Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, (1/6)
CHAPITRE XXXVI.
1653-1654.
Condé prend Rocroi.—Turenne, Sainte-Menehould.—La cour et le conseil suivent l'armée.—Bons effets qui en résultent pour l'éducation du roi.—Fêtes et réjouissances au retour du roi.—Invention de la petite poste.—Nouveautés théâtrales.—Corneille donne Pertharite; traduit l'Imitation de J.-C.—Le Cid joué aux noces de la princesse de Schomberg.—Pièces de Cyrano de Bergerac et de Montauban.—Goût des spectacles très-vif parmi les grands.—Ils louaient les acteurs pour leurs châteaux.—Moyens de distraction que Mademoiselle employait dans son exil.—Trois troupes de comédiens parcouraient les provinces.—Troupe de Molière, qui va jouer chez le prince de Conti, à Pézénas.—Deux théâtres publics à Paris.—Ballets de la cour donnés sur le théâtre du Petit-Bourbon.—Mascarade de Cassandre, 1er ballet du roi.—Description de ce ballet.—Travestissement de Monsieur en femme.—Mauvaise influence de cette pratique.—Carême accompagné du jubilé.—Assiduité aux églises.—Retour du marquis et de la marquise de Montausier à l'hôtel de Rambouillet.—Assemblées chez mademoiselle de Scudéry et la comtesse de la Suze.—Ridicules des nouvelles précieuses.—Recueil de poésies choisies.—Vers à Ninon.—Madrigal adressé à madame de Sévigné.
Tout était pacifié dans l'intérieur; mais la guerre durait toujours avec les Espagnols, auxquels nos divisions avaient donné Condé, qui seul valait une armée. Cependant ce grand capitaine, contrarié dans ses plans de campagne par la jalousie de ceux-là même qui se servaient de lui, par les calculs égoïstes du duc de Lorraine [808], se borna cette fois à la prise de Rocroi; et Turenne, réduit, à cause de son petit nombre de troupes, à éviter une action générale, se contenta de harceler sans cesse son ennemi, et de s'emparer de Sainte-Menehould [809].
La reine régente, le ministre, le roi, suivirent l'armée pendant tout le temps de la campagne. Ainsi la cour se confondait avec l'état-major de Turenne, le conseil du cabinet avec le conseil de guerre. Les courtisans étaient les guerriers; l'exécution suivait les résolutions. Sous les yeux et par les exemples d'un habile ministre et d'un grand capitaine, le jeune roi apprenait à se battre et à régner.
Cependant la cour résida pendant tout l'hiver et une grande partie de cette année dans la capitale; et sa présence fut signalée par des fêtes et des réjouissances, qui dans les premiers temps du retour furent moins pompeuses et moins riches que celles de la Fronde, mais où se manifestait un accord de vœux et de sentiments qui n'avait pu exister au milieu de partis divisés de but et d'intérêt [810]. Nulle reine, nulle femme n'a jamais su aussi bien qu'Anne d'Autriche tenir un cercle; et Louis XIV parvenu au plus haut degré de sa puissance, alors qu'il mettait autant d'amour-propre à bien régir sa cour qu'à gouverner son royaume, a souvent regretté de ne trouver ni dans sa femme, ni dans celles auxquelles il en conféra les droits et les priviléges, cet art que possédait sa mère de faire régner parmi tant de personnes différentes de rang, de sexe et d'âge, les sévères lois de l'étiquette, et de les rendre pour toutes douces et légères, et quelquefois flatteuses; de maintenir au milieu de la plus nombreuse réunion l'ordre sans contrainte et la liberté sans confusion; d'y faire circuler la joie et respecter les convenances; de se montrer toujours attentive sans affectation, gracieuse avec bonté, et familière avec dignité [811].
Quoique la pénurie des finances et la misère générale ne permissent pas d'étaler beaucoup de luxe, il y eut cependant cette année des repas donnés par la ville de Paris à Mazarin, et par Mazarin à Monsieur, au sujet des fiançailles de la princesse Louise de Savoie, fille du prince Thomas, avec le prince de Bade [812]; puis à l'occasion de la solennité de la Saint-Louis, des fêtes à l'hôtel de ville [813], au Louvre et dans les places publiques, auxquelles prirent part la cour, la noblesse, les bourgeois et le peuple.
