revue de Paris.

CLOCHE.Fondre la cloche.

C’est prendre un parti sur une chose qui est demeurée longtemps en suspens, venir à la conclusion d’une affaire qui a été longtemps agitée.—La fonte d’une cloche est une opération sérieuse qui demande beaucoup de préparatifs.

Étonné ou Penaud comme un fondeur de cloche.

Qu’on se figure la surprise que doit éprouver un homme qui a employé beaucoup de temps, de soins et d’argent pour la fonte d’une cloche, lorsque, défaisant le moule dans lequel la matière a été coulée, il trouve que l’opération est manquée; on concevra sans peine combien est juste cette comparaison proverbiale, par laquelle on exprime le désappointement et la confusion de ceux qui voient avorter une affaire dont ils croyaient le succès assuré.

On cite plusieurs fondeurs de cloche morts de douleur de n’avoir pas réussi dans leur ouvrage; on en cite aussi plusieurs morts de joie d’avoir réussi. Parmi ces derniers figure Jean Masson, qui fondit la grosse cloche de Rouen, connue sous le nom de George d’Amboise.

Qui n’entend qu’une cloche n’entend rien.

On ne peut connaître une affaire et la juger sur le rapport de l’une des deux parties; il faut écouter les raisons qui peuvent être alléguées par chacune d’elles.—On dit aussi Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son.

Gentilshommes de la cloche.

On appelait ainsi avant la révolution les maires et les échevins, à qui l’exercice de leurs fonctions conférait un droit de noblesse dans seize villes de France, savoir: Abbeville, Angers, Angoulême, Bourges, Cognac, Lyon, Nantes, Niort, Paris, Péronne, Poitiers, La Rochelle, Saint-Jean-d’Angely, Saint-Maixent, Toulouse et Tours. Cette dénomination venait de ce que les assemblées où se fesait l’élection de ces officiers municipaux étaient convoquées au son de la cloche.

On fait dire aux cloches tout ce qu’on veut.

Ce dicton s’applique aux personnes qui ne parlent ordinairement que d’après les idées qu’on leur suggère et qui font écho aux paroles des autres.

Comment puis-je gagner le ciel? demandait un riche laboureur à un religieux mendiant. Celui-ci lui répondit par ce passage qui se trouvait, disait-il, dans le catéchisme de son couvent: Audite campanas monasterii; dicunt: dando, dando, dando. Écoutez tes cloches du monastère; elles disent que c’est par des dons, des dons, des dons.

On conte qu’une veuve alla consulter son curé pour savoir si elle ferait bien de se remarier. Elle alléguait qu’elle était sans appui et qu’elle avait un excellent valet fort habile dans le métier de feu son mari.—C’est bien, lui dit le curé; mariez-vous avec lui.—Mais, ajouta-t-elle, il y a du danger à cela: je crains que mon valet ne devienne mon maître.—En ce cas, ne l’épousez point, répliqua le curé.—Comment ferai-je donc? s’écria-t-elle; car je ne puis soutenir seule le poids des affaires que m’a laissées mon pauvre défunt, et j’ai besoin absolument de quelqu’un qui le remplace.—Eh bien! prenez ce quelqu’un.—Cependant s’il avait un mauvais caractère, s’il ne songeait qu’à s’emparer de mes biens et à les dissiper.—Alors, ne le prenez pas. C’est ainsi que le curé ajustait ses réponses aux arguments de la veuve et abondait toujours dans leur sens. Voyant enfin qu’elle aspirait à de secondes noces et qu’elle avait un penchant décidé pour son valet, il lui conseilla d’écouter attentivement les cloches de l’église et d’agir suivant ce qu’elles lui diraient. Quand elles sonnèrent, elle interpréta leur son conformément à ses désirs et entendit fort distinctement ces paroles: Prends ton valet, prends ton valet. En conséquence elle se hâta de le prendre. Mais bientôt après elle fut menée rudement et battue par ce nouveau mari, et de maîtresse qu’elle était elle se trouva servante. Dans sa douleur, elle alla se plaindre au curé du conseil qu’il lui avait donné, maudissant le jour où elle avait été trompée par les cloches. Le curé lui répondit qu’elle ne les avait pas bien entendues. Pour le lui prouver il les fit sonner encore, et la pauvre femme comprit alors qu’elles disaient: Ne le prends pas, ne le prends pas. Le malheur lui avait donné de l’intelligence.

J’ai traduit littéralement cette dernière historiette du troisième sermon latin De viduitate (du veuvage), par Jean Raulin, moine de Cluny, prédicateur du XVe siècle, qui ne le cède en rien à Maillard, à Barlette et à Menot. Rabelais en a copié les principaux traits dans les chapitres 9, 27 et 28 de son troisième livre.

CLOU.Un clou chasse l’autre.

Proverbe pris du latin: il se trouve dans cette phrase de la quatrième Tusculane de Cicéron: Novo amore veterem amorem, tanquam clavo clavum, ejiciendum putant; ils pensent qu’un nouvel amour doit remplacer un ancien amour, comme un clou chasse l’autre.

River le clou à quelqu’un.

C’est le mettre à la raison une fois pour toutes. Métaphore empruntée des galériens à qui on rive le clou qui ferme leur collier, pour empêcher qu’ils ne se déchaînent. Le Roman de la Rose emploie souvent cette expression dans ce sens (Le Duchat).

COCAGNE.Pays de Cocagne.

Je transcrirai ici ce que j’ai dit sur cette expression proverbiale dans le Journal de la langue française, en réponse à un abonné qui m’avait demandé, 1º d’expliquer ce que c’est que le pays de Cocagne; 2º de rapporter les diverses étymologies qu’on a données du nom de ce pays; 3º de dire quelle est celle qui est la meilleure.

1º On appelle pays de Cocagne un pays d’abondance et de bonne chère. Cette expression sert de titre à un fabliau, où l’auteur raconte qu’étant allé à Rome pour l’absolution de ses péchés, il fut envoyé en pénitence par le pontife dans un pays qui a été béni de Dieu particulièrement.

Ce pays a nom Cokaigne,
Qui plus i dort, plus i gaigne.

Les murs des maisons sont construits de divers comestibles: les chevrons sont d’esturgeons, les couvertures de lard, les lattes de saucisses; sur tous les chemins et dans toutes les rues sont des tables dressées où l’on va librement s’asseoir, et des boutiques ouvertes où l’on peut prendre ce qu’on veut sans payer. Il y a une rivière dont un côté est d’excellent vin rouge, et l’autre côté d’excellent vin blanc; il y pleut trois fois la semaine une ondée de flans chauds, etc...; partout des concerts et des danses; jamais querelle ni guerre, parce que tout y est en commun; toutes les femmes y sont belles, peu farouches et si complaisantes, qu’après les avoir choisies à son gré, on peut à son gré les quitter au bout de l’année, les plus longs engagements ne passant pas ce terme. Mais ce qu’il y a de merveilleux, c’est que dans ces lieux favorisés du ciel existe la fontaine de Jouvence. Devient-on vieux? on va s’y baigner, et l’on en sort n’ayant plus que vingt ans.

Tel est le pays de Cocagne, dont on fait honneur à l’imagination d’un trouvère du treizième siècle, mais qui se retrouve pourtant trait pour trait (excepté la fontaine de Jouvence), dans les descriptions que des poëtes grecs ont faites de l’âge d’or. Voici comment Phérécrate, auteur comique athénien du temps de Platon, a parlé du retour de cet âge: «Qu’avons-nous besoin de laboureurs, de charrues, de taillandiers, de forgerons, de semences, d’échalas? Des fleuves de sauce noire, sortant à gros bouillons des sources de Plutus, vont couler dans les rues, roulant des pains faits avec de la fine fleur de farine, et des gâteaux délicieux; il n’y aura qu’à puiser. Jupiter faisant pleuvoir du vin capnias, arrosera les toits des maisons, d’où découleront des ruisseaux de cette précieuse liqueur avec des tartelettes au fromage, de la purée toute chaude, et du vermicelle assaisonné de lis et d’anémones. Les arbres qui sont sur les montagnes porteront, au lieu de feuilles, des intestins de chevreaux rôtis, des calmars bien tendres et des grives braisés.»

Voici comment Téléclide, autre auteur comique athénien, a décrit les délices de l’âge d’or: «Il ne coulait que du vin dans tous les torrents. Les gâteaux se disputaient avec les pains autour de la bouche des hommes, suppliant qu’on les avalât, si l’on voulait manger tout ce qu’il y avait de plus blanc en ce genre. Les tables étaient couvertes de poissons qui venaient dans chaque demeure se rôtir eux-mêmes. Un fleuve de sauce coulait auprès des lits, roulant des morceaux de viande cuite, et des ragoûts étaient auprès des convives pour qui voulait en prendre, de sorte que chacun pouvait manger à discrétion des bouchées bien tendres et bien arrosées... Des petits-pâtés et des grives toutes rôties volaient dans le gosier. On entendait le bruit des gâteaux qui se poussaient et repoussaient autour de la bouche pour entrer.»

On peut voir dans le sixième livre des Deinosophites d’Athénée le texte des fragments que je viens de citer, en me servant de la traduction de M. Hubert.

2º Les étymologistes se sont épuisés en conjectures sur l’origine du mot Cocagne, dont Ménage n’a point parlé. Lamonnoye, qui le regardait à tort comme peu ancien dans notre langue, parce qu’il ne l’avait trouvé ni dans Marot, ni dans Rabelais, ni même dans Regnier, en a donné une explication ridicule. Cocagne, dit-il, est un pays imaginé par le fameux Merlin Cocaye, qui, tout au commencement de sa première Macaronée, après avoir invoqué Togna, Pedrala, Mafelina, et autres muses burlesques, décrit les montagnes qu’elles habitent comme un séjour de sauces, de potages, de brouets, de ragoûts, de restaurants, où l’on voit couler des fleuves de vin et des ruisseaux de lait. Ce pays, ajoute-t-il, à dû tirer son nom de celui de son inventeur, et Cocagne n’est qu’une altération de Cocaye.

Le savant évêque d’Avranches, Huet, qui fesait dériver gogaille de gogue, espèce de farce piquante ou de saupiquet, a prétendu que pays de cocagne est venu de pays de gogaille.

Suivant d’autres, il y a en Italie, sur la route de Rome à Lorette, une petite contrée appelée Cocagna, dont la situation est très agréable, le terroir très fertile, et où les denrées sont excellentes et à bon marché; et c’est là qu’ils trouvent le modèle du pays de Cocagne.

Les commentateurs de Rabelais, MM. Eloi Johanneau et Esmangard, disent sur cette explication: «Il nous paraît très vraisemblable que c’est du nom de ce pays qu’on a fait celui de pays de Cocagne, et que le nom de Cocagna vient du proverbe: Il est à son aise comme un coq en pâte; ou du latin coccus, graine de kermès, cochenille; ou du languedocien coco, pain mollet, au sucre et aux œufs.» Il faut avouer que ces messieurs, en cette circonstance, n’ont pas fait preuve de leur sagacité ordinaire.

L’opinion de Furetière est que dans le haut Languedoc on appelle Cocagne un petit pain de pastel, avant qu’il soit réduit en poudre et vendu aux teinturiers, et que, comme le pastel ne croît que dans des terres fertiles, on a donné le nom de Cocagne à ce pays, où il est d’un très grand revenu, et par extension à tout pays où règnent l’abondance et la bonne chère.

On lit dans l’ouvrage de Chaptal, de la Chimie appliquée à l’agriculture (tome 2, page 352), le passage suivant, qui semble confirmer l’opinion de Furetière: «Avant la découverte de l’indigo, qui ne commença à paraître en Europe que dans les premières années du dix-septième siècle, les environs de Toulouse et surtout le Lauraguais, fournissaient une énorme quantité de pastel. Les coques de pastel qu’on y préparait jouissaient de la première réputation en Europe. Ce pays était devenu si riche, qu’on l’a appelé pays de Cocagne, du nom de son industrie. Cette dénomination a passé en proverbe pour désigner un pays riche et très fertile.

