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Le Robinson des Alpes

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CHAPITRE V
Comment Marcel et l’homme au burnous quittèrent les Alouettes pour faire un voyage d’agrément et ce qui s’ensuivit.

Depuis l’accident terrible dont il avait failli être victime en traversant le Guiers-Mort, l’homme au burnous s’était pris d’une singulière affection pour Marcel Sauvage. Trois et même quatre fois par semaine, on le voyait arriver aux Alouettes, où il était accueilli de la façon la plus cordiale par le fermier, sa femme, ses ouvriers et ses valets de ferme.

Pierre Morin avait été nommé, grâce à la protection de Jacques Chrétien et d’autres de ses amis, régisseur général d’une immense exploitation agricole, située dans les environs de Grenoble. Cette propriété appartenait à un des plus riches agronomes du département de l’Isère, qui, grâce à sa philanthropie éclairée, avait rendu et rendait encore de très grands services au pays. Marcel avait vu partir son excellent professeur avec un mélange de tristesse et de joie.

Du reste, la joie ne tarda pas à l’emporter dans son cœur sur la tristesse, grâce à l’homme au burnous, qui s’était, de son propre mouvement, chargé de remplacer Pierre Morin près de lui et de terminer cette éducation si bien dirigée et qui, d’ailleurs, avait, depuis longtemps déjà, passé de la théorie à la pratique. En effet, Jacques Chrétien, le jour où son fils adoptif avait accompli sa dix-septième année, avait célébré cet anniversaire par un grand repas, ainsi que c’est la coutume dans ces contrées où les plus humbles comme les plus riches professent un culte pour la gastronomie. Il y avait réuni tous les employés de la ferme, métayers, pasteurs, valets et ouvriers, sans oublier l’homme au burnous, qu’il avait fait asseoir à sa droite, entre lui et sa femme.

Au dessert, le fermier posa la main sur l’épaule de Marcel, placé à sa gauche, et, après avoir trinqué à la santé du héros de la fête, il l’avait solennellement nommé sous-directeur de la ferme des Alouettes, aux appointements de deux mille cinq cents francs par an, avec cinq pour cent dans les bénéfices de l’exploitation.

Cette nomination, devenue nécessaire à cause des agrandissements successifs faits par le fermier, fut accueillie avec des cris de joie par tous les assistants. Ceux-ci, en effet, avaient eu mainte occasion d’apprécier la bonté de cœur du jeune homme, son intelligence et ses vastes capacités ; quand on considérait l’âge encore si tendre du nouveau sous-directeur, on pressentait que son expérience ne ferait qu’augmenter chaque jour.

Le lendemain, Marcel entra en fonctions, et la ferme reprit son aspect accoutumé. Mais bientôt l’influence intelligente et sympathique du jeune sous-directeur se fit sentir, et Jacques Chrétien se félicita de jour en jour davantage du choix qu’il avait fait pour lui venir en aide. Quelques mois se passèrent ainsi.

Le jeune homme avait formé certains plans d’amélioration qu’il se proposait d’appliquer dans la ferme. Il les exposa à l’homme au burnous, les discuta avec lui et montra les lettres qu’il recevait de Pierre Morin. Ces plans étaient bons, avantageux et d’une exécution facile. Mais Marcel ne voulait rien risquer sans la certitude de réussir. Il lui fallait, pour cela, aller passer quelques jours auprès de son ancien professeur, s’identifier avec ces améliorations si prônées, les faire siennes et pouvoir ainsi les appliquer sans tâtonnements et avec une certitude de succès.

L’homme au burnous approuva les hésitations du jeune homme ; il le félicita de sa modestie et l’engagea vivement à confier à son père adoptif ses projets, qui auraient sans aucun doute son approbation. Il lui promit d’user de sa propre influence pour appuyer sa requête, et d’être son compagnon de route jusqu’à l’exploitation dont Pierre Morin était régisseur. Tous deux resteraient là dix ou quinze jours, ainsi que, dans chacune de ses lettres, l’ancien et aimé professeur le demandait.

La requête de Marcel fut favorablement accueillie par Jacques Chrétien. Il remit à son fils adoptif l’argent nécessaire pour acquérir les graines et les outils dont il trouverait à propos d’enrichir la ferme, lui recommanda surtout de ne pas faire d’économies mal entendues et de profiter de son voyage à la ville pour remonter sa garde-robe.

Le lendemain, au lever du soleil, Marcel, après avoir embrassé à plusieurs reprises ceux qui lui tenaient lieu de famille, quitta la ferme en compagnie de l’homme au burnous.