Le retour du roi dans Paris, en ramenant la sécurité, avait donné une impulsion plus rapide au commerce et rendu les communications entre les habitants de cette grande cité et ses différents quartiers plus fréquentes. Toujours un progrès dans la civilisation est signalé par quelque invention nouvelle, qui en est à la fois le résultat et l'indice. Cette activité inusitée imprimée cette année aux relations sociales dans Paris y donna lieu à l'établissement de la petite poste. C'est Loret qui nous apprend cette curieuse particularité. On mit, dit-il,
Des boîtes nombreuses et drues
Aux petites et grandes rues,
Où par soi-même, ou ses laquais,
Où pour ne porter des paquets,
Avis, billets, missive, ou lettres,
Que des gens commis pour cela
Iront chercher et prendre là,
Pour, d'une diligence habile,
Les porter partout par la ville [814].
Le goût des représentations théâtrales s'accrut dès qu'on n'eut plus l'esprit préoccupé ou l'âme affligée par les événements de la guerre civile. La tragédie de Pertharite fut représentée cette année, et sa chute fut complète; Corneille la fit cependant imprimer, et, dans une préface chagrine, il témoigna combien ce revers inattendu lui avait été sensible: il y faisait ses adieux à la poésie dramatique, mais en se donnant à lui-même cet éloge [815], «de laisser par ses travaux le théâtre français dans un meilleur état qu'il ne l'avait trouvé, et du côté de l'art, et du côté des mœurs». Ses contemporains ne lui ont pas contesté cette vérité, et ont parlé de lui comme la postérité. Mais il n'avait alors que quarante-sept ans, et déjà son génie avait faibli: sa muse, qui avait jeté un si grand éclat, ne pouvait plus chausser le cothurne tragique. C'est donc à tort qu'il se plaignait du public, qui ne voulait plus de ses pièces, parce que, dit-il, elles étaient passées de mode. Le public donnait un démenti à ce reproche en applaudissant avec enthousiasme toutes les fois qu'on donnait le Cid ou quelques-uns des chefs-d'œuvre de ce grand poëte [816]. Il se mit à traduire l'Imitation de Jésus-Christ, et le vide qu'il laissait au théâtre fut rempli tantôt par Cyrano de Bergerac, tantôt par un nommé Montauban. Ces auteurs, dont l'un est aujourd'hui si peu lu, et l'autre si peu connu, obtinrent des succès qui lui étaient refusés. Son frère Thomas, qui avait pris le nom de Corneille de Lisle, donna deux nouvelles pièces, qui réussirent. Un jeune homme dont Tristan avait fait son secrétaire, et que son esprit, son caractère et sa sociabilité lui avaient fait prendre en amitié, donna à la même époque, à l'hôtel de Bourgogne, sa première comédie, dont le succès fut complet [817]. Ce jeune homme, c'était Quinault, dont les vers de Boileau firent de son temps trop déchoir la réputation, et que les éloges de Voltaire ont trop exalté depuis. La destinée de Quinault fut toujours d'avoir plus de panégyristes que de lecteurs.
Aujourd'hui le goût des spectacles est devenu très-vif et très-général parmi les classes moyennes, et même parmi celles du peuple; il a, au contraire, beaucoup diminué dans les hautes classes: c'était l'inverse à l'époque dont nous nous occupons. Quoique ce goût commençât à se répandre plus généralement, cependant c'était dans les classes élevées qu'il était le plus prononcé; c'étaient elles qui faisaient vivre les comédiens, et donnaient de la réputation et de la vogue aux pièces de théâtre. Elles étaient alors une jouissance de l'esprit: les sens y avaient peu de part. Le prestige des décorations et la beauté des costumes, les sons harmonieux des instruments n'en avaient pas fait presque uniquement un plaisir des yeux et des oreilles. Le poëte, semblable à un magicien qui nous enlève à l'univers réel pour nous livrer aux fantômes qu'il lui plaît de faire comparaître, n'avait d'autre ressource que son art pour s'emparer de l'imagination des spectateurs, pour donner aux fictions l'apparence de la réalité. C'est à ces grandes différences dans l'art dramatique et dans le public pour lequel on l'exerçait que l'on doit attribuer, suivant nous, celles que l'on remarque entre les chefs-d'œuvre des deux derniers siècles et les compositions des auteurs de nos jours.
