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Le Robinson des Alpes

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CHAPITRE XVIII
Dans lequel Marcel fait à l’improviste une découverte étrange et qui lui prouve que toutes les légendes ne sont pas des contes.

Marcel avait accompli, à lui seul, un véritable miracle qui rappelait les travaux mythologiques des géants. Il avait fait le travail de dix hommes. Vouloir, c’est pouvoir, dit un proverbe. Il avait voulu, et il avait accompli des prodiges.

Non loin de sa demeure, deux ruisseaux assez larges tombaient des rochers, en formant des chutes assez considérables. Il résolut de les utiliser et d’y construire deux moulins à eau : le premier destiné à scier des planches ; nous savons que Marcel possédait une scie ; ce travail était donc comparativement facile pour un ouvrier et un mécanicien habile comme l’était le jeune homme. L’autre, dont il voulait faire un moulin à farine, était d’une exécution plus difficile ; il ne désespéra pourtant pas d’y réussir. L’engin principal, la meule, lui manquait. Il résolut d’en fabriquer une. Grâce aux livres d’agriculture qu’il avait achetés à Grenoble, il avait pu compléter la science acquise qu’il avait déjà sur ces genres de travaux. Il étudia avec la plus sérieuse attention les plans et la coupe des deux moulins projetés par lui ; bientôt, il ne douta plus du succès ; la meule seule l’inquiétait ; en somme, c’était l’instrument essentiel du moulin à farine. La scierie fut construite entièrement, en moins de trois mois, et fonctionna à merveille. Marcel s’occupa du second problème.

Cette année-là, par une exception extraordinaire dans ces régions élevées, l’hiver fut très doux, en dehors de quelques orages. La température ne descendit guère au-dessous de six à huit degrés au-dessous de zéro, même au plus fort de l’hiver. Le jeune ingénieur put donc vaquer en toute liberté à ses occupations ordinaires sans souffrir du froid, ni être arrêté par les neiges, qui furent fort rares et fondaient presque aussitôt après être tombées. Le lac ne fut recouvert que d’une couche très mince de glace ; la plupart des ruisseaux ne gelèrent même pas.

Marcel, profitant de cette clémence inaccoutumée de la température, poussait vivement ses travaux et profitait du temps dont il pouvait disposer pour faire de longues et minutieuses explorations sur la corniche. Il l’étudia, pour ainsi dire, centimètre par centimètre, et la connut bientôt dans ses moindres détails. C’est ainsi qu’il fit, alors qu’il y pensait le moins, de précieuses découvertes, que rien ne pouvait lui faire pressentir.

Nous avons dit qu’il avait conservé son potager de la hutte, qu’il l’avait agrandi et l’avait entouré de terrains défrichés et ensemencés. Les cendres résultant de l’incendie, mises en tas, après avoir été fouillées et refouillées, avaient été employées comme engrais dans les nouvelles cultures. A l’époque des labours d’automne et des semailles, Marcel s’était mis à l’œuvre avec son ardeur accoutumée, transportant les cendres dans sa brouette, les étalant et les mélangeant avec soin aux terres fraîchement remuées.

Ce travail, assez fatigant, tirait à sa fin. Marcel chargeait la dernière brouette, et, avec sa pelle, il raclait la terre avec soin, lorsqu’il lui sembla que le fer de son outil, en grattant le sol, rendait un bruit singulier. Il crut s’être trompé et renouvela l’expérience en redoublant d’attention. Cette fois, non seulement la pelle rendit le même son, mais elle se heurta tout à coup contre un corps dur, qui lui opposa une sérieuse résistance. De plus en plus intrigué, le jeune homme s’arrêta et réfléchit. Après quelques instants, il se pencha vers l’obstacle, le déblaya, et, à sa grande surprise, vit un fort anneau de fer.

