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Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

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. . . . . . . . Et la danse s’achève
Pendant que, sous la lune odieuse et blafarde,
S’éteint le chant qui pleure et meurt la voix du rêve…
Mains jointes, Salomé s’est arrêtée, hagarde !…

— Bravo ! Bravo !… Encore bravo !

On s’extasiait dans un tumulte de voix papoteuses, parmi le bruissement des robes froufroutantes.

Mlle de Targes avait déchaîné l’enthousiasme.

Les femmes, curieusement attentives aux plaintes de Salomé, ne se lassaient pas d’applaudir l’Authoress. On voulait la voir encore. Et c’étaient, dans le grand salon de Mme d’Ambleuze, des approbations flatteuses ponctuées d’applaudissements de mains gantées, des rumeurs discrètes, mais prolongées…

« La mère Fessier », à la voix zozotante, aux frisons roses et aux gestes précieux, constellée de bijoux et décolletée de la façon la plus invraisemblable, dans une robe bleu-paon, à queue ocellée, se précipitait vers Françoise.

— Divine, ma chère enfant, vous avez été di-vi-ne ! Bartet, notre grande Bartet, ne dit pas mieux que vous ! Avec qui donc avez-vous travaillé la déclamation ?

— Mais avec personne ! Je dis comme je sens, Madame. C’est un don.

— C’est adorable ! Quel dommage que le Maître ne soit pas là pour vous entendre !

Afin de couper à la corvée, Provence, au dernier moment, s’était fait excuser. Très souffrant, paraît-il, il gardait la chambre.

Mme d’Ambleuze, avec des mines de bébé qu’on purge, le plaignait, tout attendrie :

— Pauvre grand cher Maître ! Il se surmène aussi !… Vous le gronderez !…

Françoise, soupçonnant la vérité, dissimulait l’ironie d’un sourire derrière les battements rythmiques de son grand éventail.

Une voix sourde s’élevait près d’elle :

— Je déblore l’apsence du Maître, matemoiselle, mais aussi je la pénis. Elle me fautra l’honneur de fous offrir mon bras. Son Altesse Imbériale et Royale sera heureuse de féliciter bersonnellement un boète remarquable.

C’était Wogenhardt.

Françoise s’appuyait, légère, sur le bras tendu.

Dans la serre où elle était restée, assise sous un dais de palmiers, l’Archiduchesse de Marxenstein-Felsburg recevait, avec un visible dédain, les adulations, les bassesses et les flatteries à elle prodiguées. La lassitude de cette fête peignait l’ennui sur son visage. La seule diplomatie l’avait entraînée là où elle n’avait pu éviter de se rendre, puisque, pour certaines raisons politiques, elle était présidente d’honneur de l’œuvre. Elle dissimulait mal un bâillement…

Cette soirée cosmopolite où l’on avait fait de la musique allemande, chanté en russe et déclamé en français, lui semblait interminable. Seule, l’apparition de Françoise de Targes, délicieusement vêtue d’une robe ciel, avait secoué la noble torpeur qui l’envahissait.

La voix de la jeune fille, caressante et chaude, harmonieuse et vibrante comme un sanglot de harpe ou de violoncelle, avait agi sur elle, fouettant ses nerfs et l’animant comme d’une sympathie soudaine à l’égard de cette inconnue. Elle s’était penchée à l’oreille de Wogenhardt :

— Ces femmes de Paris sont si habiles avec leurs fards, qu’elles semblent toutes séduisantes, bien que vieilles. Celle-là, qui est belle, paraît réellement jeune. C’est incroyable ! Arrangez-vous, Hermann, pour qu’elle me soit présentée. Je veux la voir de près. Allez !

Wogenhardt, n’ayant pas pour habitude de discuter les ordres de sa souveraine, avait obéi.

Maintenant, Françoise se trouvait devant l’Altesse. Frétillante, Mme Fossier d’Ambleuze procédait aux présentations.

— Mlle Françoise de Targes, de Mertilles et Falède, la nièce du grand romancier Jacques Provence.

Elle n’oubliait pas les particules, cette chère baronne !

L’Altesse se levait, affable.

Trente-cinq ans, très maigre, grande, vêtue de velours noir, avec, au cou, un long cou presque décharné, la splendeur d’un merveilleux collier de perles et, en sautoir, l’ordre de Moldavie, le grand cordon de Felsburg et la croix de Saint-Pierre d’Alfanie. Un front bombé sous le diadème archiducal : rubis et diamants. Des yeux d’oiseau de proie, durs et extrêmement perçants, d’un gris vert où dansaient, luisants, des petits points jaunes. Un nez chevalin. Des mâchoires proéminentes. Des lèvres minces. Des dents puissantes…

Françoise l’avait, en un clin d’œil, détaillée.

Avec maintes démonstrations de courtoisie, l’Altesse l’accueillait, la félicitant de son talent et parlant musique dans un jargon français incorrect et rocailleux.

Délibérément, d’un geste autoritaire, elle avait saisi la petite main de la jeune fille.

— Haim’z-fous Wagner, Matimôselle ? C’est h’oune Dieu pour moi !

— Non, je préfère la musique moderne, répondait, avec une nuance d’agacement la nièce de « Frère Jacques ».

— Ah ! ia… ia…, fit l’Altesse un peu déconcertée de rencontrer, pour la première fois peut-être, quelqu’un qui ne fût pas complètement de son avis. Moi aussi. Je h’aime… Mât’me dé Fouzier d’Ambleuze a dit votré nom, je souviens plus… Vous êtes racée noble ?

Françoise avait un léger haut-le-corps. Un peu railleuse, elle répliqua :

— Votre Altesse veut dire, sans doute, que je suis de sang noble ?

— Ia… Je parlais très mal cet’français qué jé h’aime tant. Tout à l’heure votré voix était pour ma oreille un vrai musique. Je voudrais savoir ce langue si… si… harmoniatrice, si enchanteuse… Vous disez les vers avec h’oun talent si grande… si colossale…

— Que votre Altesse ne prenne pas la peine de s’exprimer en français, coupa Françoise, j’entends assez bien l’allemand.

— Wirklich ?… dit l’étrangère d’un ton charmé.

Et alors, très animée, Frida s’exprima avec volubilité.

Respectueusement, on s’était éloigné des deux interlocutrices…

A l’autre bout du grand salon, Amédée Giraud, délégué par sa mère qui, très effacée, avait horreur de toutes manifestations mondaines, baisait la main de Moune, une Moune cuirassée de jais, monocle à l’œil, lorgnant sa nièce en grand patati-patata avec la tête couronnée.

— Tiens, mon bon Amédée, c’est vous ? Je désespérais de vous voir… Mon cher frère, lui, ne s’est rien cassé pour venir… Le fait est, entre nous, que je préfère une bonne partie de dominos, avec vos parents, à la séance que nous venons de subir. Une vraie musique de sauvages !… Et cette danseuse, la Tjouharine !… Avez-vous vu ce qui lui sert de costume ?… Une feuille de salade sur le nombril et un poil d’éléphant dans les cheveux ! Et elle vient dans le monde comme ça ?… Qu’est-ce qu’elle met alors dans l’intimité ?…

Mais Amédée, l’esprit ailleurs, répondait :

— Oui… oui… Françoise a été très bien.

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