En raison de ce penchant prononcé des hautes classes pour les représentations théâtrales, on ne pouvait alors donner de grandes fêtes, pas même de grands repas [818], sans le secours des comédiens; et lorsque les princes et les grands se trouvaient absents de la capitale et retirés dans leurs châteaux, ils y retenaient à leurs gages des troupes d'acteurs pour un temps plus ou moins long, ou ils les faisaient venir de la ville voisine.
Mademoiselle, qui dans son château de Saint-Fargeau [819], qu'elle agrandissait, cherchait à se distraire des ennuis de son exil, avec sa vieille gouvernante, ses deux jeunes dames d'honneur [820], sa naine [821], ses perroquets, ses chiens, ses chevaux d'Angleterre, et la chasse, entretenait une troupe de comédiens. Forcée par son père d'aller le voir à Blois, elle se mit à voyager de château en château; et elle nous apprend dans ses Mémoires qu'elle eut à Tours un plaisir sensible de retrouver dans cette ville cette même troupe d'acteurs qu'elle avait eue à ses gages tout l'hiver. Elle fut si contente de leur jeu, qu'elle les rappela à Saint-Fargeau. Cependant, elle avait vu à son passage à Orléans une autre troupe, qu'elle avait trouvée très-bonne; c'était celle qui était restée à Poitiers avec la cour, et l'avait suivie à Saumur [822].
Une troisième troupe, qui dans les années précédentes avait, à Bordeaux, été accueillie avec faveur par le duc d'Épernon, continuait à se faire voir dans le midi. Elle passa cette année à Lyon, et y obtint un très-grand succès par une comédie nouvelle en cinq actes, en vers, qu'avait composée un des acteurs de cette troupe. Cette même troupe, conduite par le jeune auteur-acteur qui la dirigeait, alla trouver à Pézénas le prince de Conti, qui la prit à ses gages pendant toute la tenue des états de Languedoc. La nouvelle comédie fut représentée devant le prince et les députés des états, et obtint autant de succès qu'à Lyon. Cette comédie était l'Étourdi, et le comédien-auteur, le sieur Poquelin de Molière. On voit que le prince de Conti n'était pas le plus mal partagé, et que sous ce rapport il n'avait rien à envier à la capitale [823].
Paris n'avait alors que deux théâtres ouverts au public: celui de l'hôtel de Bourgogne, situé rue Mauconseil, qui était le plus fréquenté; et celui du Petit-Bourbon, construit dans une galerie, seul reste de l'hôtel du connétable de Bourbon, qu'on avait démoli [824]. Des acteurs italiens y étaient venus, pour la première fois, donner cette année des modèles de ce genre de comique trivial et bouffon qui fut depuis si goûté [825].
Comme ce théâtre était voisin de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, et touchait au Louvre, où le roi logeait, on en profita pour les fêtes de la cour. Tous les jeunes seigneurs et toutes les jeunes dames qui la composaient, et le jeune roi lui-même et son frère, exécutèrent sur ce théâtre ces fameux ballets dits royaux, où ils admirent à figurer avec eux les acteurs qui avaient par leurs leçons contribué à développer leurs talents pour le chant, la pantomime et la danse.
Benserade fut seul chargé de composer les vers de ces ballets [826]; et l'à-propos des allusions qu'il sut mettre dans ces compositions fut la source de sa réputation et de sa fortune. Flatter les grands en les amusant est pour eux un genre de mérite qu'aucun autre ne peut surpasser.
Le premier de ces ballets où le jeune roi figura fut joué au Palais-Royal; il était intitulé la Mascarade de Cassandre [827]. Mais le second, ayant pour titre la Nuit, fut exécuté sur le théâtre du Petit-Bourbon, vers la fin de février 1653 [828], avec des décorations et des costumes supérieurs par leur magnificence à tout ce qu'on avait vu jusqu'alors. Ce ballet, beaucoup plus long que le premier, était divisé en quatre parties ou quatre veilles. Tout ce qu'il y avait alors de personnes de distinction présentes à Paris, et madame de Sévigné dans le nombre, fut invité aux représentations de ce ballet. Le roi y paraissait à la fin, personnifié sous les traits d'un Soleil levant, et il y déclamait ou chantait les vers suivants:
Déjà seul je conduis mes chevaux lumineux,
Qui traînent la splendeur et l'éclat après eux.
