Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .xii. arrest.
Par devant les dames de conseil d'amours en ladicte chambre de plaisance c'est assis ung autre procés entre ung aultre tresbeau et jeune filz bien amoureux demandeur & complaignant en cas de saisine et de nouvelleté d'une part & une gracieuse dame deffenderesse d'autre part. Et disoit ledit demandeur que ja pieça par alliance d'amours luy et elle se donnerent l'ung a l'autre et promirent de vivre et mourir ensemble comme deux vrais amans sans jamais departir par quelque malheurté qui peust advenir et en ce point en conferment l'aliance en eut plusieurs baisers donnez de si tresbon cueur que les larmes en venoyent de joye aux yeulx d'ung chascun. Disoyt avec ce ledit amant que aprés l'alliance et confirmation ainsi faicte sollempnellement eulx deux promisrent encore qu'ilz seroyent communs en biens & que l'ung ne feroit jamais chose qui despleust a l'autre mais ce que l'ung vouldroit l'autre consentiroit/ affin que l'amour durast tousjours. or disoit ledit demandeur que a ce tiltre & par les moyens dessudictz avoit droit & estoit en bonne possession et saisine que ladicte dame ne pouoit ne debvoit acointer ne s'ayder d'autre que luy ne luy faire autre chere. en possession & saisine qu'elle ne leur debvoit ryre ne faire le petit genoul. en possession et saisine qu'elle ne debvoit saluer ne parler a eulx en quelque maniere que ce feust s'il n'y estoit present. en possession et saisine qu'il devoit & est sur tous le mieulx aymé & recueilly grandement quant il parle a elle sans luy rechisgner ne tourner la teste de costé ne d'aultre. en possession/ et saysine que quant il se veult esbatre avec elle & luy doit dire les sornettes qu'elle luy doit respondre gracieusement comme elle faisoit au commencement & en riant sans le mespriser ne contempner. En possession & saisine que quant elle veult aller jouer et esbastre aux champs qu'elle luy doibt faire assavoir pour y aller ou sans y mener d'autres. en possession & saisine qu'elle ne doit souffrir prendre les liens de sa chausse/ aulcuns qui en font les sursaintes & qui les portent entour eulx en lieu de sainctures. En possession & saisine que se d'advanture il la boutte en passant par la rue par le costé ou qu'il gecte une violette que elle ne luy en doit point gecter les groins ne faire aulcun semblant qu'elle en soit courroucee. en possession et saisine que s'il arrive en son hostel ou en aultre lieu ou elle soit assise elle doit reculer sa robbe pour luy faire place. Mais ce nonobstant ceste deffenderesse depuis ung peu de temps en ça luy a tenu et tient les plus estranges termes du monde/ car quant il la salue et rencontre elle n'en tient compte/ ains faict semblant qu'elle ne le vit jamais. Et avec ce tient parolles a plusieurs autres galans en leur faisant plus grant chiere que a luy & luy sembla maintenant qu'elle preigne a desplaisir tout tant qu'il luy dit & faict. Et bien souvent quant elle le voit d'ung costé elle va de l'autre en le mocquant & desprisant & mettant a non challoir le temps passe et l'alliance qu'elle a faicte. Et oultre plus quant il se veult jouer a elle ainsi que il avoit accoustumé elle l'injurie & menasse de frapper & ce fait n'a pas granment qu'il tiroit sa quenoille par derriere elle se courrouça moult aigrement et jura que s'il y venoit plus elle luy en bailleroit sur la teste en troublant & empeschant ledit complaignant en ses possessions & saisines a tort & sans cause indeuement & de nouvel puis an et jour en ça. Et pource concluoit en matiere possessoire tout pertinent/ & en cas de delay demandoit la recreance Et pour deffence ladicte deffenderesse disoyt que de raison naturelle feminine nulle dame n'est tenue d'aymer se la personne qui la requiert ne luy plaist ou agree et que aultrement le faire seroit trop a contempner tous les