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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

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XXXIV
LE THÉATRE DES FOLIES-DRAMATIQUES.

Je revins à Paris, désespérée, comme toujours; il fallait pourtant prendre un parti. J'avais à m'occuper de moi, de l'avenir et de celui de ma petite filleule Solange que j'appellerai désormais Caroline, en souvenir de sa mère. J'avais de ses nouvelles; elle se portait bien. C'était une consolation, mais mieux elle se portait, plus il fallait songer à elle. Je résolus donc d'entrer dans un théâtre; je fis plusieurs tentatives inutiles.

On m'avait bien dit de m'adresser à M. Mouriez, directeur du théâtre des Folies-Dramatiques; mais il avait la réputation d'être brutal et je n'osais l'aller trouver. Je pris le parti de lui écrire, lui disant qui j'étais et ce que je désirais. Il me fit répondre par son régisseur qu'il me recevrait le lendemain. Il n'est rien de tel que de faire une mauvaise réputation aux gens pour qu'on les trouve charmants; c'est ce qui m'arriva avec M. Mouriez. Je ne ferai son portrait ni au physique ni au moral. Tout le monde sait que c'est un des meilleurs administrateurs de théâtres qu'il y ait à Paris; il a fait sa fortune en payant bien ses artistes: c'est le contraire de beaucoup d'autres. Ses conseils, quoique un peu brusques, sont toujours bons; la preuve, c'est qu'une grande partie des acteurs et des actrices qui ont du talent sortent de chez lui. Tous ses anciens pensionnaires disent du bien de lui, lui sont reconnaissants et le regrettent. Je suis du nombre.

Je me rendis donc à son cabinet; il me regarda de côté, car il écrivait, et me dit:

—Vous voulez entrer dans mon théâtre?

—Oui, monsieur, et je serais bien contente si vouliez m'y admettre.

—Vous n'avez jamais joué?

—Si, monsieur, mais bien peu et très mal: une pièce à Beaumarchais, une aux Délassements.

—Ce n'est pas beaucoup.

Il se retourna pour me regarder. Cet examen parut m'être favorable.

—Cela vous ferait donc bien plaisir d'être ici? Je dois vous prévenir que j'ai des actrices qui vont bien, qu'il faut travailler, être exacte.

—Si vous voulez me prendre, je vous promets d'être exacte, je tâcherai d'être bonne; si vous voulez m'essayer, vous ne me payerez pas pour commencer.

Je crus l'avoir fâché, car il fit un saut sur son fauteuil et me répondit sèchement:

—Mademoiselle, si, vous me convenez; je vais vous engager et vous payer; je ne fais pas d'engagement pour rien. Je paye les gens qui me servent. On m'a lu hier la parodie du Juif-Errant, vous débuterez dedans; il y a un rôle de reine Bacchanale, cela vous convient-il?

Ma réponse fut ma signature au bas de l'engagement qu'il me présentait.

—Bien, me dit-il, allez! On vous lira la pièce dans quatre ou cinq jours.

Je sortis radieuse. Si, quand on est malheureux on a besoin de conter ses peines, c'est bien pis quand on a une grande joie. J'avais envie de crier aux passants: «Je suis engagée aux Folies; on me paye, et on m'a dit qu'on fournissait les costumes. Mais, pensant que cela manquerait d'intérêt pour le public, je cherchais à qui je pourrais raconter cette bonne nouvelle. J'étais en ce moment sur le boulevard Saint-Denis; Richard y demeurait. Je ne pouvais, si ce qu'il m'avait dit était vrai, trouver personne qui s'intéressât plus à moi, et je montai, après avoir demandé s'il y était. En chemin, j'eus le temps de faire bien des réflexions. Quoique son appartement fût très-joli, il était au cinquième étage; ajoutez qu'arrivée au quatrième la peur d'être mal reçue me prit. Je redescendis jusqu'au premier en me disant: Je l'ai quitté assez brusquement; il m'a dit la phrase de rigueur: «Comptez toujours sur moi.»

Admettons qu'il ait eu un peu de chagrin, il aura trouvé beaucoup de femmes pour le consoler; peut-être en ce moment y a-t-il chez lui une jolie garde-malade qui achève sa guérison. Je descendais toujours; encore un étage et j'étais dehors, mais je sentis dans ma poche mon cher engagement; l'envie de le montrer me reprit si fort que je regrimpai jusqu'au haut sans respirer. Je tirai la sonnette en pensant à ceci: que s'ils étaient deux j'aurais à la fois un confident et une confidente. Ce fut Richard qui vint m'ouvrir.

Je me mis à parler comme une pie; j'avais tant de choses à lui apprendre, que cela dura vingt minutes sans qu'il en comprît un mot. Il faut dire qu'il ne me prêtait pas une grande attention; il me regardait d'un air étonné.

—Ah! lui dis-je, c'est comme ça que vous me recevez; vous ne me dites même pas bonjour. Je m'en vais.

Il me barra le passage et se mit à rire.

—Je ne vous ai rien répondu, parce que je suis surpris de vous voir, ensuite parce que vous ne m'en avez pas laissé le temps; vous n'avez pas arrêté. Je vous remercie de m'avoir cru assez votre ami pour venir me conter ce qui pouvait vous arriver d'heureux.

J'étais fâchée d'être montée; il avait l'air bien froid; je me sentais mal à mon aise. Je me levai et lui dis:

—Et moi je vous remercie de m'avoir écoutée, je m'en vais... Il me fit rasseoir.

—Reposez-vous encore un peu, c'est bien le moins, après avoir monté mes cinq étages. Dites-moi donc comment il se fait que vous soyez libre?

