La retraite ardente : $b roman
VII
Stéphanie connut la grâce délicate des jours de néophyte. Elle s’était approchée de la sainte agape avec un émoi que sa première communion avait ignoré. Et, depuis lors se poursuivait aveu par aveu, désir par désir, bonheur par bonheur, cette tendre initiation des fiançailles, que ni le premier mariage, trop brutal, ni le second, trop sensuel, ne lui avaient dispensée. Tout le vocabulaire de ces mystiques fiançailles, puisé dans les lectures qui maintenant étaient sa seule et passionnante distraction, cette langue fiévreuse empruntée à l’amour humain, mais sublimée par l’amour divin, elle les connaissait, elle se les était incorporés ; ils montaient naturellement de son cœur à ses lèvres. Elle en usait même plus fréquemment que Madeleine. Dieu n’était plus pour elle ce despote lointain et courroucé qui, manifesté par la catastrophe du déluge, par les tonnerres du Sinaï ou par les massacres d’Amalécites, semble garder dans sa majesté terrible quelque chose d’oriental et de barbare. Dieu, c’était pour elle, désormais, un enfant ou un fiancé. Un enfant délicieux auquel elle disait, comme la sainte Carmélite de Lisieux :
« Je m’étais offerte à lui pour être son petit jouet. Je lui avais dit de ne pas se servir de moi comme d’un jouet de prix, mais comme d’une petite balle de nulle valeur, qu’il pouvait jeter par terre, pousser du pied, percer… »
Oui. L’enfant avec sa grâce égoïste et ses caprices… Mais plus souvent encore, le fiancé. Fiançailles si doucement émouvantes que, pareille à tant de jeunes filles dans l’enchantement de ce blanc mariage, la fiancée n’avait point de hâte qu’il s’achevât. La bienheureuse Marguerite-Marie n’a-t-elle pas dit : « Mon divin maître me fit comprendre que c’était là le temps des fiançailles, et qu’à la façon des amants les plus passionnés il me ferait goûter pendant ce temps ce qu’il avait de plus doux dans les caresses de son amour… » ?
Heureuse Stéphanie ! Cœur enfin comblé ! La retraite, d’abord désertique, glaciale, s’est peuplée, s’est faite ardente. « Comment n’ai-je pas compris, n’ai-je pas ressenti cela quand j’étais une jeune fille pure ? Comme j’étais insensible et tiède à la vie spirituelle ! Cependant on me disait les mêmes choses que j’entends ici, et les livres qui me transportent à présent, il ne tenait qu’à moi de me les procurer et de les lire ! Mais non… Les exhortations, les prières, les prédications glissaient sur mes oreilles, et les ouvrages pieux m’inspiraient un insurmontable ennui ! » Le même regret amer étreint son pauvre cœur, qu’elle a senti naguère lorsqu’elle offrit à l’amour du prince Paul un corps dévirginé. Que ne pouvait-elle apporter au fiancé divin, avec des membres sans souillure, un cœur immaculé ! Dans ses pressantes oraisons, elle en souffre parfois jusqu’à verser des flots de pleurs.
Cependant, avec une progression insensible et sûre, la vie mystique tissait autour d’elle l’emprisonnement de son réseau mystérieux. Des limbes glacials où elle avait frissonné, les premiers jours, elle était passée peu à peu à ce qu’on pouvait appeler le vestibule de la vie claustrale. Point encore associée au groupe des postulantes ou des novices, mais avec un petit nombre de privilégiées (il n’y en avait actuellement que deux autres parmi les retraitantes) autorisée à suivre les moniales à tous les offices, matines exceptées. Ainsi, dans la vénérable chapelle voûtée qui s’enfonçait en partie dans le sol actuel du monastère, et séparée des religieuses par une simple balustrade, elle s’exaltait au spectacle de ces vingt-cinq formes violettes, drapées d’un manteau blanc. Comme elles étaient immobiles ! On avait beau guetter leur maintien, on ne savait si les oscillations légères de ces statues vivantes n’étaient pas une illusion de l’œil fatigué par l’attention. Stéphanie s’imaginait elle-même à l’une de ces stalles, vêtue d’un de ces manteaux. Une âme de moniale vivait en elle ; l’oraison s’épanouissait naturellement, et le commerce avec le divin fiancé s’établissait dans une délicieuse sécurité… Aucune fatigue à prier, pas même de distraction : l’esprit épuré voltigeait bien de cime en cime dans la forêt mystique, mais jamais il ne rebroussait son vol vers les végétations vénéneuses du monde. Stéphanie priait avec instance pour celui qui avait été le Maître de son destin : eh bien ! en suscitant par l’imagination cet absent longtemps adoré, elle n’imaginait que le pécheur à sauver. Quelle amoureuse éperdue songerait aux gestes de l’amour si elle apercevait son amant accroché à une racine d’arbre et le corps pendant vers le précipice ? Elle ne songerait qu’à le secourir… Et pareillement dans ses entretiens avec Madeleine, qui demeurait sa monitrice et avec laquelle elle amalgamait de plus en plus son âme, le pécheur invisible était toujours présent.
