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L'Été à l'ombre

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LE RÉGIMENT QUI PASSE

A Frédéric Febvre.

Fanfare ! — Un régiment va passer dans la rue ;
Et de tous les côtés une foule accourue
Déborde les trottoirs, s’entasse aux carrefours,
Car on n’a pas un tel spectacle tous les jours :
Un régiment doré, luisant, musique en tête,
Qui défile, et cela met une ville en fête
De voir passer les bons soldats — et le drapeau.
Les anciens officiers, qui portent leur chapeau
Comme un képi, l’ont mis tout à fait sur l’oreille.
Le plus vieux, dont le cœur au tambour se réveille,
Pour mieux voir, monte, avec un soupir étouffé,
Sur sa chaise, devant les tables du café ;
Le salon, la mansarde, ont ouvert leur fenêtre…
Les filles ont souri… Les soldats vont paraître.
« Les voici ! » — Les voici, précédés des gamins
Qui simulent, du jeu comique de leurs mains,
Les cymbales, la flûte, et surtout les trombones.
Et les bébés ont ri, hissés au bras des bonnes.
Puis viennent les clairons hautains, et les tambours.
Le boulevard s’emplit de piétinements sourds
Fondus en un. On sent qu’une chose sublime
S’avance : six cents cœurs, qu’un souffle unique anime,
Douze cents pieds, réglés, qui ne font qu’un seul pas,
Et tous les cœurs, unis, suivent les bons soldats !
Mais quand un régiment ne va qu’à la parade,
Vain de sa bonne mine, un peu fier de son grade,
Tout soldat, si la paix lui permet d’oublier,
Aimant l’amour avec des façons d’écolier,
Regarde effrontément la femme en plein visage,
Et l’on ne connaît pas de régiment bien sage !…
C’est pourquoi ce petit capitaine, à ce grand,
Malgré la discipline, a parlé dans le rang :
— La belle jeune fille !
— Où donc ?
— A la fenêtre,
Là !
— Crédienne, bien belle ! une fille à connaître !
Tous deux, un peu rêveurs, s’éloignent à regret,
Et le beau régiment tout entier apparaît,
Tant la chaussée est large et file en ligne droite.
La belle et blonde enfant regarde à gauche, à droite,
Devant elle ; elle est grave, et plus d’un officier
A cheval, se retourne, et son sabre d’acier
Qu’il fait reluire, indique au sergent qui s’approche,
Un détail, un oubli dont il lui fait reproche…
A l’insu de lui-même espérant un regard.
Mais son rang le rappelle et l’officier repart.
Le colonel lui-même a remarqué la fille !
Ah ! le bel officier, dont l’uniforme brille
De l’éperon sonore à l’épaulette d’or,
Moustache déjà grise ou toute noire encor,
Est prompt à relever cette fine moustache,
Car il sait quel prestige aux insignes s’attache,
Et que, dans le soldat, la femme au faible cœur
Admire aveuglément l’héroïsme vainqueur !
« Le drapeau !… » Le drapeau !… Dans la foule attendrie
On se presse. Salut, Couleurs de la patrie,
Salut, drapeau blessé, sang rouge, azur vivant,
Notre blancheur ! Salut, loque flottante au vent,
Drapeau sublime, orgueil des hommes et des femmes !
Nos morts sont dans tes plis qu’agite un souffle d’âmes !
Et le porte-drapeau, presque un enfant, charmant,
Jeune comme l’espoir, balance doucement,
Sur le rythme des cœurs et de la symphonie,
Le symbole sacré de la patrie unie…
Il sait, le lieutenant, que l’ombre du drapeau
Flottant sur lui, lui fait un visage plus beau,
Plus fier, plus noble, et que le drapeau, qu’on admire
Et qu’on aime, lui vaut plus d’un joli sourire.
— « Cette fille a souri, pense le colonel…
A l’un de mes blancs-becs d’officiers, mais auquel ?
— C’est au porte-drapeau, se dit un capitaine ;
— Qu’elle ait souri du moins, la chose est très certaine :
A présent, elle envoie un baiser !… Sacrebleu ! »
Et le bon colonel, vieux qui se voûte un peu,
Fait bomber sa poitrine et se met bien en selle.
« Bigre ! fait un sergent, la belle demoiselle ! »
Dans son voisin qui rit chacun craint un rival ;
Un chef de bataillon fait cabrer son cheval ;
Plusieurs ont pris un air de gloire, et, sur sa lèvre,
Le doux porte-drapeau, que la musique enfièvre,
A, d’une main tremblante, étiré ses poils blonds,
Et le drapeau, penché, se déroule en haillons.
Mais Elle, elle a cru voir, dans le drapeau qui flotte,
L’âme du bien-aimé, qui, mort à Gravelotte,
Disparut, et qui dort, enterré sans tombeau…
Le baiser de la vierge était pour le drapeau.
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