← Retour

La nouvelle Cythère

16px
100%

VIII

La politique à Papeete. — La presse. — L’annexion et les réserves. — M. Caillet. — Défenseurs et débitants — La politique étrangère. — Le délégué de Tahiti et le suffrage universel.

C’est bien la peine de courir aux antipodes pour fuir l’odieuse politique, ce qui nous divise le plus ! A Tahiti, à Papeete, on retrouve des partis qui ont des effectifs de coterie et des passions de factions, de factions ennemies et furieuses. On ne se hait point à demi sur cette terre volcanique. Il s’est fondé depuis quelque temps un journal qui prêche l’union et qui fait rire quand on sait à quoi tiennent tant de ressentiments. On peut, sinon concilier, du moins apaiser les querelles religieuses ; les compétitions d’intérêts jamais ! Et ici, comme partout ailleurs, davantage même, les intérêts bien plus que les opinions sont en lutte sous le couvert de la politique.

Il y a un Conseil général qui tient ses séances le soir pour le grand amusement de la population privée de spectacles. Dans une petite salle enfumée de pétrole, une douzaine de citoyens délibèrent sous la présidence d’un négociant notable et en présence du Directeur de l’intérieur. Le public a accès dans la salle et lie familièrement conversation avec les représentants du peuple. Ceux-ci sont pris dans toutes les professions : menuisiers, boulangers, horlogers, marchands de vins, épiciers, bouchers, etc. Deux ou trois défenseurs qui sont à peine bacheliers et se donnent du Maître un Tel, deux ou trois officiers de vaisseau qui ont pris leur retraite à Tahiti ; voilà pour les professions libérales.

On en entend de drôles. Le boulanger demande la parole. Il tient à la main le budget de la Colonie et constate avec douleur que les recettes prennent deux pages seulement tandis que les dépenses en occupent vingt-huit ! Tout le monde de rire. Un autre se plaint que l’administration laisse dire du mal du Conseil général et propose de faire venir à la barre de l’assemblée les gens assez mal inspirés pour le décrier, lui et ses collègues. Le Directeur de l’intérieur est interpellé au sujet du bel uniforme brodé d’argent qu’il arbore dans les solennités officielles, et s’excuse du mieux qu’il peut de ce travestissement.

L’esprit général de l’assemblée rappelle celui du Conseil municipal de Paris. Guerre à l’administration ! Mort à la police ! Plus de porteur de contraintes ! s’écrie l’un. A bas le Directeur de l’intérieur ! jure l’autre. Pratiqué dans ces conditions, le parlementarisme devient une chose assez plaisante. Soyons équitable. La bonne volonté ne manque pas à la majorité et le patriotisme non plus, mais l’expérience. Ce Conseil général est né d’hier. Il a besoin de faire l’apprentissage de la modération aussi bien que celui des affaires, et j’ajourne ses détracteurs à dix ans.

Il paraît trois journaux à Papeete. Ils ont le format du Petit Journal, sont hebdomadaires, et se vendent cinquante centimes le numéro. Tout est si cher ! Ces trois organes du quatrième pouvoir sont : le Messager de Tahiti, l’Océanie française, et la Cloche. Les deux premiers seulement ont quelque valeur. L’un attaque l’administration et l’autre la ménage.

A l’instar de Paris, Papeete a ses autonomistes dont le Messager est l’organe peu ou prou convaincu, et, sans trop savoir pourquoi, des conseillers généraux « revendiquent » pour Tahiti des institutions analogues à celles des colonies anglaises. Pour le parti de l’autonomie administrative, c’est des bureaux de la Direction des Colonies, à Paris, que vient tout le mal. A qui la faute si l’agriculture et l’industrie sont dans le marasme, sinon à ces odieux bureaux où l’existence même du Messager est d’ailleurs ignorée, m’assure-t-on ?

L’autonomie administrative n’est qu’un des passe-temps des politiciens de Tahiti. De plus graves questions les préoccupent, et je suis bien forcé de revenir au livre de M. Paul Deschanel pour rectifier des erreurs d’autant plus pardonnables que l’auteur de la Politique française en Océanie n’a jamais mis les pieds en Océanie.