Ainsi, elle s’enfonçait par degrés dans la paix du cloître, et le cloître réalisait avec largesse l’espoir de cette paix qu’elle y était venue chercher. Elle-même s’en étonnait, et, rompue maintenant à la discipline ascétique, il lui semblait surprenant qu’elle eût parcouru si vite et si aisément les premières étapes : la quiétude et l’union. Son intelligence et sa volonté lui semblaient bien affranchies, vidées de tout souci humain ; le divin fiancé les y avait remplacés. Et elle tendait de tout son vouloir à franchir les étapes suivantes : l’extase et le mariage spirituel.
— Je suis heureuse, disait-elle à Madeleine. J’ai trouvé ma voie. Et je finirai ma vie dans cette maison.
— Peut-être, répondait la jeune fille. Mais ne croyez pas que la voie vous sera aussi douce, toujours !
La retraitante en fit bientôt l’épreuve.
« Afin que la grandeur des révélations ne m’exaltât pas, dit saint Paul, il me fut donné un stimulant de ma chair : un ange de Satan, qui me souffleta… Ce pourquoi, afin qu’il s’éloignât de moi, je priai trois fois le Seigneur et il me dit : Ma grâce te suffit ; car la vertu se parfait dans l’infirmité… »
En plein état de bonheur mystique, un jour, étant en oraison devant le tabernacle, Stéphanie reçut le soufflet de l’ange pervers.
Tous les mystiques, sauf quelques privilégiés (les deux saintes Thérèse, la grande et la « petite », sont parmi ces exceptions), ont reçu le soufflet de Satan.
Écoutez Marguerite-Marie, la bienheureuse, racontant sa propre vie :
« Ma Supérieure me dit : Allez tenir la place de notre roi (Louis XIV) devant le Saint-Sacrement… Et y étant, je me sentis si fortement attaquée d’abominables tentations d’impuretés qu’il me semblait être déjà en enfer. Je soutins cette peine plusieurs heures, jusqu’à ce que ma Supérieure m’eût levée de cette obéissance… »
Ce que n’évitent guère des moniales rompues à la prière, à l’abstinence, à la pénitence ascétique, Stéphanie ne fut pas outre mesure étonnée de le subir. Cela commença par une évocation presque visuelle d’une chose de son passé, d’une image, d’un incident comme sa vie d’esclave amoureuse en avait beaucoup contenu. L’évocation, très nette, ne fut accompagnée en elle de nul sursaut de désir. Une sorte de contemplation statique : quelques instants de jadis repassaient comme sur un écran interposé entre elle et l’autel, et le spectacle, sans l’émouvoir, lui plaisait. Elle se surprit dans cette délectation et aussitôt tendit sa volonté pour l’interrompre. Elle y réussit d’abord. Madeleine, dont le mysticisme s’accordait (ce qui n’est point rare) avec un solide esprit pratique, lui avait appris comme on mobilise promptement toutes ses forces de résistance contre le Tentateur. L’apologue des portes closes, des bêtes qui rôdent et qui grattent, Stéphanie ne l’oubliait guère, et plusieurs fois elle avait eu recours au système défensif qu’il symbolise, non contre des pensées licencieuses, puisqu’elle n’en avait pas subi l’assaut, mais contre des afflux de rancœur et de découragement. Cette fois encore, elle essaya de lutter, fermant les accès de sa pensée. Mais, en pleine tension de son vouloir, la pensée reprenait sa liberté, ou plutôt une autre pensée, avec son cortège de souvenirs et d’images, semblait se substituer à la première, comme une lumière intense absorbe une faible lueur. La voilà de nouveau en train de revivre sa passion d’amoureuse et (comme si le Tentateur eût ironisé) ce qu’il lui faisait revivre, c’était particulièrement les heures que sa conscience assainie détestait le plus, qu’elle aurait voulu détruire dans le passé. Elle s’y complaisait à présent, encore sans désir, mais comme on se plaît à entendre chanter dans sa mémoire un air qu’on a réellement entendu.
Elle essaya d’une autre défensive pratique que recommandait Madeleine contre l’indiscipline de la pensée. Elle récita très lentement des oraisons familières, en accentuant chaque syllabe. Au bout de trois ou quatre mots prononcés, les lèvres seules continuaient d’articuler fidèlement, tandis que la pensée retournait à ses évocations de stupre, s’y installait, s’y roulait dans une honteuse euphorie. Le contraste entre les pieuses paroles et la délectation impure devint insupportable à la persécutée. Elle se leva et quitta la chapelle, avec l’étrange espoir que le Tentateur y demeurerait sans elle.
