Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la Langue Française en rapport avec de proverbes et des locutions proverbiales des autres langues
N
NAPPE.—Trancher la nappe.
C’était un genre d’affront infligé autrefois à table à un gentilhomme qui se rendait indigne de ce titre, par un roi d’armes ou un héraut qui venait couper devant lui la touaille, ou la partie de la nappe qui lui servait de serviette, et tourner son pain sens dessus dessous[66]. «Charles VI, dit Legrand d’Aussi, avait réuni à un banquet, le jour de l’Épiphanie, plusieurs convives illustres, entre lesquels était Guillaume de Hainaut, comte d’Ostrevant. Tout à coup un héraut vint trancher la nappe devant le comte, en lui disant qu’un prince qui ne portait pas d’armes n’était pas digne de manger à la table du roi. Guillaume surpris répondit qu’il portait le heaume, la lance et l’écu, ainsi que les autres chevaliers. «Non, sire, cela ne se peut, répondit le plus vieux des hérauts; vous savez que votre grand oncle a été tué par les Frisons, et que, jusqu’à ce jour, sa mort est restée impunie. Certes, si vous possédiez des armes, il y a longtemps qu’elle serait vengée.»—Cette terrible leçon opéra son effet. Depuis ce moment, le comte ne songea plus qu’à réparer sa honte; et bientôt il en vint à bout.»
NÉCESSITÉ.—Nécessité n’a point de loi.
Un extrême péril, un extrême besoin peuvent rendre excusables des actions blâmables en elles-mêmes. Saint Bernard s’est servi de ce proverbe dans la phrase suivante, extraite du chapitre V de son Traité sur le précepte et la dispense: Necessitas non habet legem, et ob hoc excusat dispensationem. La nécessité n’a point de loi, et c’est pour cela qu’elle excuse la dispense.—On dit aussi: Nécessité contraint la loi.
Faire de nécessité vertu.
Faire de bonne grâce une chose qui déplaît, mais qu’on est obligé de faire; agir de son plein gré, mais fort à contre-cœur, comme dit le Jupiter d’Homère: ἑλὠν ἀέκοντίγε Θυμῷ (Iliad., liv. IV, v. 43).
Ce proverbe est littéralement traduit du proverbe latin qu’on trouve dans saint Jérôme et dans saint Pierre Chrysologue: Facere de necessitate virtutem.
Racine a su ennoblir ce proverbe dans ces vers de Britannicus (act. II, scène 3):
Qui, dans l’obscurité, nourrissant sa douleur,
S’est fait une vertu conforme à son malheur.
NÈFLE.—Avec du temps et de la paille, les nèfles mûrissent.
On vient à bout de bien des choses avec du soin et de la patience. Les Persans disent: Avec du temps et de la patience, le verjus devient doux; et les Chinois: Avec du temps et de la patience, les feuilles de mûrier deviennent de la soie.
NEZ.—Avoir bon nez.
Avoir de la sagacité, prévoir les choses.—Métaphore prise des chiens de chasse habiles à découvrir et à suivre la trace du gibier par le moyen de l’odorat. On dit aussi: Avoir le nez fin.—Le nez était chez les Latins, comme chez nous, l’organe qui servait à caractériser la sagacité et la finesse. Olfactoriæ nares.—Emunctæ nares.
Les Hébreux regardaient aussi le nez comme l’organe de l’intelligence et de la sagesse. Job assure que l’esprit de Dieu est dans ses narines, et Isaïe conseille de se reposer sur la prudence d’un homme dont l’esprit est dans ses narines.
Mener quelqu’un par le nez.
C’est lui faire faire tout ce qu’on veut.—Cette expression, qui était également usitée chez les Grecs et chez les Latins, est une allusion aux buffles que l’on conduit au moyen d’un anneau de fer passé dans leurs narines.—Notez qu’on disait autrefois embuffler, dans le même sens que mener par le nez, comme on peut le voir dans le dictionnaire de Cotgrave.
Saigner du nez.