La France est à Tahiti depuis 1842 et son protectorat, qui datait du 25 mars 1843, a pris fin le 29 juin 1880, date à laquelle le roi Pomaré V a cédé à la France tous ses droits, moyennant une petite pension de soixante mille francs et quelques menus cadeaux.

En vertu de l’acte d’annexion, Tahiti et ses habitants sont devenus français, électeurs comme vous et moi. C’est le commandant Chessé qui eut la bonne fortune d’obtenir la signature de Pomaré V et des chefs de districts. Dans sa hâte d’arriver à ce résultat depuis longtemps désiré, le négociateur dut accepter certaines réserves qui, sans annuler l’annexion, en réduisaient un peu la portée. Ces réserves avaient trait aux prérogatives des chefs et des Conseils de districts. On devait leur conserver des attributions judiciaires fort modestes mais dont le maintien n’était guère compatible avec l’organisation d’une colonie française. Tout heureux de la célébrité que pouvait lui valoir l’annexion, M. Chessé eut le tort d’exagérer à Papeete la signification de ces fameuses réserves tandis qu’il s’attachait, dans sa correspondance avec le ministère de la marine à Paris, à en diminuer l’importance véritable.

Ce fait n’a pas été mis suffisamment en lumière par M. Paul Deschanel dans son livre. Il avait sa gravité cependant. Tant qu’un acte nouveau n’était pas intervenu, tant que les réserves n’avaient pas été abolies d’un commun accord, il subsistait dans les relations entre l’administration et la population un malentendu fâcheux.

L’administration actuelle a entrepris de restituer à Tahiti son ancienne vie politique, de rendre le souffle à ses orateurs, en transformant les districts en communes s’administrant elles-mêmes sous son contrôle. En échange de ces attributions précieuses, les Tahitiens ont renoncé sans trop de peine au bénéfice des réserves.

C’était là, au dire des personnes les plus autorisées, une affaire de loyauté. Tout ce que l’on pouvait tenter par surprise ou par menace pouvait échouer misérablement. Je sais bien que, d’un autre côté, on attribuait les résistances du roi moins à une conviction personnelle et raisonnée qu’aux conseils de son entourage. On allait plus loin. On prétendait que ce n’étaient pas seulement des Tahitiens qui l’encourageaient à ne point abandonner les réserves mais des Français, et des plus honorables.

On m’avait nommé à ce propos M. Xavier Caillet, lieutenant de vaisseau en retraite, ancien directeur des affaires indigènes. Je me suis fait présenter à M. Caillet et j’ai eu avec lui plusieurs conversations intéressantes. C’est une physionomie curieuse que celle de cet officier de marine qui a fait de Tahiti sa terre d’élection.

Il porte sur le visage des marques de son courage : dans un incendie, il a eu les deux yeux brûlés, et c’est miracle s’il n’a point perdu complètement la vue. Plus tahitien que les Tahitiens eux-mêmes, M. Caillet se demande de quel droit on prétend les civiliser et quelle civilisation on leur apporte. Il impute la dégénérescence de la race à la présence des papâa et ne ménage pas les duretés aux missionnaires. En convertissant les indigènes au christianisme, on les a persuadés de ne point se contenter pour vêtement de la tapa, sorte de tablier de la dimension d’une feuille de vigne. Ces conseils ont été suivis. L’indigène s’est habillé et il a renoncé à s’enduire le corps d’huile de coco, ce qui pourtant le préservait beaucoup mieux des chauds et froids que le calicot de la civilisation. C’est par là que la phthisie a pris ces hommes et ces femmes jadis si beaux et si robustes. Telle est la théorie de M. Caillet, qui professe en outre que l’alcoolisme et toutes sortes de maladies seraient encore inconnus à Tahiti si les Européens ne s’y étaient jamais montrés. Ainsi que tous les paradoxes celui-là touche à la vérité comme la tangente à la circonférence, par un point. M. Gaillet ne s’arrête pas en si bon chemin : « Que faisons-nous ici ? me dit-il. Ce pays est sans avenir. Il ne pourrait produire assez pour l’exportation que si on laissait certains colons exploiter à leur gré les Tahitiens qui valent mieux qu’eux. Pourquoi voulez-vous apprendre le français aux indigènes ? On leur donne des droits et des lois qu’ils ne comprennent pas et dont ils n’ont que faire. Avant Cook et Bougainville, nous avions des institutions parlementaires, des orateurs… » J’interrompis mon interlocuteur sur ce nous qui attestait sa naturalisation tahitienne. Il sourit et se lança dans une sortie très animée contre la rapacité et les méfaits des colons auxquels il venait de faire allusion. Et, passant à un autre ordre d’idées, il entreprit de me démontrer que l’on avait dépensé en pure perte beaucoup de temps et d’argent pour convertir les indigènes du protestantisme au catholicisme.

