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Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

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The Project Gutenberg eBook of Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

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Title: Mémoires de Céleste Mogador, Volume 3

Author: comtesse Céleste Vénard de Chabrillan

Release date: July 1, 2017 [eBook #55023]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
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by The Internet Archive/Canadian Libraries)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DE CÉLESTE MOGADOR, VOLUME 3 ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

MÉMOIRES
DE
CÉLESTE MOGADOR

Paris.—IMP. DE LA LIBRAIRIE NOUVELLE.—Bourdilliat, 15, rue Breda.

III

MÉMOIRES
DE
CÉLESTE
MOGADOR


TOME TROISIÈME


PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15
La traduction et la reproduction sont réservées.


1858


IV

MÉMOIRES
DE
CÉLESTE MOGADOR

XXV

VIVE LA RÉFORME!

Le lendemain en m'éveillant, j'allai voir Frisette; elle était heureuse de vivre, et ne voyait pas tout en noir comme Victorine.

Il y avait beaucoup de monde dans la rue; on chuchotait. Je m'approchai de plusieurs groupes et j'écoutai, sans comprendre un mot à tout ce qu'on disait. Je demandai à Frisette ce que cela voulait dire. Elle n'en savait rien.

—Veux-tu venir nous promener? lui dis-je, nous apprendrons peut-être quelque chose...

—Je le veux bien, allons!

Arrivées au boulevard, la foule était plus grande. Beaucoup de gens riaient; nous riions aussi. Nous ne pouvions entendre, au milieu du bruit, que ces mots: La réforme!

J'arrêtai un jeune homme et lui demandai ce que cela voulait dire. Il me répondit d'un air d'importance:

—Nous voulons la réforme.

—Ah! et qu'est-ce que c'est que la réforme?

Il me regarda, haussa les épaules, et partit sans me répondre.

—Est-ce que je lui ai dit quelque chose de désagréable? dis-je à Frisette qui riait.

—Dame, tu ne sais pas ce que c'est que la réforme!...

—Et toi, le sais-tu?

—Non!

Nous nous trouvions boulevard Bonne-Nouvelle, devant le café de France. Beaucoup de jeunes gens étaient aux croisées. Quelques-uns nous reconnurent et se mirent à crier: «Vive Mogador! vive Frisette! vive la réforme et les jolies femmes!»

Les curieux et les flâneurs se serrèrent autour de nous. Nous eûmes toutes les peines du monde à échapper à la masse qui nous serrait. Je devins fort pâle. L'insulte glissait en sifflant; l'air était chargé de menaces. J'eus le sentiment que quelque chose d'extraordinaire allait se passer. J'entrai dans la maison no 5. Je connaissais Mme Emburgé à qui je demandai la permission d'attendre chez elle qu'il y eût moins de monde dehors. Elle nous ouvrit une fenêtre et nous vîmes défiler ce flot noir émaillé de bleu qu'on appelle le peuple. Il allait et grossissait comme un orage! Cela me rappela Lyon. J'eus peur! Cependant, comme tout le monde dîne, même ceux qui veulent faire la guerre, vers les six heures, les chemins devinrent plus libres.

—Sortez, me dit Mme Emburgé; il y aura du bruit ce soir. Rentrez chez vous.

—Viens dîner avec moi, me dit Frisette; que feras-tu, seule chez toi?

J'acceptai. Il était dix heures quand je pris congé d'elle. Je suivis le faubourg Montmartre, les boulevards. Arrivée à la rue Lepelletier, j'entendis une détonation. La foule répondit par un long cri! On courait du côté de la Bastille: je voulais avancer.

—Où allez-vous donc? me dit un homme d'une quarantaine d'années.

—Mais, monsieur, je voudrais rentrer chez moi, place de la Madeleine.

—Alors, prenez un autre chemin. Vous ne pouvez passer par là; on vient de tirer devant le ministère des affaires étrangères.