«Cette expression, dit Laurent Joubert, vient de ce que la saignée affaiblit le cœur quand elle est copieuse; car les forces consistent au sang et aux esprits qui se perdent insensiblement; et, de cette perte, le cœur étant refroidi devient craintif, et l’on n’ose entreprendre ou exécuter ce où l’on voit quelque danger.»
Il y a une explication plus simple proposée par un médecin: C’est que la peur donne un saignement de nez à certains individus, de même qu’elle donne un flux de ventre à certains autres.
Voici une origine historique qui me semble très admissible:
Pendant la peste qui, après avoir dépouillé l’Afrique et l’Asie, ravagea l’Europe et particulièrement la France, vers le milieu du XIVe siècle, on remarqua, en divers endroits, que cette terrible maladie ne laissait aucun espoir de guérison, quand elle était accompagnée de quelque saignement de nez; et comme un pareil symptôme causait alors les plus vives craintes et le plus triste abattement, on en prit occasion de dire au figuré: Saigner du nez, pour exprimer le manque de courage et de résolution.
Tirer les vers du nez à quelqu’un.
Tirer de lui un secret par des questions adroites.—Nicot dit que cette façon de parler vient des pipeurs charlatans qui font accroire aux simples gens beaucoup de telles riottes, afin d’avoir cependant le loisir de vider leur gibecière. Je pense qu’elle a une autre origine, et que le mot vers est ici un terme qui nous est resté de la langue romane, où il s’employait dans l’acception de vrai, comme l’attestent les deux exemples suivants, dont le premier est pris du roman de Rou de Robert Wace, et le second, d’une pièce du troubadour Armand de Mareuil:
Mez veirs est ke li vilain dit,
Mais ce que dit le vilain est vrai.
Aisso saben tug que es vers,
Nous savons tous que ceci est vrai.
On aura dit primitivement li vers; et, dans la suite, on aura traduit li vers par les vers, en attribuant à l’article un sens pluriel qu’il n’avait point en ce cas. Quant à l’expression tirer du nez, elle peut avoir été choisie par trois raisons: 1o parce qu’elle est au propre un équivalent du vieux verbe émoucher, auquel on donnait souvent, au figuré, la signification de tirer par adresse[67]; 2o parce qu’elle réveille dans l’esprit, par une certaine analogie, une réminiscence de ce qu’on appelle mener par le nez; 3o parce qu’elle offre celle espèce de singularité qui fait ordinairement le sel des phrases proverbiales. On sait que le peuple, dans son langage, est grand inventeur de ces formules curieuses où viennent se rallier, d’une façon pittoresque, des rapports éloignés que lui révèle si facilement son instinctive sagacité.
Ainsi, tirer les vers du nez, qu’on a substitué à émoucher li vers ou le vers, est la même chose que tirer par adresse le vrai; et, ce qui me paraît confirmer cette explication, c’est qu’on trouve dans quelques auteurs du moyen-âge: Emungere aliquem vero, phrase d’une très bonne latinité, qui est sans doute l’original de la nôtre, et qui se traduit littéralement en vieux français par émoucher le vers ou le vrai, de quelqu’un ou à quelqu’un.
Les Allemands disent, pour exprimer la même idée: Den Hund vom Ofen locken; attirer le chien de derrière le poêle, parce qu’il faut bien flatter cet animal, le bien amorcer par des caresses, pour lui faire quitter cette place chaude et commode, où il aime à se tenir couché.
Votre nez branle.
On fait accroire aux enfants que leur nez tombera, s’ils se permettent un mensonge; et c’est ce qu’on rappelle par cette expression, quand on veut arracher à l’un d’eux l’aveu de quelque espiéglerie dont on le soupçonne d’être l’auteur et qu’il soutient n’avoir pas faite.—Érasme rapporte que, de son temps, on disait proverbialement: Nasus tuus arguit mihi te mentiri. Votre nez m’avertit que vous mentez. Mais cette façon de parler n’était point fondée, comme la nôtre, sur la supposition d’un branlement de nez; elle avait sa cause dans une idée superstitieuse qui fesait prendre certaines pustules qui viennent au nez pour des effets et des indices de l’habitude de mentir. Les Grecs désignaient ces pustules par le mot Ψεύσματα, mensonges, que Théocrite a employé dans un vers traduit ainsi en latin:
Non mihi nascentur nares mendacia supra.