«Deux cent mille balles de coques étaient exportées, chaque année, par le seul port de Bordeaux. Les étrangers en éprouvaient un si pressant besoin que, pendant les guerres que nous avions à soutenir, il était constamment convenu que ce commerce serait libre et protégé, et que les vaisseaux étrangers arriveraient désarmés dans nos ports pour y venir chercher ce produit. Les établissements de Toulouse ont été fondés par des fabricants de pastel. Lorsqu’il fallut assurer la rançon de François Ier, prisonnier en Espagne, Charles-Quint exigea que le riche Béruni, fabricant de coques, servît de caution.»

3o Aucune des étymologies qu’on vient de lire n’est admissible, car elles se fondent toutes sur des faits qui sont moins anciens que le mot Cocagne, dont, par conséquent, ils ne peuvent avoir été la source. Je crois que Cocagne, autrefois Cokaigne, Coquaigne, ou Cokaine, est dérivé du latin coquina, cuisine, bonne chère. Cette opinion me paraît confirmée par ce qu’a dit le savant Hickes, en traçant l’origine du mot anglais Cockney: «Coquin, coquine, olim apud gallos, otio, gulæ et ventri deditos, ignavum, ignavam, desidiosum, desidiosam, segnem significabant. Hinc urbanos utpote a rusticis laboribus ad vitam sedentariam et quasi desidiosam avocatos pagani nostri olim Cokaignes, quod nunc scribitur Cockneys, vocabant, et poeta hic noster in monacos et moniales ut segne genus hominum qui desidiæ dediti, ventri indulgebant et coquinæ amatores erant, malevolentissime invehitur, monasteria et monasticam vitam, in descriptione terræ cokaineæ parabolice perstringens.» (Gramm. anglo-sax. ling. veter, septentr. Thesaurus, tome I, page 254.)

Le fabliau de Cocagne, où l’auteur a eu certainement pour but de peindre les molles délices de la vie monastique, a fourni à Rabelais le modèle et les principaux traits du pays de Papimanie.

Dans l’introduction du vingtième livre, titre 2, p. 220, de l’Histoire Macaronique de Merlin Cocaye, il est question des royaumes de crespes et beignets, où on a accoutumé de mener une vie heureuse. C’est une contrée où les arbres portent pour fruits des tourtes et des tartes, et où les vignes sont liées avec des saucisses, trait qui est devenu un proverbe italien correspondant à l’expression C’est un pays de Cocagne.

Vi si legano le viti con le salciccis.

Nos matelots ont imaginé un pays de Giboutou ou de Gipoutou, qu’ils placent au trente-sixième degré au delà de la lune. C’est là, disent-ils, que les cochons, portant du sel dans une oreille, du poivre dans l’autre et de la moutarde sous la queue, courent tout rôtis, avec une fourchette et un couteau sur le dos; et coupe qui veut.

Notez que les Latins s’exprimaient à peu près de la même manière, en parlant d’un pays où l’on pouvait vivre à gogo: Dices hic porcos coctos ambulare, vous diriez que les cochons y courent tout rôtis. Cette phrase se trouve dans le Festin de Trimalcion.

CŒUR.Le cœur mène où il va.

Chacun se laisse entraîner par son penchant. Trahit sua quemque voluptas.—J.-J. Rousseau a observé que nous n’avons guère de mouvement machinal dont nous ne puissions trouver la cause dans notre cœur, si nous savions bien l’y chercher.

Ce proverbe est une pensée de Confucius.

Avoir le cœur gros.

Avoir du chagrin. L’opinion populaire que les personnes mélancoliques ont le cœur plus gros que les autres, a donné lieu à cette expression proverbiale à l’appui de laquelle on peut citer plusieurs exemples rapportés par Rioland. Ce médecin assure qu’en faisant la dissection de quelques personnes de ce tempérament, il avait trouvé des cœurs très volumineux, entre autres celui de Marie de Médicis qui n’avait pas manqué de chagrins et d’afflictions. On sait que cette reine, veuve de Henri IV, mère de Louis XIII et belle-mère du roi d’Espagne, du roi d’Angleterre et du duc de Savoie, sacrifiée par son fils au cardinal de Richelieu et abandonnée de toute sa famille, mourut dans un grenier, à Cologne, le 3 juillet 1645.

Apprendre par cœur.

On a regardé le cœur comme le siége de la mémoire. De là les mots recorder, se recorder, recordance, recordation, en latin recordari, recordatio: de là aussi l’expression apprendre par cœur. Rivarol dit que cette expression, si ordinaire et si énergique, vient du plaisir que nous prenons à ce qui nous touche et nous flatte. La mémoire, en effet, est toujours aux ordres du cœur.

Faire quelque chose de grand cœur.

C’est-à-dire volontiers et avec plaisir. L’abbé Tuet croit que grand cœur a été mis dans cette phrase par altération de gréant cœur, qui se trouve, dit-il, dans nos vieux auteurs, et signifie de cœur qui agrée. Mais on peut douter de la vérité de cette assertion dont il n’apporte aucune preuve. Grand cœur s’est toujours dit pour cœur généreux; et on lit dans Justin: Magno corde aliquid facere, faire quelque chose de grand cœur.

Avoir le cœur à la bouche.

S’exprimer avec franchise. Dans le langage hiéroglyphique des Égyptiens, la franchise était représentée par un cœur suspendu à un gosier.

Remettre le cœur au ventre à quelqu’un.

C’est lui rendre le courage.—Le ventre est chez beaucoup de gens le siége de l’énergie. Le dîner change leur timidité en audace: poltrons avant de se mettre à table, ils sont crânes quand ils en sortent.

Avoir un cœur de citrouille.

Celte expression, dont on se sert quelquefois en parlant d’une personne qu’on veut taxer de mollesse ou de lâcheté, se trouve dans les Adages des pères de l’Église. Elle est dérivée de l’expression latine employée par Tertullien contre Marcion: Peponem cordis loco hahere, avoir pour cœur un melon ou une citrouille. La même métaphore se trouve aussi dans l’Iliade (chant 2, v. 235), où Thersite appelle les Grecs πέπονες, melons ou citrouilles.

On sait que Ninon de l’Enclos, avant d’avoir fait du marquis de Sévigné un homme charmant, lui reprochait plaisamment d’avoir un cœur de citrouille fricassée dans de la neige.

COFFRE.Il s’y entend comme à faire un coffre.

Il ne s’y entend point du tout. Autrefois les coffres tenaient lieu de commodes et de siéges. C’étaient des meubles élégants et précieux dont la confection exigeait certain talent; et les coffretiers appartenaient moins à la classe des artisans qu’à celle des artistes.

Drôle comme un coffre.Rire comme un coffre.Raisonner comme un coffre.

Le dessus des coffres était garni de cuir historié où l’on remarquait beaucoup d’inscriptions, de devises et de figures grotesques. Les trois expressions citées sont des allusions à ces peintures généralement fort drôles, fort joyeures et fort bizarres.

L’usage des arabesques peintes ou sculptées sur les coffres date d’une époque très reculée. Pausanias cite comme un des plus anciens monuments de l’art des Grecs le coffre de Cypsélus, fait de bois de cèdre et orné de figures en relief exécutées en or et en ivoire. Les sujets représentés sur ce coffre avaient été choisis d’une manière arbitraire dans les mythes de l’antiquité et n’offraient aucun rapport entre eux.

Piquer le coffre.

A la cour et chez les seigneurs, il n’y avait guère que des coffres pour s’asseoir, particulièrement dans les antichambres. De là cette expression, maintenant hors d’usage, qui signifie proprement: attendre assis sur un coffre qu’on pique d’impatience.

Mourir sur le coffre.

C’est mourir misérablement, dit Oudin, en suivant la cour, ou au service de quelque grand. On connaît ces deux vers qui terminent la fameuse épitaphe de Tristan l’Hermite:

Je vécus dans la peine, attendant le bonheur,
Et mourus sur un coffre, en attendant mon maître.

Cette façon de parler était encore proverbiale sous Louis XIV. Madame de Sévigné rapporte dans sa 411e lettre que Turenne, faisant ses adieux au cardinal de Retz, lui dit: «Sans ces affaires où peut-être on a besoin de moi, je me retirerais comme vous; et je vous donne ma parole que, si j’en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre

COGNÉE.Il ne faut pas jeter le manche après la cognée.

Il ne faut pas abandonner une affaire, renoncer à une entreprise par chagrin, par dégoût ou par découragement. Allusion à l’apologue du bûcheron qui, ayant laissé tomber dans un gouffre le fer de sa cognée, et désespérant de l’en retirer, y jeta le manche dont il pouvait encore faire usage.

COIFFÉ.Il est né coiffé.

Cette expression s’applique à une personne constamment heureuse, par allusion à la membrane appelée coiffe qui enveloppe la tête de quelques enfants, au moment de leur naissance, et qui a été regardée, dans tous les temps et chez presque tous les peuples, comme un présage de bonheur. Les Grecs tiraient de cette coiffe, nommée amnion dans leur langue, l’augure favorable de l’amniomancie. Les sages-femmes de Rome, dit Lampride, la vendaient très cher aux avocats, persuadés qu’en la portant sur eux comme une amulette ils seraient doués d’une éloquence irrésistible qui leur ferait gagner les causes les plus difficiles. Nos pères pensaient qu’elle était une marque visible de la protection céleste. Ils la fesaient bénir ordinairement par un prêtre, et si elle leur offrait quelque ressemblance avec la mitre épiscopale, ils consacraient à la vie religieuse les enfants qui l’avaient apportée en naissant. C’était à leurs yeux la meilleure preuve de vocation.

La superstition qui attribue une vertu de talisman à ce chapeau de Fortunatus, comme dit le peuple, n’est pas encore entièrement détruite en France. Cependant elle y est beaucoup moins commune qu’en Angleterre, où l’on met quelquefois sur les affiches et dans les journaux qu’il y a une coiffe de nouveau-né à vendre: ce qui fait toujours affluer les acheteurs.

COLIN-TAMPON.Je m’en moque comme de Colin-tampon.

Cette expression, dont on se sert pour marquer le peu de cas ou le mépris qu’on fait d’une personne ou d’une chose, date du règne de François Ier. Colin-tampon est un sobriquet que les soldats de ce prince formèrent par onomatopée du bruit des tambours battant la marche des Suisses, et qu’ils appliquèrent aux Suisses, après les avoir vaincus à Marignan. Je crois que le mot se trouve, avec beaucoup d’autres du même genre, dans la célèbre chanson du musicien Jannequin sur cette bataille. Les Mémoires de l’état de France sous Charles IX (t. II, fo 208), où il est parlé d’une bravade que les Rochelois assiégés firent aux Suisses de l’armée assiégeante, désignent ces derniers par la dénomination de Colins-tampons. «Les Rochelois crioient par dessus la muraille que l’on fît aller les Colins-tampons à l’assaut, et qu’ils avoient bons coutelas et espées pour découper leurs grandes piques.»

COLLIER.Être franc du collier.

C’est être brave, serviable, agir avec franchise. Métaphore empruntée, dit Le Duchat, des chevaux, de la bonté desquels on juge par la franchise ou par la lâcheté qu’ils mettent à tirer du collier.

COLOMB.C’est l’œuf de Colomb.

Cela se dit d’une chose qu’on n’a pu faire et qu’on trouve facile après coup.—Les détracteurs de Cristophe-Colomb lui disputaient l’œuvre de son génie, en objectant que rien n’était plus aisé que la découverte du Nouveau-Monde. Vous avez raison, leur dit le célèbre navigateur; aussi je ne me glorifie pas tant de la découverte que du mérite d’y avoir songé le premier. Prenant ensuite un œuf dans sa main, il leur proposa de le faire tenir sur sa pointe. Tous l’essayèrent, aucun n’y put parvenir. La chose n’est pourtant pas difficile, ajouta Colomb, et je vais vous le prouver: en même temps il fit tenir l’œuf sur sa pointe qu’il aplatit en le posant.—Oh! s’écrièrent-ils alors, rien n’était plus aisé.—J’en conviens, messieurs, mais vous ne l’avez point fait et je m’en suis avisé seul. Il en est de même de la découverte du Nouveau-Monde. Tout ce qui est naturel paraît facile quand il est une fois trouvé. La difficulté est d’être l’inventeur.

La même anecdote, dit Voltaire, est rapportée du Brunelleschi, grand artiste qui réforma l’architecture à Florence longtemps avant que Colomb existât. La plupart des bons mots ne sont que des redites.

