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Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

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Le mariage de Baghzen-Kretzmar et de l’archiduchesse devait être célébré vers la mi-juillet. En dépit des protestations assez timides de la fiancée, robes et trousseau avaient été commandés à Paris.

Hugo avait voulu Paris, l’avait exigé. A Paris, on avait du charme, de l’élégance et du chic. A Paris seulement, on savait s’habiller. Il voulait que les toilettes de sa femme fussent dignes de sa réputation d’homme élégant.

Il devait rester huit jours au Palais et il s’était montré si charmant, avait fait preuve de telles prévenances, que le poison de la jalousie qui s’était glissé dans l’âme de Frida lorsque le Prince avait invité Françoise, — oh, si étourdiment ! il en avait convenu lui-même avec une telle sincérité d’accent !… — ce poison s’était, à nouveau, comme endormi dans les veines de l’Archiduchesse.

Quoi de plus excusable, somme toute, puisqu’il adorait la danse ?… A cet égard-là, les deux cousins avaient eu, dès le lendemain, une explication. Le surlendemain, Hugo invitait à nouveau Mlle de Targes ; mais celle-ci, se prétendant souffrante, demandait à se retirer. Herr Doktor Oberstag fut mandé près de la lectrice. Elle prétexta une légère fatigue et, vingt-quatre heures plus tard, reparaissait à la Cour.

Avec la maladresse touchante de ceux qui ne sont pas aimés, qui sont destinés à ne jamais l’être et qui ne manquent jamais une occasion de « gaffer » à leur propre détriment, Frida, afin de faire diversion, pria Françoise de dire des vers. C’était donner à la jeune fille l’occasion d’un trop facile triomphe.

— Vous savez bien, tchère !… Ceux si impressionnantes qué vous afez dits chez Mât’me Foussier d’Ambleuze, à Paris !

Françoise s’exécuta.

Elle récita Les Roses du Parterre et La Danse de Salomé. Puis, devant les rappels réitérés, deux ou trois poèmes qu’elle avait composés depuis qu’elle était à Felsburg.

Ce public comprenait difficilement, mais les attachés militaires autrichiens, le grand-chancelier, Wogenhardt, Ardessy et surtout le Prince Hugo, parlaient français. Tous ces gens témoignaient d’un extrême intérêt.

L’harmonie de cette voix vibrante agissait sur eux. La beauté blonde de Françoise, moulée ce soir-là dans une robe de voile sombre, mettant en valeur la pureté de ses bras admirables et la grâce de son visage nimbé d’or, faisait plus sur l’âme de ces barbares que l’immortelle beauté de notre langue.

— Pourquoi, chère Frida, s’étonnait le Prince, ne travaillez-vous pas avec un professeur aussi bien doué que Mlle de Targes ? Cela me serait si agréable !

L’archiduchesse acquiesçait. Dès demain ce serait chose faite.

Que n’aurait-elle pas accepté, la malheureuse, pour être agréable à son seigneur et maître ? Il lui eût demandé, à elle, protestante, un voyage à Jérusalem que de bonne foi, elle s’y serait rendue ! Il est vrai que le Kaiser avait, quelques années plus tôt, prêché d’exemple…

Le lendemain, les leçons commençaient dans le cabinet de travail de l’Altesse, se trouvant au rez-de-chaussée de la tour d’angle où habitait Françoise. Le prince, avec une courtoisie affectueuse, avait réclamé l’insigne faveur d’y assister.

A six heures, en rentrant chez elle, Françoise, non sans stupeur, trouvait sur la table du salon-pâtisserie qu’elle avait décrit à Mlle Corbier, un écrin de maroquin noir et une enveloppe. L’écrin contenait un bracelet magnifique, orné de diamants et ciselé avec un art remarquable. L’enveloppe contenait la carte du prince avec ces mots :

— « Ce souvenir n’est pas offert au professeur, mais au poète, de la part d’un admirateur fervent. »

La signature suivait.

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