Le monde tel qu'il sera
II
M. Omnivore était suivi d'une demi-douzaine de serviteurs qui donnaient tous des marques du plus vif étonnement. Ils parlaient à la fois, comme nos députés lorsqu'ils veulent éclaircir une question importante, et Maurice reconnut que leurs paroles étaient un mélange de français, d'anglais et d'allemand, dont il se rendit compte assez facilement, vu la connaissance qu'il avait de ces trois langues. Ils répétaient tous ensemble:
«Merveille! merveille! deux morts des premiers âges sont ressuscités; le chauffeur les a vus sortir de leur bière!»
Mais ils s'interrompirent tout à coup, à la vue des deux époux, en criant:
«Les voilà!»
Et ils s'arrêtèrent à quelques pas, avec une curiosité que tempérait évidemment la peur.
Marthe, confuse, s'était cachée à demi derrière Maurice; mais ce dernier, qui voulait soutenir l'honneur du dix-neuvième siècle, auquel M. Progrès venait d'accoler l'épithète de barbare, se redressa gravement, salua les visiteurs, et leur adressa le discours suivant:
«Messieurs et honorables inconnus,«Ce n'est point le hasard, mais notre libre choix, qui nous a fait traverser près de deux mille années, pour renaître au milieu de cette génération puissante et éclairée, qui, à force de conquêtes dans le domaine de la perfectibilité humaine, a fait descendre le royaume du ciel sur la terre.
«Aussi nous estimons-nous heureux de pouvoir connaître par nous-mêmes cette race de demi-dieux, si noblement représentée par ceux qui veulent bien m'écouter dans ce moment!…»
(Ici un murmure d'approbation interrompit l'orateur. Il reprit d'une voix plus élevée:)
«Je viens parmi vous, Messieurs, pour m'échauffer au soleil de la civilisation, qui ne brille nulle part ailleurs aussi éclatant!…»
(Bruyants applaudissements.)
«Pour admirer les miracles opérés par une nation intelligente et généreuse…»
(Applaudissements plus bruyants.)
«Pour rendre hommage à un pays que l'on pourrait appeler la patrie de toutes les gloires!»
(Applaudissements prolongés.)
«Enfin, pour jouir de cette noble alliance de l'ordre et de la liberté, réalisée par le plus grand peuple du monde.»
(Tonnerre d'applaudissements: plusieurs voix crient:—Vivent les morts parisiens!)
Il fallut quelques instants pour apaiser l'émotion produite par l'éloquente improvisation de Maurice; les habitants de l'île du Noir-Animal ne pouvaient cacher leur surprise de trouver dans un barbare, enterré depuis onze siècles, cette élévation de pensée et cette justesse d'appréciation. Les auditeurs les plus instruits croyaient reconnaître, dans le langage du jeune homme, un ancien président de congrès provincial, ou pour le moins un secrétaire de société philanthropique, conservé par la méthode de M. Gannal. Enfin, quand le silence fut rétabli, M. Omnivore, qui voulait répliquer dignement au discours de son hôte, s'avança avec gravité, toussa trois fois, afin de recueillir ses idées, et dit, avec un accent franc-anglo-tudesque:
«Monsieur«En réponse au vôtre du présent jour, je m'empresse de vous faire savoir que la maison Omnivore et compagnie se trouvera flattée d'entrer en relations avec la vôtre, et que vous serez accueilli aussi favorablement qu'une traite à présentation; ladite maison tenant à honneur de vous maintenir dans la bonne opinion que vous avez conçue du peuple auquel elle a l'avantage d'appartenir.»
Les auditeurs échangèrent un regard de satisfaction. Tous applaudissaient évidemment à la clarté et à la précision commerciale de la réponse faite par M. Omnivore. Celui-ci s'en aperçut, et prit une prise de tabac pour donner une contenance à sa modestie.
Mais la glace était rompue, et l'on en vint à des explications moins solennelles. Maurice raconta comment Marthe et lui se trouvaient là, en exprimant le désir de quitter au plus tôt ce lieu funèbre, dont l'aspect attristait sa compagne. M. Omnivore se hâta de faire apporter des vêtements fournis par les fouilles récentes qui avaient été faites dans les ruines du vieux monde, et il se retira, en annonçant qu'il reviendrait prendre ses hôtes.