COLOMBE.Craignez la colère de la colombe.

N’irritez pas une personne d’un naturel doux, car son emportement est des plus terribles; ne provoquez pas le courroux d’une femme, car elle ne connaît point de bornes dans sa fureur. Notumque furens quid fœmina possit (Virg.); on sait ce que peut une femme furieuse.—L’Ecclésiastique dit: Non est ira super iram mulieris (ch. 25, v. 23); il n’y a pas de colère au-dessus de la colère de la femme.

Ce proverbe est fondé sur une double expression des livres saints, ira columbæ et gladius columbæ, qui ne peut être comprise sans connaître l’histoire ou plutôt la fable de Sémiramis. Voici donc en résumé ce que Diodore de Sicile, Lucien et quelques autres écrivains de l’antiquité nous apprennent sur cette reine. La nymphe Dercéto ou Atergatis, ayant violé les lois de la pudeur, devint enceinte d’une fille qu’elle mit au jour et abandonna sur une montagne voisine du lac Ascalon, où elle se précipita, après avoir tué son séducteur, dans le désespoir qu’elle avait conçu d’une faiblesse dont elle ne pouvait supporter la honte. Mais les dieux, touchés de son malheureux sort, la changèrent en poisson depuis les pieds jusqu’à la ceinture, et conservèrent la partie supérieure de son corps dans son état naturel. Composé monstrueux qui, pour le dire en passant, a fourni à Horace l’idée de ce vers si connu:

Desinit in piscem mulier formosa superne[30].

Quant à sa fille, elle fut nourrie par des colombes, et elle prit de cette circonstance merveilleuse le nom de Sémiramis, qui en syriaque signifie colombe des champs. Parvenue au trône d’Assyrie, elle décerna à sa mère les honneurs divins, et prescrivit l’abstinence du poisson comme un des principaux actes du culte de la nouvelle déesse. Elle ordonna également qu’on eût un respect religieux pour les colombes: en tuer une, même par mégarde, était un sacrilége qui devait s’expier par une mort violente. Après une règne glorieux, elle eut aussi son apothéose. Ses peuples, disposés à la regarder comme une divinité par l’admiration qu’elle leur avait inspirée, furent persuadés qu’elle s’était métamorphosée en un des oiseaux qui avaient soigné son enfance, et qu’elle présidait encore sous cette forme aux destinées de l’empire. C’est ainsi qu’elle obtint à double titre le nom de la Colombe; mais elle n’en eut jamais la douceur, car elle fit périr le roi Ninus, son époux, pour régner à sa place. Qu’on ajoute à ce crime les guerres que les Babyloniens firent dans la suite aux Israélites, guerres d’extermination commandées souvent par les oracles de son temple et conduites toujours sous des enseignes décorées de son image, on aura alors l’explication naturelle de la colère et du glaive de la colombe dont Jérémie a parlé dans plusieurs passages de ses Lamentations, comme on pourrait parler de la colère et du glaive de l’aigle romaine, par une de ces figures que les détracteurs du style des prophètes appellent bizarres et obscures, parce qu’ils n’en savent point distinguer la justesse et la clarté.

Il n’est pas besoin d’examiner comment cette expression appliquée abusivement à la colombe, oiseau que l’Évangile désigne comme un modèle de douceur, estote mitis sicut columbæ, a donné lieu au proverbe Timete iram columbæ, craignez la colère de la colombe.

Les Italiens disent dans le même sens: Guardati d’aceto di vin dolce; garde-toi du vinaigre fait avec du vin doux.

COMMENCEMENT.Heureux commencement est la moitié de l’œuvre.

Proverbe traduit de ce vers latin:

Dimidium facti, qui bene cœpit, habet.

Les Grecs avaient le même proverbe.

Commencement n’est pas fusée.

On dit aussi: N’a pas fait qui commence.

On entreprend volontiers un travail qui sourit à l’imagination, sans avoir réfléchi aux difficultés qu’il peut présenter; mais dès qu’on y a mis la main, on éprouve un embarras qui glace la première ardeur, et l’on se laisse gagner par le découragement qui, bien souvent, ne permet pas de continuer.

Ces proverbes s’appliquent particulièrement à une personne disposée à croire qu’elle ne trouvera point d’obstacle entre le commencement et la fin d’une entreprise.

COMMISSAIRE.Faire chère de commissaires.

Dans le temps des conférences entre les catholiques et les religionnaires pour discuter les points de doctrine qui les divisaient, les commissaires des deux partis mangeaient ordinairement à la même table, et comme, les jours d’abstinence, on servait du maigre pour les uns et du gras pour les autres, on appela chère de commissaires un repas où l’on trouvait chair et poisson, et par extension, un repas où l’on avait des mets de toute espèce.

Quelques étymologistes pensent que cette expression est d’une date plus ancienne, et ils en font remonter l’origine jusqu’à l’établissement des missi dominici, commissaires que Charlemagne envoya, en 802, dans les diverses provinces de ses états pour examiner la conduite des moines, abbés, juges, gouverneurs, etc., qui, pour se les rendre favorables, les traitaient de leur mieux.

Les Latins disaient: Epulæ saliares, festins des saliens. Les prêtres du dieu Mars, nommés saliens, a saliendo, à cause des danses qu’ils fesaient dans leurs processions, étaient fort considérés des Romains, qui croyaient descendre de ce dieu, et ils recevaient de tout le monde des présents dont ils alimentaient le luxe de leur table. Ils avaient en outre dans chacun des quatorze quartiers de Rome un hospice où le public les traitait de la manière la plus splendide, pendant les quatorze jours consacrés à leurs promenades religieuses, dans le mois de mars.

COMPAGNIE.La mauvaise compagnie pend l’homme.

Celui qui fréquente des mauvais sujets en contracte les vices, et ces vices le conduisent à l’échafaud. Ce vieux proverbe est remarquable par la hardiesse de l’expression qui distingue aussi cet autre proverbe: Le bruit pend l’homme.

On dit dans le même sens: Par compagnie on se fait pendre.

Il n’y a si bonne compagnie qui ne se quitte.

On cite ce proverbe lorsque, sous prétexte de quelque affaire, on laisse les personnes avec qui l’on se trouve; mais on s’expose à entendre quelqu’une d’elles y ajouter ce complément épigrammatique: Comme disait le roi Dagobert à ses chiens.

COMPAGNON.Qui a compagnon a maître.

On est assez souvent obligé de renoncer à sa volonté pour se conformer à celle de son compagnon. Les associés sont dépendants l’un de l’autre.

COMPARAISON.Comparaison n’est pas raison.

On a tort de chercher des preuves dans les comparaisons. Cette manière commune de raisonner est opposée aux principes de la saine logique, car les mêmes circonstances ne se rencontrent jamais dans deux objets.

Toute comparaison cloche.

Toute comparaison offre toujours quelque chose d’irrégulier et d’incomplet.

Toute comparaison est odieuse.

On n’est pas content de se voir placer sur la même ligne que les autres; on veut être mis hors de pair, car l’amour-propre est le grand ennemi de l’égalité. Aussi l’effet ordinaire d’une comparaison qu’on établit entre deux personnes est-il de les blesser toutes deux; chacune d’elles trouvant que son mérite est rabaissé, et que celui de l’autre est exagéré.—La Fontaine a très bien dit, à la fin d’une lettre écrite à madame de Bouillon, sœur de madame de Mazarin:

Vous vous aimez en sœurs, cependant j’ai raison

D’éviter la comparaison.

L’or se peut partager, mais non pas la louange.
Le plus grand orateur, quand ce serait un ange,
Ne contenterait pas, en semblables desseins,
Deux belles, deux héros, deux auteurs ou deux saints.

CONNAITRE.Connais-toi toi-même.

Cette sentence de Chilon était écrite en lettres d’or dans le temple de Delphes. Les anciens la trouvaient si admirable, qu’ils ne pouvaient croire qu’un homme en fût l’auteur; et ils l’attribuaient à la divinité même.

«Se connaître, dit Charron, est la première chose que nous enjoint la raison; c’est le fondement de la sagesse. Dieu, nature, les sages et tout le monde prêche l’homme à se connaître. Qui ne connaît ses défauts ne se soucie de les amender; qui ignore ses nécessités, ne se soucie d’y pourvoir; qui ne sent pas son mal et sa misère, n’avise point aux réparations et ne court point aux remèdes.»—Il n’y a donc rien de plus important et de plus nécessaire que la connaissance de soi-même. Qui se connaît, connaît aussi les autres; car chaque homme, comme le remarque Montaigne, porte la forme entière de l’humaine condition.

CONSEIL.La nuit porte conseil.

Ce proverbe, pris du latin, in nocte consilium, signifie qu’il y a du danger à suivre son premier mouvement, qu’il faut réfléchir à une affaire avant de l’entreprendre, et qu’il est utile de mettre l’intervalle d’une nuit entre le projet et l’exécution, ou, comme on dit encore, de consulter l’oreiller.

Les Arabes disent: Confiez-vous aux réflexions du lendemain.

Écoute les conseils de tous et prends celui qui te convient.

Écoute les conseils de tous, parce que l’ignorant même peut en donner un bon. Prends celui qui te convient, parce que tu dois seul en éprouver les effets, et que les conseilleurs, comme on dit, ne sont pas les payeurs.

Un proverbe grec recommande de choisir un conseil entre mille. L’Ecclésiastique (ch. VI, v. 6) fait la même recommandation.

CONTENTEMENT.Contentement passe richesse.

Une vie tranquille vaut mieux que de grands biens.—Les Latins disaient: La pauvreté que la joie accompagne est un trésor.

Paupertas, cum læta venit, ditissima res est.

CONTE.Contes de ma mère l’oie.

Contes niais, ridicules.—Cette expression est prise d’un ancien fabliau, dans lequel une mère oie est représentée instruisant de petits oisons, et leur faisant des contes dignes d’elle et d’eux. Ils l’écoutent si attentivement, qu’ils semblent absorbés dans la situation qu’elle leur peint, et bridés par l’intérêt qu’elle leur inspire. (Bibliothèque des romans.)

Faire des contes bleus.

C’est faire des contes frivoles, sans vraisemblance, comme ceux de la Bibliothèque bleue, ainsi appelée parce que les petits livres qui la composent ont des couvertures de papier bleu, et sont même quelquefois imprimés sur papier bleu. Cette bibliothèque, très connue dans les campagnes, sortit des presses de Jean Oudot, imprimeur à Troyes en Champagne, vers la fin du seizième siècle. Les almanachs de Pierre l’Arrivey, autre imprimeur de cette ville, sont regardés comme faisant partie de la Bibliothèque bleue.

On dit aussi dans le même sens: Faire des contes jaunes, parce que la couleur des couvertures et du papier desdits livres était quelquefois jaune.

COQ.Le coq de la paroisse.

Au propre, c’est le coq qui est placé sur la flèche d’un clocher, comme emblème de la vigilance chrétienne; au figuré, c’est l’homme qui, dans un village, est au-dessus des autres par la fortune, ou par quelque charge, ou par la considération dont il jouit.

Coq de paroisse, s’est dit autrefois dans une acception injurieuse, comme l’atteste cette phrase qu’on lit dans des lettres de rémission de l’an 1467: «Icelluy Godefroy dist au suppliant: Vous estes un très mauvais homme et n’estes que ung pilleur de gens, et estes droictement ung coq de paroisse

On appelle aussi le coq de la paroisse ou le coq du village, un galant qui courtise toutes les belles du lieu.

Être comme un coq en pâte.

C’est être dans son lit bien chaudement, enveloppé de couvertures et d’oreillers, comme un coq-faisan dans un pâté d’où l’on ne voit sortir que sa tête par une ouverture de la croûte de dessus.—Cette expression signifie aussi: avoir tout à souhait dans un lieu.

COQ-À-L’ÂNE.Faire des coq-à-l’âne.

C’est dire des choses sans suite et sans liaison, comme ferait un discoureur qui, par un brusque changement de propos, passerait du coq à l’âne.—Ménage prétend que Marot a inventé le terme de coq-à-l’âne, en intitulant ainsi une de ses épîtres. Mais on voit dans l’Art poétique françois, de Thomas Sibilet, contemporain de Marot, que nos anciens poëtes appelaient coc-à-l’asne certaine espèce de satire, pour la variété des non-cohérents propos que les François expriment par le proverbe du SAULT DU COQ A L’ASNE.