biens d'amours qui viennent de plaisir et joye. or ce pressuposé disoit que cest amant se fyoit trop en ses pensees et folles ymaginations Il cuidoit que tout ce qu'il pourpensoit devoyt advenir/ dont il estoit bien loing ne n'estoit coustume a advenir a telz biens par force et pour parler a cheval veu que tous ceulx qui se humilioyent jusques en terre et qui ne servent que d'obeyr et complaire a grant paine y peuent parvenir. Disoit avec ce qu'elle l'avoit aymé comme femme doit aymer ung chascun/ mais qu'il y eust aliance ou promesse particuliere entre eulx deux et telle qu'il l'avoit baptisee il ne la trouveroit point/ car tousjours avoit esté entiere et maistresse de soy comme encore avoit intencion d'estre/ et ne failloit point qu'il se plaignist d'elle atendu que a luy ne a aultre n'a mal fait. Et quant est des possessions qu'il prenoit a l'encontre d'elle disoit qu'elles n'estoyent recevable car selon raison gardee en matiere d'amours on ne peult empescher que femme ne caquette/ parle/ salue/ rye/ ou bon luy semble. Et d'aultre part ung serviteur ne doit estre receu a prendre complaincte contre sa dame tout ainsi que ne fait le vassal contre son seigneur. Et la raison est bonne/ car ce seroyt attribué domination & seigneurie a ceux qui n'en ont point et qui n'en peuent avoir sinon par le moyen et courtoisie des dames/ et par ainsi doncques ce ceste dame avoit de grace aymé le gallant Cela pourtant ne l'obligeoit pas a l'aymer tousjours ne n'y avoit point d'aparence de dire qu'elle fust contrainte faire ce qu'il vouldroit bien souvent pensee de femme se change Et au faict de la quenoulle respondit que voirement pour ce qu'elle n'estoit lors en ses bonnes qu'il vint a elle tout estourdy se elle l'eust peu attaindre elle l'eust frappé. disoit oultre que par les moyens dessusditz estoit en possession et saisine de resister et esloingnier ledict amant et de ne luy faire chiere ou feste comme au plus estrange d'alemaigne en possession et saisine de luy dire plainement allez vous en vous m'ennuyés et de contredire a toutes ses voulentés en posession et saisine de ne le daigner regarder ne dire a dieu s'il ne luy plaist se bon luy semble en possession et saisine qu'il ne se peult nommer ne dire son serviteur ne tenir riens d'elle en possession et saisine de tout ce qu'elle fait ou dit qu'il ne luy appartient point de parler ne de mot sonner. en possession et saisine que s'il veult avoir dame qu'il la doit aller querir ailleurs. En possession et saisyne s'il estoit efforcé ou efforçoit de faire le contraire des possessions et saisines dessusdictes de le contredire & empescher et le tout luy fayre reparer et mettre par justice au neant et au premier estat et deu en proposant du costé d'elle possessoire pertinent et en cas de delay demandoit la recreance mais sur ce ledit amoureux qui replicquoit et disoit que au regard de nyer l'aliance & promesse faicte entre eulx ladicte dame avoit grant tort car elle avoit passees et accordees par serment mais d'en faire apparoir par lettres que ledict complaignant ne pourroit pource que alors n'y avoit que eulx deux & au regard la jouissance et possession qu'il avoit eu depuis au moyen de ce il la prouveroyt aussy clere que le jour Parquoy devoit souffire a son intencion/ disoit aussy que ses possessions estoient bien recepvables car elles ne tendent que a acomplir et executer ce que sadicte dame mesme la voulu. C'est assavoir de ne faire chose a son pouoir qui luy puisse tourner a dommaige & ennuy Or disoit il qu'il n'est aujourd'huy plusgrant desplaisir que de veoir ung estrangier festoier & avoir le bien qu'on a desservy/ parquoy il estoit bien fondé et ne vouloit point ledict complaignant empescher qu'elle ne parlast rie ou fist bonne chere a qui bon luy sembleroit/ mais qu'il feust toutsjours bien venu et aussi qu'il feust asseuré que