La distance entre les Alouettes et Grenoble est de sept ou huit heures, suivant l’itinéraire qu’on choisit. La voie la plus commode eût été de passer par Saint-Laurent-du-Pont et Voiron. La plus courte était de remonter le Guiers-Mort jusqu’au Désert et de descendre à la ville par le Sappey. On renonça à la première voie parce qu’elle était la moins pittoresque, à la seconde parce que les deux voyageurs, l’ayant faite cent fois, la connaissaient à fond. Ils choisirent un chemin plus long et résolurent de se diriger sur Grenoble en passant par Saint-Jean-d’Entremont, l’Alpette et la vallée du Graisivaudan. Des citadins auraient reculé devant cet itinéraire, qui ne parut qu’une promenade agréable aux deux vigoureux montagnards, accoutumés à courir par monts et par vaux, à travers les chemins les plus difficiles. Ils étaient d’ailleurs convenus de faire le trajet à pied, le sac sur le dos, afin de jouir, dans toute leur splendeur, des accidents pittoresques de la route et des admirables paysages qui se dérouleraient sous leurs yeux comme un magique caléidoscope.

Ce n’avait pas été sans un serrement de cœur secret que le jeune homme s’était éloigné de la ferme. C’était la première fois qu’il entreprenait un si long voyage et qu’il allait faire une absence si prolongée. Il se sentait, malgré lui, en proie à une sourde tristesse, et un caractère moins bien trempé eût vu là un sombre pressentiment. Il avait une religion trop éclairée et un esprit trop ferme pour se laisser aller à ses faiblesses ; il réagit contre une tristesse que rien ne justifiait, et, après quelques pas, il reprit toute sa gaîté sereine. Tout à coup, de formidables aboiements se firent entendre ; il tourna la tête et aperçut, arrivant à pleine course, Petiote, sa belle chienne du Saint-Bernard, qu’il n’avait pas voulu emmener, et qu’il avait attachée à son départ. La pauvre bête avait tant pleuré en voyant s’éloigner son maître, que Jacques Chrétien s’était senti ému et lui avait rendu la liberté. Dans le premier moment, le jeune homme voulut renvoyer l’animal à la ferme ; il lui intima même l’ordre de retourner sur ses pas d’un ton sec et fâché, que jamais jusqu’alors, il n’avait pris avec elle. Mais la bonne bête se roula en pleurant à ses pieds. Elle fixait sur lui un regard si suppliant et si doux qu’il ne put y résister. Comme son père adoptif, il se laissa attendrir et céda d’autant plus volontiers que son compagnon de route prit parti pour Petiote et intercéda vivement en sa faveur.

— C’est bien, mademoiselle, dit Marcel en la flattant doucement ; puisque notre vieil ami le désire, vous me suivrez, mais soyez sage !

— Vous avez raison de pardonner à Petiote, dit en souriant l’homme au burnous. Il ne faut jamais dédaigner même les plus humbles dévouements. L’amitié d’un pauvre chien est souvent plus précieuse que celle d’un homme.

— Oh ! mon vieil ami, dit gaîment le jeune homme, vous n’êtes pas, il me semble, en veine de tendresse pour l’humanité !

— C’est que ma vie est déjà longue, répondit le vieillard en hochant la tête ; j’ai appris à connaître les hommes, et, pour un bon sujet, j’en ai trouvé cent de foncièrement mauvais. Le chien, c’est autre chose ! il suit son instinct, qui est fait de noblesse et de dévouement. Vous comprendrez plus tard cette vérité ; l’expérience, cette rude maîtresse, vous fera connaître les péripéties de cette impitoyable bataille de la vie : là, chacun combat pour soi, prêt à tout faire pour écraser l’adversaire qui lui fait ombre !… le chien, lui, si doux, si bon, si dévoué, a fait dire en riant à un grand penseur fantaisiste : « Ce qu’il y a de meilleur dans l’homme, c’est le chien. » Si quelque jour, ce dont Dieu vous garde, mon jeune camarade, vous avez besoin du dévouement de Petiote, vous reconnaîtrez l’exactitude de cet aphorisme.

— Je l’admets dès à présent, mon vieil ami, dit en riant le jeune homme. Mais voyez donc quel admirable paysage.

Un silence complet s’établit alors entre eux. Peu après avoir quitté le village d’Entre-Deux-Guiers, ils avaient, en suivant le Guiers-Vif, atteint la base des hautes montagnes entre lesquelles il s’est tracé son cours. Ils s’étaient alors engagés dans un véritable sentier de chèvres, où ils avaient besoin de toute leur adresse et d’une attention soutenue pour ne pas perdre l’équilibre et ne pas rouler au fond de l’abîme qu’ils côtoyaient à une hauteur vertigineuse.