M. Caillet vit au bord de la mer sur une plantation dont il a abandonné la moitié à son fermier. Il partage son temps entre les mathématiques et la direction de l’himéné des Atiu, une colonie d’indigènes des îles Cook, qui ont un village près de Papeete. J’allais oublier de dire qu’il fait partie du Comité de surveillance de l’Instruction publique, et qu’il correspond avec plusieurs sociétés de géographie. C’est un aimable vieillard bien que têtu comme un Breton qu’il est, et, s’il se trompe, c’est de si bonne foi que son erreur en devient respectable. Elle a d’ailleurs pour point de départ une probité trop absolue pour se concilier avec la raison d’État. Et puis, si M. Caillet tenait plus que Pomaré lui-même aux réserves, c’est qu’il avait signé à l’acte d’annexion, et porté la parole pour expliquer aux Tahitiens ce que l’on voulait d’eux ainsi que les engagements que l’on prenait à leur égard.

On ne saurait parler de la politique à Papeete sans consacrer quelques lignes aux défenseurs et aux débitants, ces deux fléaux de la colonie. En elle-même, la profession de défenseur est honorable, et il s’en faut que tous ceux qui l’exercent soient des hommes nuisibles. Il y a de bons avocats s’il y en a de mauvais. Les uns défendent la veuve et l’orphelin ; les autres prennent les intérêts de la veuve et le capital de l’orphelin. A Tahiti, le défenseur est en même temps un homme d’affaires. Il se mêle de tout et à tout, et la confusion des lois tahitiennes et du Code civil lui fait la partie belle. La propriété n’étant pas encore délimitée, les contestations sont fréquentes. Le Tahitien est processif. Il dit volontiers, même quand il n’a aucun droit sur la terre qu’il revendique : « Essayons ! » On peut juger par là s’il est facile à un défenseur de provoquer des procès. Et l’on se doute bien que ce n’est pas parmi eux qu’il faut chercher des partisans d’un état de choses mieux défini que celui qui existe présentement.

Il est bon de dire qu’à la longue, les Tahitiens se sont aperçus qu’insensiblement leurs terres leur échappaient, mangées par les procès et ils ont conçu quelque défiance des défenseurs. Ceux-ci font cependant de bonnes affaires et réalisent encore des gains sérieux. Ils se font élire au Conseil général pour la plupart, et leur éloquence fait merveille dans les luttes de la tribune.

Après les défenseurs, les débitants. Le marchand de vins, empoisonneur patenté, fait ici fortune en peu d’années. Il vend du vitriol pour du rhum, du bois de campêche pour du vin, de l’eau-de-vie de betterave pour du genièvre, trompe sur la quantité comme sur la qualité, est bien vu de la police et des conseillers généraux parce qu’il est une puissance électorale, et se moque des lois. C’est chez lui que le Tahitien et la Tahitienne viennent acheter la démence en bouteilles ; c’est grâce à lui que le : « Qu’ils crèvent ! » d’un assimilateur à outrance sera bientôt une réalité. Le défenseur prend la terre de l’indigène et le débitant sa raison et sa vie. Il y a entre eux une association de fait, malfaisante, funeste, criminelle puisqu’elle ne s’enrichit que de l’ignorance et de l’abrutissement. Si l’on eût interdit l’exercice de ces deux professions, prohibé les procès et la vente de l’alcool, Tahiti serait peut-être autrement prospère. Longtemps on refusa la liberté de boire aux Tahitiens ; M. Chessé la leur donna au lendemain de l’annexion. Présent mortel. Lourde responsabilité que la sienne.