En effet, le seul jeu de ses membres la soulagea, pendant qu’elle regagnait son logis à travers les corridors fuyants et les escaliers muets. Mais, à peine seule dans sa chambre, elle constata que le Tentateur l’y avait suivie. Il était là, rôdant autour d’elle, changeant diaboliquement l’atmosphère de cet asile, changeant aussi, comme par une induction fluidique, la sensibilité de celle qui l’habitait, commençant à lui faire désirer ce que tout à l’heure elle essayait de repousser, à lui faire souhaiter que la tentation ne s’abolît point… Pourtant, elle luttait encore, disant des bouts de prière, levant vers le Crucifix des yeux d’imploration, ouvrant un instant la porte de sa chambre comme pour s’échapper, s’arrêtant sur le seuil avec le souhait qu’un être humain passât, auquel elle pourrait s’accrocher pour parler de n’importe quoi et par là contraindre sa pensée. Mais le Tentateur avait choisi l’instant : vide complet dans le grand corridor. « Eh bien ! je vais courir chez la Sœur Incarnation… ou encore je me jetterai aux pieds du Père Orban, et je le supplierai de me délivrer. Je suis sûre que d’un mot… » Mais déjà sa lutte contre l’adversaire n’était plus qu’une apparence, qu’un simulacre, et l’adversaire n’était plus l’adversaire. Un espoir pervers succédait en elle à l’état de révolte et de lutte : comme un peuple qui sent sa défaite inévitable finit par en souhaiter la consommation, pour n’avoir plus à combattre. Elle rentra dans sa chambre, en referma la porte, s’assit à sa table. La vie de saint Jean de la Croix était ouverte devant elle. Elle ne vit point le livre, ne vit plus rien du décor austère qui l’environnait. Elle se tint immobile, les mains sur les genoux, et s’abandonna sans réaction, comme sans élan, au mystérieux champ d’influence qui l’environnait, glissait sur elle, la pénétrait. Volupté de ne plus résister, de se déclarer vaincue, d’attendre ! « Après tout, j’ai fait ce que j’ai pu ! » Cette suprême excuse voltigea dans sa pensée ; ses lèvres même la prononcèrent. Puis elle laissa sa pensée et sa mémoire s’ouvrir au rappel du passé : la volonté ne jouait de rôle que parce qu’elle abdiquait consciemment. Elle n’avait pas besoin de fouetter l’imagination ni même de la guider : les images, le son des mots revivaient avec une extraordinaire intensité, et ce que ce réveil avait de délicieux, c’est qu’il laissait provisoirement en repos la sensualité proprement dite. Ainsi, durant sa vie d’amour, Stéphanie avait connu parfois, après de trop longs et trop violents bonheurs, des heures de méditation qui les faisaient renaître aussi intenses, mais sans la participation des sens épuisés. Pareille lassitude les engourdissait en cet instant, et, par cela même, cette plongée dans la volupté prenait un caractère presque immatériel. Des gestes, des attitudes, qui, dans leur réalité, lui avaient laissé le dégoût d’avoir mordu dans un fruit gâté, se reformaient autour d’elle, bien plus alliciantes que les vraies, car elles semblaient nimbées de poésie, bercées d’harmonie. Des lèvres irréelles peuvent donc donner des baisers ? Des mains de rêve peuvent donc toucher, frôler, caresser ? Ce n’est pas un rêve, puisque la patiente est pleinement en réveil. C’est une sorte d’extase impure. Le Tentateur a vu cette âme vidée de pensée et de volonté par la discipline mystique, et il y a aussitôt versé son philtre corrupteur.
Cela dura… peut-être une heure, peut-être davantage. Stéphanie ne s’en expliqua jamais avec Madeleine, qui seule aurait pu préciser combien de temps elle l’avait laissée seule. La fin de l’extase malsaine fut brutale : un réveil de la sensualité, endormie depuis que la fugitive avait échappé à son mari et à la Cour. Abdiquant toute résistance, elle pensa éperdument à ce Maître despotique qui l’avait recréée pour la passion, et qui lui avait fait découvrir à quel point elle était, elle-même, un corps et une âme de passion. Elle le rejoignit par le désir. Elle le voulut. Elle l’appela… « Tout ce qu’il voudra de moi… ou contre moi, mais qu’il vienne, que je le retrouve ! » Des larmes d’énervement mouillaient ses yeux, ses doigts se crispaient sur le vide… « Je le veux ! Je te veux ! » Elle quitta la chaise où elle avait subi l’assaut de la tentation, où elle avait savouré l’extase impure ; elle se jeta, hagarde et haletante, sur sa couchette de couvent, et là, prostrée, elle répéta comme une oraison fervente le don d’elle-même à l’amant absent : « Je t’aime ! Je suis toute à toi ! Je t’aime ! » Elle se sentit vraiment la proie de l’amour, tout ce qu’il y avait en elle de libre, de volontaire, d’exalté vers l’idéal, soudain refoulé en des profondeurs inaccessibles. A ce degré de tension, son pauvre être matériel éprouvait plutôt de la souffrance que de la joie à s’abîmer dans l’Absent, à se confondre avec lui aussi matériellement que s’il eût été là ; mais cette douloureuse délivrance rejoignit, aux limites de la sensation perceptible, la volupté de la possession.
