Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin
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Dans l’après-midi, le Prince arrivait en auto. Après avoir causé avec Ardessy, cérémonieusement, et sans écouter les remarques de celui-ci, il fit demander à Françoise la faveur d’un entretien. A peine était-il en sa présence, qu’il se jeta à ses genoux, cherchant à baiser une main, qu’elle dérobait, indignée, l’accablant des protestations les plus passionnées.
La jeune fille l’écoutait avec une indifférence glaciale.
— Quand on aime une femme ainsi que vous le prétendez, Monsieur, on n’a pas recours à un rapt. On ne force pas sa volonté. Ce que vous avez commis, est une atteinte au droit des gens, un crime impardonnable. Rendez-moi une liberté qui m’est précieuse et à laquelle j’ai droit.
— Accordez-moi seulement une promesse, suppliait-il, implorant.
— Vous n’obtiendrez de moi ni engagement, ni promesse. Rien !
— Mais je vous aime, Françoise ! Je vous aime à la folie, à en mourir !
— Soit. Moi, je ne vous déteste pas : je vous hais.
— La haine, ô mon beau Lis, n’est-elle pas proche de l’amour ?
— Divagations !… Je refuse de vous entendre.
Il se retirait à pas lents, non sans avoir une fois encore vainement essayé de caresser ses doigts d’un furtif baiser.
Basile Ardessy guettait la descente du Prince. Il guidait ses pas vers le boudoir attenant à la chambre où Técla lui donnait, si l’on peut dire, toutes les « marques » de son affection…
— Où en êtes-vous ?
— Elle réclame sa liberté.
— Vous n’obtiendrez rien d’elle par la douceur.
— Je suis persuadé que si.
— Je persiste à croire le contraire.
— Je ne veux la tenir que d’elle-même. Tu verras, j’arriverai à la convaincre de mon ardent amour. J’obtiendrai son consentement.
— Oui. Par le fouet.
— Que me chantes-tu là ?… Mlle de Targes n’est pas une esclave.
— D’accord. C’est une femme qu’il convient d’amener à résipiscence. Avec le caractère que je lui connais, vous n’arriverez à un résultat que par ce moyen. La manière forte !
— Jamais elle ne me le pardonnerait !…
— Rapportez-vous en à mon expérience et laissez, je vous prie, Mme Dortnoff agir à sa guise.
— Comment, ta maîtresse est ici ? s’exclamait Hugo, presque mécontent.
— Quel gros mot !… Técla n’est pas ma maîtresse…
— Je me trompais, raillait le Prince. C’est, en effet, plutôt ton « maître »…
Basile, affectant un air vexé, se mordait les lèvres.
— Mme Dortnoff villégiature ici pendant la belle saison, répliqua-t-il avec assez d’aigreur. Je ne croyais pas que sa présence pût déplaire à Votre Altesse, en mettant hier cette discrète demeure à sa disposition.
— Ardessy, mon vieux, la dignité ne te sied pas. J’ai manifesté de la surprise, voilà tout. Évidemment, j’eusse préféré que Françoise demeurât seule ici avec la fille qui l’accompagne.
— Et qui est bien gênante. Quelle glu !…
— D’accord. Mais Françoise paraît, tu me l’as dit, tenir beaucoup à elle.
— Nous saurons l’éloigner en temps voulu.
— C’est à voir. Je reviendrai demain.
— Pourquoi ne vous installez-vous pas ici ? Le rez-de-chaussée m’abrite. Notre belle exilée se cache au premier. Installez-vous au second.
— Tu me tentes, démon !…
— Allons, restez, Prince. Vous ferez la paix avec Mme Dortnoff.
— Qui t’a dit que nous fussions fâchés ?…
— Au contraire, répliquait Ardessy avec un sourire ambigu. Il y eut même, à Vienne, certaine soirée, où le hasard nous mit, tous trois, sur un pied d’intimité dont vous n’avez pas, je gage, perdu tout souvenir…
— Ne me rappelle point de telles faiblesses…
— Deviendriez-vous vertueux ?…
— Sait-on jamais ?