Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .xxiiii. arrest
En la court de ceans c'est assis ung aultre procés entre une jeune dame appellante d'une part/ et ung jeune amant intime d'aultre part. et disoit ladicte appellante que comme entiere et loyalle ou elle debvoit estre elle avoit esconduit ou debouté ledit intime Touteffois affin qu'il n'en feust mal content ou qu'il ne cuydast qu'il eust haine a l'encontre de lui faisoit tousjours ung commun acueil comme aux aultres. Or disoit elle que une journee ainsi comme elle et d'aultres de ses voysines jouent au propos il se vint seoir auprés d'elle. Et advint a son tour que ainsi qu'il parloit a elle a l'oreille pour luy dire son mot et proposer dessus que icelluy gallant en haulsant la pate du chapperon la baisa tout a coup/ duquel baiser ainsi prins d'emblee et par trahyson ceste dame si a appellé et relevé/ et pource concluoit tout pertinent qu'il avoit esté mal procedé & tres mal exploicté par ledit amant et bien appellé par elle offrant prouver et demandoit despens. et au surplus elle requeroit que il luy fust deffendu de plus ne luy toucher en quelque façon que ce fust De la partie dudict amoureux intime fut deffendu au contraire et disoit que voirement se trouva assis avecques elle/ et plusieurs aultres qui jouoyent audit propos & fut vray qu'en s'approchant vers elle pour luy dire le mot qu'il avoit pensé son pied luy grila devers elle & ainsi lui cuidant dire en l'oreille sa bouche froya ung peu contre sa joue/ mais cella ne doit estre reputé pour ung baiser car ce n'estoit que ung glyssement. Aussi n'avoit il touché que contre la joe et l'orelle. Et n'y avoit eu saveur ne odeur quelconque ains encore luy rechigna elle comme s'elle l'eust voullu menger pourquoy de se plaindre avoit ladicte dame grant tort. et n'estoyt l'appellacion recepvable ne valable veu mesmement qu'il ne luy avoit faict aucun grief et pour ce concluoit a ses fins et qu'il fut dit qu'elle avoit mal apellé offrant a prouver et demandoyt despens. Cest appellant pour ses replicques disoit que par telz moyens prendre baiser c'est larcin publique & que l'en ne pourroyt pugnir telz malfaicteurs/ car c'est a eulx trop entreprins et en peult venyr trop d'inconvenient Et peult estre que ceulx qui les voyent ainsi prendre ne l'oublyoient pas aussy de legier et pensent a l'adventure ce qui n'est pas et aussi quant les autres a qui la chose touche le sçavent ilz en prennent des merencolies & aussi des desplaisances beaucoup et cuident souvent que leurs dames par ce moyen ayment autres que eulx parquoy avoit appellé dudit baisier l'appellation estoyt bien recepvable. Et ne valloyt rien de dire au contraire que cela ne luy portoit point de prejudice car ce n'estoyt pas son plaisir qu'il la baisast ne touchast en aucune maniere et concluoit comme dessus Mais ledit intime pour ses dupliques disoit que autant en emportoit le vent et que nul qu'elle ne pouoyt sçavoir qu'il l'eust baisee : car la pacte du chapperon estoit au devant Finablement les parties ouyes elles ont esté appointees en droit et au conseil. Si a la court veu ledict procés ce qu'il failloit veoir en ceste matiere : Et tout veu la court mect ceste appellation au neant et sans amende ne despens et ordonne la court que doresnavant l'en ne jouera plus audit jeu de propos sinon que dangier ou chagrin soient entre deux & pour cause