Il disparut. J'avançais toujours, mais avec peine. Toutes les figures étaient empreintes d'une grande terreur; chacun se regardait avec défiance. Je pris la rue Basse-du-Rempart. Le vide s'y était fait; je la suivis, silencieuse. Je pensais à Robert! «Une révolution, me disais-je! une révolution qui ruine, qui force la noblesse à se cacher. Dans de pareilles circonstances, on a vu des gens du peuple rendre de grands services! Ah! si Robert pouvait avoir besoin de moi, de ma vie!»

Cette pensée ne fut qu'un éclair dans mon cœur. Je me rappelai, par le souvenir de Lyon, les malheurs qu'entraînent les révolutions, et j'eus regret de mon égoïsme.

J'étais au coin de la rue Caumartin. La pharmacie était changée en ambulance; de pauvres blessés y recevaient des secours!

A la vue du sang, mon cœur revint tout entier à la charité!

Je sentis des larmes dans mes yeux. Pleurer! c'est tout ce que peuvent les femmes! car elles ne comprennent rien, ne peuvent rien à ces grandes machines infernales qu'on appelle guerres, révolutions!

Rentrée chez moi, je me mis à écrire à Robert tout ce que j'avais vu, lui disant pour la première fois: «Ne venez pas.»

Je ne pouvais dormir! toute la maison était sur pied.

A quatre heures du matin, on frappa à la porte cochère. Le concierge avait peur; avant d'ouvrir, il demanda:

—Qui est là?

J'écoutai à ma fenêtre.

—Ouvrez, ouvrez! dis-je au concierge... Lui, lui, dans un pareil moment!... Oh! Robert, pourquoi êtes-vous venu à Paris? j'étais si contente de vous savoir en Berri!

—Je puis repartir, si je vous gêne!

—Me gêner!... ah! c'est juste! une bonne pensée ne m'est pas permise!... je pensais à votre sûreté avant le bonheur que j'avais de vous avoir près de moi... c'est invraisemblable, n'est-ce pas?

—Non, ma chère enfant; je ne savais pas ce qui se passait! Je suis parti hier de Châteauroux. En arrivant à la gare, je n'ai pu trouver de voiture; j'ai apporté ma valise sur mon épaule, et me voilà.

Le lendemain de son arrivée, il alla rejoindre la première légion de la garde nationale. Cela faillit me rendre folle d'inquiétude. Le poste de la Madeleine fut brûlé! On avait laissé dans ce poste de la poudre et des fusils chargés qui faisaient explosion à chaque instant.

Robert rentra à cinq heures, noir de poussière, épuisé de fatigue. Il avait aidé à défaire des barricades.

Un grand bruit se fit entendre sous mes fenêtres! j'allai voir.

Environ cent hommes, proprement mis, l'air assez raisonnable, étaient réunis et discutaient quelque grave question, sans doute soulevée par les événements.

Enfin le oui, oui, l'emporta; tous se dirigèrent à la station des voitures et mirent le feu à la petite loge de bois qui sert au gardien.

C'étaient les cochers du quartier qui s'amusaient, exactement comme à Lyon. Là-bas, c'était l'octroi.

Je demandai à Robert de partir, de m'emmener! Il me le promit, aussitôt qu'on pourrait circuler, car sa présence était nécessaire chez lui. Nous partîmes le lendemain. Je commençai à respirer à Étampes.

Je n'osais lui parler de ses projets de mariage. Ce fut lui qui me dit qu'on l'avait refusé, qu'il était libre! Je fus tout-à-fait heureuse.