Les mensonges ne se produiront pas sur mon nez.
Le peuple, en France, donne de même le nom de mensonges à certaines taches dont les ongles sont quelquefois marqués. (Voyez l’expression Avoir les ongles fleuris.)
Prenez-vous par le bout du nez.
C’est ce qu’on disait fréquemment autrefois, et ce qu’on dit quelquefois encore pour répondre à quelqu’un qui veut mettre sur le compte des autres les fautes dont il s’est rendu coupable.—Cette expression est fondée sur l’ancienne coutume de Normandie, d’après laquelle un homme convaincu d’avoir nui par de mauvais propos à la réputation de son prochain, était tenu de lui faire amende honorable en une église, dans un jour de solennité, et de se déclarer publiquement calomniateur en se prenant par le bout du nez. Ce qui s’appelait payer le laid dit.
Avoir un pied de nez.
C’est être honteux et confus.—Cette expression peut avoir eu la même origine que la précédente, car il était tout naturel de supposer qu’un individu condamné à se prendre par le bout du nez, à se tirer le bout du nez, devait, en sortant de cette épreuve, avoir le nez allongé, ou, comme on dit hyperboliquement, avoir un pied de nez.—Un physiognomoniste conjecture qu’elle est venue de ce que la confusion et le chagrin qu’éprouve un homme dont les projets ont échoué, dont l’ambition se trouve déçue, lui amaigrissent la figure et rendent ainsi son nez plus saillant.—Suivant presque tous les parémiographes, elle a eu pour fondement ce conte rapporté par Béroalde de Verville, dans son Moyen de parvenir (tom. II, ch. 33): Un chapelain se chauffant, un jour de grande fête, au feu de la sacristie, y fit griller du boudin, pendant qu’on disait matines. Averti d’aller encenser, il mit à la hâte son boudin dans sa manche et sortit pour remplir son devoir. Comme il n’avait pas bien boutonné sa manche, il arriva que, dans le mouvement du bras, elle se délia, de sorte que le boudin sauta au nez du doyen à qui le chapelain envoyait la sainte fumée, ce qui fit une plaisante figure et donna lieu de dire que M. le doyen avait eu un pied de nez, expression qui passa bientôt en proverbe.
NIAIS.—C’est un niais de Sologne qui ne se trompe qu’à son profit.
Les habitants de la Sologne passent pour avoir d’autant plus d’intelligence qu’ils en font paraître moins, et ils mettent en effet dans les affaires qu’ils font une habileté secrète qui les fait toujours tourner à leur avantage. De là ce dicton qu’on emploie en parlant d’un homme qui, tout en contrefesant le simple, est extrêmement adroit et alerte sur ce qui regarde son intérêt. On dit aussi: C’est un niais de Sologne qui prend des sous marqués pour des liards.
NICODÊME.—C’est un Nicodême.