Il reparut, en effet, au bout d'un quart d'heure, et ne put retenir un éclat de rire à la vue du costume des deux jeunes époux. Il en examina quelque temps toutes les parties, avec la même curiosité qu'un Français du dix-neuvième siècle étudiant la toilette d'un Hottentot. Il fallut lui expliquer l'utilité de cette longue robe de femme qui embarrassait la marche, de ce chapeau qui plaçait son visage au fond d'un cornet, de cet habit d'homme dont les basques pendantes ressemblaient aux deux ailes d'un hanneton malade, de ce pantalon que se disputaient les bretelles et les sous-pieds, comme une victime tirée à quatre chevaux. Marthe et Maurice justifièrent de leur mieux les costumes de leur époque; mais, après les avoir écoutés, M. Omnivore jeta un regard sur son habillement perfectionné, et ne put retenir un sourire d'orgueil.
Cet habillement avait, en effet, résolu la question d'utilité aussi complétement qu'on pouvait l'espérer. Il ne servait point seulement de costume, mais d'annonce, de prix-courant et de carnet à échéance.
A la ceinture du caleçon se voyaient imprimés les mots Omnivore et compagnie, suivis des renseignements commerciaux les plus détaillés sur la nature et l'excellence des produits fournis par leur fabrique. La jambe droite présentait un barême complet destiné à simplifier les plus longs calculs, et la jambe gauche un almanach de cabinet avec les heures de départ des paquebots et courriers. Des deux côtés apparaissaient, en guise de rubans, des nœuds de traites soldées, constatant à la fois l'étendue des affaires de la maison Omnivore et l'exactitude de ses payements. Enfin, une plume posée sur l'oreille prouvait que le digne fabricant venait d'être subitement arraché aux douceurs de la comptabilité en parties doubles.
Il conduisit d'abord Marthe et Maurice à travers d'immenses entrepôts, où se trouvaient entassés tous les débris arrachés par ses facteurs aux ruines du vieux monde: car telle était la spécialité à laquelle M. Omnivore devait sa fortune et son nom. Il exploitait les générations éteintes, comme on exploitait ailleurs les végétations carbonisées en houille, ou desséchées en tourbes combustibles. Sépultures antiques, débris de monuments, bronzes précieux, armes, médailles, statues, tout passait par ses mains; son entrepôt était le magasin de curiosités du monde; c'était là que venaient les collecteurs et les académiciens, race indestructible que la nouvelle civilisation n'avait pu faire disparaître.
Les deux époux rencontrèrent précisément un de ces derniers au moment où ils quittaient l'entrepôt. C'était le célèbre M. Atout, qui avait pour spécialité d'être universel. Il représentait à lui seul vingt-huit citoyens, c'est-à-dire qu'il touchait les rétributions de vingt-huit places; la liste de ses titres couvrait une page in-quarto, et il portait autant de croix qu'une mule espagnole de clochettes. M. Omnivore le présenta seulement comme secrétaire perpétuel de la société historique, professeur de littérature, président du conseil universitaire, directeur de toutes les écoles normales, et membre de quatorze mille sept cent trente-quatre comités.
M. Atout, qui venait d'apprendre la résurrection du couple français, le salua avec la dignité d'un homme affilié à trop d'académies pour que rien l'étonnât.
Après les premières politesses, il adressa à Maurice plusieurs questions destinées à prouver ses études historiques et littéraires. Il lui demanda s'il avait connu Charlemagne, madame de Pompadour et M. Paul de Kock, trois grandes figures appartenant à la troisième race des rois de France, et l'interrogea longuement sur le connétable de Louis XVIII, Napoléon Bonaparte, dont l'histoire avait été écrite par le révérend père Loriquet. Maurice, d'abord étourdi, allait essayer de répondre, mais M. Atout ne lui en laissa point le temps; il en vint, sans plus longues transitions, du passé au présent, et commença une leçon sur l'état de la terre en l'an trois mille.