Une telle prostration passionnée fut suivie de quelques minutes calmes, d’abord assez semblables à un demi-sommeil, puis peu à peu lucides. Alors elle aperçut le désordre de ses vêtements, de sa chevelure, du lit sur lequel elle gisait. « Madeleine !… » pensa-t-elle. Et la peur de la voir apparaître suffit à la jeter sur pied, fiévreusement active pour tout replacer, sur elle et autour d’elle, dans l’ordre accoutumé. Quand Madeleine rentra de son oraison, elle trouva Stéphanie assise devant sa table, les yeux sur l’ouvrage de saint Jean de la Croix. Elles causèrent. Le regard de Madeleine fut presque insupportable à Stéphanie. Pourtant Madeleine parlait comme d’habitude, par petites phrases espacées, prononcées avec lenteur et construites avec précision. Elle disait, comme d’habitude, des choses à la fois pratiques et édifiantes ; sa gaieté d’enfant fusait par moments en rires ingénus ; ses prunelles couleur de poussière, qui jamais n’avaient paru plus impénétrables, dardaient sur les yeux de la pécheresse leur perçant regard, et la pécheresse avait la sensation qu’ils pénétraient au profond d’elle-même, tels ces faisceaux électriques que les médecins projettent dans la gorge, après avoir masqué leur propre visage. Madeleine aussi, malgré sa gentillesse tendre et sa bonne humeur, semblait masquée à Stéphanie. « Elle devine. Elle sait. Elle voit la honte qui habite en moi… » L’inquiétude d’être percée à jour et de laisser paraître sa honte amortit pendant quelque temps le trouble sensuel : elle put se contraindre, redoutant « que cela ne se vît… » Mais elle sentait tout de même le Tentateur tapi invisiblement dans la chambre, et qu’il guettait l’occasion de l’assaillir à nouveau. Comment s’avouer qu’elle attendait avec impatience une sortie de Madeleine pour succomber encore ?
Ainsi se succédèrent deux journées d’angoisse et de délice, doublées de nuits toutes pareilles à celles qui suivaient naguère, quand le prince la tenait réduite en esclavage, les journées brûlantes et savantes : nuits de grand repos où la bête humaine se réparait et refaisait sa substance, mais où le somme avait une saveur charnelle, un goût de plaisir. Fini, le combat contre le Tentateur ! La défaillance, la déchéance étaient acceptées : le soldat avait trahi et jouissait du prix de sa trahison. « Voilà… j’ai fait mon effort. J’ai cru possible de rester ici, de me blanchir la conscience, de commencer une autre vie. Eh bien ! c’est impossible. Ma foi n’est pas assez ferme et mon corps est trop saturé d’amour. L’homme qui est mon mari devant la loi est bien pour moi cette chair de ma chair dont parle l’Écriture. Il ne sortira de ma chair qu’avec la vie même. Ah ! retourner à lui, femme, maîtresse ou servante, peu m’importe !… » Elle se disait cela et, cependant, continuait à pratiquer tous les exercices de sa retraite : assistance aux offices, audition des conférences que la Sœur Incarnation donnait tous les jours aux retraitantes, oraisons, et même ces pieux entretiens avec Madeleine durant lesquels elle sentait que Madeleine lisait en elle et guettait le jeu de sa duplicité.
Duplicité, certes : mais pas dans le sens honteux de tromper autrui par de fausses apparences. Il y avait, animée par l’influence de Madeleine, une sorte d’automate, qui exécutait les gestes de la discipline claustrale. Et il y avait une autre Stéphanie, désintéressée des gestes de la première, qui replongeait avidement les racines de sa pensée et de sa vie dans le passé, comme dans un humus chaleureux, où la pourriture même engendre la sève. Tout cela composait à la retraitante une vie intense à l’excès, plus intense par cela même qu’elle en concevait la folle instabilité. Cela ne pouvait pas durer ; cela n’avait aucune raison de durer ; mieux valait dire simplement à Madeleine : « Prévenez la Mère Supérieure que je désire finir ma retraite demain. » Elle était libre ; personne n’aurait le droit ni l’envie de la retenir.
Oui… mais voilà : elle ne pouvait pas dire à Madeleine : « Je m’en vais… » Elle s’y était essayée, à plusieurs reprises ; l’allusion la plus discrète, la plus lointaine n’arrivait pas jusqu’à l’articulation de ses lèvres, lorsque les prunelles gris bleu regardaient dans ses yeux.