—Ce n'est pas difficile à deviner. Robert m'a donné congé avec ordre de quitter le Berri sous vingt-quatre heures; les dix heures de chemin de fer étaient comprises dedans. J'étais assez faible de caractère pour lui; maintenant que je suis engagée, mon dédit aura de la fermeté pour moi; je ne partirai plus.

—Vous! me dit Richard d'un air triste, il n'aura qu'un signe à faire et malheureusement vous y retournerez.

—Malheureusement? on dirait que cela vous vous fait de la peine; pourtant vous ne m'aimez plus, n'est-ce pas?

—Je l'ai cru, j'ai tout fait pour cela, c'est mon mauvais génie qui vous a amenée ici; si je ne vous avais pas revue...

—Eh bien! je m'en vais.

—Non, je vous en conjure, laissez-moi vous regarder; j'ai été si malheureux de vous perdre, j'ai tant souffert!

—Ça ne vous a pas maigri.

—Vous riez toujours, Céleste. Voyons, vous êtes libre, j'oublie ce que vous m'avez fait, restons amis; je crois que vous avez eu tort d'entrer au théâtre, on y dépense plus qu'on ne gagne.

—Vous saviez bien, Richard, qu'il y a eu dans ma vie un jour fatal; je suis forcée de traîner ma chaîne sans pouvoir la rompre.

—Oh! si je pouvais disposer de ma fortune, je vous ôterais bien vite ce chagrin; mais restez avec moi, patientez et bientôt... Je ne veux pas vous donner un faux espoir, ça fait trop de mal.

Je ne devinais pas sa pensée. Dans la crainte de me tromper, je ne cherchai pas.

Il voulut me reconduire, et je me sentis soulagée d'avoir retrouve, si empressé, cet ami que j'avais abandonné, sans m'inquiéter du mal que je pouvais lui faire.

Je répétai aux Folies avec Lassagne, acteur très-aimé du public; évidemment, il avait du talent, mais il en était trop sûr; il ne parlait de rien moins que d'ouvrir un cours, afin de donner des leçons, des conseils à Bouffé, à Arnal, à Odry.

Il ne m'aidait jamais en jouant; il profitait de mon embarras en scène pour me jouer des tours; il ajoutait à son rôle. Je n'avais pas la réplique, et je ne savais que devenir. Pour produire un effet, il aurait fait siffler son meilleur ami.

Tout le monde le connaissait; on le tenait à distance. Il était aimé de peu de personnes. Souvent, M. Mouriez lui parlait durement; Mme Odry, le pria bien des fois de cesser ce qu'elle appelait ses cascades, sous peine de le faire mettre à l'amende.

Il y avait, parmi les femmes, Angélina Legros; elle était là depuis quinze ou seize ans et commençait à être trop marquée pour jouer son emploi.

Dans chaque débutante elle voyait une rivale et ne la ménageait pas. Je débutai précisément par un de ses rôles; j'avais besoin de me faire des amies dans le théâtre, et j'avais eu la naïveté de compter sur elle; mais je renonçai bien vite à cette illusion.

Je frappai à d'autres portes: j'entrai chez Dinah, jolie petite brune, un peu bamban; je ne fus pas longtemps à m'apercevoir de ses défauts. Elle avait toutes les petites faiblesses de l'enfance. Je passai à Duplessis: celle-là était nulle. Il restait une voisine, Frenex, extraordinaire créature, petite, maigre à lui compter les côtes, blond et rouge mêlés, un nez comme il y en a peu, des dents comme il est aise de s'en procurer pour son argent, la bouche grande, les cils et les sourcils blond albinos; le tout peint en noir, blanc et rouge, était passable. Elle avait de l'esprit, elle était mignonne, distinguée, bonne actrice, capricieuse et coquette.

Une nouvelle amie était une conquête; aussi me reçut-elle très-bien; cela dura quelques jours.

Elle était malheureuse en affections, je ressentis le contre-coup de sa mauvaise humeur. Je suivis, triste de cette rupture, le couloir jusqu'à la loge de Léontine.

Elle voit à peine clair, c'est un bien grand malheur; pourtant, cela lui fera pardonner un petit ridicule: elle ne se voit plus bien, et se fâche de ce qu'on ne veut pas lui faire jouer de jeunes grisettes. Elle a bon cœur. M. Dennery la connaissait bien, quand il fait Chonchon dans la Grâce de Dieu.

Les Folies ne sont pas comme les autres théâtres: il n'y a pas de foyer pour les artistes; les coulisses sont si petites qu'on attend son entrée dans sa loge; ces loges sont grandes et claires comme le dedans d'une malle fermée; on s'y ennuie à périr, c'est pourquoi j'étais allée faire une petite visite à toutes ces dames; mais les abords n'avait pas été chose facile; toutes s'étaient écriées en apprenant que j'étais engagée et que j'allais débuter aux Folies:

—C'est indigne de nous donner une Mogador pour camarade! Quelle estime le monde aura-t-il maintenant pour les actrices des Folies?

Si la morsure d'un chien vous rend enragée, les méchancetés dirigées contre vous à tout propos, souvent sans motif et toujours sans en avoir le droit, peuvent bien vous rendre un peu méchante.

Une seule de mes compagnes me donna des conseils et fut très-bonne pour moi, Mme Odry.

Quant aux hommes, c'était autre chose; Hensey, Coutard, Boisselot, Hoster, tous étaient charmants pour moi, et se disputaient le plaisir de me donner des avis dont j'avais grand besoin et que je m'efforçais à suivre de mon mieux.

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