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Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

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Palais de Felsburg, 30 mai 1914.

Mademoiselle Marie-Antoinette, tranchons la question, voulez-vous ? J’avais, avec grand soin, évité de te parler du sire de Giraud. Tu m’y obliges. Expliquons-nous et n’y revenons plus.

Ma chérie, tes efforts sont inutiles. Je n’épouserai jamais môssieu Amédée Giraud.

Quand je me croyais l’égale de ce jeune homme, à qui je reconnais d’excellentes qualités, et même du mérite, je l’ai désobligeamment raillé. Il a pu me le pardonner. Il n’a eu garde de l’oublier. Puisqu’il croyait m’aimer, sa blessure a dû être plus vive… Tu connais, Moune, les vers du poète :

Souvent aussi la main qu’on aime,
Effleurant le cœur, le meurtrit…

Je n’ai pas meurtri, j’ai griffé le cœur de M. Giraud fils, ou — tout au moins — son amour-propre, ce qui, pour un homme, est plus grave ! Et il me pardonnerait cela ? Il m’ouvrirait les bras, sans arrière-pensée ?… Et j’aurais, moi, l’impudeur de céder ? Je trouverais bon aujourd’hui ce que je repoussais hier ? Pour quelle raison ?… Parce que je suis pauvre ? Mais, Mounette, réfléchis ! J’ai toujours été pauvre. Sans toi, je n’aurais jamais connu le luxe, le bien-être ! Alors ?…

Je travaille dans d’exceptionnelles conditions. De quoi me plaindrais-je ? Je suis sans dot ?… La belle affaire ! Si je reste à Felsburg, pendant quelques années, j’en amasserai une, petite, c’est vrai, mais rondelette. Je ne dépense rien, sauf quelques marks que je distribue aux domestiques et à Marina, une fille de chambre attachée à ma personne et que je crois dévouée.

Encore trois ou quatre ans d’exil et, mon bouquin une fois lancé, nous nous installerons à Falède, où nous vivoterons toutes deux, sagement, de nos petites rentes. Voilà mon projet. Il vaut le tien. Tu veux me donner un maître, dont je ne serais plus l’égale, mais l’inférieure, et qui m’enfermerait dans la geôle dorée du bonheur conjugal. Si belle que soit la cage, il y a toujours des barreaux…

Je n’ai aucune envie de me marier et ce n’est pas mon séjour en cet archiduché qui me fera changer d’avis. Le sexe laid de ce pays mérite son nom. Bourgeois ventrus, officiers gonflés de morgue, courtisans sexagénaires, rien n’y peut toucher l’inaccessible cœur de ta nièce auprès de laquelle chacun se montre, pourtant, respectueusement empressé.

Et voici les dernières rumeurs du Palais :

On nous promet pour la fin de juin, l’arrivée d’un cousin germain de Son Altesse, Hugo de Baghzen-Kretzmar, prince de la Maison d’Autriche. Il y a projet de mariage entre eux. C’est l’empereur Frantz-Joseph qui exige cette union. J’en serais, pour ma part, ravie. Ça va mettre un peu d’animation dans le tableau, cette idylle princière !… Je vois d’ici, entourée de ses Dames d’Honneur, Son Altesse défaillante sous sa petite fleur d’oranger !…

Esther devant Assuérus :

« Soutenez-moi, mes sœurs ! »

La fille de chambre, dont je te parle plus haut, une sauvageonne de Trieste, dont j’ai gagné les bonnes grâces en la soignant d’une brûlure aux pieds, — elle avait laissé choir un énorme cruchon d’eau chaude, — Marina, dis-je, m’a confié que le Prince aurait, par deux fois déjà, refusé d’épouser sa gracieuse (?) cousine.

J’ai idée que ce sera encore une union très réussie et je frémis à la seule perspective des boustifailles abominables auxquelles je vais être forcément conviée.

Petite remarque : Son Altesse est Allemande par son père et Autrichienne par sa mère ; son futur, lui, s’il est Austro-Hongrois par son père, est Espagnol par sa mère, une Alvarez y Ténédas. C’est l’époux rêvé !… Je ne m’étonne plus si la fiancée aime à ce point le café… Ollé !

Jacques Provence ne répudierait pas cet horrible à peu près !…

Ris, Mounette, je t’embrasse mille fois.

Ta folle de

Françoise.

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