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Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

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III
L’Archiduchesse.

L’entrevue entre Marie-Antoinette Corbier et son frère avait été, relativement, cordiale. L’excellente Mme Giraud et son fils Amédée, un grand gaillard dégingandé, à l’œil timide et aux longues moustaches blondes, en visite chez Moune, avaient, par leur présence, amorti le choc de la rencontre.

Lorsque la Baronne arriva, poupée scintillante et macabre, Mlle Corbier multipliait une fois de plus les détails sur la fuite de Me Hubert-Lebert. Après les présentations, Mme d’Ambleuze tint absolument à ce que l’on n’interrompît point, pour elle, la conversation, si, toutefois, elle n’était pas indiscrète.

— Je disais, Madame, que notre notaire nous avait affreusement volées ! Et figurez-vous que ma nièce veut absolument travailler !… Une vraie lubie !…

— Travailler !…

Pendant que la baronne poussait des petits cris apitoyés, l’honnête et loyale figure d’Amédée Giraud prenait une expression désolée. Il était sincèrement navré du malheur qui venait de s’abattre sur des amies qui, toutes deux, lui étaient chères.

Le père d’Amédée avait réalisé une très grosse fortune dans l’industrie, comme jadis le père Corbier avait établi la sienne dans les pâtes de fruits. Modeste pharmacien, il eut l’idée de lancer un produit de sa fabrication destiné à calmer les rages de dents. « La Giraudine », vendue partout 0 fr. 95 le flacon, soutenue par d’habiles annonces, acquérait rapidement la célébrité. En quelques années, ce calmant avait rapporté à son inventeur de quoi se retirer des affaires s’il l’eût voulu. Il n’y consentit pas et prit, dès qu’Amédée eut terminé son service militaire, son fils comme associé et directeur de ses usines de Saint-Denis.

Amédée était un gros travailleur, n’ayant au cœur que deux ambitions : épouser Mlle de Targes et devenir docteur en médecine.

— Cette vocation de médicastre est de la folie, déclarait Giraud. Tu es fils unique. Nous sommes millionnaires. Que peux-tu désirer de plus ? Nous possédons une affaire exceptionnelle. Reste usinier, épouse ta fille du monde qui pond des vers, ce qui ne fait de mal à personne, et donne-moi une série de petits Giraud qui seront usiniers à leur tour. Ça vaudra mieux que d’aller soigner un tas de sales maladies qu’on est susceptible de contracter.

Ainsi encouragé, Amédée Giraud avait sollicité, un été à Genève, la main de la radieuse Françoise de Targes.

La jeune poétesse lui avait ri au nez. Elle se souvenait que, pour faire un bon mot, lors d’un bal donné à Paris l’hiver précédent par Mme Champel-Tercier, elle avait railleusement, devant d’autres jeunes filles, surnommé Amédée Giraud, en raison de son extrême gaucherie, « le Giraud-daim » et que ce sobriquet lui était resté. Elle en avait, aussitôt, éprouvé comme un secret remords.

Belle comme elle savait l’être, dotée par Moune comme elle était en droit de le supposer, elle croyait pouvoir prétendre à mieux qu’à ce fils de pharmacien, enrichi et pataud, qui bafouillait, lamentable, dès qu’il se trouvait en sa présence.

Mlle Corbier, qui connaissait depuis fort longtemps la famille Giraud et en appréciait tous les mérites, avait déclaré qu’Amédée était son « candidat ». Elle avait même ajouté avec mauvaise humeur, se souvenant de la scène qu’elle avait eue, jadis, avec son cher cadet :

— S’il s’appelait de Giraud, ma chère, tu l’épouserais ! Ah ! ces aristocrates !…

Maintenant qu’elles étaient pauvres, les obstacles étaient fort simplifiés. La tante conservait son idée de derrière la tête, celle de « rabibocher » le mariage manqué. Certes, il y avait bien l’orgueil de Françoise, mais, avec le temps et les difficultés qui allaient inévitablement surgir, il faudrait bien que l’opiniâtreté de la jeune fille s’atténuât. Il convenait donc de ne pas effaroucher le soupirant éconduit qui, s’il aimait vraiment sa nièce, — et la vieille fille en gardait l’intime conviction, — ne verrait aucun inconvénient à l’épouser pour sa seule beauté.

Et la persévérante Mlle Corbier, en narrant à son frère et aux Giraud, devant la Baronne faussement empressée, l’escroquerie où venait de sombrer son budget, était loin de se douter qu’elle allait, par son bavardage, contribuer à la séparation presque définitive de ceux qu’elle voulait si étroitement unir…

Mme d’Ambleuze qui, lorsque les gens lui plaisaient, n’était pas chiche d’invitations, annonça qu’elle allait enfin donner une grande soirée en l’honneur de l’Archiduchesse de Marxenstein-Felsburg. Elle insistait auprès de Mme Giraud et de Moune pour qu’elles vinssent : ce serait si curieux ! L’Altesse était, pour l’Allemagne, la présidente d’une œuvre de propagande féministe que la Baronne avait créée : « Les Amitiés internationales », comme la Duchesse de Landshire l’était pour l’Angleterre, la Princesse Moratieff pour la Russie et la Baronne Fossier pour la France. Et, engageante, elle concluait :

— La Tjouharine nous donnera des danses de caractère avec quelques coryphées des Ballets Russes. On fera de la musique. Il y aura aussi du chant.

Blagueur, Provence, pour faire enrager sa sœur, hasarda :

— Bon chien chasse de race. Ma nièce est poète. Voulez-vous qu’elle vous dise des vers ?

Et, pendant que Moune roulait vers le mauvais plaisant, derrière son monocle, un œil furibond, la baronne prenait au mot le romancier.

— La nièce du grand homme dirait des vers, mais ce serait exquis ! Exquis !…

La destinée de Françoise allait s’accomplir…

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