C’est un homme simple et borné, un niais.—Le nom de Nicodême, formé de deux mots grecs, νικῶ (je triomphe) et δῆμος (peuple), exprime une idée très noble dans la langue d’où il est tiré. Pourquoi donc en offre-t-il une si différente en français? Les étymologistes pensent que c’est à cause de nice et de nigaud, qui ont une certaine analogie phonique avec les deux premières syllabes de ce nom: mais à cette raison il faut en ajouter d’autres que voici. Nicodême était un des principaux Juifs, et il appartenait à l’école pharisienne. Frappé des miracles de Jésus-Christ, il alla le trouver de nuit pour se convertir à sa doctrine, et l’ayant entendu dire que l’homme ne peut voir le royaume de Dieu s’il ne reçoit une seconde naissance, il en manifesta son étonnement en ces termes: «Comment peut naître un homme quand il est vieux? peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître une seconde fois?» Le Sauveur lui expliqua le sens mystique de sa proposition, et Nicodême ne comprenant pas mieux qu’auparavant, demanda encore: Comment cela peut-il se faire? Ce qui lui attira cette réponse: Quoi! vous êtes docteur en Israël et vous ignorez ces choses! Tu es magister in Israel et hæc ignoras! (Evang. sec. Joan., c. III.)—Ce récit de l’Évangeliste a été développé dans une scène du Mystère de la passion, où Nicodême, avant de se faire chrétien, agit et parle comme un imbécille, et c’est principalement pour cela que son nom a été voué à un ridicule proverbial. On sait que Hauteroche a donné ce nom à un personnage niais de sa comédie du Deuil. On sait aussi quel rôle Furetière a fait jouer à un avocat du même nom dans son Roman bourgeois.
NICOLAS.—Saint-Nicolas marie les filles avec les gas.
Une légende rapporte que saint Nicolas, évêque de Myre, au commencement du ive siècle, était enflammé du zèle de marier les filles, et qu’il allait pendant la nuit jeter des sacs d’argent dans la maison des pères de famille qui n’avaient pas de dot à leur donner. C’est en mémoire de cette généreuse dévotion, qui en valait bien une autre, qu’il a été choisi pour présider aux tendres engagements des cœurs bien épris, et que son nom est invoqué dans les litanies des amoureux. Delille a fait sur ce saint, dans la première édition de son poëme de la Pitié, les quatre vers suivants, qui ont été supprimés dans les autres éditions.
Le bon saint Nicolas, dont l’oreille discrète
Écoute des amants la prière secrète,
Qui, des sexes divers le confident chéri,
Donne à l’homme une épouse, à la femme un mari.
NIQUE.—Faire la nique à quelqu’un.
C’est proprement hausser et baisser le menton pour le narguer, pour se moquer de lui.—Quelques étymologistes font dériver le mot nique du verbe allemand nicken, qui signifie hocher la tête, et quelques autres du celtique niq, qui s’est conservé chez les Bas-Bretons dans le même sens. Nos anciens auteurs se sont servis du verbe niqueter inusité aujourd’hui.
On dit aussi faire une niche à quelqu’un, c’est-à-dire un trait d’espiéglerie ou de malice; et niche est ici une altération de nique.
Les mots en ique font aux médecins la nique.
J’écris les mots et non les maux, contre l’usage actuel, parce que c’est l’orthographe adoptée par nos anciens parémiographes qui ont vu un calembourg dans ce dicton populaire dont le vrai sens est, que les médecins ne sauraient guérir les malades qu’on désigne par des mots terminés en ique, comme asthmatique, hydropique, paralytique, pulmonique, etc.
NIQUÉE.—Etre dans la gloire de Niquée.