La quatrième aube se levait pour une quatrième journée, qui, sans doute pareille aux trois autres, serait comme elles un divertissement paradoxal du Tentateur jouant avec une âme, lorsque Madeleine, apportant comme de coutume à sa retraitante le déjeuner du matin, lui dit :
— Le Père Orban vous prie d’aller le trouver dans son cabinet à dix heures.
— Bien, dit Stéphanie. Vous ne savez pas ce dont il s’agit ?
— Non. C’est l’usage de notre Père Spirituel de convoquer ainsi de temps à autre les retraitantes.
Stéphanie ressentit plus de soulagement que d’appréhension. « Je suis libre, pensa-t-elle. Voici la fin de ma seconde neuvaine qui approche… oui… après-demain. Je dirai au Père qu’à la réflexion, et après expérience, une vie aussi austère ne paraît pas me convenir. » Sa personnalité de grande dame, effacée les premiers jours par l’influence du cloître, s’était reformée dès qu’elle avait cédé à la suggestion amoureuse ; l’amour, en elle, était le grand moteur et commandait tout. Une entrevue avec le Père Orban ne l’intimidait plus. Décidée à reprendre sa liberté, elle saurait lui parler du ton respectueusement décidé qui convenait. Et sa décision était si formelle qu’elle reprit dans l’armoire l’indicateur Bradshaw, qu’elle avait apporté avec elle au couvent, et un plan de voyage. Puis elle laissa ensuite traîner sur sa table la grosse brochure jaune, sous les regards de Madeleine.
S’était-elle aperçue, durant ces inconcevables journées, qu’avec Madeleine même elle cessait peu à peu d’être une disciple ou une compagne, et qu’elle reprenait sa distance ? Nullement… Elle n’avait noté qu’une différence : de moins en moins, entre elles, bien qu’une affectueuse communion persistât, il était question du pécheur absent et de son sauvetage éventuel. Madeleine en parlait toujours du même ton, et toujours avec le même zèle : mais Stéphanie répondait avec plus de réticence, et des deux personnalités qui jouaient en elle parallèlement, c’était la retraitante, la convertie artificielle, qui répondait, tandis que l’amoureuse adressait à l’absent, dans le secret de son cœur, un acte d’amour passionné.
Madeleine la laissa seule, et presque aussitôt Stéphanie crut saisir la raison pour laquelle le Père Orban la mandait :
« Madeleine, pensa-t-elle, Madeleine, avec sa pénétration extraordinaire, a noté le changement qui s’opérait en moi, et c’était son rôle de le signaler au Père Spirituel. Il va me parler de cela et me questionner. Je saurai lui répondre. »
Déjà son âme, pleine du bonheur de l’évasion, n’habitait plus la cellule, ni le couvent.
Malgré la fraîcheur de la température, la fenêtre dans le cabinet du Père était grande ouverte sur le parc. Dès l’entrée de Stéphanie, le Père alla la fermer, puis, revenant à sa table, dit en montrant le fauteuil à bras de bois plat :
— Asseyez-vous, ma fille.
Elle fut frappée de la gravité de son visage, qui contrastait avec une certaine affabilité dans son accueil, plus marquée qu’à l’ordinaire. Elle s’assit. A peine la porte avait été repoussée, elle avait respiré plus à l’aise ; l’oppression qui écrasait sa poitrine avait pesé moins lourd. Quand elle fut assise, elle s’imagina que le Tentateur n’était pas dans la pièce. Pourtant, l’instant avant d’entrer, elle sentait, tantôt à ses côtés, tantôt en elle-même, son souffle impur, qui l’attisait. Maintenant, plus rien. Elle était bien seule avec le prêtre.
Il se recueillait. Son bras se tendit vers un des casiers remplis de papiers, en face de lui ; puis, sans rien saisir, se replia. Stéphanie attendait, jouissant de son relâche et pouvant à peine y croire.
— Eh bien, ma fille, comment allez-vous physiquement et moralement ?
L’idée de mentir ne lui vint même pas :
— J’ai été très heureuse jusqu’à avant-hier, répondit-elle. Oh ! oui ! bien heureuse ! Mais depuis, je suis affreusement troublée.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Elle raconta. Elle parlait vite, vite, sans beaucoup d’ordre, revenant, pour réparer l’omission, sur ce qu’elle avait dit, se corrigeant, se répétant. Elle semblait vouloir à tout prix utiliser une occasion qu’elle sentait brève, comme ces séquestrés qui profitent d’une visite inopinée pour jeter toutes leurs doléances dans quelques mots en désordre… Le Père écoutait, son masque triangulaire bien immobile, ses yeux ronds fixés sur la pénitente. Mais celle-ci ne fuyait plus leur regard. Elle s’accrochait, au contraire, à ce regard ; il la soutenait, il l’animait.