Robert, jeune, bien de sa personne, avec son nom et sa fortune, aurait dû réussir à tout. Il aurait dû réussir à trouver un beau mariage, ce que rencontrent tant d'imbéciles qui n'ont aucun de ses avantages. Mais Robert avait un défaut qui était dans sa vie un perpétuel obstacle. Il n'avait aucune stabilité dans l'esprit; tantôt il voulait, tantôt il ne voulait pas. J'avais cru à une grande force de caractère chez lui; je m'étais trompée: c'était de la violence. Il ne savait maîtriser ni une passion, ni un désir; il regrettait quelquefois le lendemain ce qu'il avait fait la veille. J'en souffrais souvent. Je voyais bien qu'il se livrait à lui-même un combat. Il m'aimait, et je devais être pour beaucoup dans ses irrésolutions. Je n'avais pu monter jusqu'à lui; il me reprochait d'être obligé de descendre jusqu'à moi. Et pourtant, par affection pour lui, je m'étais métamorphosée; je vivais près de lui avec la plus grande modestie de goûst!... Je lui donnais des conseils qu'il n'écoutait jamais... parce qu'ils étaient bons.

Sa gêne était grande. Le château qu'il avait gardé en partage était délabré; une seule chambre annonçait une splendeur passée. Le tout était vieux de trois cents ans. Il fallut tout réparer, château et domaines. Les fermiers, déjà endettés, ne payaient pas; les gens auxquels il était dû de l'argent devinrent exigeants. Je me souviens que Robert emprunta soixante mille francs à vingt pour cent sur première hypothèque. On était en révolution; l'argent, tout en se vendant ce prix-là, était difficile à trouver. Robert avait bon cœur; les fermiers belges vinrent lui demander de retourner dans leur pays. Le Berri est malsain; il y a des fièvres dont on ne peut se défaire, le travail y est pénible, les cultivateurs sont lents parce qu'ils se nourrissent mal; ce n'est qu'à force de privations qu'ils peuvent arriver. Beaucoup vendent leur blé et mangent des pommes de terre ou des châtaignes. Les Belges n'avaient pu s'habituer à cette pauvreté. Ils avaient été amenés par le père de Robert, qui espérait tirer parti de ces immenses terrains appelés brandes.

Robert consentit à leur départ; il leur donna même de l'argent, car les pauvres gens étaient bien malheureux: l'un avait été grêlé, sa récolte était perdue; un autre avait vu mourir trois des siens; d'autres étaient malades. Les plus beaux domaines restèrent vacants.

Robert voulut faire valoir lui-même; il n'y entendait pas grand'chose ou il ne fut pas heureux: mais cela lui coûta fort cher.

Châteauroux n'existe pas; c'est une espèce de faubourg que vous traversez en cherchant la ville. Les habitants sont rudes; beaucoup poussent cette rudesse jusqu'à la sauvagerie. Quand la nature inculte du paysan se révolte, il devient féroce. Il y avait eu dans les alentours des crimes épouvantables: plusieurs châteaux avaient été envahis; l'intendant d'un de ces châteaux avait été coupé à coups de faulx; le château de Ville-Dieu avait été incendié en partie, tout l'intérieur; brisé il ne restait que les pierres. Le côté où nous habitions était calme, et d'ailleurs on aimait Robert. Je combattais mes inquiétudes pour lui; j'étais allée à Châteauroux dans une de ses voitures; j'entendis crier des masses d'enfants. Il y avait une voiture qui me précédait. Le cocher fit tourner ses chevaux et me dit:

—Nous ne pouvons pas passer; voyez, on assiége de pierres la voiture de madame de...

Mon sang se glaça; je rentrai, suppliant Robert de ne pas sortir, ou, s'il le faisait, d'effacer les armes de sa voiture.

Il me reçut fort mal, en me disant qu'on pouvait le tuer, si on le voulait, mais que bien certainement il n'effacerait pas ses armes, que ce serait une lâcheté.

Je passais les nuits sans dormir; j'avais peur que mon séjour au château ne lui fit perdre la bien veillance qu'on avait pour lui dans le pays. Un jour, je vis dans le parc environ quarante hommes armés de fusils, de pistolets; ils se dirigeaient du côté du château. J'entendais leurs cris; je les voyais de ma fenêtre, s'agiter, brandir leurs armes.

Robert était au billard avec Martin. J'entrai en leur criant:

—Sauvez-vous! cachez-vous! ou vous êtes perdus.