C’est-à-dire au comble de la joie, de la satisfaction, de la prospérité, dans l’enivrement des plaisirs et des honneurs. Cette expression qu’ont employée beaucoup d’auteurs, entre autres Brantôme, Saint-Evremont, madame de Sévigné, Voltaire, a dû son origine au roman d’Amadis de Gaule. Voici ce que nous apprend là-dessus le chapitre 24 du livre viii de ce roman, traduit de l’espagnol par Nicolas de Herberai: La fille du roi de Thèbes, épouse du soudan de Niquée, avait mis au jour, dans une seule couche, un prince nommé Arastarax et une princesse nommée Niquée. Le frère devint éperdument amoureux de la sœur. Pour arrêter les progrès de cette passion incestueuse, leur tante Zirfée, reine d’Argènes et fée très habile, eut recours aux secrets de son art. «Elle fit dresser dans la grande salle du palais qu’habitoit Niquée, un théâtre à quinze marches, le tout couvert d’un grand drap d’or, et mit au haut une chaise tant enrichie de perles et orfévrerie que la pareille ne fut oncques vue. Le plancher de la salle fut mué par magie soudainement en une voûte de crystal soutenue par piliers et arcs-boutans de pur jaspe, à chacun desquels se présentoit la statue d’une femme si au vif, qu’elle sembloit proprement vouloir remuer les doigts pour sonner la harpe ou violon qu’elle tenoit entre ses mains. Lors appela, Zirfée, sa nièce, laquelle elle fit vestir d’un accoustrement tant canetillé et brodé, que Sparte ny Lacédémone ne se pourroit vanter en avoir jamais paré dame ni damoyselle d’un si excellent. Puis lui posa sur le chef qu’elle avait nu, et les cheveux épars plus blonds qu’un bassin, un diadême d’impératrix. Et ce fait, appela les infantes Brizèle et Todomire, lesquelles semblablement elle para de riches accoustrements, et mit sur le chef de chacune couronnes fleuronnées, faisant asseoir Niquée en la chaise de parement et les deux princesses à genoux devant elle, tenant un miroir de telle grandeur que le vif et naturel du chevalier de l’ardente épée s’y montroit ni plus ni moins que s’il eût été présent. Dont Niquée esbahie et quasi ravie de grand plaisir, voyant ce qu’elle aimoit et désiroit sur toutes choses, reçut telle gloire qu’elle estimoit être mieux logée et plus aise que les propres dieux au meilleur endroit des Champs-Elysées... Et quant et quant les statues se prindrent à sonner leurs instruments avec telle harmonie qu’Orphéus et Amphion eussent été tenus pour rudes et grossiers s’ils s’en eussent voulu mêler, pour les égaler ou atteindre. Mille fleurettes de toutes sortes et plus suaves et odoriférentes ni que le bouton de rose en Provence, ni le basme ou myrrhe au Caire ou Damas, furent semées en tous endroits, voletants entre la voûte et le bas une infinité d’oisillons dégoïsants leur ramage de si bonne grâce, que celui seroit vraiment bien dégoûté qui n’y prendroit plaisir. Étant donc les choses ainsi ordonnées, Zirfée, pour ne rien laisser derrière (ainsi embélir le lieu de tout ce qui pouvoit satisfaire à l’œil et au cœur), fit par son art représenter, au lieu de tapisserie, les parois de crystallin et au-dessus les histoires de maints loyaux amants...... Zirfée appela Anastarax et le pria d’entrer en la salle pour lui dire son avis de ce qu’il y trouverait. A quoi il obéit; mais il n’eut pas plutôt franchi le seuil de l’huis, de qu’avisant Niquée en sa gloire, mit toutes choses en arrière pour s’approcher, et de fait parvint au degré treizième...... Et là fut ravi de joie tant indicible que, sans avoir en l’esprit autre chose que la beauté et excellence de sa sœur, demeura à deux genoux devant elle, si ententif à la contempler, que prenant l’une des harpes chanta virelais et chansons propres à la louange. Ce que voyant Zirfée paracheva son sort, et par ses conjurations établit loi que Niquée n’en partiroit jusqu’à ce qu’elle fût délivrée par le meilleur et le plus loyal chevalier qui fût depuis l’Orient jusques au Septentrion.» Ce chevalier fut Amadis de Grèce, surnommé le damoysel de l’ardente épée, dont Niquée, pendant son enchantement, se délectait à regarder l’image dans le miroir que Brizèle et Todomire tenaient placé sous ses yeux.
NITOUCHE.—C’est une sainte nitouche.
C’est une personne qui fait semblant de ne pas vouloir d’une chose qu’elle brûle d’avoir; qui affecte un air de douceur et de réserve que son cœur dément.—Nitouche est un mot formé de n’y touche. On dit aussi mitouche, ce qui revient au même, car mitouche est pour mie touche, qui ne touche mie, c’est-à-dire point.
Madame Pernelle, dans le Tartuffe, dit à Marianne:
Et vous n’y touchez point, tant vous êtes doucette.
On lit dans les Proverbes de Salomon (ch. XXVI, v. 18): Il semble qu’ils n’y touchent pas; mais leurs paroles pénètrent jusqu’au fond des entrailles.