Ce sentier, car le nom de route me pouvait lui être appliqué, se nommait le Grand-Frou (Grand-Affreux) et longeait la crête des montagnes aux pieds desquelles coule le torrent.

Les deux compagnons s’étaient donc engagés sur ce chemin abrupt, dont ils sortirent sains et saufs, grâce à leur adresse, à leur agilité de montagnards et surtout aux longs bâtons ferrés sur lesquels ils s’appuyaient. Quant à Petiote, elle courait en avant avec une désinvolture aussi grande que si elle eût trotté en rase campagne. Après avoir gagné, non sans fatigue, le village et la vallée d’Entremont, les voyageurs s’engagèrent dans d’étroits sentiers qui grimpent en lacets le long de l’Alpette ; puis descendirent du côté de la riche et plantureuse vallée du Graisivaudan, dont l’aspect, véritablement enchanteur, arrachait à Marcel des cris d’enthousiasme.

Ils s’arrêtèrent alors, car ils reconnurent qu’il leur était matériellement impossible d’arriver à Grenoble avant la nuit close.

— Que pensez-vous, dit l’homme au burnous à Marcel, de cette charmante maisonnette avec ses volets en sapin tout flambants neufs, et dont les murs disparaissent sous les rameaux feuillus d’un immense pied de vigne ; vous voyez, là, ce délicieux réduit qui s’élève à mi-côte et qui se chauffe aux derniers rayons du soleil couchant ?

— Sur ma foi, mon ami, son aspect me semble réjouissant, bien qu’elle soit loin d’être la plus somptueuse de la vallée.

— Alors, allons frapper à sa porte.

La maisonnette n’était éloignée que d’une portée de fusil au plus. Quelques minutes suffisaient pour s’y rendre. Plus Marcel se rapprochait de cette demeure, plus il la trouvait à son gré. Les habitations ont leur physionomie comme les hommes. Les unes ont l’aspect sinistre ; elles font naître un sentiment de crainte et de répulsion et semblent suer le meurtre ; d’autres encore sont tristes, gourmées, hautaines ; d’autres encore sont gaies, joyeuses ; beaucoup respirent l’honnêteté, le calme et la bonté. Celle vers laquelle se dirigeaient les voyageurs appartenait à cette dernière catégorie.

— On doit être bon et hospitalier, dans cette maison, ne put s’empêcher de dire Marcel.

Au moment où ils allaient frapper, la porte s’ouvrit toute grande, et une femme, jeune et belle encore, parut, le sourire sur les lèvres, un enfant dans les bras et un autre marmot blond et rose pendu à son tablier. Un magnifique chien du Mont-Saint-Bernard semblait lui servir de garde du corps.

En apercevant le vieillard, le chien s’élança joyeusement vers lui, remuant la queue en signe d’allégresse ; puis, il alla souhaiter une bienvenue amicale à Petiote.

— Je vous ai vus arriver, dit la jeune femme d’une voix douce et mélodieuse, en échangeant à la dérobée un regard d’intelligence avec le vieillard. Vous coucherez et vous souperez ici avec votre ami, n’est-ce pas ? Mon mari ne me pardonnerait pas de vous avoir laissé aller plus loin.

— Nous resterons, puisque cela vous fait tant de plaisir, dit gracieusement l’homme au burnous. Je ne veux pas qu’à cause de moi vous soyez grondée par Jérôme, ma bonne Magdeleine !

— Merci, monsieur, dit-elle avec sentiment. Vous êtes bon, comme toujours… Mais entrez donc !

— C’est bien, répondit le compagnon de Marcel en posant un doigt sur ses lèvres ; moi aussi, croyez-le, je suis heureux de vous voir, surtout si tout marche à votre gré.

En parlant ainsi, le vieillard et son jeune ami avaient pénétré dans la maison hospitalière.

En un tour de main, la jeune femme avait remis le plus jeune de ses enfants dans son berceau, posé l’autre à terre, sur une peau d’ours, où il se roulait joyeusement avec les deux énormes molosses, puis elle avait débarrassé les deux hommes de leurs sacs et de leurs bâtons, avait remis du bois au feu et installé commodément les voyageurs de chaque côté de l’âtre, tout en répondant à la dernière question du vieillard.

— C’est une bénédiction, monsieur ; tout nous réussit ; mon homme ne sait à qui entendre, tant on le demande de tous les côtés.

