La nouvelle Cythère
XXII
CONCLUSION
Il est temps de conclure. Après avoir vu la Nouvelle Cythère en touriste désenchanté, j’ai fait, un peu par procuration, il est temps de l’avouer, le voyage des Gambier et des Tuamotu. J’ai tenté de décrire, après beaucoup d’autres, ces terres lointaines et les mœurs de ces peuples encore enfants. J’y ai peut-être mis de la passion par endroits. L’impartialité est la vertu des neutres : je ne me flatte pas d’être impartial. Il me suffit d’avoir été sincère, je n’ose dire véridique. Je laisse à de plus présomptueux la prétention de pénétrer les ressorts intellectuels et moraux d’une race si différente de la nôtre. Que je l’aie étudié dans le passé ou dans le présent, le peuple tahitien m’a inspiré, une fois ma curiosité satisfaite, un grand et profond intérêt ; j’ajouterai de l’estime et de l’affection. Est-ce parce que j’ai retrouvé dans son goût pour les fêtes et pour les discours au moins deux de nos travers athéniens ? N’est-ce pas aussi parce que ces Français d’hier ont pour la France un si vif amour ?
Je quitte ce pays hospitalier en faisant pour son avenir des vœux ardents. Je le souhaite couvert de routes et d’écoles, guéri de ces deux plaies de l’alcoolisme et de la prostitution qui tuent ses enfants, s’ouvrant au travail libre et spontané, retrouvant avec des institutions communales le goût de la vie publique, et s’enrichissant, non selon la formule égoïste et bourgeoise d’un Guizot, mais selon la donnée humaine et philosophique où les intérêts privés et généraux se confondent avec les lois morales.
Je ne m’imagine pas que demain Tahiti s’assimilera notre civilisation, ses splendeurs et ses raffinements ; je n’ambitionne même pas un résultat qui s’achèterait au prix de la perte de sérieuses qualités natives. Je ne suis pas plus épris, je le concède, de la culture excessive qui mène à la névrose, que de l’état de nature où l’homme est semblable à la bête. Ceci est l’œuvre du temps. J’ai trop le respect de l’âme et de l’esprit pour vouloir qu’on entreprenne une expérience qui ne pourrait être que funeste, car elle se tenterait en dehors des conditions normales de l’évolution et de la liberté.
Je n’ai pas tout dit sur la Nouvelle Cythère. Quelque effort que j’aie fait pour ne laisser dans l’ombre aucun trait intéressant, aucune particularité digne de remarque, il reste plus d’un livre à écrire après celui-ci. On n’en publiera point, je pense, de plus dégagé des préoccupations de secte.
Quelques jours avant mon départ de France, Pierre Loti me faisait donner par un ami commun ce conseil. « Aimez les Tahitiens ! » L’accueil que nous avons reçu, la très chère compagne de ma vie et moi, m’a rendu aisé ce simple devoir. Aussi est-ce à ses fétii que Teraï Tua dédie affectueusement ces quelques pages.
FIN