J’en parle d’après des gens qui habitent la colonie depuis plus de vingt ans et n’ont pas encore pris leur parti de ce qu’ils voient. On le sent à l’exagération même de leur langage.

A Tahiti l’on n’est guère républicain et l’on n’est pas beaucoup monarchiste. Les querelles de petite ville que j’ai peut-être vues au microscope, les rivalités d’intérêt, les âneries, les préjugés des uns et des autres, voire les appétits aiguisés des défenseurs et des débitants, se fondent ou s’atténuent quand le nom de Patrie est prononcé. Comment en serait-il autrement ? Si loin de Paris et du monument gréco-bourgeois où délibère la Chambre des députés, les batailles parlementaires les plus retentissantes, même celles qui coûtent la vie à un ministère, n’ont qu’un écho affaibli quand elles en ont un. A cette distance, on cesse de les comprendre et de s’en émouvoir.

Il n’en va pas ainsi de la politique étrangère. Une fois hors de France, comme on sent à quelles profondes inimitiés sont en proie les grandes nations de l’Europe, inimitiés fatales et mortelles ! Ici, c’est l’Angleterre que l’on rencontre devant soi ; là, c’est l’Allemagne ; ailleurs l’Italie, l’ingrate Italie ! A Paris, l’étranger c’est un promeneur, un homme qui a le tort de se montrer en veston à l’Opéra et de circuler dans les rues juché sur l’impériale d’un char-à-bancs. A Papeete, l’étranger, c’est le rival, c’est l’ennemi. C’est le concurrent qui ajoute à la patente du commerçant l’exequatur du consul. Parfois d’étranges pensées montent aux cerveaux. S’occupe-t-on de Tahiti à Paris ? Veille-t-on jalousement sur ces archipels semés dans la partie orientale du Pacifique ? Le bruit ne courait-il pas, l’an dernier, qu’on allait céder Rapa à l’Angleterre ? Là-dessus, le Conseil général s’est formé en comité secret et les résolutions les plus viriles ont été votées, en dépit de la loi qui interdit les vœux politiques. Entre les mains des Anglais, Rapa où l’on trouve un port excellent, Rapa qui possède des mines de charbon, Rapa devenait la clef du futur canal de Panama, car c’est aussi une escale indiquée sur la route de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. On ne pouvait pas tolérer cela !

Aussi le Gouverneur de la Colonie s’est-il rendu, au cours de sa dernière tournée, à Rapa où il a trouvé une population intéressante bien que peu nombreuse. On accède dans la baie d’Ahurei par une passe semée de pâtés de coraux au milieu desquels le navire doit faire de brusques et nombreux coudes et parfois évoluer à angle droit. Le village compte à peine une quinzaine de cases assez pauvres d’aspect. L’unique maison digne de ce nom est la gendarmerie.

La population semble se développer. Les enfants sont nombreux et charmants. On en trouve qui savent quelques mots de français appris à l’école du brave gendarme. Il n’est pas trop malaisé de faire l’ascension de la colline sur le flanc de laquelle des affleurements de lignite ont révélé la présence du charbon, sans qu’il fût possible d’ailleurs d’en déterminer la qualité et la quantité. Pour ce faire, il serait à désirer que la colonie fît la dépense d’une mission scientifique.

Le climat de Rapa est tempéré. On pourrait y établir un sanitarium où viendraient se retremper les Européens éprouvés par le climat débilitant de l’Amérique méridionale ou de l’Océanie elle-même. Le Gouverneur était accompagné par un pharmacien principal de la marine en mission à Tahiti, M. Raoul, qui avait apporté un grand nombre d’arbustes et qui a passé plusieurs jours à planter des vignes.

Les chefs ont été réunis. Ils ne paraissaient pas bien comprendre, tout d’abord, la nature de leurs rapports avec la France dont ils ont accepté le pavillon. Le célèbre axiome « donner et retenir ne vaut » était absolument lettre morte pour eux, et ils s’imaginaient que Rapa était libre de suivre des lois particulières et d’accueillir avec le même empressement toutes les couleurs. Il est probable que les visites de bons Anglais n’étaient pas tout à fait pour rien dans la réserve, dans la méfiance, pour mieux dire, des indigènes.