Il y a une fable très ancienne dans laquelle figure un coq raisonnant avec un âne. Comme le dialogue, dans cette pièce burlesque, n’a pas le sens commun, il est probable que c’est à cause de cela qu’on a désigné un raisonnement absurde par le mot composé coq-à-l’âne, et qu’on a dit faire des coq-à-l’âne et sauter du coq à l’âne.

Il y a parmi les chansons de Collé un coq-à-l’âne en proverbes, dont voici le premier couplet:

Trop parler nuit,
Trop gratter cuit,

Trop manger n’est pas sage.

A barbon gris
Jeune souris.

L’amour est de tout âge.

Enfants d’Paris, quel temps fait-il?
Il pleut là bas, il neige ici.

Pendant la nuit
Tous chats sont gris.

Pour faire route sûre,

Si l’amour va
Cahin-caha,

Ménage ta monture.

COQUECIGRUE.A la venue des coquecigrues.

C’est-à-dire jamais.—Coquecigrue, dans ce proverbe, désigne un oiseau fabuleux dont le nom, suivant quelques auteurs, est composé des trois mots coq, cygne, grue, et suivant Huet, est dérivé de Néphélococcygie, ville imaginaire qu’Aristophane fait bâtir en l’air par des oiseaux. Il y en a qui prétendent que la coquecigrue est l’oiseau aquatique appelé clyster chez les anciens et révéré des apothicaires, parce qu’il passait pour leur avoir révélé l’art de donner des lavements.—On dit d’une personne qui raisonne de travers, qu’elle raisonne comme une coquecigrue; et d’une personne qui conte des choses incroyables, ridicules, extravagantes, qu’elle conte des coquecigrues.

Le poëte Saint-Amand, pour exprimer qu’un auteur se livre aux caprices de son imagination, dit en deux jolis vers qu’il se plaît à lancer:

Dans les champs de l’azur, sur le parvis des nues,
Son esprit à cheval sur des coquecigrues.

COQUELUCHE.Être la coqueluche de quelqu’un.

C’est être l’objet de ses préférences, de son admiration, l’objet dont il raffole, l’objet dont il est coiffé, comme on dit. Cette façon de parler fait allusion à la coqueluche, espèce de bonnet autrefois fort à la mode, dont les dames se paraient.

Mézerai rapporte qu’il y eut en France, sous Charles VI, en 1414, un étrange rhume qu’on nomma coqueluche, lequel tourmenta toute sorte de personnes et leur rendit la voix si enrouée, que le barreau et les colléges en furent muets. Le même rhume reparut en 1510, sous le règne de Louis XII.—Valériola, dans l’appendice de ses Lieux communs, prétend que le nom donné à cette épidémie fut imaginé par le peuple, parce que ceux qui en étaient atteints portaient une coqueluche ou capuchon pour se tenir chaudement. Ménage et Monet sont du même avis. Cependant le médecin Lebon a écrit que cette maladie fut appelée coqueluche à cause du coquelicot dont on faisait un looch pour la guérir.

La Bruyère disait de Benserade, représenté dans le Livre des Caractères sous le nom de Théobalde, qu’il était la coqueluche des femmes; que lorsqu’il racontait quelque chose qu’elles n’avaient pas entendu, elles ne manquaient pas de s’écrier: Voilà qui est divin! qu’est-ce qu’il a dit?

Benserade, bel-esprit fieffé, débitait peut-être à ces dames des galanteries dans le genre de celles qu’il a mises dans sa tragédie de la Mort d’Achille, où ce héros, charmé de l’aveu de l’amour de Polyxène, lui exprime ainsi son ivresse:

Ah! je me vois si haut en cet amour ardent
Que je ne puis aller au ciel qu’en descendant!

COQUILLE.A qui vendez-vous vos coquilles? à ceux qui reviennent du Mont-Saint-Michel?

Cela se dit à quelqu’un qui a la prétention de passer pour habile devant de plus habiles que lui, ou qui a le dessein d’en tromper d’autres par des finesses et des ruses dont ils ne peuvent être dupes.—Le Mont-Saint-Michel, en Normandie, est un rocher au milieu d’une grande grève que la mer couvre de son reflux. Il fut autrefois un lieu de pèlerinage très renommé, et les pèlerins en revenaient toujours munis de coquilles qu’ils avaient ramassées sur la grève.

CORBEAU.De mauvais corbeau mauvais œuf.

On donne pour fondement à ce proverbe une aventure plaisante de Corax le Syracusain. Cet homme, qui a été regardé comme l’inventeur de la rhétorique, parce qu’il fut le premier qui en traça par écrit certaines règles, avait mis à prix l’enseignement de son art qu’il fesait consister principalement dans l’emploi d’une argumentation captieuse et sophistique. Un jeune Sicilien, nommé Tisias, se fît recevoir dans son école, jaloux d’étudier ces subtilités oratoires au développement desquelles il consacra, dans la suite, un ouvrage didactique plus étendu que celui de Corax. Il compta, en y entrant, une certaine somme, et promit d’en remettre une autre après avoir gagné la première affaire qu’il aurait à plaider. Cependant, lorsque ses études furent terminées, au lieu d’aviser aux moyens d’accomplir sa promesse, il affecta de ne se charger d’aucun procès. Le maître, alors, pensant que la conduite de l’élève était un parti pris d’éluder le paiement, le cita en justice, et l’attaqua par ce dilemme où il avait ramassé toute la cause: «Jeune homme, tu n’es pas moins insensé qu’ingrat de vouloir retenir mon salaire, car tu ne saurais y réussir, soit que tu gagnes, soit que tu perdes: vainqueur, tu paieras en vertu de notre convention, et vaincu, tu paieras encore par arrêt du tribunal.»

Un pareil argument semblait sans réplique; mais le rusé Tisias avait réponse à tout; il le rétorqua de cette manière: «Sage maître, vous vous trompez. Il est évident que je ne serai obligé de payer dans aucun cas, puisque, si je perds, la dette n’existera point d’après notre accord, et, si je gagne, elle sera annulée par le jugement.» A ces mots, la foule des curieux, que la renommée des deux plaideurs avait attirés à l’audience, se récrièrent d’admiration, et les juges, n’osant pas résoudre une question qui leur présentait un véritable apore[31], prononcèrent pour toute sentence, Κακου Κόρακος Κακὀν ῶον, de mauvais corbeau, mauvais œuf, par allusion au nom de Corax qui, en grec, veut dire corbeau, peut-être aussi à celui de Tisias signifiant qui paie ou qui punit; et ces paroles passèrent, dit-on, en proverbe. Le proverbe était connu avant cette circonstance, et les juges n’en firent que l’application. Il doit son origine à une antique erreur populaire qu’Élien a prise pour une vérité. «Le corbeau, dit cet auteur, dans son Histoire des animaux, est dévoré par ses petits lorsque la vieillesse l’empêche de pourvoir à leur subsistance, et c’est à cause de cet acte de voracité qu’on a dit: De mauvais corbeau mauvais œuf, pour signifier des vices héréditaires.»

Les corbeaux ne crèvent pas les yeux aux corbeaux.

Les gens de la même espèce ne se nuisent pas entre eux.

On prétend que les corbeaux, qui vont toujours droit aux yeux de leur proie, respectent les yeux des corbeaux avec lesquels ils viennent à se battre, et même que lorsqu’un de ces oiseaux perd la vue, de quelque manière que ce soit, il devient un objet de commisération pour les autres qui prennent soin de le nourrir. Telle est l’opinion populaire sur laquelle le proverbe a été fondé. Ajoutons que ce proverbe est fort ancien en France. Grégoire de Tours nous apprend que le roi Chilpéric s’en servait pour reprocher aux évêques leur partialité en faveur des Pépins qui avaient su gagner le clergé par de grandes largesses. L’application, en ce cas, était d’autant plus naturelle que les Pépins avaient occupé eux-mêmes les premières places de l’Église, et que les ecclésiastiques avaient été déjà désignés par le sobriquet de corbeaux, à cause de leurs robes noires, et peut-être de leur rapacité.

CORDE.Gens de sac et de corde.

On place l’origine de cette expression sous le règne de Charles VI, marqué par plusieurs séditions populaires; les agents de l’autorité s’emparaient secrètement des principaux factieux, les enfermaient dans des sacs liés par le haut avec une corde, et allaient les précipiter dans la Seine, pendant la nuit, sous le Pont-au-Change, ou bien hors de la ville, au-dessus des Célestins, devant la tour de Billy.—Ce supplice fut renouvelé, sous Louis XI, contre les criminels de lèse-majesté qu’on jetait dans la Loire, enfermés dans un sac qui portait cette inscription: Laissez passer la justice du roi.

De semblables exécutions avaient été en usage chez les Grecs. Platon, poëte comique, qui vivait un siècle après le philosophe du même nom, fut cousu dans un sac et jeté à la mer.

Le parricide, chez les Romains, était noyé dans un sac où l’on enfermait avec lui un chien, un coq, une vipère et un singe. (Voy. le discours de Cicéron: pro Roscio Amerino.)

Dans l’Histoire de la sultane de Perse et des visirs, contes turcs, composés au XVe siècle, par Chec-Zade, précepteur d’Amurat II, on voit une marâtre qui fait mettre dans un sac et précipiter dans la mer le fils de son mari.

Quelques auteurs assignent une autre origine à l’expression proverbiale: avant le règne de Charles VI, disent-ils, on appelait sacards ou gens de sac de bonnes gens qui, en temps de peste, allaient, vêtus d’un sac, mettre les morts en terre. Comme ils se relâchèrent de leur probité et dérobèrent ce qui leur venait sous la main dans les maisons où ils entraient, la dénomination par laquelle ils étaient désignés se prit en mauvaise part et fut accolée à celle de gens de corde, pour n’en faire qu’une avec elle.

J’aime mieux croire que l’expression Gens de sac et de corde, dont on fait l’application à de mauvais garnements qui ne méritent pas moins d’être noyés que d’être pendus, est née tout naturellement d’une double allusion aux anciens supplices du sac et de la corde.

Filer sa corde.

Se conduire de manière à être pendu.—Les Italiens disent: Faire comme l’araignée qui travaille à se pendre.

Charpentier, ennemi déclaré de Furetière, tira contre lui de ce proverbe une devise fort piquante qui avait pour corps une araignée suspendue à son fil, et pour ame ces mots: Lavora per impiccarsi, avec les vers suivants:

Je ne vis que de saleté,
Je ne me plais que dans l’ordure,
Je suis l’horreur de la nature,
Et fais un ouvrage empesté.
Les dieux, dont je souille l’image
Avec mon seul attouchement,
M’ordonnent, pour mon châtiment,
De me pendre à mon propre ouvrage.

CORDELIERS.Il ne faut pas parler latin devant les cordeliers.

Il ne faut point raisonner sur une matière devant ceux qui la connaissent parfaitement. Les cordeliers avaient la réputation d’être très bons latinistes, et cela leur valut l’honneur de figurer dans ce proverbe, synonyme de cet autre plus ancien: Il ne faut point parler latin devant les clercs.

Les Espagnols disent: En casa del Moro no hables algarabia, ne parle point arabe dans la maison d’un Maure.

Faire tout à rebours comme les cordeliers d’Antibes.

Cette comparaison proverbiale, dont on se sert en quelques endroits de la Provence et du Languedoc pour marquer une sotte maladresse, doit son origine à un fait qui peut fournir une nouvelle preuve à l’opinion de ceux qui regardent certaines pratiques de l’ancienne fête des Innocents comme dérivées des saturnales. «Lorsque cette fête se célébrait dans le couvent des cordeliers d’Antibes, les frères coupe-choux et les marmitons occupaient la place des pères, et, revêtus d’ornements tournés à l’envers, portant au nez des lunettes garnies d’écorce de citron, ils marmottaient confusément quelques mots de prière qu’ils feignaient de lire dans des livres tournés à l’envers.» (Voyageur à Paris, t. II, pag. 21.)

Se confesser comme les cordeliers de Metz.

