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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

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XXVIII
DÉCEPTIONS.

Le lendemain, je suivais les boulevards, quand quelqu'un, qui marchait sur mes talons, me dit en me touchant le bras:

—Enfin, c'est vous, je vous retrouve.

Je fermai les yeux; la voix m'était inconnue; j'eus peur.

—Vous ne voulez donc pas me reconnaître?

J'ouvris les yeux et je vis... le naufragé du Havre, que je croyais avoir laissé pour toujours sur la grève.

—Ah ça! me dit-il, où vous cachez-vous donc? Je suis à Paris depuis un mois, je ne suis plus un provincial; je sais le vrai nom de l'apparition que j'ai trouvée dans la vie, entre deux orages. Vous ne m'avez pas trompé. Vous vous appelez bien Mogador. On m'a dit pis que pendre de vous, mais cela m'est égal. Je ne vous en aime que davantage. Nous avons un compte à régler ensemble. Savez-vous que vous m'avez planté là d'une façon brutale? Pourtant, je ne vous en veux pas. Où demeurez-vous?

Je me disais:

«Eh bien! il est toujours le même; il va droit au but. Est-ce qu'il s'imagine que je vais le recevoir?» Je ne voulus pas lui donner mon adresse, mais il ne me quitta pas. Comme il me fallut bien rentrer, il me suivit. Je lui dis à ma porte:

—A revoir.

—Comment, à revoir! est-ce que vous croyez que je vous quitte comme ça? merci! Voilà un mois que je vous cherche, et, quand je vous trouve, vous ne m'offrez pas de me reposer cinq minutes chez vous! Dans ma Provence, on est plus aimable que ça.

Je me mis à rire. Je montai l'escalier; il me suivit. Arrivés chez moi, nous causâmes longtemps; tout ce qu'il me fil de protestations d'amour est incroyable. Il était cinq heures, je dînais chez une amie; je le priai de me laisser m'habiller. Il partit, mais, à dix heures, le lendemain, il était chez moi. Je pensai avec effroi que, pour m'en débarrasser, il me faudrait quitter Paris. Je lui disais tous mes défauts, il les enchâssait comme des diamants dans ses rêves, les entourait de fleurs et ne voulait pas les voir. Pourtant, je l'amenai petit à petit à l'idée de n'être que mon ami; je lui disais chaque jour que j'en aimais un autre, que j'étais trop franche pour le tromper. Il se fit à cette pensée, et ne me parla plus de son amour. Il m'était dévoué comme on ne l'est pas, en général, aux femmes que l'on ne possède pas.

Un jour, j'étais triste, il me demanda pourquoi. Je lui montrai mon âme, et lui fis voir le point noir de ma vie. Il me quitta sans rien me dire; le lendemain, il revint triomphant.

—Vous croyez, Céleste, qu'il n'y a pas d'amitié possible d'homme à femme. Eh bien! j'ai trouvé le moyen de vous montrer que si. J'ai écrit hier au préfet pour lui demander votre radiation; vous serez libre. Vous me devrez votre liberté. Croyez-vous maintenant à mon affection?

Un éclair de joie me monta du cœur au visage, et puis, réfléchissant à tous les obstacles, je redevins pensive.

—Vous doutez de mon succès, me dit-il, eh bien! vous verrez; j'aurai la réponse dans six jours. Je ne viendrai vous voir que quand je l'aurai.

Je le remerciai du plus profond de mon cœur; mais un pressentiment me disait qu'il n'arriverait à rien.

Je reçus une bonne lettre de Robert, qui me fit patienter, car les jours me paraissaient d'une longueur atroce. Je n'avais plus que deux jours à attendre, lorsqu'un commissionnaire m'apporta une malle et une petite cassette.

—Mlle Pépine vous prie de garder cela jusqu'à ce qu'elle vienne le chercher, me dit le commissionnaire.

Je n'osais refuser, j'avais promis. Pourtant, en ce moment où je devais me tenir sur mes gardes, voir cette femme, recevoir ses effets, me paraissait imprudent. Qu'y avait-il dans cette malle? Peut-être de quoi me compromettre. Je cherchai un moyen de me défaire de tout cela sans en trouver un de raisonnable. J'attendis donc au lendemain.