Il demeura pensif, regardant autour de lui, essayant de reconstituer dans sa mémoire la situation exacte de la hutte, et la place que devait, avant l’incendie, occuper cet anneau de fer si singulièrement découvert. Sa surprise était d’autant plus grande, que le sol de la cabane était une aire en terre battue ; il se disait avec raison que si, pendant qu’il habitait la demeure du pâtre, cet anneau avait été à découvert, il n’aurait pas manqué de l’apercevoir. Ce mystérieux anneau devait donc être enterré ou dissimulé sous quelque meuble. A force de se creuser la tête, Marcel finit par établir sa place exacte. Il devait être dissimulé par le coffre servant de lit au pâtre ; et, pour plus de sûreté, caché sous une couche de terre plus ou moins épaisse. En effet, s’il en eût été autrement, soit pendant qu’il bouleversait la paillasse de ce maigre grabat, soit lorsqu’il l’avait enlevé, Marcel aurait évidemment découvert l’anneau placé à fleur du sol.

Il y avait donc là une trappe soigneusement cachée et recouvrant, selon toutes probabilités, l’entrée d’une cave, d’un souterrain quelconque, ou, tout au moins, d’un caveau. Mais que renfermait ce caveau ?

Les paysans méridionaux, surtout les Provençaux, sont avares, méfiants et cachottiers. Ce sont là leurs moindres défauts et leurs péchés mignons ; Marcel les connaissait de longue date et savait à quoi s’en tenir sur leur compte.

— Il y a peut-être là tout un magasin très curieux, murmura Marcel, qui s’agenouilla sur le sol et commença à enlever la terre avec précaution, tout autour de l’anneau. Bientôt, ainsi qu’il l’avait prévu, à une profondeur de quelques centimètres, il vit le bois apparaître. Il redoubla d’efforts, et, en moins d’une heure, toute la plaque fut mise à découvert sur un carré de 1m,25 de côté ; l’anneau formait le centre. Cette trappe était en bois de chêne. Recouverte de larges plaques de fer, elle reposait sur quatre rainures en ciment. Marcel nettoya les joints avec le plus grand soin et se releva, pensif.

— Ceci n’est pas l’œuvre d’un pâtre, murmura-t-il. Le travail est trop bien exécuté. Il y a là un mystère ! Dans quel but a-t-on pu faire, dans ces montagnes isolées, une cachette de ce genre ? Car, évidemment, c’est une cachette. Par qui a-t-elle été construite ? Qu’y a-t-on enfermé ?… Il saisit alors un levier en fer, en passa l’extrémité dans l’anneau et pesa fortement.

La trappe ne bougea pas ; il redoubla de vigueur, elle oscilla légèrement.

— J’y arriverai, dit Marcel ; seulement, je m’y suis mal pris. C’est à recommencer mais dans d’autres conditions.