— Tant mieux ; cela me fait plaisir, dit le vieillard. Jérôme est un honnête homme, un laborieux ouvrier. Vous méritez tous deux le bien qui vous arrive.

— Oh ! nous savons à qui nous devons attribuer ce bonheur constant, dit la jeune femme en jetant un regard où brillaient des larmes de reconnaissance sur l’homme au burnous.

— Est-ce que votre homme est absent ? se hâta de demander le vieillard.

— Il ne tardera pas à rentrer, dit-elle avec un certain embarras. Il est allé tirer un coup de fusil dans la montagne ; le gibier est à foison en ce moment, et…

— Très bien ! dit le vieillard en interrompant sans cérémonie la jeune femme ; faites vos affaires sans vous occuper de nous, Magdeleine ; nous attendrons le retour de votre homme en nous chauffant devant cette bonne flambée de sapin.

— C’est ça ! dit-elle gaîment, je vais préparer vos chambres.

Elle prit le bagage des voyageurs et sortit, joyeuse.

— Eh bien ? demanda le vieillard à Marcel, quand ils furent seuls. Que pensez-vous de la façon dont on nous a reçus, mon jeune camarade ?

— Je suis dans l’enchantement, tout simplement. Jamais je n’ai vu une réception aussi franche et aussi cordiale. Tout ici respire la joie et le contentement. Certes ! la demeure est modeste, les meubles de peu de valeur, mais tout est propre, soigné et entretenu avec soin. Si le mari est un ouvrier laborieux, la femme doit être une excellente ménagère.

— Vous la jugez bien, mon ami ! C’est une douce et digne créature ; le ménage de ces braves gens est le plus uni que je connaisse. Bien que très pauvres, ils trouvent encore le moyen de soulager de plus pauvres qu’eux, et cela sans ostentation, naturellement poussés par leur bon cœur ; aussi tous les habitants de la vallée les estiment et les respectent.

— Messieurs, vos chambres sont prêtes à vous recevoir, dit la jeune femme en rentrant dans la pièce ; vous n’avez plus que quelques minutes à attendre pour vous mettre à table. Mon homme sera bientôt ici ; je l’ai, d’en haut, aperçu descendant la montagne. Il a fait, je crois, une excellente chasse, car son carnier est gonflé de gibier.

— Mais, ma bonne Magdeleine, cela était inutile. Cette soupe aux choux qui chante dans l’âtre et qui embaume la maison, ce jambon fumé, nous auraient suffi amplement.

— C’est possible, monsieur, reprit-elle avec un sourire affectueux ; mais cela ne nous suffit pas, à nous ! Les hôtes qui entrent dans une maison sont les envoyés de Dieu ! Ils doivent être traités en conséquence. D’ailleurs, ces provisions étaient nécessaires, car, certainement, nous ne vous laisserons pas partir demain sans avoir déjeûné.

— Oh ! c’est impossible, se récria l’homme au burnous, nous voulons arriver de bonne heure à Grenoble.

— Bah ! rien n’empêche ! D’ailleurs, vous causerez de cela avec mon homme. Tenez ! justement, le voici !

En effet, au même instant, la porte s’ouvrit, et le mari entra, gaillardement et l’air joyeux.

Jérôme était un grand et solide montagnard, taillé en athlète, âgé de trente-cinq à trente-six ans au plus, aux cheveux blonds et à la barbe fauve, dont la physionomie ouverte et franche respirait la bonté et la force.

— Salut, monsieur… et votre compagnie, dit-il, avec une légère hésitation, bien qu’avec une entière franchise, en soulevant le bonnet de laine qui couvrait sa tête et saluant les étrangers avec bonne humeur ! Soyez les bien arrivés dans ma pauvre maison, et restez-y le plus longtemps possible, si vous tenez tant soit peu à nous être agréables. Et, se tournant vers sa femme, il ajouta en lui tendant son carnier :

— Tiens, femme, il y a là deux lièvres et un chapelet de grives et de gelinottes. Vois à nous fricasser quelque chose en un tour de main, pour honorer nos hôtes, pendant que je mettrai le couvert et que je descendrai à la cave.

Après avoir embrassé ses enfants, le brave homme se mit en mesure de dresser la table avec un soin et une attention qui témoignaient de son désir de plaire à ses hôtes.

Magdeleine avait disparu, emportant le carnier, et, une demi-heure plus tard, on se mettait à table.

Magdeleine avait accompli des miracles. Le repas fut excellent. Il y avait surtout un petit vin un peu vert, mais fort bon, et qui, au dire de Jérôme, se laissait boire comme du petit lait.