Cette locution proverbiale a dû son origine à un fait historique que je vais rapporter dans tous ses détails.

Au mois d’octobre 1555, le P. Léonard, gardien d’un couvent de cordeliers à Metz, homme d’un esprit actif et intrigant, qui avait donné de grandes preuves de dévouement aux Français, et qui, à ce titre, avait obtenu d’eux une confiance illimitée, forma le projet de les déposséder de cette ville dont ils s’étaient rendus maîtres trois ans auparavant, et de la livrer, à condition qu’il en serait fait évêque, aux troupes de Charles-Quint cantonnées à Thionville. Il communiqua son plan à la reine douairière de Hongrie, régente des Pays-Bas, et, après avoir reçu l’assurance qu’elle emploierait de son côté tous les moyens propres à le faire réussir, il s’empressa de le mettre à exécution, de concert avec ses religieux séduits par la perspective des honneurs et des richesses dont il avait su flatter leur ambition. On était loin de soupçonner qu’il n’y eût pas un seul honnête homme parmi ces moines. L’estime publique qui les environnait servit de voile à la perfidie de leurs desseins. Ils introduisirent chez eux un certain nombre de soldats impériaux sous le costume ecclésiastique, en les faisant passer pour des confrères qui venaient assister à un chapitre général. Le succès de ce stratagème semblait garantir celui de la conspiration. Elle était déjà à la veille d’éclater, lorsque M. de Villevieille, gouverneur de Metz, reçut avis d’un espion, qu’il entretenait à Thionville, que le commandant de cette place avait admis plusieurs cordeliers à des conférences nocturnes, et qu’il s’occupait mystérieusement des préparatifs de quelque expédition importante. Cette nouvelle fut pour lui un trait de lumière. Il prit à l’instant ses mesures contre toute espèce de surprise, courut visiter le couvent, à la tête de sa garde, et se saisit de tous les traîtres, à l’exception du gardien, qui fut arrêté bientôt après en revenant de Thionville où il était allé mettre la dernière main à son ouvrage. Cet aventurier, réduit par les aveux de quelques-uns de ses complices à l’impossibilité de nier le complot, en révéla les circonstances sans attendre la torture. Il déclara que la nuit suivante le feu devait être mis en différents quartiers de la ville, et que, dans le temps où les habitants et la garnison auraient été occupés à l’éteindre, un corps ennemi, arrivé à la faveur de l’ombre, aurait escaladé les remparts, tandis que les soldats auxquels il avait donné asile seraient venus seconder cette entreprise, en attaquant brusquement par derrière tout ce qui s’y serait opposé. La terreur et la confusion produites par des événements si imprévus ne pouvaient manquer de faire réussir le complot. M. de Villevieille ne se contenta point de l’avoir déconcerté, il voulut encore le faire tourner contre les ennemis. Il alla se mettre en embuscade sur le chemin de Thionville, les tailla en pièces pendant qu’ils s’avançaient avec confiance, et revint triomphant à Metz, où il s’occupa de faire instruire le procès des conspirateurs. La crainte de donner un sujet de joie aux ennemis de l’Église fit tenir quelque temps leur sort indécis. Mais enfin Léonard et vingt de ses moines furent condamnés à la peine capitale. On rapporte qu’enfermés dans la même chambre et invités à se préparer à la mort en se confessant les uns aux autres, ces malheureux, au lieu d’employer leur temps à ce dernier devoir, éclatèrent en reproches contre leur gardien, le massacrèrent sur la place, dans un accès de désespoir, et maltraitèrent si fort quatre autres religieux, qu’on fut obligé de les transporter sur une charrette avec le corps mort de Léonard jusqu’au lieu de l’exécution. Cette dispute tragique donna lieu à l’expression proverbiale dont on se sert en parlant des gens qui se battent au lieu de s’expliquer.

CORINTHE.Il n’est pas donné à tous d’aller à Corinthe.

Non homini cuivis contingit adire Corinthum.

Les parémiographes anciens sont partagés en deux avis sur l’origine de ce proverbe: les uns le font venir de ce que le port de Corinthe était d’un abord difficile pour les vaisseaux qui y fesaient quelquefois naufrage; les autres, et c’est le plus grand nombre, le regardent comme une allusion à la conduite d’une célèbre courtisanne de cette ville, Laïs, qui mettait la jouissance de ses charmes à un prix excessif; ce qui fit dire à Démosthène: Je n’achète pas si cher un repentir; mot qui fait plus d’honneur à la parcimonie qu’à la continence de cet orateur.

CORNES.Porter des cornes.

Dans la haute antiquité, les cornes étaient un symbole de la dignité et de la puissance. On représentait Jupiter-Ammon, Sérapis, Isis et Astarté avec des cornes; on en plaçait une belle paire sur le front du dieu Pan, qui passait pour l’inventeur de l’ordre des batailles et de l’arrangement des armées en deux lignes formées l’une à la droite et l’autre à la gauche du centre; d’où vint l’expression latine cornua exercitus (les cornes de l’armée) que nous rendons par les ailes de l’armée. Bacchus était ainsi figuré cornu, soit parce que les premiers vases dont on se servit pour boire furent des cornes de bœuf, comme le remarque Diodore de Sicile (t. I, liv. III), soit à cause de la vertu du vin qui donne de la vigueur aux faibles et de l’audace aux poltrons. Et pour exprimer cet effet du vin, on disait poétiquement qu’il prêtait des cornes aux buveurs. De là ces vers d’Horace dans l’ode à son amphore:

Tu spem reducis mentibus anxiis,
Viresque, et
addis cornua pauperi.

Ce qu’Ovide (de Arte amandi, lib. I) a imité ainsi:

Tunc veniunt risus, tunc pauper cornua sumit.

Apollon et Diane avaient quelques autels qui étaient construits de cornes entrelacées, et Martial (de Spectac., epig. 15) parle d’un de ces autels comme d’une merveille. Mais les cornes n’étaient pas des attributs exclusivement consacrés aux dieux; elles servaient d’insignes à plusieurs héros. Les rois de Macédoine portaient des cornes de bélier à leur casque. Suivant Clément d’Alexandrie, Alexandre-le-Grand ne quitta jamais cette marque de distinction; et de là vint le nom d’Alexandre aux deux cornes, Zou cornaïn, que lui donne Mahomet dans le Coran (ch. 18). Enfin les cornes sont, dans la Bible même, des symboles sacrés; et les images qui nous retracent Moïse au sortir de son entrevue avec l’Éternel sur le mont Sinaï, nous présentent le front de ce législateur décoré de cornes. Cornutam Moysi faciem, dit la Vulgate. Il est vrai pourtant que les interprètes entendent par ces cornes des croissants de feu.

N’est-il pas étrange qu’après avoir employé les cornes à des usages si respectables, on en ait fait, dans la suite, le ridicule et odieux ornement de la tête des maris trompés? Quelle peut être la raison de cela? Cette raison, on la trouve dans les habitudes du bouc qui supporte tranquillement la rivalité d’un autre bouc, sans le regarder même de travers, quoique Virgile ait dit, pour un cas extraordinaire, à la vérité: Transversa tuentibus hircis. Il est certain que les Grecs désignaient sous le nom de bouc, άϊξ, l’époux d’une femme lascive comme une chèvre, et qu’ils appelaient fils de chèvre les enfants illégitimes. L’expression Planter des cornes à quelqu’un leur fut même connue, car elle est dans ces mots Κἕρατα αυτὧ ποιηϚαι, dont Artémidore s’est servi en son Traité des songes (liv. II, ch. 12), où il dit que rêver de cornes est un fâcheux pronostic pour un mari. Nous apprenons en outre de l’historien Nicetas que l’empereur Andronic voulant reprocher aux habitants de Constantinople l’inconduite de leurs femmes, fesait dresser sur les principales places de cette ville les plus beaux bois de cerf qu’il pouvait se procurer.

Les Romains attachaient aussi aux cornes une signification pareille. Ils avaient l’expression Vulcanus corneus, qui répond exactement à notre mari encornaillé; et c’est à quoi Plaute a voulu sans doute faire allusion par un jeu de mots lorsque, employant corne pour lanterne, il a dit dans son Amphitryon (act. I, sc. 1): Quo ambulas, tu qui Vulcanum in cornu conclusum geris? où vas-tu, toi qui portes Vulcain enfermé dans une corne?

Je puis citer encore ce vers d’Ovide:

Atque maritorum capiti non cornua desunt.

En Italie, on donne à l’époux d’une femme infidèle le sobriquet de becco (bouc), que Molière a francisé dans ces vers de l’École des Femmes (act. IV, sc. 6):

Et sans doute il faut bien qu’à ce becque cornu
Du trait qu’elle a joué quelque jour soit venu.

Voltaire a prétendu à tort que les cornes métaphoriques sont venues des cornettes, espèce de coiffure dont les dames se paraient au XVe siècle, et dont je parlerai dans un article particulier. Longtemps avant l’introduction de cette coiffure, les expressions cornard, cornu et porteur de cornes avaient été employées comme synonymes de sot, dans le sens qu’a ce mot d’après le vieux proverbe, Qui demeure trop à se marier, il s’avance d’être sot, et d’après ce vers d’une de nos comédies,

Épouser une sotte est pour n’être point sot.

Elles se trouvent chez plusieurs poëtes de la langue romane, parmi lesquels je citerai les troubadours Bertrand de Ventadour, Pierre d’Auvergne et Guillaume de Bergedan. D’ailleurs, ce fut anciennement en France un malicieux usage de railler les maris nés, comme on dit, sous le signe du Capricorne, en arborant des cornes à leur porte, la veille de la fête de saint Jean qu’on leur donnait pour patron, à cause de l’homonymie de ce saint avec Jan ou Janus, à qui sa double tête avait fait attribuer le même ministère. A Paris, on poussait plus loin l’avanie. L’homme convaincu de s’être laissé déshonorer par sa femme, était condamné à mettre un grand bonnet à cornes, et à parcourir les rues sur un âne, la tête tournée vers la queue qu’il tenait à la main, tandis que cette femme menait l’animal par la bride, et qu’un crieur public répétait à haute et intelligible voix: On en fera autant à celui qui le sera. Une semblable coutume était établie aussi en Catalogne; mais pendant la promenade que le patient fesait à pied, il était fouetté par son infidèle, laquelle l’était en même temps par le bourreau, et, après cela, il était obligé de payer l’amende. Ces folles punitions n’auraient-elles pas eu pour principe cette observation assez juste que les déréglements des femmes proviennent, en très grande partie, des torts des maris?

Les Espagnols comparent le mari résigné qui ferme les yeux sur l’inconduite de sa femme, à l’escargot qui, pour se délivrer d’inquiétude, échangea ses yeux pour des cornes.

El caracol, por quitar de enojos,
Por los cuernos troco los ojos.

Ce proverbe fort original, dont on se sert aussi dans le midi de la France, est fondé sur une tradition populaire qui dit que l’escargot, qu’on suppose aveugle, fut créé avec de bons yeux, mais qu’étant sans cesse exposé à les avoir blessés en rampant sur la terre, il pria le bon Dieu de les lui ôter, et de les remplacer par des cornes, dont il espérait retirer plus d’avantage: ce qui lui fut accordé.

J’ai entendu chanter dans un village du département de l’Aveyron une vieille chanson patoise qui rappelle cette singulière tradition, et qui se termine par un couplet piquant dont je vais reproduire l’idée, à défaut des paroles que j’ai oubliées:

Celui que le guignon fit naître
Sous le signe ingrat du bélier,
Se tourmente pour mieux connaître
Ce qu’il ferait bien d’oublier.
Eh! qu’espère-t-il que souffrance
D’une ombrageuse vigilance
Qui doit lui prouver qu’il est sot?
Veut-il fuir des chagrins sans bornes?
Qu’il change ses yeux pour des cornes,
A l’exemple de l’escargot.

On emploie le nom de cornélius pour synonyme de cornard, comme on le voit dans ce vers du Sganarelle de Molière (sc. 6):

Et l’on va m’appeler seigneur cornélius.

L’évêque de Belley disait à un mari qui se plaignait hautement: «Taisez-vous donc; il vaut mieux être Cornelius Tacitus que Publius Cornelius

CORNEILLE.Y aller de cul et de tête, comme une corneille qui abat des noix.

