Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .xxx. arrest
Ceans c'est plaint ung amoureux d'une sienne dame qu'il a longuement servie disoyt que du temps qu'il eut premierement congnoissance a elle y estoit bien aise et avoit du sien largement. Et quant elle luy demandoit aulcune chose a prester ou donner jamais ne luy eust reffusé Or estoit vray que pour tousjours fournir aux fraictz et aux grans chieretés sa chevance y avoit esté employee. Et tellement que les eaues estoyent devenues bien basses/ mais il cuydoit que elle luy deust subvenir comme il a fait a elle l'a prier de luy aider et de l'entretenir dont n'a riens voullu faire/ ains luy a plainement respondu qu'il perdoit son temps. Et que puis qu'il n'avoit plus de quoy elle n'en tenoit compte/ et non contente de ce luy a faict dire qu'il se retire chiez ses amys/ car plus n'avoit intencion de l'aymer ne aucun bien luy faire. Et encores qui pis est se mocque de luy devant les aultres en le monstrant au doy qui luy est plus dur martire que qui luy frapperoit d'ung cousteau parmy le cueur Si requeroit finablement ledict amant que sadicte dame feust condampnee non obstant son adversité de l'entretenir seullement en amour & luy faire bonne chere comme elle soulloit/ et qu'il feust preferé devant tous les aultres attendu mesmement qu'il estoit des premiers venus & des anciens serviteurs De la partie de ceste deffenderesse fust deffendu au contraire/ et disoit pour son prouffit que quiconcques veult d'amours jouir baille l'argent devant la main et que c'est grant follie que de s'attendre a escuelle d'autruy s'il ne la fournist et remplist Disoit avecques ce/ que le gallant au temps de sa fortune/ et que les biens luy venoient en dormant il s'est mescongneu et en a festoyé d'ungs et d'autres dont il se feust bien peu passer Et se maintenant se il en a disette/ il ne est pas trop mal employé : et quant est de l'aymer elle disoit qu'elle n'y estoit point tenue/ car les biens et vertus qui soulloyent estre en luy n'y sont plus et ne failloit ja ramentevoir les bonnes cheres du temps passé/ car ledit amant luy a faict tant de plaisirs & services aussi luy a elle faict plusieurs services qu'il n'est ja besoing de declairer & puis que ainsi est que povreté maintenant le guerroye adonc elle n'en veult plus ne en avoir plus la garde/ Car aussy au lieu ou elle habite n'y a que toute malheureté et jamais ne se y treuve joye. Et quant est au surplus pour les biens qu'elle luy peut faire luy offroit ung povre baston en sa main pour s'en aller avecques la prebende de vat'en pour recompensation de ses services en concluant que a tort se complaignoyt d'elle et en demandoit despens. Aprés lesquelles deffences proposees les gens d'amours qui s'estoyent adjoinctz avecques ledit amant disoyent que ceste femme n'estoit pas digne qu'on parlast d'elle devant les gens de bien car par son propos jamais n'ayme que pour argent et ainsi confessoyt avoir vendu les biens d'amours & qu'elle en a meschamment usé en son temps et aussi pareillement estoit voix commune renommee qu'elle ayme tousjours troys ou quatre et qu'elle les succe jusques aux os. et puis encore s'en mocque qui est pis/ car quelque femme que se soit jamais ne doit despriser le serviteur qui l'a servie combien qu'il luy souvienne de beaucoup de fortunes/ et requeroyent lesdictes gens d'amours a l'encontre d'elle qu'elle fust condempnee a faire amende honnorable et a luy rendre & restituer tout ce que elle a eu de luy et dont il debvoit estre creu par son serment veu la maniere de proceder/ et avec ce qu'elle soit bannye a tousjours dudit royaulme d'amours comme indigne d'y converser. Ce povre amant pour ses repliques disoit que entant qu'il luy touche qu'il estoit encores content que tous les biens qu'il luy avoit donnez demourassent pour elle/ comme siens et ne vouloit qu'on luy en ostast rien mais requeroit seullement qu'elle l'aymast comme devant et encores promettoit de luy en faire. A quoy elle respondit que quant elle le verroit en feroit son debvoir mais jusques alors luy conseilloit de changer air pour recouvrer santé obvier que il ne fust plus malade. Et disoit oultre que a la contraindre a aymer l'en ne sçauroit/ et aussi telle amour qui seroit donné par force ne dureroit point/ mais plus de mal faict a celluy qui l'obtient que s'il n'en avoit point. Si ont esté les parties ouyes appoinctees en droit & au conseil/ finablement veu le procés considerer tout ce que il failloit considerer en ceste matiere la court dit qu'elle condamne ceste rebelle femme a rendre et restituer audit amoureux tout ce que il affermera en sa conscience luy avoir baillé et donné/ nonobstant l'offre par lui faicte de ne luy en vouloir aulcune chose demander. A laquelle offre la court ne obtempere point veu que ladicte deffenderesse ne l'a attemptee & qu'elle s'est rendue ingrate. et ordonne que a ce faire sera contrainte par la prinse de ses biens & emprisonnement de son corps. Et a tousjours la bannist des biens et service d'amours en disant avoir forfait de corps et biens en maniere qu'elle sera abandonnee a ung chascun pour desormais servir le commun & devenir a tous publique.