J'allais écrire, quand une voiture s'arrêta à ma porte. Je vis entrer la Pépine; elle était tout en noir; elle serrait son voile sur sa figure, comme quelqu'un qui se cache.

—Ah! lui dis-je, en lui ouvrant, j'étais au moment de vous écrire. Je ne puis garder ces malles sans savoir ce qu'elles contiennent.

—C'est inutile, je viens les chercher, me dit-elle. Je quitte la France cette nuit, je les emporte; j'ai repris ce qu'il m'avait volé; je pars pour mon pays. Demain son tripot sera fermé; il sera arrêté, il ne pourra courir après moi. Je suis bien heureuse, allez! Voilà dix ans que j'attends cette vengeance; elle est complète. Adieu, ma chère amie, je vous remercie; je ne vous reverrai peut-être jamais. Croyez-moi, n'allez plus dans les maisons de jeu; on ne peut jamais distinguer les fripons des honnêtes gens.

Elle m'embrassa, fit descendre ses malles par Marie. Je respirai plus librement quand j'entendis sa voiture s'éloigner.

Huit jours s'étaient passés sans que j'eusse des nouvelles de la demande qui avait été faite. Je reçus une longue lettre de mon naufragé; je compris que la réponse avait été mauvaise, puisqu'il ne l'apportait pas lui-même; je lus:

«Ma chère Céleste,

»Je suis trop peiné de ma défaite, pour aller vous la raconter moi-même. J'ai été appelé hier; mais, hélas!... On m'a demandé ce que je vous étais; j'ai dit que j'étais votre ami.

»—Avez-vous l'intention de la prendre avec vous, de l'emmener, ou de lui faire des rentes pour lui assurer une vie honnête?

»J'avoue, ma pauvre amie, que je fus embarrassé; car vous n'auriez pas voulu me suivre, et ma fortune étant indivise avec celle de mon père, je ne pouvais promettre de remplir l'autre alternative.

»Je sortis bien triste, ma chère Céleste; croyez que si je l'avais pu, je n'aurais pas hésité, quelque sacrifice qu'il m'en eût coûté; mais j'ai mon père à qui je n'oserais rien demander. Je pars désespéré. Pardonnez-moi le fol espoir que je vous ai donné; plus tard, si je puis vous montrer combien je vous aime, vous verrez que j'étais sincère.»

Je me mis à rire, je me faisais pitié. Je m'étais leurrée de cette folle illusion; j'en avais fait ma vie pendant toute une semaine. Pourquoi tant d'illusion? Qu'avais-je fait pour lui? qu'était-il pour moi? Il avait écrit une demande; la belle affaire! on n'avait pas même besoin de la dicter: un écrivain vous en compose une pour un franc.

—Il m'aime, tant mieux! cela me fait plaisir; je voudrais qu'il souffrit; je le déteste pour les souvenirs qu'il a remués en moi et mon espérance perdue. La justice personnelle n'est pas le côté dominant chez les êtres bien élevés et moins encore chez les pauvres ignorants qui ont tout à envier. Les déceptions qu'ils éprouvent leur semblent injustes, et ils ressentent une véritable souffrance de leurs chimères, parce qu'ils ne savent pas raisonner. Les femmes d'un naturel nerveux s'irritent d'être traitées un jour en souveraines, le lendemain en esclaves. Elles se plaignent et accusent les hommes de faiblesse, d'injustice. Le cœur se gâte à contracter de honteuses amours. Les femmes deviennent envieuses, méchantes jusqu'à la haine, le jour où on les force à se mépriser elles-mêmes. En avançant dans la vie, j'ai pu me rendre compte de cela. Je voyais les choses telles qu'elles étaient, et je les disais comme je les voyais. Ma franchise n'était pas goûtée; mais mon entourage féminin me déplaisait tellement, que j'aimais autant avoir des ennemies que des amies.

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