Quand elle s’arrêta, épuisée par la fougue et l’abondance de son aveu, il lui dit :
— Il n’y a aucune raison de vous alarmer. Vous avez subi une crise qui n’épargne guère les vocations, même les plus fermes. La preuve que cette crise est passagère et guérissable, c’est la façon dont vous venez de déposer ici votre fardeau… avec sincérité… avec ardeur… (il chercha son mot), avec violence. Mais pourquoi avoir attendu que je vous appelle ?
Elle baissa le front sans répondre.
— Alors, reprit le Père dont la voix perdit cet accent presque paternel avec lequel il avait prononcé les autres paroles, si je ne vous avais pas appelée, vous ne seriez pas venue ?… Mais répondez donc ? Vous ne seriez pas venue ?
Elle balbutia indistinctement :
— Je ne pouvais pas.
— Vous ne pouviez pas… ou vous ne vouliez pas ?
— C’était plus fort que moi.
Un silence, durant lequel Stéphanie pensa : « Tiens ?… Madeleine, qui certainement lisait en moi, n’a rien dit à ses supérieurs. »
Et tout haut, d’une voix encore tremblante, mais qui peu à peu s’affermissait :
— Quand j’ai quitté ma chambre, tout à l’heure… et tandis que je me rendais ici… et à la porte même, quand j’ai frappé, quand j’ai soulevé le loquet, j’étais résolue à vous annoncer que je ne finirais pas ma seconde neuvaine, et que je partirais aujourd’hui.
— Tandis qu’à présent ?…
— A présent, je ne sais plus. Quand je serai hors d’ici… quand je serai seule… qu’est-ce qui m’attend ?
— Oui, dit le Père. Je comprends.
Il toussa, gratta de sa main gauche le coin de son cou, et dégagea un peu avec le doigt le col de sa soutane qui le serrait.
— Il y a dans tout ceci, ma fille, quelque chose de visiblement providentiel. Je vous dis tout de suite, avec mon expérience de trente années de direction, que je n’ai aucun doute sur votre avenir spirituel. Avec ses pierres, ses ronces, ses précipices, avec les chutes que vous y faites et que vous y ferez, le chemin que vous suivez vous mène au salut. Ayez confiance : Celui qui vient de vous éprouver vous a donné l’occasion et la force de réagir. Il a permis que vous revécussiez, comme dans un affreux raccourci, tout un passé abominable, pour que l’abomination vous en apparût derechef. Les circonstances de cette épreuve, je le répète, sont providentielles. Ce que les incroyants appellent le hasard ne crée pas de telles rencontres, et, dans celle-ci, on peut vraiment distinguer la main de Dieu. J’ai une grave nouvelle à vous apprendre.
Stéphanie haleta une syllabe :
— Paul ?…
— Oui… Vous savez ?
— Mais non ! je ne sais rien !… Dites.
Il tendit de nouveau la main vers le casier de son bureau, y prit une coupure de journal épinglée sur une feuille de papier blanc : environ trente lignes d’imprimerie.
— Lisez, ma fille.
Stéphanie lut, sautant par-dessus les premières lignes : « On télégraphie de…, etc. », passant vite sur le récit des anciennes aventures du prince, de son propre mariage, de sa fuite à elle et de la fugue du prince avec la Montarena… Elle courut à la substance de l’information. Il y était dit que, « dans un hôtel situé au bord d’un lac italo-suisse, bien connu des touristes, où s’abritait le couple d’amants, le prince s’était frappé lui-même au-dessous du sein gauche avec un stylet — moins une arme qu’un jouet — qui lui servait de coupe-papier.
« Accident, effet d’une chute malencontreuse, dit-on dans l’entourage du prince. D’autres chuchotent : tentative de suicide, et font remarquer que la Montarena avait quitté l’hôtel et passé de l’autre côté du lac six heures environ avant le prétendu accident. Le prince aurait ressenti un vif chagrin de ce départ subit. Son état ne va pas sans inspirer quelque inquiétude. »
Les joues livides, Stéphanie regarda le Père Orban.
— Alors… je pars ?
— Non, fit le Père.
La réponse parut à Stéphanie tellement invraisemblable qu’elle crut l’avoir mal entendue.
— Non, répéta le Père, vous resterez ici.
Elle ne trouva rien en elle-même pour répliquer, pour résister, de cette décision hautaine que tout à l’heure elle croyait avoir reconquise. Tout à l’heure, avant de franchir le seuil, une réplique incisive et un peu ironique aurait jailli de sa bouche. Maintenant elle ne sut que balbutier :
— Mais, du moment que mon mari est en danger…
— Votre mari n’est pas en danger, dit le prêtre.
— Comment ?
— Vous n’avez qu’un mari : il s’appelle Roart de Baurens et, à ma connaissance, il se porte à merveille.