Il alla chercher des pierres de différentes grosseurs, les plaça à sa portée, puis il reprit son levier. Mais, au lieu de le passer dans l’anneau, il en introduisit la pince dans un des joints de la trappe et il fit une pesée lente, de plus en plus vigoureuse. La trappe se souleva légèrement d’un demi-pouce au plus. Marcel poussa du pied une petite pierre qu’il introduisit dans la solution de continuité qui s’était produite. Il recommença à peser, et, au fur et à mesure que la plaque se soulevait, il poussait des pierres plus grosses, afin de l’empêcher de retomber. Ce travail était lourd et extrêmement pénible. Marcel s’arrêtait, reprenant haleine, et se remettait à l’œuvre avec une nouvelle ardeur. Après une heure d’efforts, la plaque était soulevée de cinquante centimètres environ. Le jeune homme passa une corde dans l’anneau, il disposa un lit de pierres formant une pente de quarante-cinq degrés, saisit la corde qu’il fit passer sur la maîtresse branche d’un pin placé à l’arrière de la trappe, et, réunissant toutes ses forces, il donna une secousse vigoureuse : la plaque, cédant, se leva toute droite. Marcel donna une secousse nouvelle, fila doucement la corde, et la trappe se coucha sur l’amas de pierres disposé pour la recevoir. Grâce à cette façon de procéder, rien ne lui serait plus facile que de refermer l’ouverture quand il le jugerait convenable. De plus, il ne risquait pas de la voir se refermer toute seule et à l’improviste. Il se hâta de se pencher sur l’orifice qui venait d’être mis à découvert. Il aperçut les premières marches d’un escalier ; mais ce fut tout. Une obscurité complète régnait au fond du trou béant. Cela ne l’inquiéta que médiocrement, il savait comment se procurer de la lumière ; en moins d’un quart d’heure, il eut confectionné une demi-douzaine de torches en sapin. Il les attacha en faisceau derrière son dos, en alluma une qu’il tint à la main, et pénétra résolument dans le caveau, suivi fidèlement par ses chiens. L’escalier avait vingt marches ; Marcel les compta. Quand il atteignit le sol, il inspecta l’endroit où il se trouvait. C’était une salle voûtée, assez grande, de forme circulaire, et haute de plus de trois mètres. Une centaine de sacs de ciment étaient empilés dans un coin. Près d’eux, des outils de maçon, auges, truelles, etc., etc. ; une meule à affûter des outils toute montée, des instruments de terrassier destinés non seulement à transporter les terres, mais encore à creuser le roc. C’étaient des découvertes précieuses pour le solitaire, et une véritable bonne aubaine ; aussi ne regretta-t-il pas le rude travail que cela lui avait coûté. Cette salle était entièrement construite en quartiers de roche cimentés, le sol et l’escalier étaient fabriqués de même.

Une chose inquiétait sérieusement le jeune homme. Cette salle, si solidement et si soigneusement construite, n’avait, en apparence du moins, aucune autre issue que la trappe.

— Cela n’est pas possible, grommelait-il. Il y a là-dessous quelque rouerie qu’il importe que je découvre. Les gens qui ont construit ce caveau ne peuvent l’avoir fait tout exprès pour y serrer les outils et les matériaux qui leur servaient à cette œuvre. Une semblable hypothèse serait absurde. Il y a donc une issue secrète qu’il me faut trouver. Cherchons, puisque rien ne me presse.

Et il chercha. Partout la muraille lisse ne laissait apercevoir aucune solution de continuité.

Ses chiens le suivaient pas à pas, marchant quand il marchait, s’arrêtant quand il s’arrêtait. Il avait déjà fait plusieurs fois le tour de la salle, il commençait à désespérer. Cette issue secrète, sur l’existence de laquelle il n’avait aucun doute, continuait à échapper à ses recherches ; en désespoir de cause, il allait renoncer à ses investigations après avoir, avec un marteau, sondé l’épaisseur des murailles, quand tout à coup, Petiote s’arrêta subitement et tomba en arrêt devant une partie du mur située précisément en face de l’escalier, mettant le museau à terre et soufflant bruyamment en remuant la queue avec fureur.

— Il y a quelque chose, murmura Marcel ; Petiote a trouvé l’issue. C’est là, n’est-ce pas ? ajouta-t-il, en s’adressant à la bonne bête.

Petiote remua la queue de plus belle, fixa sur son maître un regard rayonnant d’intelligence et aboya joyeusement.

— C’est bien ! murmura son maître ; puisque vous le dites, mademoiselle, je trouverai, dussé-je démolir la muraille. Merci, vous êtes une excellente fille.

Il s’approcha alors de la paroi, l’examina point par point avec une minutieuse attention, regardant pour ainsi dire comme avec une loupe les moindres accidents de la pierre.

Soudain il tressaillit et s’arrêta. Il avait aperçu, dessiné sur un moellon, un I gothique microscopique. Le point de cet i était formé par un clou dont la couleur se confondait presque avec la teinte de la pierre. Il appuya légèrement sur ce clou.