—Qu'as-tu donc? me demanda Robert en me soutenant, car j'étais si pâle, je tremblais si fort, que j'allais tomber.

—Ce que j'ai? lui dis-je. J'ai qu'il n'y a pas un moment à perdre, ou vous êtes assassinés: il y a là des hommes armés qui crient; entendez-vous, maintenant? Sauve-toi, viens dans la cave; mais, pour l'amour de Dieu, ne les attends pas.

Et, persuadée qu'il me suivait, je me sauvai du côté de l'escalier qui conduisait aux caves. Il me semblait voir les canons des fusils, il me semblait entendre la détonation des armes à feu. Les fondations étaient énormes. Je marchais dans ces caveaux sombres, humides, mes jambes fléchissaient à chaque pas. Je me retournai, et je m'aperçus, avec un sentiment d'indicible terreur pour Robert, qu'il ne m'avait pas suivie. J'écoutai, je n'entendis rien; j'étais sous le rayon de lumière d'un soupirail.

—Oui! oui! criaient des voix, celui-là! emportons celui-là! c'est le plus beau! prenez des pioches... alerte! alerte!

—Non! non! répondaient d'autres voix, il va mourir, il est trop grand.

—Trop grand! mourir! me bourdonnaient dans les oreilles.

—Que veulent-ils dire? Oh! trop grand! Seigneur, c'est Robert! Mourir! ils délibèrent sa mort! Mon Dieu! pourquoi ne m'a-t-il pas écoutée! oh! je veux le voir.

Et je marchai dans l'ombre, me traînant au long des murs.

Tout-à-coup des coups de feu se firent entendre; mon cœur cessa de battre; je me laissai glisser à terre.

Misérable chose que le courage d'une femme! je voulais avancer; à chaque détonation nouvelle, je me sentais faiblir; j'aurais voulu entrer dans la muraille. Enfin, tout ce que j'aimais au monde était en haut, je regagnai les escaliers. La fusillade continuait toujours mais semblait s'éloigner; j'arrivai au faîte en rampant.

—D'où viens-tu donc? me dit Robert, qui allumait tranquillement un cigare.

—D'où je viens? mais je viens de la cave, où je m'étais cachée, et où je te pleurais bien inutilement à ce qu'il me semble, puisque tu ris. Que signifiait donc cette petite guerre qui m'a fait si peur?

—Écoute, tu vas le savoir.

En effet, je distinguai ces mots:

—Vive monsieur le comte! vive la république! vivent les arbres de la liberté!

Nous étions sur la terrasse; un homme revint et dit à Robert, en lui ôtant son chapeau jusqu'à terre:

—Ça ne vous fait rien au moins, monsieur le comte, que nous plantions un arbre de la liberté? Si ça vous fâchait, je n'y tiens pas, c'est histoire de s'amuser et de boire un coup à votre santé.

—Non, ça ne me fâche pas, dit Robert, puisque je vous l'ai donné avec un quart de vin, et pourvu que vous ne le plantiez pas dans mon parc, ça m'est égal.

Je compris: ce qui était trop grand et qui allait mourir, c'était le peuplier. On se moqua beaucoup de moi, et ce fut un sujet d'hilarité pendant quelques jours.

Je recevais lettre sur lettre de ma domestique; j'avais des dettes, des billets à payer; si j'avais été homme et dans les affaires, j'aurais été le plus exact des commerçants. La pensée d'une échéance en retard me mettait au supplice.

Robert, malgré sa grande fortune en terres, était plus pauvre que moi. Je ne pouvais et ne voulais rien lui demander.

Je lui annonçai qu'il fallait que j'allasse à Paris, mettre un peu d'ordre à mes affaires, payer mon loyer.

Il ouvrit son secrétaire, fouilla dans ses poches et me dit:

—Ma pauvre Céleste, je voudrais te donner ce dont tu as besoin, mais je ne le puis; je n'ai rien. Je vais emprunter deux cents francs pour ton voyage.

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