NOBLESSE.—Noblesse vient de vertu.
Il n’y a dans la nature que deux classes d’hommes, les bons et les méchants. C’est la division la plus simple et la plus caractérisée. Le besoin et mille autres circonstances ont obligé la société d’etablir, parmi les membres qui la composent, un grand nombre de distinctions; mais, pour les rendre légitimes et sacrées, elle a dû les fonder sur le mérite, et faire dériver la noblesse de la vertu.
On lit dans la Genèse (ch. VI, v. 8 et 9) ce passage remarquable: «Noé trouva grâce devant le Seigneur. Voici la généalogie de Noé: Noé était un homme juste et parfait.» Cette généalogie est aussi rare que nouvelle. Elle nous apprend, dit saint Chrysostome, que toute la splendeur de la naissance n’est rien aux yeux de Dieu, en comparaison de la justice et de la perfection.
Si la noblesse ne reste point unie à la vertu qui l’a produite, elle dément son origine, et n’est plus qu’une ignominie rétroactive pour les aïeux.
Afin de prévenir un tel déshonneur, les Chinois ont fait une loi qui ordonne d’anoblir les ascendants et non les descendants de l’homme généreux que ses vertus ou ses talents ont élevé à un rang supérieur.
Pour juger de ce que c’est que la noblesse sans le mérite, il suffit d’observer que M. de *** qui vit dans l’infamie, est plus noble que son aïeul qui consacra sa vie entière à la pratique de toutes les vertus.
La noblesse héréditaire, disait Arlequin, est la seule chose à laquelle les hommes qui en jouissent n’aient aucune part active. Ils naissent nobles sans leur participation; et, si leur mère accouchait d’un monstre, il serait d’aussi bonne maison qu’eux.
Les docteurs hébreux disent: Tu demandes pourquoi Adam est seul de première formation?—C’est afin que, parmi les hommes à venir, l’un ne pût pas dire à l’autre: Je suis de plus noble race que toi.
Qui prend des lettres de noblesse,
Déclare d’où vient sa richesse.
La profession que l’anobli avait exercée et dans laquelle il s’était enrichi, était rappelée dans les lettres de noblesse qu’il obtenait. On peut rapporter à ce proverbe le mot de Ménage: Que les armoiries des maisons nouvelles sont, pour la plus grande partie, les enseignes de leurs anciennes boutiques.
Noblesse oblige.
Proverbe qui se retrouve dans le passage suivant d’un ancien auteur: Hoc unum in nobilitate bonum, ut nobilibus impoposita necessitudo videatur, ne à majorum virtute degenerent. Il n’y a que ceci de bon dans la noblesse, c’est qu’elle semble imposer à ceux qui naissent nobles, l’obligation de ne pas dégénérer de la vertu de leurs ancêtres.—Ce proverbe, qui retrace l’esprit et le caractère de la vraie chevalerie, enseignait à nos anciens nobles qu’ils avaient plus de devoirs à remplir que les autres hommes, et que, pour ne pas deroger à leur naissance, ils étaient tenus de se signaler par la pratique des vertus civiles et militaires. C’est, sous une autre expression, le même précepte que leur fesaient entendre les hérauts d’armes dans les tournois: Souvenez-vous de qui vous êtes fils et ne forlignez point.
Si la noblesse n’est point un mérite, elle est du moins un avantage; et, quoi qu’en disent les docteurs en libéralisme qui affectent de la mépriser, ils ne persuaderont jamais aux gens sensés que ce soit un point de départ inutile, dans la route de la vertu, que de descendre d’une famille illustre. La mémoire et le respect des aïeux deviennent toujours une source de généreuses inspirations.
NOCE.—
Allez-vous-en, gens de la noce,
Allez-vous-en chacun chez vous.