C’est se donner beaucoup de mouvement pour venir à bout de quelque chose.

La corneille est très friande d’une espèce de noix fort grosse que Rabelais appelle noix grollière, terme dérivé de grolle (ou graille), nom qu’on donnait autrefois à cet oiseau, et que les naturalistes donnent aujourd’hui au freux, autre oiseau de semblable espèce. La corneille préfère cette noix à toutes les autres, parce que la coque en est moins dure; et lorsqu’elle se sent excitée par la faim, elle s’envole sur un noyer, s’accroche du bec et des griffes à quelque branche, et l’agite aussi fortement qu’elle peut pour en abattre le fruit qui, s’entr’ouvrant dans la chute, lui offre un aliment plus facile à extraire de l’enveloppe où il est contenu.

En quelques endroits, on donne métaphoriquement le nom de corneille à l’homme chargé d’abattre les noix, parce qu’il ressemble à la corneille par l’agitation qu’il se donne et par la couleur d’un mauvais vêtement dont il s’affuble d’ordinaire, à cause des taches que font les écales.

Bayer aux corneilles.

S’amuser à regarder en l’air niaisement, et par extension, faire le badaud.—Bayer ou béer signifie ici regarder bouche béante: état qui est naturel au badaud, et qui est nécessaire d’ailleurs pour sa respiration, lorsqu’il lève la tête en haut afin de contempler le vol élevé des corneilles.

CORNETTE.Porter la cornette.

On disait autrefois d’un homme qu’il portait la cornette lorsque sa femme portait la culotte; mais aujourd’hui cette expression ne désigne plus un mari en puissance de femme, vir uxorius, comme disaient les Latins; elle s’emploie dans le même sens que porter des cornes.

La cornette, ou le hennin, était une espèce de bonnet à deux cornes très élevées, dont l’introduction fut due à Isabeau de Bavière. Toutes les dames s’empressèrent de l’adopter, et c’était à qui aurait les hennins les plus riches, les cornes les plus élevées. De ces cornes descendaient en flottant sur les épaules des crêpes, des franges et d’autres ornements. Comme une pareille coiffure coûtait fort cher, les maris s’en plaignirent beaucoup. Les confesseurs, surtout les moines, se réunirent à eux, et la traitèrent d’invention diabolique. Un carme nommé Connéette l’anathématisa par dix-sept sermons qu’il prêcha à Lille, vers l’année 1427, et il engagea les jeunes gens à parcourir les rues avec des crochets pour abattre les hennins et les jeter dans la boue. Un autre carme, peut-être le même, fit de semblables prédications à Paris. Mais son éloquence fut impuissante contre la mode, qui ne parut s’arrêter un moment que pour reprendre de nouvelles forces. «Après son département, dit Paradin, les femmes relevèrent leurs cornes, et firent comme les limaçons, lesquels, quand ils entendent quelque bruit, retirent et resserrent tout bellement leurs cornes; ensuite, le bruit passé, ils les relèvent plus grandes que devant. Ainsi firent les dames, car les hennins ne furent jamais plus grands, plus pompeux et plus superbes, qu’après le département du carme.»

CORPS-SAINT.Enlever quelqu’un comme un corps-saint.

C’est l’enlever promptement, de vive force, sans qu’il ait le temps ni le moyen de résister.

Corps-saint n’est point, comme l’ont cru plusieurs étymologistes, une corruption de corsin ou cahorsain, double nom d’usuriers italiens, qui appartenaient, dit-on, à la famille des Corsini, célèbres marchands de Florence, et qui s’étaient établis à Cahors, lesquels, étant venus à Paris, furent enlevés, dans une nuit, par ordre de l’autorité supérieure. Le mot est écrit ainsi qu’il doit l’être, et désigne réellement le corps d’un saint. Rien n’était plus commun, au moyen âge, que l’enlèvement d’une telle relique fort précieuse pour les bourgs et villes qui en avaient la possession, à cause de la nombreuse affluence de fidèles et de pèlerins qu’elle y attirait. Cet enlèvement était considéré comme une œuvre pie par ceux qui le fesaient, et ils y employaient beaucoup d’adresse, de promptitude et quelquefois de violence, pour mettre en défaut la vigilance des légitimes propriétaires. L’historien d’Abbeville dit: «Le grand nombre de corps saints que renferme l’abbaye de Sainte-Saulve, de Montreuil, n’est-il pas un témoignage de la cupidité des comtes de Flandre? Ces corps saints n’ont-ils pas été tous volés? Le nez de saint Wilbrod ne provient-il pas du prieuré de Wetz, en Hollande? le nombril de saint Adhelme, d’un monastère normand?»

COTEAU.Être de l’ordre des coteaux.

Cette expression fut très usitée dans le XVIIe siècle pour désigner de fins gourmets qu’on appelait chevaliers de l’ordre des coteaux, ou tout simplement coteaux.

Ces hommes admirables,

Ces petits délicats, ces vrais amis de tables
Et qu’on en peut nommer les dignes souverains,
Savent tous les coteaux où croissent les bon vins;
Et leur goût leur ayant acquis cette science,
Du grand nom de coteaux on les appelle en France.

(De Villiers, coméd. des Coteaux, ou marquis friands.)

«Le dîner de M. Valavoir effaça entièrement le nôtre, non par la quantité des viandes, mais par l’extrême délicatesse qui a surpassé celle de tous nos coteaux.» (Madame de Sévigné, lettre 124.)

«Il y a des grands qui se laissent appauvrir et maîtriser par des intendants, et qui se contentent d’être gourmets ou coteaux.» (La Bruyère.)

Certain hâbleur à la gueule affamée,

Qui vint à ce festin, conduit par la fumée,
Et qui s’est dit profès dans l’ordre des coteaux,
A fait, en bien mangeant, l’éloge des morceaux.

(Boileau, sat. 3.)

Des Maizeaux, auteur de la Vie de Saint-Évremond, a observé que Boileau, le père Bouhours et Ménage, ont rapporté inexactement l’origine des coteaux, et il a donné l’explication suivante qu’il tenait de son héros, et qu’on doit regarder comme la meilleure. «M. de Saint-Evremond, dit-il, se rendit fameux par son raffinement sur la bonne chère. Mais dans la bonne chère on cherchait moins la somptuosité et la magnificence que la délicatesse et la propreté. Tels étaient les repas du commandeur de Souvré, du comte d’Olonne, et de quelques autres seigneurs qui tenaient table. Il y avait entre eux une espèce d’émulation à qui ferait paraître un goût plus fin et plus délicat. M. de Lavardin, évêque du Mans, et cordon-bleu, s’était mis aussi sur les rangs. Un jour que M. de Saint-Evremond mangeait chez lui, cet évêque se prit à le railler sur sa délicatesse et sur celle du comte d’Olonne et du marquis de Bois-Dauphin.—Ces messieurs, dit le prélat, outrent tout, à force de vouloir raffiner sur tout. Ils ne sauraient manger que du veau de rivière, il fout que leurs perdrix viennent d’Auvergne, que leurs lapins soient de la Roche-Guyon ou de Versine. Ils ne sont pas moins délicats sur le fruit; et pour le vin, ils n’en sauraient boire que des trois coteaux d’Aï, de Haut-Villiers et d’Avenay.... M. de Saint-Évremond ne manqua pas de faire part à ses amis de cette conversation, et ils répétèrent si souvent ce qu’il avait dit des coteaux, et en plaisantèrent en tant d’occasions, qu’on les appela les trois coteaux

COUCOU.Avaler comme un coucou.

Le coucou est un nourrisson insatiable et qui le paraît d’autant plus, que de petits oiseaux, tels que le rouge-gorge, la fauvette, le chantre et le troglodite, dans les nids desquels il éclot, ont de la peine à fournir de la subsistance à un hôte d’une si grande dépense, surtout lorsqu’ils ont en même temps une famille à nourrir, comme cela arrive quelquefois. De là l’expression Avaler comme un coucou.

Maigre comme un coucou.

Le coucou est très maigre au printemps, et c’est alors seulement que cette façon de parler a sa juste application, car, en automne, il devient excessivement gras, et fournit un assez bon mets aux amateurs.

Ingrat comme un coucou.

Des auteurs soupçonnent, dit Gueneau de Montbeillard, que le coucou, après avoir déposé son œuf dans le nid de la fauvette, y revient quand cet œuf est éclos, et chasse ou mange les enfants de la maison pour mettre le sien plus à son aise. D’autres veulent que ce soit celui-ci qui en fasse sa proie, ou du moins qui les rende victimes de sa voracité, en s’appropriant les subsistances que peut fournir la pourvoyeuse commune. D’autres encore supposent que cet intrus, honteux de l’être, s’envole dès qu’il peut remuer les ailes à la recherche de la véritable mère, et qu’avant de prendre son essor, le nourrisson dévore sa nourrice qui lui a donné jusqu’à son propre sang, en tuant et en lui faisant manger jusqu’à ses propres petits. Tous ces crimes, dont plusieurs sont physiquement impossibles, ont excité l’indignation de Mélanchton, qui a écrit une belle harangue contre le coucou. Il n’en fallait pas tant pour faire de cet oiseau un archétype d’ingratitude, et donner lieu au proverbe, qui est peut-être né en Allemagne où il est beaucoup plus usité qu’en France. Undankbar wie der Kuckuck.

COUDE.Lever le coude.

C’est-à-dire boire.

On dit aussi Plier le coude. L’expression se trouve dans les Serrées de Bouchet, et dans un vieux almanach qui indique les jours où il est bon de bien plier le coude.

Pour vous exhorter encore plus, disait Franklin, dans votre piété et votre reconnaissance envers la providence divine, réfléchissez, mes amis, sur la situation qu’elle a donnée au coude. Si le coude avait été placé près de la main, ou près de l’épaule, le verre aurait toujours été porté bien au delà de la bouche, et nous aurions été tantalisés. Mais nous voilà en état de boire à notre aise, le verre venant justement à la bouche. Adorons donc, le verre à la main, cette sagesse bienveillante; adorons et buvons!

Le mal de l’œil, il faut le panser avec le coude.

Il n’est guère possible de porter le coude à l’œil. De là ce proverbe qui s’explique par cet autre: Qui veut guérir ses yeux, doit s’attacher les mains.

COURTAUD.Courtaud de boutique.

On appelle ainsi un commis marchand, et l’on croit que ce nom est venu de ce qu’autrefois les garçons de boutique, ainsi que les artisans, portaient des habits à taille courte, tandis que les gens considérables n’en portaient qu’à longue taille. Mercier, dans sa Néologie, prétend qu’il a été formé de deux mots que le maître marchand dit au garçon, en l’envoyant sur les traces du chaland qui se retire sans acheter parce qu’on a surfait: Cours tôt, c’est-à-dire cours vite après lui.

COURTISAN.Un courtisan doit être sans humeur et sans honneur.

C’est ainsi que le duc d’Orléans, régent de France, a défini le parfait courtisan. Ce mot spirituel, qui a mérité les honneurs du proverbe, pourrait bien lui avoir été inspiré par le souvenir d’un passage de Sénèque, où il est dit qu’un homme qui avait vieilli au service des rois répondit à quelqu’un qui lui demandait comment, à la cour, il avait pu parvenir, contre l’ordinaire, à un âge aussi avancé: C’est en recevant des outrages, et en remerciant.

Un autre courtisan disait: Ne se brouille pas avec moi qui veut.

Henri Estienne (Dialogue du langage françois italianisé) donne cette recette curieuse pour devenir vrai courtisan: «Prenez trois livres d’impudence, mais de la plus fine, qui croît en un rocher qu’on nomme front d’airain, deux livres d’hypocrisie, une livre de dissimulation, trois livres de la science de flatter, deux livres de bonne mine; le tout cuit au jus de bonne grâce, par l’espace d’un jour et d’une nuit, afin que les drogues se puissent bien incorporer ensemble: après, il faut passer cette décoction par une étamine de large conscience; puis, quand elle est refroidie, y mettre six cuillerées d’eau de patience, et trois d’eau de bonne espérance. Voilà un breuvage souverain pour devenir vrai courtisan, en toute perfection de courtisanisme.»

CRAMOISI.Sot en cramoisi.