Une divine main m'en a remis les rênes:
Une grande déesse a soutenu mes droits;
Nous avons même gloire: elle est l'astre des reines,
Je suis l'astre des rois.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quand j'aurai dissipé les ombres de la France,
Vers les climats lointains ma clarté paraissant
Ira, victorieuse, au milieu de Byzance
Effacer le croissant [829].
C'est ainsi qu'on adulait ce monarque adolescent et qu'on fomentait en lui le goût des guerres et des conquêtes. Les poëtes n'étaient pas les seuls qui fissent des prédictions en sa faveur: les astrologues, qui conservaient encore un assez grand crédit, assuraient que dans les astres on découvrait des pronostics funestes à tous ceux qui s'opposeraient à son autorité [830].
Louis remplissait encore d'autres rôles dans ce ballet de la Nuit, d'un genre plus gracieux et moins héroïque. Des stances, assez longues, qu'il avait à débiter sous la figure d'un des Jeux qui sont à la suite de Vénus se terminaient ainsi:
La jeunesse a mauvaise grâce
Quand, trop sérieuse, elle passe
Sans voir le palais d'Amour;
Il faut qu'elle entre; et pour le sage,
Si ce n'est pas son vrai séjour,
C'est un gîte sur son passage [831].
Je remarque que dans cette pièce et dans celles du même genre qui suivirent on céda trop facilement aux inclinations que Monsieur avait pour les habillements de femme, et qu'il faisait partager à ceux qui l'entouraient. Dans ce ballet, le jeune marquis de Villeroy, fils de son gouverneur, élevé avec lui, fut habillé en femme, et représentait une coquette, tandis que Monsieur jouait le rôle de son galant [832]. Sans doute de tels travestissements n'avaient rien que de plaisant, rien que d'innocent entre deux enfants de douze à treize ans; mais la suite en fit voir les déplorables conséquences, et démontra combien l'influence des premières impressions est dangereuse [833].
Le carême, qui fut cette année suivi d'un jubilé, mit fin aux ballets et aux divertissements. Le besoin de fuir le théâtre de la guerre et le désir de se montrer à la cour avaient attiré dans la capitale plusieurs évêques; ce qui donna plus de pompe aux cérémonies ecclésiastiques et contribua à augmenter l'assiduité avec laquelle on fréquentait les églises. Le jeune roi, qui n'était pas accoutumé à voir autour de lui tant de personnages revêtus des insignes de l'épiscopat, demanda quel en était le nombre; on lui dit qu'ils étaient trente. «Ce serait assez d'un seul,» répondit-il. Sur ce mot si judicieux, la plupart reçurent l'ordre de retourner dans leurs diocèses [834]. Au reste, on mit autant de ferveur dans les dévotions pendant toute la durée du carême, qu'on avait montré d'ardeur à se livrer aux plaisirs de tous genres pendant les mois précédents [835]; c'était là le caractère de l'époque.