C’est le début et le refrain d’une vieille chanson. «Cette chanson, dont on ne connaît ni l’origine ni la date, dit M. A.-A. Monteil, nous a été sans doute apportée par les siècles précédents, comme les Contes des Veillées des bonnes gens, qui ne sont que les fabliaux du XIIe et du XIIIe siècle. On prétend qu’elle fut faite pour le mariage de l’économe roi Dagobert et de l’économe reine Berthilde, sa femme.»
Il ne s’est jamais trouvé à pareilles noces.
Il n’a jamais éprouvé un pareil traitement.—Cette locution est fondée sur un usage pratiqué jadis en Poitou, après les repas d’épousailles. Tous les convives, en sortant de table, n’avaient rien de plus pressé que de mettre leurs mitaines et de se donner les uns aux autres des coups de poing qui fesaient plus de bruit que de mal. C’était un exercice mnémonique, institué par la joie, pour rendre plus durable le souvenir de la fête dont on venait de jouir; mais il dégénéra, dans la suite, au point de rappeler le combat des Centaures et des Lapithes aux noces de Pyrithoüs, rixa debellata super mero: ce qui en nécessita l’abolition. Rabelais n’a pas oublié cette singulière coutume dans la description qu’il a faite des noces du seigneur de Basché (liv. IV, chap. 14): «Pendant qu’on apportoit vin et espices, coups de poing commençarent trotter. Chicquanous en donna nombre au prestre Oudart. Soubs son suppellis avoit Oudart son guantelet caché; il s’en chausse comme d’une mitaine, et de daubber Chicquanous, et de frapper Chicquanous; et coups de jeunes guantelets de touts coustez pleuvoir sus Chicquanous. Des nopces, disoient-ils, des nopces, des nopces: vous en soubvienne. Il fut si bien accoustré que le sang lui sortoit par la bouche, par le nez, par les aureilles, par les œilz. Au demourant, courbatu, espaultré et froissé, teste, nucque, dours, poictrine, bras et tout.»
Noces de mai, noces mortelles.
Proverbe fondé sur une superstition qui règne en plusieurs pays, particulièrement en Provence, et qui a été transmise des païens aux chrétiens, comme l’attestent ces vers d’Ovide, extraits du livre V du poëme des Fastes.
Nec viduæ tædis eadem nec virginis apta
Tempora: quæ nupsit non diuturna fuit.
Hâc quoque de causâ si te proverbia tangunt,
Mense malum maio nubere vulgus ait.
«Ce temps n’est pas favorable pour l’hyménée de la vierge ou de la veuve. Celle qui a pris alors un époux a cessé bientôt de vivre. Et, si les proverbes peuvent être ici de quelque poids, je rappellerai ce proverbe du peuple: Il est mauvais de se marier au mois de mai.»
Plutarque, dans la quatre-vingt-sixième de ses Demandes romaines, a recherché les causes de cette superstition; et voici ce qu’il en a dit: «Pourquoi les Romains ne se marient point au mois de mai? Est-ce parce qu’il est au milieu d’avril et de juin, dont l’un est consacré à Vénus et l’autre à Junon, déesses qui ont toutes deux la cure et la superintendance des noces, au moyen de quoi ils (les Romains) avancent ou retardent un peu. Ou est-ce qu’en ce mois-là ils font la cérémonie de la plus grande purgation?... En ce temps-là, la prêtresse de Junon ou la Flaminea est toujours triste, comme en deuil, sans se laver ni parer. Ou bien est-ce parce que plusieurs des peuples Latins font oblation aux trépassés en ce mois? et c’est pourquoi ils adorent Mercure en ce même mois, joint qu’il porte le nom de Maïa, mère de Mercure.» (Traduction d’Amyot.)
NOEL.—On a tant crié, on a tant chanté Noël, qu’à la fin il est venu.
La chose dont on parlait, qu’on désirait depuis longtemps, est enfin arrivée.—Ce proverbe est né de l’usage où l’on était autrefois de crier Noël dans les rues, et de chanter dans les églises des cantiques appelés Noëls, pendant la quinzaine qui précède la fête de la Nativité du Sauveur.