quelque chose qu'elle fist aux aultres si seroyt mieulx aymé dont elle faisoit le contraire/ car elle le rigolloit plus que se jamais ne l'eust veu & supposé que l'on dit que subgect ou serviteur ne peut intenter complaincte contre sa dame/ toutesfois il disoit que ceste raison n'avoit point icy lieu/ car pour le moyen de la solution & aliance qu'elle mesmes avoit fait il estoit devenu seigneur & avoit autant de puissance qu'elle ne plus ne mains ne n'eust pas deffendu que ung subgect et serviteur ne se puisse complaindre de sa dame ains est permis de droit quant elle le griefve ou luy fait extorcion comme au cas qui souffre. Aultrement aussi n'y auroyt jamais reparation et seroient povres amoureux et trop tenus de court mal traictez & concluoit comme dessus Mais ceste deffenderesse disoit au contraire que tous les biens d'amours gisent en grace des dames et qu'on ne se peult complaindre. car elles mesmes ne sont pas maistresses pour ce qu'il fault que les biens voisent aux sainctz a qui ilz sont vouez et ou amours les veult departir et ainsi doncques de se plaindre d'amours qu'il fait departir la grace ou il luy plaist la complaincte n'est recevable et n'y faisoit riens l'aliance car telz biens ne se peuent par aliance obliger ne engaiger ainçoys toutes promesses qui seroient & sont faictes au contraire et prejudice des dames sont nulles ipso jure ne n'en fault point de relievement et la raison est bonne car dames sont exemptes de force & servitude et fault venir a elles par supplication & par ainsi donc d'y venir par complainte & prendre telles possessions pour les mettre en subjection et servitude n'y auroit point d'apparence/ surquoy parties ouyes finablement lesdictes dames du conseil d'amours en la chambre de plaisance les appointerent de faire de chascun costé examen de .xii. tesmoins pour valoir a fin principal que de recreance et depuis ledit examen fait & que les parties eurent produit icelles dames du conseil par leur sentence dirent et declarerent que cest amoureux demandeur ne faisoit a recevoir comme complaignant et que a tort il c'estoit dolu et complainct que a bonne et juste cause ladicte deffenderesse c'estoit opposee et la maintindrent & garderent es possessions & saisines par elles pretendues en levant et ostant la main d'amours et tout empeschement a son prouffit et si le condampneront a ses despens. De laquelle sentence ledit amoureulx c'est sentu agravé et en a appellé en la court de ceans ou le procés a esté receu pour juger sauf a faire droit prealablement sur l'enterrinement de certaines requestes civilles lesquelles avoyent esté obtenues par ledict appellant pour estre receu a produyre ung pied de voultour d'argent doré que sa dame luy avoit donné pour curer ses dens avec ung petit d'or fait a lermes qu'il avoit tousjours porté et portoit encores pour l'amour de elle entre la chemyse et la chair affin de monstrer par ce de sa pocession : et aussi de l'acointance qu'il avoit eue avecques elle laquelle avoit nié lesquelles choses avoit obmis de produire en son procés principal pour oubliance Si a la court finablement veu ledit procés examens requestes civiles & tout ce que faisoit a veoir en ceste dicte matiere et tout veu la court dit qu'elle ne obtempere point a la requeste civile/ neantmoins qu'il fust mal jugié par lesdictes dames du conseil et bien appellé par l'appellant et en amendant le jugement la court dit que ledict complaignant est bien a recepvoir & que a juste cause il s'est doulu et complainct et que a mauvaise cause ladicte deffenderesse s'est opposee/ maintient et garde la court icelluy amant complaignant en toutes ces pocessions & saisines en levant et ostant la main d'amours et tout empeschement a son prouffit/ et si condampne la court ladicte intimer es despens de la cause d'appel et principal la tauxation reservee par devers elle.