A sa grande surprise, un pan tout entier de la muraille tourna sur lui-même sans produire le moindre bruit, et démasqua l’entrée d’un souterrain.

— Oh ! oh ! murmura-t-il, cela se complique ; allons jusqu’au bout. Et il pénétra dans la galerie : elle était large de près de deux mètres, haute de trois au moins, creusée dans le roc vif ; elle formait plusieurs détours. Le sol était formé d’un sable jaune très fin ; l’air y pénétrait sans doute par d’imperceptibles fissures, car on y respirait à l’aise. Après avoir marché assez rapidement pendant au moins un quart d’heure et suivi tous les détours du souterrain, Marcel se trouva subitement arrêté par une muraille de roche calcaire.

— Bon ! encore la même plaisanterie, s’écria-t-il ; cette fois, je ne m’y laisserai pas prendre.

Et il recommença ses recherches. Presque aussitôt il découvrit un A gothique dont la pointe était faite d’un clou. Il le pressa, comme la première fois, et non moins silencieusement, la muraille tourna sur elle-même et démasqua un escalier. Il s’y engagea, et quand il eut franchi trente marches, il rencontra une porte secrète désignée par un D gothique.

Il pénétra alors dans une vaste caverne naturelle, divisée en plusieurs compartiments. Le premier regorgeait de vases d’église, croix, encensoirs, ostensoirs, candélabres, flambeaux. C’était le trésor d’une église ou d’une abbaye ; on y voyait étinceler des calices, des patènes d’or et d’argent, et, entassées dans des coffres, des monnaies d’or et d’argent de tous les pays. Les autres compartiments étaient pleins de meubles précieux, tapisseries de haute lisse, tableaux des anciens maîtres de toutes les écoles, œuvres des peintres vénitiens, romains, français, hollandais, flamands, espagnols. Là se trouvaient réunies d’incalculables richesses, des vitraux précieux et de nombreuses caisses remplies de feuilles de verre.

D’où provenaient ces trésors ? Comment les avait-on transportés là ? A force de se creuser la cervelle, Marcel se rappela une légende qui avait cours dans la montagne et que les pâtres se racontaient le soir au coin du feu. Il n’avait d’ailleurs jamais voulu en croire un traître mot. Du temps de la grande révolution, disait-on, plusieurs prêtres de Lyon et de Grenoble, réunis à des religieux de la Grande-Chartreuse, croyant leur vie en danger, s’étaient réfugiés dans la montagne.

Là, ils avaient vécu pendant près d’une année assez tranquilles sous la protection des pâtres, qui pourvoyaient à leur nourriture et achetaient pour eux des vivres dans les fermes. Un jour, une bande de malfaiteurs venus, on ne sait d’où, accoururent, dit-on, pour profiter des discordes civiles. Ils avaient découvert la retraite des fugitifs, l’avaient cernée pendant la nuit, et avaient impitoyablement massacré tous les religieux réfugiés dans la grotte. Cette légende semblait se rapporter assez bien à la découverte imprévue faite par Marcel. Mais il rejeta bientôt cette explication.

— Les gens qui auraient massacré les proscrits, pensa-t-il, auraient évidemment emporté avec eux ces immenses richesses, ou tout au moins je retrouverais les os blanchis de ces pauvres victimes.

Or, rien ne confirmait ces hypothèses. Meubles, tapisseries, tableaux, ornements d’église, etc., étaient là, rangés dans l’ordre le plus parfait et aucun ossement n’était visible.

Tout en faisant ces réflexions, Marcel découvrit une nouvelle issue secrète aboutissant à une grotte naturelle, large, haute et profonde, mais s’ouvrant par une vaste entrée sur une plate-forme assez grande de la montagne.

Lorsqu’il eut promené ses regards investigateurs autour de lui, tout lui fut expliqué.

La légende était vraie.

