La retraite ardente : $b roman
XIX
De nouveau, le malade est étendu dans son lit. Il ne se lève plus, et il ne demande plus qu’on le lève. Aggravation de son mal ? Usure ? Non. Retour à son état véritable. Une violente passion a ramassé dans ce corps ce qui demeurait de forces éparses. Dépensées plus lentement dans le jour à jour d’une vie chétive et sans ardeur, ces mêmes forces ne l’auraient pas sauvé.
Il ne souffre pas et son humeur est calme. L’ange est auprès de lui, redevenu ange. Rien de changé dans leurs apparences : mais elle n’a plus d’angoisse ni d’émoi, et lui n’a plus de désir. Entre eux, dans la gravité de ces heures, la communion de l’amour, loin de se relâcher, se fait plus étroite. Et dans le sens originel et absolu du mot, ils « se comprennent » enfin, c’est-à-dire qu’ils s’absorbent l’un l’autre.
Le médecin vient chaque jour, ausculte attentivement la base des poumons et le cœur, exhorte le malade, s’il ne peut se lever, à rester le plus possible assis sur son lit. Puis, d’un ton qu’il s’efforce de rendre cordial :
— Monseigneur, dit-il, c’est une question de patience. Nous voilà dans une période stationnaire… Mais tout ce que nous avons acquis reste acquis.
Et il s’en va, souriant, sans que Madeleine l’accompagne.
Le comte Osterrek vient aussi chaque jour visiter son royal camarade. Le prince lui fait bon accueil. Mais, comme on lui interdit de parler trop, l’entrevue ne dépasse guère une demi-heure. Une fois, le prince a demandé :
— La comtesse d’Armatt a-t-elle quitté la ville ?
— Non, monseigneur. Elle est toujours au Bellevue.
Et, là-dessus, ils n’ont rien dit de plus.
Enfin un troisième visiteur pénètre quotidiennement, à la nuit tombée, dans le Palace et dans la chambre, si discrètement que, chaque fois, il apparaît au chevet du malade sans que nul bruit de pas ou de porte l’ait annoncé. D’ailleurs, sa taille est très petite et sa soutane noire semble se diluer comme une ombre dans l’ombre.
Le reste des heures, le malade et l’infirmière les passent tête à tête. Madeleine a livré son secret à cette oreille d’ombre qui déjà l’écouta dans l’église noire et blanche. Comme naguère sur Stéphanie, le Ego te absolvo est descendu sur elle. Et voici que de nouveau les voix d’au-delà conversent avec elle… Sûre de sa réconciliation, elle ne se défend point d’aspirer dans sa mémoire et dans son cœur la forme mortelle de son maître, pour l’y garder autant que dureront cette mémoire et ce cœur. Et lui, écoutant la voix lente et pressante qui lui verse la paix, apprend à ne pas avoir peur.
Il mourut l’avant-dernière nuit de novembre. Dans la journée, respirant avec peine, mais calme et lucide, il avait reçu l’onction des mains de l’abbate Nervi. Un peu plus tard, le comte Osterrek et la comtesse d’Armatt, introduits quelques instants, avaient entendu ses adieux. Son désir formel fut ensuite d’être laissé seul avec Madeleine. Il lui livra ses mains et ne prononça plus une parole. Tant que ses yeux eurent la force de regarder, il la regarda. Puis, comme tous les soirs précédents, Madeleine le vit fermer ses paupières. Et ce fut par le contact des mains qu’elle sentit défaillir peu à peu la chaleur vivante de son maître bien-aimé.
Il avait signifié sa volonté de reposer dans le cimetière de la petite ville lacustre. C’est un jardin d’arbres verts, peuplé d’abondantes et naïves sculptures. Toute la population passagère et un grand nombre d’habitants suivirent le cortège que conduisait Osterrek, représentant officiel de la famille royale. Stéphanie, non plus que Madeleine, n’y figuraient point. On ne put, faute de temps, qu’installer provisoirement sur la tombe une dalle et une croix de marbre. Elles disparurent vite sous les chrysanthèmes, les mimosas et les roses que les assistants — surtout des femmes — y déposèrent.