C’est un sot de la première espèce, et dont la sottise ne s’effacera jamais. Rien n’est plus durable que le cramoisi, qui est moins une couleur particulière que la perfection de quelque couleur que ce soit; et de là vient, comme l’a remarqué Le Duchat, qu’on dit rouge-cramoisi, violet-cramoisi[32]. On lit dans Rabelais (liv. V, ch. 46): Rimer en cramoisi, c’est-à-dire faire des vers aussi excellents dans leur genre que l’est le cramoisi en fait de couleur.—Aujourd’hui l’expression en cramoisi ne s’adapte plus guère qu’à un mot pris en mauvaise part, et dont on veut étendre le sens péjoratif. Il en est de même en italien: Poltrone in cremisino signifie poltron au suprême degré.

Le mot cramoisi vient du mot arabe kermès passé dans notre langue, où il désigne en général la couleur rouge et l’insecte qui la produit. Le peuple dit kermoisi, et il est à observer que le peuple a conservé la prononciation primitive qui est la plus conforme à l’étymologie. On attribue à ce pauvre peuple bien des fautes qui n’en sont point réellement, afin de cacher celles des réformateurs grammairiens.

CRACOVIE.Avoir ses lettres de Cracovie.

Les lettres de Cracovie, ainsi nommées par allusion au verbe craquer (mentir), sont des brevets qu’on expédie aux grands hâbleurs. Avoir ses lettres de Cracovie, signifie donc être reconnu et proclamé menteur.

Il y avait autrefois au jardin du Palais-Royal, d’autres disent au jardin du Luxembourg, un arbre qu’on appelait l’arbre de Cracovie, pour la raison que je viens d’indiquer, ou parce que les nouvellistes se réunissaient d’ordinaire sous son ombre, pendant les troubles de Pologne. Le prototype de ces cracovistes était un abbé dont on ignorait le vrai nom, et qu’on désignait par le sobriquet de l’abbé trente mille hommes, attendu qu’avec ce nombre de soldats, ni plus ni moins, il se fesait fort d’exécuter heureusement ses plans de campagne; il eut pour successeur le fameux Métra, bourgeois désœuvré à qui les membres du corps diplomatique envoyaient toutes les nouvelles qu’ils voulaient répandre. Mais celui-ci établit son quartier-général aux Tuileries, sur la terrasse des Feuillants.

CRÉPIN.C’est tout son saint-crépin.

C’est tout son avoir. On dit aussi: Porter tout son saint-crépin;—Perdre tout son saint-crépin. Ces façons de parler populaires sont venues de ce que les garçons cordonniers qui, courant le pays, portent leurs outils dans un sac ou dans une boîte et appellent ce petit bagage saint-crépin, du nom du saint qu’ils ont pris pour patron, parce qu’il fut, dit-on, cordonnier de son vivant, ou bien à cause de l’analogie qu’il y a entre crépin et crepida, bottine, pantoufle, car les avis sont partagés sur ce point.

Offre de saint Crépin.

Cette expression, particulièrement usitée en Dauphiné, a dû son origine à un tableau qu’on voyait autrefois à Grenoble dans une chapelle consacrée à saint Crépin et à saint Crépinian frères martyrs. Saint Crépinian était représenté coupant des souliers, et saint Crépin en tenant une paire pour la donner à un pauvre qui lui demandait la charité. Comme ces souliers ne passaient jamais de la main qui les offrait dans celle qui les attendait, on appella offre de saint Crépin, une offre qui ne se réalise point.

CRITIQUE.La critique est aisée et l’art est difficile.

Joli vers de Destouches, qui a remplacé le proverbe: Il est aisé de reprendre et malaisé de faire mieux. Mais c’est à tort qu’on croit réfuter la critique en citant ce vers; car de ce que la critique est aisée, il ne s’ensuit pas qu’elle soit fausse.

CROCHET.Aller aux congres sans crochet.

C’est entreprendre une affaire sans avoir les moyens de l’exécuter. Les congres sont de grosses anguilles de mer qui se tiennent dans le creux des rochers d’où on les retire avec des crochets de fer attachés à de longues perches; ce qu’on ne pourrait effectuer sans ces instruments.—On dit de même, et plus fréquemment: Aller aux mûres sans crochet.

CROCODILE.Larmes de crocodile.

Larmes fausses et hypocrites, larmes d’un traître qui cherche à émouvoir la compassion pour mieux tromper.—Cette expression, qui était très usitée chez les Grecs et chez les Latins, est fondée sur la croyance que le crocodile pleure et gémit en imitant la voix humaine, lorsque du milieu des roseaux, où il se cache, il voit un passant qu’il veut attirer pour en faire sa proie.

CROIX.Chacun porte sa croix en ce monde.

Chacun a son affliction. Les peines, dit La Rochefoucauld, sont jetées également dans tous les états des hommes.—Ce proverbe est tiré de l’évangile où le Sauveur dit: Si quis vult me sequi deneget semetipsum et tollat crucem suam (Saint Marc, ch. VIII, v. 34; Saint Luc, ch. IX, v. 23). Celui qui veut me suivre doit renoncer à lui-même et porter sa croix.

Le mot croix, pris dans le sens d’affliction, s’employait de même chez les Latins. Plaute, Térence, Cicéron, Columelle et d’autres auteurs en offrent plusieurs exemples.

A dix il faut faire une croix.

Proverbe qu’on emploie après une énumération de certaines qualités ou de certains défauts pour indiquer le nombre ou le degré élevé qui paraît y mettre le comble.

Mascarille, comptant les bévues de l’Étourdi, dans cette comédie de Molière (acte I, sc. 11) s’écrie:

Et trois:

Quand nous serons à dix nous ferons une croix.

«Ce proverbe vient peut-être de ce que, pour marquer dix en chiffres romains, on fait ce qu’on appelle une croix de saint André[33], ou croix de Bourgogne, X.—Court de Gebelin, dans son excellente Histoire de la parole, in-8, p. 123, dit que la croix fut la peinture de la perfection de dix, nombre parfait.» (Bret., Commentaire de Molière).

Faire une croix à la porte de quelqu’un.

Cette expression, dont on se sert pour dire qu’on ne veut plus aller dans la maison de quelqu’un, est fondée sur un usage des chevaliers qui, passant devant le château d’une personne de mauvaise renommée, ne daignaient pas y entrer, et fesaient une note d’infamie à la porte en y traçant une croix.

Jouer à croix et à pile.

Tout le monde connaît le jeu désigné par cette expression, qui est venue de ce que les monnaies du temps de saint Louis et de quelques-uns de ses successeurs, portaient sur une face l’empreinte d’une croix, et sur l’autre celle de deux piles ou piliers. Les uns pensent, avec l’historien italien Villani, que ces piles représentaient des bernicles, instruments de torture dont ce roi avait été menacé durant sa captivité, et dont les figures devaient rester pour rappeler un tel affront jusqu’à ce que lui ou ses barons en eussent tiré vengeance. Les autres croient qu’elles étaient des colonnes pareilles à celle que Louis-le-Débonnaire avait fait mettre sur ses monnaies où elles soutenaient une église surmontée d’une croix, avec cette légende: Xristiana religio[34].

Les monnaies de plusieurs villes de la Grèce et celles de Rome offraient d’un côté la tête de Janus, et de l’autre un vaisseau, qui était quelquefois remplacé chez les Grecs par une guirlande. Ces signes avaient été choisis en raison de ce que Janus passait pour l’inventeur de l’argent monnayé, des vaisseaux et des guirlandes. Les Romains jouaient comme nous en jetant en l’air une pièce de monnaie, et ils disaient: Caput aut navis, tête ou vaisseau. Macrobe et saint Augustin parlent de ce jeu. Les Italiens disent: Fiore o santo, fleur ou saint, parce que les monnaies de Florence et de quelques autres villes sont marquées de ces signes. L’expression des Espagnols est: castillo y léon, par allusion aux figures empreintes sur leurs pièces, dont un côté présente un château qui forme les armes du royaume de Castille, et l’autre un lion qui forme les armes du royaume de Léon. En Angleterre, on appelle king’s side, côté du roi, celui où est l’effigie du monarque, et cross’ side, côté de la croix, celui où se trouve ce signe du christianisme.

Jeter une chose à croix et à pile.

C’est abandonner une chose aux chances du hasard.

N’avoir ni croix ni pile.

C’est n’avoir pas le sou.

CROSSE.Crosse d’or, évêque de bois.

Quelqu’un ayant demandé à saint Boniface, qui vivait dans le huitième siècle, s’il était permis de se servir de calices de bois dans les saints mystères, ce saint répondit en soupirant: «Autrefois l’église avait des calices de bois, et des évêques d’or; aujourd’hui elle a des calices d’or, et des évêques de bois.» C’est de là qu’est venu notre dicton satirique contre le luxe du haut clergé qui ne mérite plus un pareil reproche.

CROUPIÈRE.Tailler des croupières à quelqu’un.

Cette locution, dont on se sert au figuré pour dire susciter des embarras, de mauvaises affaires à quelqu’un, fut employée d’abord au propre, en parlant d’un corps de cavalerie mis en déroute et poursuivi par l’ennemi qui, frappant à coups de lance sur la croupe des chevaux, coupait ou taillait les croupières.

CRUCHE.C’est une cruche.

C’est un imbécile, un idiot.—On mettait autrefois de belles inscriptions sur les vases sacrés et sur ceux qui servaient pour l’ornement dans les maisons, mais on n’en mettait pas sur les cruches destinées au service du ménage. De là l’usage d’appeler un homme docte, vas scientiæ, vase de science[35]. De là aussi, par opposition, l’usage d’appeler un ignorant, une cruche ou un cruchon.

C’est une cruche sans anse.

C’est-à-dire un sot difficile à manier, et sur lequel la raison n’a point de prise, un animal indécrottable.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise.

A force de retomber dans les mêmes fautes ou de s’exposer au danger, on finit par y périr.—Proverbe qu’on trouve appliqué aux templiers dans une chronique manuscrite en vers qui est citée par M. Raynouard, et qui paraît être du commencement du XIVe siècle. Tant va pot à eue (eau) qu’il brise.

On connaît la variante grivoise que Beaumarchais a faite à ce proverbe, Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle s’emplit.

CUIR.Faire un cuir.

Sous le règne de Louis XIV, vivait un personnage célèbre dans les rues de Paris, Philibert le Savoyard, dont d’Assoucy a tracé le portrait burlesque, dans la relation de son voyage de Châlons-sur-Saône à Lyon, et dont Boileau a fait mention dans les vers suivants de sa neuvième épître:

Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages
Occuper les loisirs des laquais et des pages,
Et souvent, dans un coin renvoyés à l’écart,
Servir de second tome aux airs du Savoyard!

Cet homme, aveugle comme Homère et se croyant poëte comme lui, gagnait sa vie à composer des rapsodies rimées et à les chanter sur le Pont-Neuf, son Parnasse ordinaire, près du cheval de bronze qu’il nommait son Pégase. On raconte que, pour mieux faire admirer le volume extraordinaire de sa voix, il se plaisait à la marier au carillon de la Samaritaine dont elle formait le dessus. Alors il entonnait de toute la force de ses poumons les pataqui, pataquiès du savetier, pot-pourri remarquable par ce vice d’élocution qui consiste à mettre des s et des t finals à la place l’un de l’autre ou sans nécessité. Et c’est, dit-on, d’une allusion à cette chanson grivoise, où le mot cuir était souvent répété, qu’est venue la locution populaire faire un cuir, laquelle s’emploie pour désigner une liaison de mots irrégulière et mal sonnante, à peu près dans le même sens qu’on dit, parler comme un savetier, comme un faiseur de savates.

Telle est l’explication que j’ai donnée, il y a une dizaine d’années, dans le Journal grammatical, et que d’autres journaux ont reproduite; mais aujourd’hui il me paraît plus naturel et plus exact de penser que l’expression Faire un cuir a été imaginée comme variante de l’expression Écorcher la langue, en raison de l’analogie que présentent écorcher et faire un cuir.

On dit aussi: Faire un velours, par allusion à Faire un cuir; mais les puristes ne confondent pas ces deux façons de parler. Il y a cette différence entre le cuir et le velours, que le premier marque une liaison rude, et le second une liaison douce. Il va-t-à Paris est un cuir; Il va-z-à Paris est un velours.