Les ossements des prêtres et des religieux, blanchis par les ans, gisaient là sans sépulture, et formaient de petits amas d’une blancheur mate, auxquels se mêlaient quelques lambeaux de serge noire jaunie par le temps.

Les cadavres étaient là où ils étaient tombés sous les coups de leurs assassins.

Marcel reconstitua en un instant, dans son esprit, ce lugubre événement tel qu’il avait dû se passer, et, reprenant mot à mot la légende, il pensa :

Les prêtres et les moines réfugiés dans la grotte, avertis, dit-on, du danger qui les menaçait, avaient-ils essayé de fuir ? Quelque courageux que puissent être des gens menacés de mort, leur premier mouvement comme leur premier devoir est de tâcher d’échapper à leurs assassins.

La première pensée des fugitifs avait donc été sans doute d’abandonner leur refuge pour en chercher un autre plus sûr ; mais, abandonner la garde du trésor de l’église ne constituerait-il pas une véritable désertion ? Ces richesses confiées à leurs soins ne deviendraient-elles pas la proie des bandits ? Sans doute, dans cette perplexité, ils se mirent en prière, et se plaçant sous la garde de Dieu, ils attendirent les événements.

Mais qui pouvait leur dicter ce devoir impérieux et cette abnégation sublime ?

Nous allons dire en quelques mots comment Marcel s’expliqua les faits qui avaient dû avoir lieu.

Depuis la convocation des États-Généraux, le clergé français avait compris le mot de l’abbé Sieyès : « Nous combattons pour mettre au-dessus ce qui est dessous et au-dessous ce qui est dessus. »

Cette phrase si courte contenait le programme de l’avenir ; il ne s’agissait plus de réformes plus ou moins sérieuses, mais d’une révolution complète à la suite de laquelle les vaincus, quels qu’ils fussent, seraient proscrits et mis hors la loi par les plus forts.

Le cardinal de Lyon, primat des Gaules, un des plus puissants seigneurs du royaume à cette époque, prévoyant l’orage, résolut de prendre ses précautions. Il s’entendit avec plusieurs évêques et ses suffragants. Dans une réunion secrète, on résolut de mettre sans retard, à l’abri de l’orage, les trésors les plus précieux de l’Église et d’attendre les événements.

Le Général des Chartreux, aidé des Pères et des Frères du monastère placé au fond du désert, se chargea volontiers de faire construire, sur un plateau ignoré des Alpes, une cachette sûre dans laquelle on enfouirait les trésors précieux, au triple point de vue de la religion, des beaux-arts et de la richesse.

Cette cachette fut en effet construite dans les admirables conditions de sécurité que nous avons dites ; le secret en fut scrupuleusement gardé.

Quatre ans furent nécessaires pour mener à bien cette œuvre difficile.

On s’occupa alors à mettre en sûreté ces richesses accumulées pendant des siècles dans les églises et les couvents. Le temps pressait ; on était arrivé aux jours les plus difficiles de 1793. La France républicaine, envahie de toute part par les nations étrangères, déchirée chez elle par la guerre civile, la plus terrible et la plus dangereuse de toutes, la France blessée, meurtrie, et presque aux abois, se défendait avec l’énergie du désespoir et l’enthousiasme de la liberté ! Rendant coup pour coup, elle faisait arme de tout bois pour maintenir au-dehors l’intégrité de ses frontières et établir à jamais au-dedans les droits de l’homme et du citoyen.

Vingt-cinq prêtres furent délégués pour exécuter, dans le plus grand secret, le transport de ces richesses incalculables. A la plupart de ces pauvres religieux ou prêtres, on ne fit que des demi-confidences. Six d’entre eux, seuls, connaissaient le secret tout entier.

Lorsque le trésor eut été enfoui dans les entrailles de la terre, les chefs choisis par l’archevêque déclarèrent à leurs compagnons que tous avaient été désignés, en raison de leur vertu et de leur piété, pour veiller jour et nuit sur les objets sacrés confié à leur garde.