Le dîner se prolongea assez tard, et il fut convenu que les voyageurs déjeûneraient avant de partir, mais que pour réparer le temps perdu, Jérôme conduirait dans sa carriole ses hôtes jusqu’à Grenoble.

Le lendemain, après un matinal et plantureux déjeûner, l’homme au burnous et Marcel prirent affectueusement congé de leur charmante hôtesse, qui semblait les voir partir avec peine ; puis ils s’installèrent dans la carriole. Jérôme fouetta son cheval, et ils s’éloignèrent au grand trot dans la direction de la ville, précédés de Petiote, qui galopait en avant.

Le trajet était court, la route belle et toute pleine de senteurs balsamiques des fleurs printanières. Le cheval était vigoureux ; un peu avant onze heures, ils atteignirent Grenoble. Jérôme s’arrêta devant l’auberge du Soleil d’or, dont le propriétaire était son ami.

Les voyageurs descendirent ; on but un coup ; puis, l’homme au burnous et Marcel firent leurs adieux à Jérôme, qui repartit aussitôt pour regagner sa maisonnette.

Les deux compagnons laissèrent leurs sacs à l’auberge, afin d’être plus dispos et plus libres de leurs mouvements et ils commencèrent à visiter la ville ; l’homme au burnous servait de cicérone à son jeune compagnon.

Nos touristes se promenèrent pendant plus de trois heures à travers les rues, et admirèrent les monuments.

Marcel s’extasia sans restriction à la vue de la vieille église de Saint-Laurent, bâtie au XIe siècle, et que la bizarrerie des sculptures extérieures de son abside fait prendre pour un ancien temple d’Esculape. Il admira l’église Saint-André et sa tour carrée de trente mètres de hauteur. Il visita le palais de justice et fut surtout ravi en regardant les tableaux que referme le musée. Le théâtre, l’hôtel de la banque, l’école d’artillerie, l’hospice, la place Grenette et son château-d’eau, la place Saint-André avec sa belle statue de Bayard mourant, attirèrent successivement son attention et forcèrent son admiration.

Marcel ne se serait jamais fatigué, et sa curiosité était encore loin d’être satisfaite, quand l’homme au burnous lui fit observer, doucement et à plusieurs reprises, que la journée s’avançait, et qu’ils avaient encore près de deux lieues à faire avant d’arriver au lieu de leur destination.

Le jeune homme céda enfin avec un soupir de regret aux instances réitérées de son ami, et ils reprirent le chemin de l’auberge du Soleil d’or. En passant devant un libraire, Marcel, voulant emporter un souvenir de la ville à laquelle il se promettait de faire prochainement une nouvelle visite, acheta un manuel pratique d’agriculture, quelques mains de papier, des plumes, de l’encre et une demi-douzaine de crayons. Après avoir fait une légère collation, car cette longue promenade leur avait donné de l’appétit, les deux hommes reprirent leurs sacs et leurs bâtons ferrés et se remirent en route.

Le trajet se fit gaîment, en causant, et, un peu avant cinq heures, ils virent apparaître, à quelques centaines de mètres en avant d’eux, un immense bâtiment d’apparence grandiose, bordé à droite et à gauche de hautes murailles qui s’étendaient si loin qu’on n’en apercevait pas le bout.

— Nous voici arrivés, dit l’homme au burnous en désignant le bâtiment avec son bâton.

— Déjà ! répondit naïvement le jeune homme. Comme le temps a passé vite !

Comme ils étaient arrivés devant un guichet percé dans une haute et massive porte cochère, l’homme au burnous saisit le marteau, le souleva et le laissa retomber à deux ou trois reprises différentes. Le guichet s’ouvrit aussitôt.

— Que désirez-vous, messieurs ? demanda poliment un homme âgé d’une quarantaine d’années, et qui se tenait debout sur le seuil d’une charmante maisonnette. Mais, avant que les voyageurs eussent eu le temps de répondre, il poussa un cri de surprise, aussitôt réprimé par un geste rapide de l’homme au burnous, et ôta respectueusement sa casquette.

— Nous désirons parler à M. Pierre Morin, le régisseur de ce domaine, reprit Marcel, qui n’avait pas remarqué l’espèce d’entente si rapidement établie entre son compagnon de route et le concierge.

— Si vous voulez me suivre, messieurs, reprit ce dernier en s’inclinant, j’aurai l’honneur de vous conduire moi-même près de M. le Régisseur.

Le concierge ferma la porte de sa maisonnette et précéda les deux visiteurs.

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