Nos ressuscités l'écoutèrent avec d'autant plus d'attention qu'ils avaient tout à apprendre. Le professeur leur déclara qu'ils se trouvaient au centre même du monde civilisé, dont les différents peuples ne formaient plus qu'un État sous le nom de République des Intérêts-Unis. Le centre ou capitale de cette république se trouvait dans l'ancienne île de Bornéo, maintenant nommée Ile du Budget. Chaque peuple y envoyait un certain nombre de députés, et ceux-ci réglaient en commun les affaires générales. Quant au vieux monde, on y entretenait des colonies qui recevaient de la métropole la direction et les lumières.
La grande loi de la division de la main-d'œuvre avait été appliquée à la république elle-même. Chaque état formait une seule fabrique. Ainsi, il y avait un peuple pour les épingles, un autre pour le cirage anglais, un autre pour les moules de boutons. Chacun ne s'occupait, ne parlait, que de son article, ce qui contribuait médiocrement à l'étendue des idées et aux charmes de la société, mais profitait singulièrement à la fabrication. L'île du Budget, seule, réunissait toutes les variétés d'art et d'industrie; on y trouvait des spécimens de la civilisation entière, méthodiquement classés comme dans une trousse d'échantillons.
Maurice et Marthe déclarèrent aussitôt qu'ils voulaient aller à l'île du Budget, et l'académicien, qui s'y rendait, proposa de les conduire; mais Omnivore s'y opposa. Il soutint que les deux époux se trouvaient compris dans une partie de marchandises expédiées à sa maison, et qu'ils lui appartenaient aussi légitimement que les autres antiquités de son entrepôt. Il y eut d'assez longs débats. Enfin, M. Atout, qui tenait à présenter les ressuscités dans la capitale, et à se faire honneur de leur découverte, consentit à désintéresser le fabricant sur les fonds de la société historique.
Nos époux le suivirent, en conséquence, jusqu'aux bords de la baie qu'il fallait traverser.
Des batteries de mortiers-postes avaient été établies sur les deux rives pour le passage. Un conducteur ouvrit la plus grosse pièce par la culasse, et fit entrer nos trois voyageurs, qui s'assirent au milieu d'une bombe soigneusement rembourrée. Marthe ne put se défendre d'une certaine émotion en se trouvant placée, comme une gargousse, au fond d'un canon; mais l'académicien entreprit de lui expliquer les avantages de cette manière de passer les rivières. Il était encore au milieu de sa démonstration, lorsque la jeune femme entendit crier:
«Feu!»
Au même instant, elle se sentit emportée, et, traversant les airs avec la rapidité de la foudre, elle se retrouva sur l'autre rive, au milieu d'une vingtaine de bombes fumantes qui venaient également d'arriver.
M. Atout leur déclara alors qu'ils allaient continuer par l'une des routes souterraines qui traversaient l'île.
«Avant les progrès de la civilisation, dit-il, on construisait les chemins sur terre; mais ils devinrent insensiblement si nombreux, qu'ils envahirent presque toute la surface du globe. Le sol ne portait plus que des rails de fonte, et on s'aperçut qu'à force de multiplier les voies de transport, on touchait au moment de n'avoir plus rien à transporter. Ce fut alors que vint l'idée de tracer les routes, non sous le ciel, mais sous la terre, et l'expérience a prouvé la supériorité du nouveau système. Grâce à lui on ne perd que la vue! On peut voyager sans distractions, en dormant ou en pensant à ses affaires. Au lieu du soleil, tantôt éblouissant, tantôt obscurci, on a l'éclairage uniforme des lampes de voyage; plus de curieux qui vous regardent passer, plus d'appel de marchands, plus de bruit de ville; on voyage aussi tranquille qu'un ballot.»
Il montra ensuite à ses deux compagnons les routes souterraines, dont les ouvertures apparaissaient au penchant de la colline comme autant de gueules de fournaises. D'immenses pelles, mises en mouvement par les machines, y engouffraient sans cesse ou en retiraient des trains de wagons fumants. On entendait, au sein de la montagne, mille roulements, mêlés aux froissements du fer et aux sifflements de la flamme.