— Pourtant, tout le monde sait que…
— Tout le monde, reprit le Père d’une voix coupante, sait que vous vous êtes civilement séparée de votre mari Roart de Baurens. Mais le lien sacré qui, devant Dieu, vous attachait à lui n’est point rompu. Tout le monde sait que vous avez ensuite vécu en concubinage avec le prince Paul ; appelez ce concubinage du nom que vous voudrez, décorez-le autant qu’il vous plaira de toutes les cérémonies civiles ou soi-disant orthodoxes, votre conscience sait bien que ce fut un concubinage, et abominable : la preuve, c’est que vous venez de me crier votre honte et votre désespoir d’avoir été, depuis quatre jours, submergée par le souvenir de ce concubinage comme par une vague de boue.
Elle eut la force de crier :
— Il m’a aimée !
— Vous appelez cela aimer !
— Je ne peux pas… non… je ne peux pas laisser souffrir… peut-être mourir seul cet être auquel j’ai été unie…
— Unie par quoi ? Par ce qu’il y a de plus méprisable dans l’être humain, par les liens charnels qui soudent une fille et son amant. Et vous étiez mariée à un autre homme, et votre prétendu second mariage n’était qu’un scandale public, aggravé encore par le haut rang des contractants ! Scandale qui a contristé, soyez-en sûre, un grand nombre d’âmes religieuses, et qui en a peut-être incité d’autres au mépris des plus saintes lois conjugales ! Voilà vos liens avec celui que vous nommez votre second mari, liens que vous avez des scrupules à transgresser ! Prenez garde ! Ne vous mentez pas à vous-même. N’appelez pas devoir social, n’appelez pas non plus pitié, même dans le sens purement humain du mot, ce qui n’est probablement qu’un appétit sensuel, et l’espoir humiliant de rentrer en grâce auprès du blessé, pour recommencer l’ignominie à deux, après la convalescence.
Stéphanie se dressa debout.
— Cela, mon Père… non… je vous le jure !
Elle le regardait dans les yeux, et elle y perçut le reflet de l’émotion que sa réplique spontanée causait au prêtre.
— Je vous crois, dit-il.
Se levant, à son tour, il lui prit les deux mains :
— Alors, il faut rester ici. Voilà l’épreuve divine qui vous guettait. Vous serez plus utile à l’âme de ce malheureux et peut-être à son corps par votre sacrifice, par vos prières, par votre obéissance, que par des soins matériels qui ne lui manqueront certes pas. Il faut… il faut que vous restiez.
— Mon Père, objecta Stéphanie, je vous promets de revenir ici dès sa guérison.
— Vanité !… C’est risquer cette tentation de Dieu que les Écritures ont à plusieurs reprises condamnée expressément. Quoi ! tout à l’heure, avant d’entrer ici, vous étiez la proie de la plus affreuse épreuve… Vous êtes entrée frémissante, pantelante encore des étreintes diaboliques ; vous avez miraculeusement recouvré dans cette humble chambre votre conscience de femme et de chrétienne. Et, pour remercier Dieu de cette grâce insigne, vous en ressortiriez, pour quoi faire ? pour rejoindre l’initiateur de tout le mal, celui qui, après s’être servi de vous comme d’un vase de débauche, vous a rejetée avec dédain, et vient de se suicider parce qu’il était lâché par une prostituée.
— Je suis certaine, répliqua Stéphanie, que c’est cette femme qui l’a frappé…
— Alors il la couvre de son propre corps, il veut lui épargner tout ennui, à ses dépens, et par conséquent il l’aime encore… Une turpitude ou une autre, cela n’importe guère. Ma fille, le moment est venu de choisir entre la vie ou la mort spirituelle.
Il avala sa salive avec effort : lui-même tendait manifestement tous les ressorts de sa volonté et concentrait tout le magnétisme de son influence sur cette pécheresse désemparée. Elle sentit les doigts d’acier qui lui serraient les poignets tandis qu’il reprenait :
— Écoutez-moi. Je ne vous parle point à la légère. Ce que je vais dire, j’en suis sûr : vous gardez tout de même assez de foi pour croire qu’un confesseur reçoit parfois des lumières d’en haut. Eh bien ! si vous passez cette porte dans le dessein de rejoindre votre amant… oui, pas votre mari, votre amant, votre amant… vous serez aussitôt ressaisie par l’immonde torture que vous subissiez avant d’entrer. Et elle ne cessera plus jamais !
Stéphanie tremblait tellement de tous ses membres qu’à présent il la soutenait par les poignets. Elle gémit :
— Et, si je… si je n’y vais pas… je serai délivrée ?…
— Pour toujours.
Comme elle défaillait contre lui et qu’il la soutenait jusqu’au fauteuil où elle s’abattit, il l’entendit murmurer :
— Je promets…
Sur le seuil de la chambre du Père, comme elle allait aborder le corridor, elle eut peur, elle hésita.
