La retraite ardente : $b roman
XX
Devant ces fleurs entassées, qu’épargnait le temps doux et sec du pacifique automne, la comtesse d’Armatt vint prier le lendemain aux environs de dix heures. Elle partait, l’après-midi même, pour le couvent de la Quarantaine.
Elle pria, le cœur écrasé de chagrin. La discipline ascétique avait ranimé dans ce cœur une foi trop sincère pour que la mort d’un être chéri, surtout une mort pénitente, la désemparât. Elle souffrait (et s’accusait de souffrir) parce que le rachat du pécheur s’était accompli en dehors d’elle, parce qu’elle en avait été exclue. Certes, Paul l’avait reçue à son chevet, avait sollicité son pardon et s’était recommandé à sa ferveur. Mais une autre avait recueilli son haleine expirante, après l’avoir, par une sorte de magie, converti et réconcilié. Cette autre, Stéphanie l’avait entrevue au moment de quitter le prince, si touchante et vraiment si belle que, par une brusque intuition, elle avait tout compris.
Maintenant, devant la tombe fleurie, sa désolation devenait insupportable. La force de prier lui manqua peu à peu. Une tentation de désespoir, presque de révolte, la redressa. Elle sanglota debout, dans ce cimetière vide, éclatant de soleil. Elle sanglota comme une enfant châtiée… « Ce n’est pas juste, pensait-elle. Non. Ce n’est pas juste !… » Ses muscles fléchissants la soutenaient à peine, et ses pleurs, après tant de pleurs versés depuis qu’elle avait revu son amant, dissolvaient les derniers vestiges de sa beauté.
Elle tressaillit tout à coup, au rappel d’une sensation qui la reportait à cinq mois vers le passé. Deux doigts, venus de derrière elle, se posaient comme alors sur son poignet et lui communiquaient pareillement une volonté à la fois impérieuse et calmante. Elle se retourna ; l’émotion lui ôta la possibilité de prononcer même un nom. Devant ses yeux — effaçant la vision belle et touchante qu’ils gardaient de l’infirmière entrevue, — surgissait une petite forme noire à coiffe blanche, exactement la même qui, sur le seuil du corridor aux « Silence ! » lui avait fait le même attouchement.
La petite nonne dit :
— Prions !
Stéphanie ne se déroba point. Agenouillées côte à côte, la pécheresse sentit comme naguère, à travers leurs vêtements, la chaleur de l’ange la pénétrer. Et elle ne sut pas si c’était elle-même ou si c’était Madeleine qui murmurait :
« Nous vous rendons grâce d’avoir accordé à nos prières la pieuse fin de celui que nous aimons. Tant que nous vivrons, nous ne cesserons de vous implorer pour que vous le receviez dans votre repos. »
Elles se relevèrent. Madeleine soutint le regard anxieux de Stéphanie qui hésitait à parler. Elle se décida :
— Madeleine, j’ai le cœur troublé… Laisse-moi te poser une question.
Madeleine, sans répondre, exprima par l’attention de tout son visage qu’elle écoutait.
— Moi, dit Stéphanie, je n’ai pas consenti et j’ai été exclue. Toi, tu as consenti, et l’as sauvé. Est-ce juste ?
Madeleine médita un instant, puis répondit :
— Nous avons été deux vases d’argile dans la main du potier. Et, comme dit l’Apôtre, que sommes-nous pour juger ce qu’il a fait de nous ?
Stéphanie baissa la tête. La tentation de révolte luttait contre l’effort de se soumettre. Alors, pour la première fois — était-ce l’influence toute proche de celle qui l’avait initiée à la vie mystique ? — elle crut entendre une voix intérieure qui lui disait : « Ne comprends-tu pas que cette humiliation paye ton rachat ?… » Et comme si cette voix avait été entendue de l’initiatrice, celle-ci lui dit :
— Si vous n’aviez point porté votre repentir au couvent, serais-je venue jamais ici ?
— C’est vrai, fit Stéphanie, relevant le front.
Un élan de tendresse la remua vers cette petite servante de Dieu qui trouvait pour elle le verbe de consolation.
— Il faut que je parte, dit-elle. On m’attend là-bas… J’ai hâte que la porte se referme sur moi pour toujours…
Et, saisissant les mains de sa compagne, elle ajouta passionnément :
— Ne me laisse pas partir seule !
Madeleine hocha le front :
— Je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Je serai sa garde, tant que je vivrai.
Leurs mains se disjoignirent en silence.
— Alors, adieu !
— Adieu.
Sa haute taille dépassant la bordure des jeunes cyprès, la comtesse d’Armatt s’éloigna vers la grille de sortie. Arrivée au premier coude de l’allée, elle regarda en arrière. La petite silhouette noire coiffée de blanc demeurait immobile au bord de la tombe, tournée vers le monceau des fleurs.
FIN
E. GREVIN — IMPRIMERIE DE LAGNY — 3-1927.
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