Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .viii. arrest.
Par vertu de certaines lettres de chancellerye d'amours ung amant ja pieça feist mettre ung beau cordon tout plain de fleurs en main sequestre/ et disoit pour soubstenir sa main mise que sa dame lui avoit donné ledict cordon pour le mettre a son chappeau affin qu'il eust souvenance d'elle et ung jour a une feste en ostant son chapeau de sa teste ledict cordon eschappa et le perdit dont il fut dolent. Et pour ce que depuis il l'a trouvé es mains de ung aultre amoureux deffendeur de sa partie adverse il la faict arrester et concluoit tout pertinent a matiere d'arrest en requerant que ledit cordon luy fust restitué et mys en plaine delivrance de la partye dudict deffendeur si fut deffendu au contraire & disoit qu'il estoit bien d'accord avecques ledit demandeur que la dame dont estoit question le avoit fait de sa main et que elle luy avoit donné par grant excellence de joye/ mais iceluy demandeur comme ingract ne en avoit tenu compte/ ainçoys pour certaines menues parolles que elle luy avoit dictes en se jouant & rigolant de ce qu'il mettoit la houpe dudit cordon trop sur le costé cestuy amoureux demandeur remply de impacience avoit rendu et gecté par despit ledit cordon a celle dame & a celle dame a aussi clerement se par domination ou autrement s'il y avoit eu droit si s'en estoit il depparty/ et n'en pouoyt plus riens demander/ mais debvoit encores selon les droictz d'amours estre griefvement pugny veu que en ce faisant il estoit encouru en voye d'ingratitude disoit oultre ledit deffendeur que ladicte dame avoit aussi fait serment qu'en disoit de ycelluy demandeur ne rauroit jamais ledit cordon & puis l'avoit liberalement donné de bon cueur audit deffendeur a la charge touteffois de le porter pour l'amour d'elle comme il avoit fait/ parquoy ledit arrest ne se pouoit soubstenir/ ne requerir mainte levee ne provision d'avoir ledit cordon a sa caution. A quoy de ladicte partie de ce demandeur fut repliqué au contraire disant que toutes et quanteffoys que il trouve ce qu'il luy appartient et par don il le peult prendre de fait et faire proceder par voye de arrest comme sadicte chose Or disoit il que le cordon luy appartenoit de don a luy faict par sa dame ledit deffendeur confessoyt mesmement. Et ainsi l'arrest estoit bien recepvable. Et au regard de ce qu'il avoit regeté par despit n'estoit pas vray/ mais disoit que pour ce que ladicte dame luy reprochoit bien ledict cordon & que luy sembloit qu'il en devoit estre plus subgect vers elle/ iceluy demandeur luy avoit rebaillé en ceste intencion/ et touteffoys pour le luy garder. et nompas pour le donner a ung aultre amant. Disoit oultre plus que ce n'estoit pas trop grant honneur audict deffendeur de se vouloir ainsi fringuer/ ou de vouloir porter des biens dont les autres avoyent par avant fait leurs monstres et grans jours et quant a la provison n'en escheoit point/ mais se la matiere estoyt disposee a embellir/ elle luy debvoit estre faicte avant que audit deffendeur veu que il estoit despointé et mesmes que pour enrichir et embellir le dessusdit cordon il luy avoit faict mettre quatre ou cinq perles & de menues pensees tout a l'entour. Surquoy ledit deffendeur dit au contraire que des incontinent que ung amant contemne les biens donnez par sa dame de quelque estat que il soit il se rend indigne de les tenir & posseder & peult bien icelle dame les luy oster & faire arracher devant tout le monde/ et puis le donner ou il luy plaist. et ne portoit pas ycelluy deffendeur ledict cordon pour faire quelque desplaisir audit demandeur/ mais tant seulement pour complaire a ladicte dame & luy obeir comme il estoit tenu de faire. Les parties ouyes a plain furent appointees par le juge ordonné en droit & depuis par sa sentence les appointa contraires et en enqueste. et au regard de la provision requise par chascune des partyes il ordonne que en baillant caution par ledit deffendeur de rendre et restituer ledict cordon toutes & quanteffois que il seroit ordonné il luy seroit rendu et delivré pour en jouyr pendant le procés soubz la main d'amours & jusques a ce que aultrement en fust appointé & sans prejudice des droictz de parties. De laquelle sentence ledict demandeur c'est tenu agravé et a appellé en la court de ceans ou ledict procés a esté receu pour juger. et si a la court veu ycelluy procés et tout ce qui faisoit a veoir en ceste matiere/ et tout veu dict que tant que le juge ordonna que ledit cordon seroit entierement rendu et delivré audict deffendeur sans declairer que les perles et menues pensees que ledit appellant y avoit faict mettre du sien a sa plaisance en seroyent ostees que il juge mal. Et au surplus bien en amendant le jugement la court dit que lesdictes menues pensees faictes a perles seroyent premierement ostees dudit cordon et baillees au demandeur pour en faire ce que bon luy semblera & au surplus renvoyez les parties a huytaine par devant ledict juge pour proceder sur le principal ainsi qu'il appartiendroyt par raison.