La visite du Gouverneur aura eu pour effet de faire disparaître cette méfiance, et l’on m’a assuré qu’à la suite des explications échangées, Rapa était bien et définitivement devenue une terre française.

Il était temps d’agir. Cet îlot perdu de l’Océanie aux mains des Anglais, c’était notre puissance mise en échec, c’était la vie commerciale de Tahiti déjà si restreinte s’éteignant peu à peu. Rapa, rattaché pour tout de bon aux Établissements français de l’Océanie orientale, c’est un port magnifique et sûr où notre flotte pourrait en temps de guerre maritime trouver un abri, voire le combustible nécessaire à ses machines ; c’est, grâce au climat, à la fois un sanitarium et une pépinière ; c’est enfin cette escale de la route de Panama sur la Nouvelle-Zélande et l’Australie conservée à la nation qui a le plus fait pour l’accomplissement de l’œuvre gigantesque du creusement du canal, à la patrie de M. Ferdinand de Lesseps.

Il y avait encore cette histoire des Iles sous le Vent où se prolongeait indéfiniment une situation des plus fausses. Le dénouement de cette intrigue trop peu compliquée est venu à temps. Est-ce tout ? Non. L’Allemagne est aux Samoa ; l’Angleterre aux Tonga et aux Fidji et convoite les îles Gilbert. Les Américains visent l’île de Pâques et travaillent à s’assurer le pouvoir aux Sandwich. Les îles Wallis, et les îles Cook sont acquises à la France, mais nous n’osons nous montrer ouvertement dans ces dernières. Au milieu de ces compétitions où Tahiti même n’est qu’un enjeu, le sentiment patriotique est tenu en éveil et ce n’est pas un couplet de café-concert que cette passion profonde, ardente et réfléchie tout ensemble. « Pas un pouce de notre sol, pas une pierre de nos forteresses » n’est pas ici la formule académique d’un héroïsme de rhéteur, c’est l’expression de l’opinion publique, la manifestation de l’âme même de la colonie.

Je croyais en avoir fini avec la politique à Papeete quand un colon est venu m’entretenir du délégué de Tahiti. Comme toutes les Colonies qui n’envoient point de député à la Chambre, Tahiti nomme un délégué au Conseil supérieur des Colonies, une assemblée qui se réunit quelquefois rue Royale, dans ces bureaux où la tradition veut que l’on conspire de tout temps la perte de ces pauvres colonies. Le délégué actuel est, à ce qu’on m’assure, un très galant homme, un peu pasteur, un peu journaliste, un peu écrivain et un peu orateur, en passe de rendre quelques services. Les protestants de Tahiti se sont employés à son élection, ce qui lui a fait un tort considérable aux yeux du Messager dont il est la bête noire. Quand cette feuille a dit Miti Puaux, elle a tout dit. L’esprit ne coûte pas cher à Papeete. Ce qui a surtout irrité le parti catholique, c’est que M. Puaux a été élu sans qu’on le connût à Tahiti et sans qu’il connût Tahiti.

Il faut dire que le suffrage universel fonctionne dans des conditions très particulières. Tout d’abord on n’a jamais publié en tahitien les lois et décrets qui faisaient de l’indigène un citoyen français. Ensuite, on ne s’est jamais donné la peine de lui expliquer de quoi il retournait. A certains jours, on convoque les Tahitiens à la chefferie, et on les invite à déposer dans une petite boîte un morceau de papier. Quelques-uns, qui ont du bon sens, mettent un bout de papier blanc ; ils sont la minorité. Quinze jours ou trois semaines après s’être livrés à cette opération, les « électeurs » apprennent qu’ils ont fabriqué un Conseil général ou un délégué. Bien entendu, ils n’ont que des notions très vagues sur ce que peuvent être cette institution et ce personnage.

Les catholiques votent pour les candidats de la Mission catholique ; les protestants votent pour les candidats de la Mission protestante. Le roi jouit d’une certaine influence dans les districts. Il en use pour faire voter en faveur des candidats que lui désignent ses compagnons de fête. C’est un beau gâchis.

Chargement de la publicité...