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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

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XXXV
OÙ L'ORGUEIL VA-T-IL SE NICHER?

Richard avait fait une cour assidue à Mlle Alice Ozy; il avait cessé tout à coup; elle s'était informée du motif de cette subite froideur. Le motif c'était moi. Elle me prit en grippe sans me connaître.

Un jour j'avais à dîner Richard et un de ses amis, le comte de B...

—A propos, dit celui-ci, après le dîner, viens-tu demain au bal chez Ozy? Cela me ferait plaisir; j'ai peur de n'y connaître personne.

—J'irais bien, dit Richard, si on avait engagé Céleste.

—N'est-ce que cela, dit son ami tout joyeux, je vais lui demander une invitation, c'est à côté. Je suis ici dans cinq minutes.

En effet, il fut à peine un quart d'heure. Je ne sais quel pressentiment m'avertissait, mais je passai dans ma chambre, me promettant d'écouter.

—Eh bien? dit Richard.

—Eh bien! mon cher, tu ne me disais pas que tu étais en délicatesse avec elle; elle m'a refusé net, et puis elle s'est ravisée, et m'a dit: Je veux bien qu'il vienne, mais je ne veux pas recevoir Mlle Mogador; jamais cette fille ne mettra les pieds chez moi. Fi! l'horreur! pour qui me prenez-vous?

—Tais-toi, dit Richard, il ne faut pas dire cela à Céleste.

Je rentrai sans faire semblant de rien savoir; mon amour-propre était engagé. Je me fis à moi-même la promesse que l'altière Ozy me recevrait avant huit jours. Cela ne me paraissait pourtant pas très-facile. Je me rappelai que Victorine la connaissait. Je fus la trouver. Elle me fit un reproche d'être restée si longtemps sans venir la voir.

—Ma chère, je mérite encore plus vos reproches que vous ne le croyez, car je ne viens aujourd'hui que parce que j'ai un service à vous demander; mais il ne faut pas m'en vouloir, le théâtre me prend tout mon temps.

—Je sais cela, me dit-elle en riant; je vous ai vue jouer il y a quelques jours, vous n'êtes pas bonne.

—Je tâcherai que cela vienne.

—Quelle idée vous a prise d'entrer là?

—Je suis tout à fait fâchée avec Robert.

—Alors, c'est un coup de tête?

—Oui, mais ce n'est pas pour parler de ça que je suis venue vous voir. Figurez-vous, ma pauvre amie, que j'ai reçu hier un grand affront. On a demandé pour moi une invitation à Mlle Alice Ozy, qui a refusé dans des termes qui m'ont blessée. Je veux la connaître, je veux qu'on me voie avec elle; pouvez-vous m'aider?

—Non, je ne la vois plus; mais je suis étonnée de son dédain; son talent ressemble au vôtre. Quant à votre nom de Mogador, vous pourriez faire comme elle, en changer. C'est gentil, Alice Ozy, mais ce n'est pas son nom.

—Ah! vous croyez?

—Je ne crois pas, j'en suis sûre. Il me semble qu'elle pourrait vous recevoir de plain-pied. Eh! parbleu! elle est liée en ce moment avec Rose Pompon. Vous devez connaître Rose Pompon!

—Oui, j'irai chez elle s'il le faut, mais Mlle Ozy me recevra. Adieu, chère amie, ou plutôt à revoir. J'ai affaire et je n'ai que huit jours pour achever cette conquête.

—Vous avez plus de temps qu'il ne vous en faut.

J'arrivai chez Rose Pompon, qui se mit à m'en conter de toutes les couleurs. Il y avait chez elle une maîtresse de piano qu'elle chargea de baisers, de compliments, pour Mlle Ozy. Je compris que cette femme pourrait me servir. Je la priai de venir me voir le lendemain matin; elle me dit qu'elle ne pouvait venir plus tard que dix heures, onze heures étant l'heure des leçons de Mlle Alice.

Elle arriva le lendemain. C'était une jeune personne de quarante ans, qui commença par me dire beaucoup de mal d'Ozy, bien qu'elle fût habillée des pieds à la tête d'effets qu'elle tenait de sa générosité. Je ne l'avais pas fait venir pour m'affliger sur l'ingratitude humaine.

J'abordai le sujet qui intéressait mon amour-propre.

—Figurez-vous, madame, que j'ai une envie démesurée de faire connaissance avec Mlle Ozy. J'ai entendu dire que c'était une charmante personne. Je ne me dissimule pas que cela est bien difficile, la curiosité ne raisonne pas! Son appartement est, dit-on, somptueux.

—Et vous voudriez le voir, me dit-elle avec un petit air protecteur.

—Je l'avoue, c'était pour cela que j'étais allée chez Pompon; mais doutant de son crédit, je n'ai rien voulu lui demander.

—Et vous avez bien fait! Mlle Alice en a par-dessus la tête de cette Pompon. C'est une menteuse, elle promet toujours et ne tient jamais. Je vais dire à Ozy que vous la trouvez jolie, que vous ne parlez que d'elle, de son luxe. Envoyez-lui des fleurs et avant deux jours elle vous demandera de vouloir bien lui faire une visite.

En effet, Ozy me fit dire par la maîtresse de piano que je faisais des folies, qu'elle avait reçu de moi une corbeille magnifique et qu'elle me priait d'aller voir l'effet qu'elle faisait dans son salon.

Je ne me fis pas prier et je n'eus pas à m'en plaindre. Elle fut charmante, m'engagea à revenir le plus souvent possible. Le lendemain, elle m'envoya demander si je voulais dîner avec elle au coin du feu. Ma réponse fut accompagnée d'un superbe bouquet. Elle me fit un cours complet de philosophie. Elle me parla de la Bible, de la grandeur et de la décadence des Romains et de ses goûts simples et modestes. Elle me répéta si souvent qu'elle était bonne, que je dus en être convaincue.

Je reçus une invitation pour son bal. Quelle belle occasion de mettre ma parure d'émeraudes!

J'arrivai la première, car elle m'avait bien recommandé de venir de bonne heure. Son appartement était littéralement inondé de fleurs et de lumières. C'était le plus beau que j'aie jamais vu; elle avait un goût exquis.

Le monde commençait à venir, Ozy était habillée simplement, ce qui lui allait à merveille, car elle est très-bien faite.

Deux femmes entrèrent dans le salon; elle fut les recevoir.

Quand elle revint près de moi, je lui demandai:

—Comment appelez-vous ces deux dames?

—Mesdemoiselles Ber....

—Ce sont les deux sœurs?

—Non, c'est la mère et la fille.

La fille était maigre, longue comme un échalas; elle était habillée en enfant avec une grande ceinture de ruban, elle prit un livre et alla bouder dans un petit salon, disant que si elle avait su se trouver en si mauvaise compagnie, elle ne serait pas venue.

La mauvaise compagnie, c'était moi; Ozy haussa les épaules et n'en fut que plus aimable; quelques-unes de ces dames me firent bon accueil. Beaucoup furent dédaigneuses et hautaines. Je ne suis pas méchante, mais je pris leur signalement pour m'en souvenir à l'occasion.

Parmi toutes les femmes qui étaient dans ce salon, une me plaisait plus que toutes les autres. Elle était jolie comme les amours, et elle avait l'air fort aimable.

Je la suivais des yeux, je sentis que je l'aimais beaucoup, elle avait un charme irrésistible; c'était la petite Page. Je n'osais lui parler. Ozy refusa de me la présenter.

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