Noël était aussi un cri de joie qu’on fesait entendre en des circonstances solennelles. Alain Chartier et André Duchesne rapportent que le peuple cria Noël es grandes réjouissances au baptême de Charles VII, et à son entrée dans la capitale du royaume, après l’expulsion des Anglais.—Martial de Paris, parlant de ce dernier événement, a dit:
Puis les enfants s’agenouilloient,
En criant Noël sans cesser.
NŒUD.—Trancher le nœud Gordien.
Se tirer par une mesure vigoureuse et prompte d’une difficulté embarrassante.—Gordius, père du roi Midas, avait un chariot dont le joug était attaché au timon par un lien fait d’écorce de cornouiller, et tellement entrelacé qu’on ne pouvait en découvrir ni le commencement ni la fin. Ce lien inextricable s’appelait nœud Gordien ou nœud de Gordius. Il était religieusement conservé à Gordium, en Phrygie, dans le temple de Jupiter, et un oracle promettait l’empire de l’Asie à celui qui viendrait à bout de le dénouer. Alexandre-le-Grand, s’étant rendu maître de Gordium, voulut prouver que le succès d’une telle entreprise lui était réservé. Il fit plusieurs tentatives pour délier le nœud mystérieux; mais, voyant que son adresse serait en défaut, et craignant que ses soldats n’en tirassent un mauvais présage, il prit le parti de le trancher avec son épée; et par ce moyen, dit Quinte-Curce, il éluda ou accomplit l’oracle.
NORMAND.—Répondre en Normand.
Les Normands sont accusés de manquer de sincérité. De là cette expression pour dire que l’on répond d’une manière équivoque. Du reste, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on fait un tel reproche aux Normands. Le roman de la Rose les donne pour soldats à Male-Bouche.
Male-Bouche, que Dieu maudie,
Eut souldoyers de Normandie.
Un Normand a son dit et son dédit.
D’après l’ancienne coutume de Normandie, les contrats ne commençaient à être valables que vingt-quatre heures après la signature; et il était permis aux parties de se rétracter avant l’expiration de ce délai. C’est ce qui donna lieu, dit-on, à l’expression proverbiale.
Qui fit Normand, fit truand.
Truand est un vieux mot synonyme de mendiant, et dérivé de tru, autre vieux mot employé dans le sens de tribut, impôt prélevé sur chaque sujet. Les Normands furent, dit-on, appelés truands, parce qu’ils étaient si accablés d’impôts, que presque tous les paysans et les ouvriers étaient obligés de truander ou de mendier pour vivre.
NOUVEAU.—Au nouveau tout est beau.
Tout ce qui est nouveau plaît. Grata novitas.—Un autre proverbe dit: Celui qui met des culottes pour la première fois se regarde à chaque pas.
NOVICE.—Ferveur de novice ne dure pas longtemps.
L’ardeur qu’on met à remplir les obligations d’un nouvel état s’éteint bien vite; elle n’est qu’un feu de paille.
NOYÉ.—Un noyé s’accroche à un brin de paille.
Celui qui est dans une situation désespérée cherche à s’en retirer, en profitant du plus petit moyen qui lui est offert.
NUIT.—Passer une nuit blanche.
Le guerrier digne d’être reçu chevalier passait la nuit qui précédait sa réception dans un lieu consacré, où il veillait auprès de ses armes; il était revêtu d’un costume blanc, comme les néophytes de l’église, et de là vint que cette nuit, qu’on nommait veillée des armes, fut aussi nommée nuit blanche, expression que l’usage a retenue pour signifier une nuit sans sommeil.
NUMÉRO.—Entendre le numéro.
Avoir de l’intelligence, de la finesse; faire preuve d’habileté dans le commerce dont on se mêle, et savoir mettre à profit cette habileté.—Expression prise du jeu de blanque, dont il est parlé à l’article consacré à ce mot, page 145. Elle s’appliqua d’abord, dans le sens propre, à l’homme qui, en jouant à ce jeu, avait la main heureuse, comme on dit, et tirait presque toujours de l’urne un billet écrit ou numéro gagnant.