En s'enfonçant dans un de ces conduits sinistres, Marthe ne put retenir un cri, et chercha la main de Maurice. L'académicien, après l'avoir réprimandée assez aigrement, entreprit de lui démontrer que les chemins souterrains étaient non-seulement les plus commodes, mais les plus sûrs. Il lui énuméra pour cela le nombre de gens tués chaque année par les différents modes de locomotion; il y ajouta le nombre des estropiés, puis le nombre des blessés; il détailla l'espèce de blessures et leurs gravités; enfin il additionna le tout, fit une règle de proportion, et arriva à prouver que les routes souterraines ne faisaient par année que treize cents victimes et une fraction!
Cette démonstration changea l'inquiétude de Marthe en effroi.
M. Atout passa alors aux détails. Il fit observer à la jeune femme qu'elle se trouvait à l'abri de tons les menus accidents que l'on pouvait craindre sur les autres chemins. Elle n'était exposée ni aux courants d'air, ni aux coups de soleil, ni à la poussière, ni au vent, ni aux émanations marécageuses, ni aux impertinences des passants; elle n'était absolument exposée qu'à être tuée.
L'effroi de Marthe devint de l'épouvante.
Heureusement que, dans ce moment, le bras de Maurice l'enveloppa doucement; elle se laissa aller à demi sur la poitrine du jeune homme, et, en sentant son cœur battre largement et paisiblement sous le sien, la peur s'envola; le calme de celui qu'elle aimait se communiqua à tout son être; elle ferma les yeux souriante et enivrée.
M. Atout, persuadé qu'elle méditait ses raisonnements, admira les résultats de la statistique, et passa de la justification des différents véhicules nouvellement inventés à l'énumération de leurs avantages.
Il constata que, vu la rapidité moyenne de la locomotion, il ne fallait plus maintenant que deux heures pour aller chercher son sucre au Brésil, trois pour acheter son thé à Canton, quatre pour choisir son café à Moka. On voyageait même plus loin au besoin. Madame Atout avait son marchand de nouveautés à Bagdad, sa modiste à Tambouctou, et son fourreur au pôle nord, trois portes plus bas que le cercle arctique.
L'académicien démontra par des chiffres les immenses résultats sociaux de ces perfectionnements dans les voies de communication. Il prouva qu'en ajoutant à la vie des hommes de l'an trois mille toutes les heures gagnées par cette rapidité de transport, la durée moyenne de leur existence représentait cent vingt-cinq ans… plus une fraction! Ainsi avait été résolu le problème de franchir l'espace sans fatigues à subir, sans observations à faire, sans confidence à échanger. On se prenait sans se voir, on se quittait sans s'être parlé; chacun était indifférent à tout le monde, et tout le monde à chacun; voyager, enfin, n'était plus vivre en chemin ni en commun, mais partir et arriver!
Marthe avait d'abord écouté l'apologie de M. Atout; mais insensiblement elle devint moins attentive; ses paupières se fermèrent, et, bercée par l'haleine de celui qu'elle aimait, elle s'endormit! Les images confuses du passé flottèrent d'abord quelque temps autour de son esprit; puis un souvenir rayonnant effaça tous les autres, et sortit lentement de ce chaos, comme une étoile des nuées.
Marthe rêvait au voyage fait avec Maurice la veille même de leur long sommeil!
Elle croyait voir encore les dernières lueurs du jour illuminant les coteaux de Viroflai et la lisière des bois; elle apercevait l'épine fleurie qui brodait le vert pâle des haies; elle sentait le parfum des lilas, dont les touffes riantes couronnaient les murs des jardins; elle entendait, sur les chemins déjà cachés dans l'ombre, le bruit des clochettes cadencé par le trot des chevaux.
Près d'elle était Maurice, une main dans les siennes; près de Maurice un vieux cocher, au regard pensif; derrière, les autres voyageurs: paysan à la parole haute, jeune mère inquiète à chaque mouvement de ses enfants, vieux soldat silencieux!