Lorsque le secret de leur refuge fut connu par les bandits, qui profitaient de ces époques troublées pour promener partout le massacre et le pillage, les montagnards conseillèrent aux religieux de s’enfuir au plus vite et de gagner une autre cachette qui leur avait été préparée par leurs soins pieux. Les saints hommes, craignant que leur disparition n’exaspérât leurs ennemis et que dans la rage de les voir à l’abri de leurs poursuites, les bandits ne découvrissent le trésor et n’y portassent leurs mains sacrilèges, firent avec un dévoûment plus admirable que réfléchi le sacrifice de leur vie. Ils espéraient que leur froide résignation désarmerait les assassins et que ceux-ci, ne trouvant là que de pauvres prêtres désarmés et prêts à mourir, ne pousseraient pas plus loin leurs recherches.

Cette dernière partie de leurs prévisions se réalisa seule. Les bandits, furieux de ne rien trouver des richesses dont ils avaient espéré s’emparer, massacrèrent lâchement ces hommes sans défense et se retirèrent les bras rouges du sang de ces innocentes victimes.

C’est par suite de cet événement terrible que le trésor sacré avait été perdu pour tout le monde. Ceux qui seuls en possédaient le secret l’ayant emporté avec eux dans la tombe.

Plus tard, lorsque des temps plus calmes furent revenus, l’ancien cardinal-archevêque de Lyon était mort ; son successeur fit faire, dans les Alpes, de minutieuses recherches qui restèrent infructueuses. Nul ne trouva rien.

Certaines parties des montagnes bouleversées par les ouragans et les éboulements avaient complètement changé d’aspect. Les quelques points de repère que l’on avait notés, avaient disparu. Il fallait en prendre son parti et renoncer pour toujours, peut-être, à rentrer en possession de cet immense trésor.

Le hasard, comme on le voit, avait favorisé Marcel, en lui faisant, sans qu’il y songeât, retrouver ces richesses, si longtemps et si vainement cherchées.

Du reste, à quoi toutes ces choses précieuses pouvaient-elles lui être utiles dans la situation où il était placé ? Il se rappela en souriant le coq de la fable qui a trouvé une perle et dont un simple grain de mil ferait bien mieux l’affaire. D’ailleurs, quand bien même il eût trouvé l’utilisation de ces trésors, son honnêteté lui imposait le devoir de le rendre intact à ses propriétaires dès que cela lui serait possible.

Le seul bénéfice réel qu’il retira de cette découverte fut la provision de ciment, de plâtre, d’outils dont il s’empara, ainsi que de la meule à affûter, et les caisses de verre qui lui servirent à vitrer ses fenêtres et construire une serre chaude.

Après avoir pieusement donné la sépulture aux restes des infortunés religieux, il plaça une croix sur leur tombe. Il referma ensuite toutes les issues qui lui avaient livré passage, enleva le ciment et tout ce qui pourrait lui être utile pour ses constructions et transporta le tout dans sa grotte. Il se mit aussitôt à l’œuvre pour faire son moulin à farine.

Grâce à ses nouveaux outils, crics, leviers, palans, échafaudages, il réussit à se fabriquer avec un quartier de rocher dure une meule convenable d’un poids suffisant et très bien travaillée.

Deux mois plus tard, le moulin fonctionnait et Marcel, sur l’emplacement même de la trappe qui donnait accès dans le souterrain des religieux, avait construit un charmant kiosque en briques, de forme octogone, et y avait placé un plancher en bois dissimulant la trappe et ne la laissant à découvert que grâce à un système d’ouverture dont il avait le secret.

Il s’était ménagé ainsi un charmant retiro.

Il se réservait de faire une excursion dans la partie de la montagne qu’il avait découverte à l’issue du souterrain.

Peut-être trouverait-il là enfin un passage pour descendre dans les vallées.

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