— Ne craignez rien, lui dit-il. Vous êtes invulnérable.
Elle constata qu’il disait vrai, dès ses premiers pas le long du corridor… C’était une atmosphère épurée qui l’entourait, une atmosphère que nulle présence hostile, même invisible, n’électrisait. Elle pénétra dans l’oratoire tout proche, et y pria baignée d’une paix vague, un peu somnolente, jusqu’à ce que la cloche sonnât le déjeuner.
Madeleine lui apportait toujours le déjeuner dans la chambre. A la fin de la seconde neuvaine seulement, si elle demeurait, elle devait prendre ses repas en silence, avec quelques retraitantes choisies.
Madeleine ne l’interrogea pas sur son entretien avec le Père Spirituel. Elle avait peu de loisir, chargée de suppléer auprès d’une autre retraitante une monitrice malade.
— A quelle heure vous verrai-je un peu longtemps ? demanda Stéphanie.
— Pas avant le souper.
— Bien. J’aurai beaucoup de choses à vous dire. D’ici-là, priez pour moi.
L’après-midi, pour Stéphanie, ne fut pas douloureuse. Le sacrifice accompli engendre l’apaisement. Elle pria avec une ferveur sérieuse qu’elle n’avait pas connue, même au temps des élans mystiques qui avaient précédé sa grande tentation. Le soir la surprit dans cette quiétude.
— Maintenant, je suis toute à vous, dit Madeleine en lui servant le plateau qui contenait le léger repas vespéral.
Alors Stéphanie lui confia toute son épreuve, depuis les jours de tentation jusqu’à l’apaisement qui succédait au sacrifice. Madeleine écoutait passionnément.
— Qu’aurais-tu fait à ma place ? demanda Stéphanie en terminant.
Dans ses heures d’émoi, le tutoiement la rapprochait de la jeune fille.
— Je n’ai jamais subi le genre de tentations que vous me racontez, mais je sais qu’elles sont terribles, et, plutôt que d’y retomber, j’aurais agi comme vous. Entre le ciel et l’enfer, on n’hésite pas. Est-ce que… d’obéir au Père… cela vous a fait beaucoup de peine ?
Stéphanie scruta quelques moments sa conscience.
— Pas autant que je l’aurais cru, dit-elle enfin. Je suis comme insensibilisée. Mais j’ai peur que la sensibilité ne se réveille, comme quand on a pris un cachet calmant et qu’on redoute la fin de son action.
— Oh ! prononça Madeleine, avec sa lenteur réfléchie : ce n’est pas un calmant que vous avez pris. Vous avez subi une opération… J’ai été infirmière : je sais la différence.
— Peut-être… probablement. Je me sens amputée d’un peu de moi. Mais la pensée que ce malheureux souffre, là-bas… sans avoir auprès de lui aucun être qui l’aime.
— Oui… c’est affreux ! dit Madeleine.
Elle questionna Stéphanie par petites questions précises, sur les circonstances et le lieu de l’accident. Stéphanie les expliqua en détail, sans trouble, comme si vraiment son cœur avait subi l’ablation de certaines fibres tendres. Penchée avec elle sur les cartes du Bradshaw, Madeleine suivit des yeux l’itinéraire que la comtesse d’Armatt avait parcouru pour venir au couvent, et celui qu’elle aurait dû parcourir pour rejoindre le blessé. Il fallait passer la frontière, couper transversalement l’est de la France, franchir les Alpes, gagner un lac, moitié suisse, moitié italien. Au nord de ce lac, et sur ses bords mêmes, une ville suisse au nom italien. C’était là.
— Le malheureux ! répéta Madeleine.
Ses yeux gris retenaient des pleurs.
— Nous prierons ensemble, répliqua Stéphanie, dont le grave visage restait sec.
Madeleine ne répondit pas. Elle réfléchissait. Puis elle se leva, jeta ses bras autour du cou de la pécheresse, et elles se tinrent longtemps enlacées.
Quand Madeleine l’eut quittée, Stéphanie ne tarda guère à se coucher et s’endormit au susurrement de ses propres prières. Elle dormit d’une traite. Elle rêva, vers le milieu de la nuit, que la porte de sa chambre s’entr’ouvrait. Un de ces divins messagers dont parle souvent l’Écriture venait la visiter, s’approchait de son lit, posait sur son front le saint baiser, puis se retirait.
Levée au petit matin, elle aperçut tout de suite sur sa table un papier soigneusement plié, mais sans enveloppe, posé sur le Bradshaw.
L’ayant ouvert, elle lut :
« Vous ne pouvez pas y aller. Alors, moi, j’y vais… »
Les deux lignes étaient tracées d’une écriture menue, ferme, très lisible, et signées : Madeleine.