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Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

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— « Bon-Temps » !… « Bon-Temps » !…

C’est Mme Champel-Tercier qui, cordiale, interpelle ainsi Mlle de Targes, au moment où, après deux nuits blanches, la jeune fille s’apprête à regagner le petit hôtel de la rue Desbordes-Valmore où l’attend, monoclée, maugréante et attendrie, tante Moune.

— Vous alliez partir, Targes ?… Quel dommage ! Mlle de Gramond est malade, Mme de Proves n’est pas venue, et il m’arrive trois nouveaux blessés.

— C’est bien. Je resterai. Voulez-vous seulement faire téléphoner chez moi : Passy 07-23.

— Je me charge de ce soin. Targes, vous êtes un ange, sachez-le !

Françoise esquisse un pâle sourire, voilé de mélancolie.

— Dans quelle salle sont-ils ?

— Au premier. Ah ! il y a l’un d’entre eux qui est dans un fichu état. Vous aurez à le décrotter, ma petite. Il a de la boue jusqu’aux yeux. Un vrai barbet !… Le malheureux a eu un bras arraché et il est couvert d’ecchymoses. Vous le soignerez bien, Targes, n’est-ce pas ?

— J’y vais.

....... .......... ...

Dans un grand lit blanc, devant la clarté dansante d’un feu de bois, Françoise et une infirmière ont étendu le pauvre diable, dont l’uniforme souillé est celui d’un médecin militaire. On l’a pansé rapidement à l’ambulance. Les heures de voyage l’ont anéanti…

— Vite ! commande Françoise à son aide. Courez chercher le docteur Chartrain afin qu’il commence sa visite par ici.

Demeurée seule, « Bon-Temps » ne reste pas inactive. Avec un linge imbibé d’eau tiède, elle détache la boue jaunâtre qui couvre ce visage contracté par la souffrance et, avec de minutieuses précautions, elle tamponne les paupières meurtries que, vainement, le blessé essaie d’ouvrir…

Tout à coup, elle a un faible cri de surprise et d’émoi, celle qui fut « Fleur-de-France », celle qui, vierge flagellée de la Piscine des Hespérides, avait brandi, meurtrière, un couteau d’argent !… Cette furie vengeresse et dénudée n’est plus, à cet instant, qu’une pâle jeune fille tremblante…

Malgré la barbe dont la blonde broussaille envahit le visage du patient, elle vient de reconnaître celui, qu’autrefois, elle a si cruellement raillé, celui dont elle a déclaré ne jamais vouloir accepter le nom.

Jamais !… C’était un mot d’avant la guerre !…

En bourrasque, le chirurgien fait son entrée. Une seconde, il regarde « Bon-Temps » ; puis, avec une affectueuse brusquerie :

— Vous avez une fichue mine, Targes. Vous vous claquerez, mon enfant, avec cette vie-là !

Pour toute réponse, elle lui indique le blessé. Il l’examine, avec une grimace qui signifie la crainte…

— Pourra-t-on le sauver, docteur ? interroge Françoise, angoissée.

— Oui, répond l’homme de science courbé sur le patient. Le coffre est bon et si, cette nuit, la température diminue, nous pourrons, tant bien que mal, le tirer de là.

— Je resterai à ses côtés, déclare Mlle de Targes d’une voix où vibre l’émotion de cette rencontre voulue par le Destin. Je ne bougerai pas de son chevet.

— Vous le connaissez donc ? interroge Chartrain, étonné.

— Oui… C’est un ami d’enfance, Amédée Giraud.

En entendant prononcer son nom, le blessé a fait un mouvement. Son regard se porte sur le docteur, sur cette infirmière qui l’accompagne et dont les traits lui rappellent l’inaccessible adorée, l’orgueilleuse Mlle de Targes. Alors, croyant rêver, il balbutie :

— France… Françoise ! Ma chère… Françoise !

Une douceur infinie pénètre le cœur de la jeune fille… Pareils à deux fleurs mouillées de larmes, ses yeux s’illuminent, resplendissent…

Elle se penche vers le mutilé et, déposant sur ce front marqué par la gloire, la caresse d’un chaste baiser, c’est dans un sanglot, tout bas, qu’elle murmure :

— Chut ! Soyez sage… Dormez, Amédée… Je vous aime !…

FIN

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