La voiture roulait doucement sur la terre amollie; mais à chaque instant sa course devenait plus lente, et des exclamations d'impatience s'élevaient.
«Fouettez le cheval!» criaient-ils tous.
Le cocher se contentait d'agiter les rênes.
«Fouettez! fouettez! reprenaient les voix.
—C'est une rosse! faisait observer le paysan.
—Un paresseux! ajoutait la mère.
—Un lâche!» achevait le soldat.
Le cocher branlait la tête.
«Non, non, disait-il, Noiraud n'est pas une rosse, car il a supporté plus de misères que les plus forts, et voilà vingt ans qu'il les supporte.
—Vingt ans! répétait le paysan stupéfait.
—Peut-être davantage, reprenait le cocher, et ce n'est point un paresseux celui qui a nourri si longtemps, de son travail, l'homme, la femme et les deux enfants.
—Tant que cela! s'écriait la mère: oh! le brave cheval.
—Sans compter qu'il a fait ses preuves de courage, continuait le cocher; voyez plutôt les deux cicatrices qui sont au poitrail.
—Ah! il a servi?» interrompait le vieux soldat, d'un accent radouci.
Et tous les yeux s'étaient arrêtés sur Noiraud avec un intérêt curieux, personne ne disait plus de le fouetter! Le paysan calculait ce que pouvait valoir son travail de vingt années; la mère pensait aux deux enfants que ce travail avait nourris, le vieux soldat regardait les cicatrices! Tous trois avaient perdu leur impatience; rien ne les pressait plus; ils pouvaient attendre; Noiraud n'avait qu'à prendre son temps.
Aussi, quand la route était devenue facile, la mère avait voulu faire marcher ses enfants; le vieux soldat avait déclaré qu'il ne pourrait demeurer plus longtemps assis sans souffrir de ses blessures, et tous deux descendus, le cocher s'était mis à encourager Noiraud de la voix.
«Ferme, mon vieux trompette! disait-il; encore cette corvée pour Georgette; demain, nous nous reposerons.»
Puis, se tournant vers Marthe et Maurice:
«C'est la fille de la maison, Georgette, avait-il ajouté en souriant; elle épouse le fils du voisin samedi, et sa mère et moi nous lui avons préparé une surprise: lit, secrétaire et commode de noyer, avec la garniture de cheminée! Elle ne se mariera qu'une fois, cette enfant; je veux qu'elle ait la joie complète. Joli nid et bel oiseau. L'oiseau est trouvé; mais pour le nid il manque encore cent sous, et Noiraud ne peut se reposer que quand je les aurai… Pas vrai, vieux, que tu me les gagneras demain!
—Il vous les a gagnés, s'était écrié Maurice en lui tendant l'argent; vous pouvez hâter d'un jour la joie de Georgette et le repos de Noiraud; allez, brave cœur, et que Dieu bénisse vos amoureux.»
Il avait alors sauté, enlevant Marthe dans ses bras, et la voiture allégée s'était perdue dans l'ombre!
Paris se trouvait encore loin; mais tous deux avaient marché joyeusement, les bras enlacés, causant à demi-voix de Georgette, de Noiraud, des étoiles! Ineffable échange de bagatelles charmantes, de fugitives impressions, de confidences comprises sans être achevées; sorte de rêverie dialoguée, dont on ne se rappelle rien, et qui laisse dans le passé une de ces traînées lumineuses vers lesquelles le regard se tourne toujours.
Ils n'étaient arrivés qu'au milieu de la nuit, haletants de fatigue, couverts de sueur, les pieds poudreux et meurtris, mais le cœur plein et l'esprit joyeux. Ce voyage, ils ne pouvaient l'oublier désormais, car ils n'avaient pas seulement changé de lieu, ils avaient vu, senti; ils n'étaient pas seulement arrivés, il leur restait un souvenir! Ils se souviendraient toujours du vieux cheval et de son vieux maître!
Toutes ces images venaient de se reproduire dans le rêve de Marthe; elle croyait franchir le seuil de sa joyeuse mansarde, lorsqu'un grand bruit l'éveilla en sursaut.