← Retour

Sous le fouet : $b mœurs d'Outre-Rhin

16px
100%
*
*  *

Le soir, en s’asseyant à la table que les nègres dressaient pour dîner dans le boudoir mauve, Mlle de Targes trouvait sous sa serviette, un écrin, plus large que celui qu’elle avait reçu à Felsburg. Il portait ses initiales : F. T.

La nièce de Moune le repoussait avec autant d’agacement que de dédain. Curieuse, Marina sollicita la permission de l’ouvrir.

— Ève sera donc éternellement tentée ! murmura Françoise avec une moue indulgente. Eh bien, ouvre, Pandore !

La Triestine eut une exclamation d’extase.

L’eau merveilleuse d’une rivière de diamants coulait, étincelante et splendide, entre les doigts brunis de l’Italienne. Cette parure était d’une inestimable beauté.

— Remettez ces pierres dans leur écrin et rendez le tout au valet qui fait le service, commanda la jeune fille en se levant aussitôt.

Cette attitude ne changea en rien la conviction du Prince, car chaque journée qui s’écoulait, interminable, amenait, à la même heure, sa visite, immédiatement suivie d’un fastueux cadeau.

Un nécessaire de voyage en vermeil précéda sans succès des perles du plus pur orient. Un coffret d’ivoire, dû au patient génie d’un artiste chinois et contenant des dentelles anciennes, blonde et point d’Argentan, suivit. Un somptueux manteau de zibeline clôtura la série des prodigalités, sans amener autre chose qu’un sourire d’écrasant mépris sur le visage de l’irréductible captive.

Intentionnellement, elle laissait toutes ces richesses à l’abandon. Le Prince les retrouvait, à sa visite du lendemain, à la place où elles avaient été trouvées la veille. Sans se lasser, il présenta lui-même à Françoise un mince étui de soie fanée.

— Je ne me suis jamais permis de vous offrir directement la moindre chose. Je vous demande, par exception, de jeter les yeux sur ce petit souvenir qui, peut-être, aura l’heur de vous agréer.

Et il déployait les branches d’écaille d’un délicieux éventail, dont la signature eût fait l’orgueil d’un musée. Ce chef-d’œuvre était signé François Boucher.

— Il me vient de ma mère, assurait Baghzen-Kretzmar d’une voix câline où perçait, néanmoins, le tremblement d’une émotion qui n’était pas feinte. Nulle mieux que vous ne me paraît plus digne de s’en servir. Ne serez-vous pas mienne quelque jour ?

— C’est de l’aberration. Je répète, Monsieur, que vous êtes fou !…

— Fou ? Oui. D’amour… Ah ! Françoise, consentez à vous laisser chérir et vous serez la plus heureuse des femmes !

— J’ai le malheur d’être scrupuleuse et j’ai aussi la franchise de vous déclarer que vous n’avez pas choisi pour me convaincre le meilleur moyen. Ne comprenez-vous donc pas que vous me faites horreur ? horreur !…

— Bientôt, ma divine, vous changerez d’avis, répondait Hugo, soudain flegmatique. Vous réfléchirez. Il ne tient qu’à vous de m’avoir pour esclave. Veuillez vous le rappeler.

Il tenait Françoise en son pouvoir. De sûrs gardiens veillaient sur elle. Persuadé qu’elle ne pourrait lui échapper, il ne se lassait point de ses refus continuels, non plus que de la blessante hostilité qu’elle ne cessait de lui témoigner.

— Elle se fait désirer, ricanait Técla, à qui le Prince rapportait fidèlement les propos de Françoise. C’est calcul pur ! Quelle audace ! Son Altesse ne voit-elle pas le traditionnel manège ? Vous l’aurez, la sauvage colombe !… Vous l’aurez !… Mais vous ne l’aurez qu’à l’une de ces deux conditions : devant le prêtre ou après le fouet. Le fouet vaut mieux.

Et Ardessy faisait chorus :

— Souvenez-vous du dicton hongrois : « Quand le vent secoue l’arbre, le fruit tombe. » Soyez le vent !

— Et même la tempête !… soulignait la Dortnoff. Cassez les branches !

— Reconnaissons, ajoutait Ardessy, qu’il y a des fruits qui ont de plus mauvaises chutes. Celui-là tombera dans un panier… royal.

— Ne va pas te méprendre, Basile, répliquait le Prince. Cette jeune fille est, somme toute, de vieille noblesse. Je n’hésiterais même pas, s’il le fallait absolument, à l’épouser. Il y a eu, dans la maison de l’Empereur, de pires mésalliances. Françoise réfléchira. Qu’elle consente seulement à me suivre et nous filons aussitôt en Espagne, où je suis maître absolu chez moi. Là-bas, j’en ferais, si bon me semble, ma femme devant Notre Sainte-Mère l’Église. Nous attendrons ensuite les événements.

— Les événements ne vous attendront pas, Monseigneur. Oubliez-vous la guerre ? L’ordre de mobilisation s’apprête.

Le Prince devenait morne. Anxieusement, il consultait son ami :

— C’est vrai. En ce cas, mon cher, que faire ?

Le Comte, haussant les épaules, faisait entendre un mauvais rire. Mais Técla intervenait, une flamme aux yeux.

— Que faire ? Mais me laisser agir. Me donnez-vous tous les pouvoirs ?

Il eut un geste découragé signifiant : « Faites ce que vous voudrez ! »

Elle triomphait.

— Demain, je lui rends visite. Après-demain, et nous avons ici pour cela des moyens certains, vous aurez la proie et bien matée !… Palpitante et ravie, elle sera la tourterelle apprivoisée. Allez, Prince ! Que Dieu vous garde !…

Chargement de la publicité...