Après la paix de Bordeaux, le marquis et la marquise de Montausier étaient revenus à Paris, et continuèrent à résider dans l'hôtel de Rambouillet; mais les brillantes assemblées et les réunions littéraires de cet hôtel avaient cessé, pour ne plus renaître, par suite de la guerre civile. Le marquis de Rambouillet venait de mourir; la cour absorbait déjà tous les moments des personnages les plus importants, parmi ceux qui formaient autrefois cette société. Monsieur et madame de Montausier étaient occupés à solliciter les justes récompenses des services qu'ils avaient rendus. Mazarin voulait les faire porter sur d'autres, dont le dévouement au roi, ne procédant pas des mêmes sentiments d'honneur qui avaient fait agir Montausier, lui paraissait devoir être acheté par des faveurs [836]. Les gens de lettres beaux esprits, ayant perdu leur grand centre de réunion, prirent l'habitude de se rassembler les uns chez les autres, mais plus particulièrement chez mademoiselle de Scudéry, dont la réputation était alors à son apogée, et chez madame la comtesse de La Suze, qui venait de se convertir à la religion catholique, sans s'affermir dans la foi, sans améliorer ses mœurs. C'est dans ces réunions d'une nature assez ambiguë que l'on commença à exagérer les manières et le langage des habitués de l'hôtel de Rambouillet; c'est dans ces nouveaux salons, c'est dans ces ruelles que se développèrent ces ridicules qui, par un coup de fortune pour le grand peintre comique, vinrent se placer sous son pinceau au début de sa carrière, et lui firent obtenir tout à coup, par le moyen d'une simple farce, mais admirable par l'à-propos des leçons qu'elle renfermait, une célébrité qu'il n'eût peut-être pas acquise si promptement par un des grands chefs-d'œuvre qui ont depuis illustré son nom.
Ce fut cette année (1653) que le libraire de Sercy publia les deux premiers volumes d'un recueil de poésies choisies [837] qui renferme des pièces de plus de trente auteurs, c'est-à-dire de tous les faiseurs de vers alors en vogue. Ce recueil, qui eut une suite, devint le vrai patron de cette littérature froidement galante au grossièrement burlesque, semée de pointes, de jeux de mots ou de sentiments exagérés qui dominait alors dans la poésie fugitive, et qui ne cessa que lorsque La Fontaine et madame Deshoulières eurent les premiers donné des exemples du naturel et des grâces légères qui conviennent à ce genre de composition. Ce qui surprend lorsqu'on parcourt ce livre, c'est d'y trouver des pièces érotiques qui ne sont pas toujours exemptes d'obscénités, quoique le volume soit dédié à l'abbé de Saint-Germain, Beaupré, conseiller et aumônier du roi. Nous citerons de ce recueil des stances adressées par un auteur anonyme à mademoiselle de Lenclos, afin de faire connaître quelle était alors la célébrité que Ninon s'était acquise et les impressions quelle faisait naître:
Ah, Ninon! de qui la beauté
Méritait une antre aventure,
Et qui devais avoir été
Femme ou maîtresse d'Épicure,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mon âme languit tout le jour:
J'admire ton luth et la grâce.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je me sens touché jusqu'au vif,
Quand mon âme voluptueuse
Se pâme au mouvement lascif
De ta sarabande amoureuse.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Socrate, et tout sage et tout bon,
N'a rien dit qui tes dits égale;
Auprès de toi, le vieux barbon
N'entendait rien à la morale [838].
Ces vers, d'ailleurs, suffisent pour justifier ce que nous avons dit du contraste des pièces de ce volume avec sa dédicace; nous devons prévenir qu'ils sont au nombre des plus modestes de ceux que nous aurions pu citer à l'appui de notre observation [839].
C'est dans ce recueil que l'on trouve pour la première fois imprimé le quatrain que Montreuil fit pour madame de Sévigné, après l'avoir vue jouer à colin-maillard, et aussi les vers que Marigny lui envoya pour étrennes [840]. Immédiatement après ceux-ci, nous en trouvons d'autres, d'un ton plus sérieux et plus passionné, qui lui sont également adressés; il sont anonymes et sans date. Nous devons donc les rapporter à celle de la publication et leur donner place ici:
Ne trouver rien de beau que vous,
Sans cesse songer à vos charmes,
Être chagrin, être jaloux
Répandre quelquefois des larmes,
N'avoir point de repos, ni de nuit, ni de jour,
Est-ce de l'amitié, Philis, ou de l'amour [841]?
Si l'on considère que ces vers se trouvent placés immédiatement après ceux que Marigny a avoués, on doit présumer que l'auteur des derniers est le même que celui de ceux qui précèdent. Il n'est pas étonnant qu'en les faisant imprimer Marigny gardât l'anonyme; c'était déjà une assez forte indiscrétion que de les publier en désignant celle qui en était l'objet. Mais tout semblait permis aux poëtes; et une déclaration d'amour quand elle était en vers ne semblait qu'un jeu d'esprit, qui ne compromettait personne.