Faire du cuir d’autrui large courroie.

C’est être fort libéral du bien des autres, le dépenser mal à propos. Expression fort ancienne dans notre langue, car elle se trouve dans ces vers d’Hélinand, poëte qui vivait sous Louis VII:

Faire son preu (profit) d’autruy dommage
Et d’autruy cuir larges correies.

Plaute a dit: De meo tergo degitur corium, le cuir est pris de mon dos, pour signifier: c’est à mes risques et périls qu’on fait la chose.

CUIRASSE.Trouver le défaut de la cuirasse.

C’est-à-dire le côté faible, le point vulnérable d’une personne ou d’une chose. On disait autrefois, au propre: Le défaut de la cuirasse, pour signifier l’endroit où la cuirasse défaillait, manquait, et laissait à découvert une partie du corps dans laquelle on pouvait enfoncer le poignard.

Petite cuisine agrandit la maison.

La modération ou l’économie dans les dépenses de table enrichit une maison.

CUJAS.Commenter les œuvres de Cujas.

Le célèbre juriste Cujas laissa en mourant une fille âgée de treize ans, nommée Suzanne, laquelle fut bien loin d’être aussi chaste que sa patronne. Le président de Thou, qui s’intéressait beaucoup à elle, se hâta de la marier, aussitôt qu’elle eut atteint sa quinzième année, pour prévenir les suites de son tempérament amoureux; mais il ne put empêcher, dit Bayle, qu’elle ne devançât le mariage; et depuis ses noces, elle continua si ouvertement ses galanteries que son mari, qui était un honnête gentilhomme, en mourut de chagrin. Elle en épousa un autre, et alla de mal en pis. Les élèves en droit, qui étaient toujours bien reçus chez elle, désertaient l’école pour lui faire la cour. Ils appelaient cela commenter les œuvres de Cujas, et cette expression passa en proverbe pour désigner les privautés des écoliers avec la fille du maître.

Le professeur de droit Edmond Mérille, dépité de voir Suzanne Cujas enlever tous les jours quelque étudiant à son cours, fit contre elle cette épigramme latine qui est assez bien tournée:

Viderat immensos Cujati nata labores

Æternum patri promeruisse decus.

Ingenio haud poterat tam magnum æquare parentem

Filia: quod potuit corpore fecit opus.

Nicolas de Catherinot a écrit la vie de Suzanne Cujas, dans laquelle il a voulu faire revivre la Quartilla de Pétrone et l’Alix de Marot.

CUL.Être à cul.

C’est ne savoir plus que faire ni que dire.—Allusion à un usage autrefois observé dans l’Université de Paris, où les écoles étaient jonchées de paille sur laquelle les étudiants étaient assis. Chacun d’eux se levait pour répondre lorsqu’il était interrogé, et s’il demeurait court, dans l’examen qu’il avait à subir, il était obligé de se rasseoir, ce qui s’appelait être à cul ou être mis de cul, comme on le voit dans cette phrase de Rabelais (liv. II): «Il tint contre tous les régents et orateurs, et les mit de cul

Lamonnoye, dans le Glossaire alphabétique qui se trouve à la suite des Noëls bourguignons, donne une autre explication que je vais rapporter, quoiqu’elle me paraisse moins bonne que la première. «Le diable est à cul. C’est comme si l’on disait: le diable est poussé à bout; il est réduit à demeurer, pour toute défense, le cul rangé contre un mur; il est acculé. On appelle accul le lieu où l’on est acculé.»

Cul-de-plomb.

Le peuple, habitué à joindre l’image à la pensée, appelle ainsi un homme de bureau qui, du matin au soir, cloué sur son siége et courbé sur son ouvrage, semble avoir perdu l’usage de ses facultés locomotives.

Demeurer entre deux selles le cul à terre.

Cela se dit d’une personne qui prétendant à deux choses n’en obtient aucune, ou qui ayant deux moyens de réussir dans une affaire ne réussit par aucun des deux.

CULOTTE.Porter la culotte.

On dit aussi: Porter le haut-de-chausses.—Ces deux expressions, parfaitement synonymes, s’emploient en parlant d’une femme qui maîtrise son mari. Fleury de Bellingen a pensé qu’elles avaient leur fondement dans l’histoire ancienne, et voici l’explication singulière qu’il en a donnée: «La reine Sémiramis prévoyant, après la mort de Ninus son époux, que les Assyriens ne voudraient pas se soumettre à l’empire d’une femme, et voyant que son fils Zaméis, ou Ninias, comme le nomme Justin, était trop jeune pour tenir les rênes d’un si grand état, elle se prévalut de la ressemblance naturelle qu’il y avait entre la mère et l’enfant, se vêtit des habits de son fils et lui donna les siens, afin qu’étant pris pour elle et elle pour lui, elle pût régner en sa place. Plus tard, ayant acquis l’amour de ses sujets, elle se fit connaître pour ce qu’elle était et fut jugée digne du trône. Quand nous disons des femmes généreuses qu’elles portent le haut-de-chausses, nous faisons allusion à cette reine qui régna en habit d’homme.»

On trouvera sans doute que Fleury de Bellingen est allé chercher trop loin l’origine d’une locution française. Cependant il aurait pu l’aller chercher plus loin encore, si la fantaisie lui en eût pris. Son imagination, au lieu de s’arrêter à la reine d’Assyrie, n’avait qu’à remonter à la mère du genre humain; il lui était tout aussi aisé de démontrer qu’Ève porta la culotte, dans le sens propre comme dans le sens figuré de l’expression, car la Bible, parlant de nos premiers parents occupés à faire un voile à leur nudité, dit textuellement: Consuerunt folia ficus et fecerunt sibi perizomata; ce qu’un ancien traducteur a rendu en ces termes: Ils cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des culottes. L’auteur des Illustres Proverbes aurait du moins obtenu par une telle explication le suffrage de toutes les femmes, charmées de voir dans un article des livres saints la preuve irrécusable qu’elles n’ont pas moins que les hommes le droit de porter culotte.

Mais faisons trève à la plaisanterie, et cherchons une origine plus raisonnable. Hue Piaucelle, un de nos plus anciens poëtes, a composé un fabliau intitulé: Sire Hains et dame Anieuse. Ces deux époux n’étaient jamais d’accord; la femme contrecarrait sans cesse le mari. Celui-ci fatigué lui dit un jour: «Écoute, tu veux être la maîtresse, n’est-ce pas? moi, je veux être le maître; or, tant que nous ne céderons ni l’un ni l’autre, il ne sera pas possible de nous accorder: il faut, une fois pour toutes, prendre un parti; et puisque la raison n’y fait rien, décidons-en autrement.» Quand il eut parlé de la sorte, il prit un haut-de-chausses qu’il porta dans la cour de la maison, et proposa à la dame de le lui disputer, à condition que la victoire donnerait pour toujours à qui l’obtiendrait une autorité pleine et entière dans le ménage. Elle y consentit; la lutte s’engagea en présence de la commère Aupais et du voisin Simon choisis pour témoins, et sire Hains, après avoir éprouvé la plus opiniâtre résistance de dame Anieuse, finit par emporter le prix de ce combat judiciaire.—L’abbé Massieu et Le Grand d’Aussy pensent que le fabliau de Piaucelle a donné lieu aux expressions: Porter le haut-de-chausses et Porter la culotte.

Qu’on me permette aussi une conjecture. Il me semble que ces expressions ont dû s’introduire à une époque où les caleçons et les hauts-de-chausses fesaient partie de l’habillement des dames nobles, et où celles de ces dames qui avaient pris des maris bourgeois jouissaient du privilége de leur commander et même de leur infliger la correction avec des verges lorsqu’ils ne se montraient pas assez soumis. Ces faits, qu’on serait tenté de regarder comme des épisodes fabuleux de l’Histoire du monde renversé, sont attestés par de graves et véridiques historiens, notamment par M. A. A. Monteil qui connaît mieux que personne les usages et les coutumes de notre nation.

Toutefois je ne tiens pas à ma conjecture, et je suis tout disposé à convenir, si l’on veut, que les expressions dont il s’agit n’ont été fondées sur aucun fait historique. Rien n’était plus naturel que d’attribuer le costume du mari à la femme qui aspire à jouer le rôle du mari.

C’est un sans-culotte.

Un écrivain qui voulait faire sa cour aux philosophes, pour être de l’Académie, s’avisa de composer contre le poëte Gilbert, leur antagoniste, une pièce satirique qu’il intitula le Sans-culotte, par allusion au dénûment de ce poëte. Le terme nouveau, mis en vogue dans les salons des riches, servit à désigner les auteurs pauvres qui, comme Gilbert, étaient réduits à porter la livrée du Parnasse, c’est-à-dire des vêtements vieux et râpés; et quelques années plus tard il fut employé comme un dard invincible contre tous ceux dont les écrits ou les discours tendaient au nivellement révolutionnaire. C’est ainsi que le nom de va-nu-pieds avait été appliqué par les partisans aux gens du peuple qui s’étaient révoltés par suite de la haine que leur inspiraient ces financiers. Telle est, d’après Mercier, la véritable explication du mot sans-culotte (voy. le Nouveau Paris, t. III, ch. 99). J’y joindrai, pour la compléter, les détails suivants que je dois à l’obligeance de M. le lieutenant-colonel Eugène Labaume, auteur de l’Histoire monarchique et constitutionnelle de la révolution française, qui s’imprime en ce moment. Le côté gauche de l’Assemblée législative, dit ce savant historien, voulant détruire la violente opposition du côté droit, feignit d’agir au nom de la nation, dont il se disait l’unique mandataire, afin de mettre en mouvement la commune et les sections de Paris qui se considéraient comme ayant une autorité souveraine. Danton, chef du district et du club des cordeliers, fut choisi pour être leur formidable organe. Le 10 novembre 1790, il présenta à la barre de l’Assemblée une pétition contre MM. de Saint-Priest, Champion de Cicé et Latour-du-Pin, et il demanda que leur procès s’instruisît immédiatement sur la dénonciation formelle des districts parisiens. C’était la première fois que le parti populaire intervenait d’une manière aussi directe dans une question de gouvernement. Le président, au lieu de repousser une démarche à la fois illégale et téméraire, répondit à Danton que l’objet de sa demande serait pris en considération et que le chef suprême de la nation ne s’y opposerait pas. Il lui accorda les honneurs de la séance et lui permit d’assister à la discussion. Comme la plupart de ceux qui accompagnaient Danton étaient tout déguenillés, le marquis de Laqueille voulut les flétrir par un nom emprunté des nudités de la misère, et il les appela des sans-culotte; mais les cordeliers et les jacobins adoptèrent comme un titre d’honneur ce nom donné par le mépris, et l’on sait combien ils le rendirent fameux.

CYGNE.Le chant du cygne.

«Les anciens ne s’étaient pas contentés de faire du cygne un chantre merveilleux; seul entre tous les oiseaux, qui frémissent à l’aspect de leur destruction, il chantait encore au moment de son agonie, et préludait par des sons harmonieux à son dernier soupir. C’était, disaient-ils, près d’expirer et faisant à la vie un adieu triste et tendre, que le cygne rendait ces accents si doux et si touchants, et qui, pareils à un léger et douloureux murmure, d’une voix basse, plaintive et lugubre, formaient son chant funèbre. On entendait ce chant lorsque, au lever de l’aurore, les vents et les flots étaient calmés; on avait même vu des cygnes expirant en musique et chantant leurs hymnes funéraires. Nulle fiction en histoire naturelle, nulle fable chez les anciens n’a été plus célébrée, plus répétée, plus accréditée; elle s’était emparée de l’imagination vive et sensible des Grecs: poëtes, orateurs, philosophes même, l’ont adoptée comme une vérité trop agréable pour vouloir en douter. Il faut bien leur pardonner leurs fables; elles étaient aimables et touchantes; elles valaient bien de tristes, d’arides vérités; c’étaient de doux emblèmes pour les ames sensibles. Les cygnes, sans doute, ne chantent point leur mort; mais toujours, en parlant du dernier essor et des derniers élans d’un beau génie prêt à s’éteindre, on rappellera avec sentiment cette expression touchante: C’est le chant du cygne.» (Buffon.)


Chargement de la publicité...