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La Turque : $b roman parisien

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IV

Qu’allait-elle faire ?

Reprendre sa vie. Elle se remettrait au travail, le travail lui paraissait maintenant plein de bonheur. Elle redevenait pauvre. Misérable, non pas : puisqu’elle rentrait en possession d’elle-même, de ses sentiments, de tout son être. Elle se sentait délivrée, elle respirait.

Cependant, à la maison qui l’occupait naguère, on lui répondit qu’elle était remplacée, on ne pourrait plus l’employer à l’avenir… Elle se trouva, pour savoir, à la sortie des ouvrières : « Tiens ! v’là Sophie ! Ah ! Sophie !… s’écrièrent les jeunes filles. Comment ! mademoiselle nous connaît encore ! »

Elles entouraient leur ancienne compagne, elles la regardaient avec curiosité. Sophie, troublée, tout de suite les avaient senties loin d’elle.

« Enfin, si ça te plaisait… t’as bien fait… » disait une petite blonde d’une voix fausse, dans un rire aigrelet.

Et Sophie, soudain, saisissait qu’elle s’était séparée des honnêtes filles… Elle n’avait pas encore pensé à cela, c’est une idée qui lui venait maintenant. Alors elle eut une grande envie de pleurer… Elle aurait voulu parler, expliquer, mais ces sourires… Elle restait là, muette et toute pâle. On chuchotait : « Dis donc, elle s’en est fait des mains blanches ! » Elle avait tiré son mouchoir, le cœur gros ; on reniflait : « Ça sent bon ! »

Ah ! leur dire que cette vie, à elle plus qu’à personne, répugnait, leur dire tout ce qu’elle avait souffert !… leur dire qu’elle aussi elle était honnête, et qu’elle voulait travailler… et qu’elle ne pouvait que travailler !…

Mais Sophie se taisait, car on ne l’aurait pas comprise, elle le devinait ; on aurait dit : « Qu’est-ce que tu racontes ? Tu ne savais donc pas ce que tu faisais ? Mais tu es folle ! » Ou bien à part soi : « Ah ! voilà ! elle n’a pas réussi… » Non, les cœurs étaient prévenus, c’était fini… Quoiqu’elle fît, qu’elle le voulût ou non, maintenant, aux yeux de toutes celles-là, elle était devenue l’une de ces femmes pour lesquelles on éprouve à la fois envie et mépris, un mélange singulier de fascination et d’éloignement… Et tous ses efforts ne pourraient jamais aboutir qu’à amoindrir l’admiration sans diminuer le dégoût. C’était fini !

Elle ne disait rien ; elle éprouvait un deuil affreux. Il y avait, au milieu de ces sourires aigus, son pauvre sourire douloureux. — « Adieu », murmura-t-elle, et elle partit. « Amuse-toi bien, Sophie ! » lui cria une voix… Mais elle ne se retourna pas, elle avait les larmes aux yeux.

Au milieu de son chagrin, la mère Rançon arriva. Visiblement la vieille était envoyée par M. Pampelin ; elle commença par reprocher son ingratitude à Sophie : Un homme si généreux et distingué, qui l’avait mise dans ses meubles ! Parole, elle était folle ! Profiter de cette façon-là d’une chance pareille !…

Quand Sophie, frissonnant encore au souvenir de M. Pampelin, lui apprit qu’elle voulait travailler, elle tomba des nues : Travailler ! Mon Dieu ! mais c’était du délire ! Voyons, Sophie savait pourtant bien que ça ne remplit pas le ventre de travailler !… Voulait-elle encore marcher sur ses bas, porter des chemises trouées, et jeûner tous les dimanches ? Elle savait bien qu’elle ne s’en tirerait jamais sans un ami ; ce n’était pas possible… Alors… M. Pampelin… est-ce que ce n’était pas le rêve pour une petite femme raisonnable ?…

La mère Rançon partit, convaincue qu’on avait fait des propositions à sa protégée et que le magistrat allait être remplacé.

Aussi, trois jours après, quand elle revint, fut-elle profondément étonnée de retrouver Sophie en train de sangloter. Sophie, depuis trois jours, cherchait du travail, et n’en trouvait pas. Au spectacle de ces larmes, une idée traversa Mme Rançon : elle est amoureuse… « Mon enfant, allons, est-il possible de se mettre dans des états pareils ! dit-elle en la cajolant. Ah là ! là ! les hommes n’en valent pas la peine !… » Sophie la regarda avec étonnement. La mère Rançon continua… « Mais oui, ma chatte… Comment ! quitter M. Pampelin pour ça ! Oh !… Bien sûr, vous trouverez peut-être plus jeune, mais aussi bon ?… Voilà un homme qui me disait hier : « Tenez, Madame Rançon, elle a peut-être envie de petites choses qu’elle ne me dit pas ; je connais bien les femmes… ah ! je ne voudrais pas qu’elle se refusât rien, cette chère enfant… eh bien, si elle pensait, des fois, que quatre-vingt-dix francs par mois ce n’est pas assez, je ferais un sacrifice, ma foi ! je lui en donnerais cent. »

De l’œil elle guettait Sophie, Sophie insensible répéta seulement qu’elle voulait travailler.

Une semaine passa. Et la mère Rançon proposa une place de bonne dans une brasserie. La pauvre fille, qui n’avait rien trouvé, accepta.

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