Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .xxv. arrest.
Ceans c'est plaint ung amoureux d'une sienne dame/ disant que combien qu'il l'ait longuement servie et qu'elle ait peu apparcevoir sa bonne voulenté/ neantmoins elle ne l'a voullu aymer ne prendre en grace/ ains luy a ja respondu par plusieurs fois qu'elle ne le veult aymer plus luy que ung aultre & qu'elle ne sera subgecte en amours tant qu'elle vive affin qu'il se pourvoye ailleurs/ Et ainsi se povre gallant a des maulx beaucoup a souffrir/ car il a mis tout son cueur en elle qu'il en vouldroyt bien oster et retirer/ Mais il ne peut et pource requeroit qu'elle fust condempnee a le recepvoir en sa grace comme son serviteur et amy : ou aumoins qu'elle fist tant qu'il ne luy souvenist plus d'elle et ne luy en chaulsist point. Et sur ce a ladicte dame deffenderesse deffendu au contraire disant que au regard d'elle pour obvier aux grans maulx qu'elle veoyt tous les jours advenyr a ceulx et celles qui sont au plaisir & service d'amours elle ne veult personne aymer ne mettre son cueur plus a l'ung que a l'autre/ car selles qui le font s'en tiennent deceveurs : et advient voullentiers qu'elles en seuffrent beaucoup d'oprobres et en perdant leur bonne renommee/ dont aulx gallans ne chault guieres/ car ilz ne pensent que a leur singulliere voullenté/ et leur semble que ce qu'ilz songent leur doibt advenir dont ilz sont bien loing Et aussi pour faire tout uny n'avoyt ladicte dame entencion d'aymer aulcun/ ains voulloyt demourer et la franche liberté. Et ledict complaignant avoyt mys si fort son cueur en elle qu'il ne l'en pouoyt oster dont c'estoyt follye a luy/ car il aymoit sans partie Et quant est de requerir qu'il ne luy souviengne plus d'elle : respondict ladite dame qu'elle ne le sçauroit garder de songier et de penser a elle/ se luy mesmes ne s'en voulloyt garder/ Car elle n'avoit pas la clef de son cueur. Aussy telz pensemens ne viennent que de folles voullentés qui suffocquent les cueurs des gens par trop legier croire & fole esperance en quoy l'en ne se doibt fier : mais en tant qu'il luy touche ne luy souvient de luy que bien a point. Et disoyt oultre qu'elle ne peche en riens qu'il ne l'oste de l'amour qu'il dit avoir en elle veu qu'il s'i abuseroit trop longuement. Si concluoit par ses moyens affin d'absolucion et demandoit despens/ et aprés le procureur d'amours qui touchant ceste matiere c'estoit adjoint avec ledit povre amant demandeur. Si disoit que une femme de quelque estat qu'elle soit s'elle n'est une fois en sa vie amoureuse et au service d'amours elle ne sera jamais bien venue du monde/ ains doibt estre reputee tout son temps comme une beste brute qui n'a point d'entendement/ car tous biens viennent d'aymer et qu'il soit vray l'en le peult veoir par experience de celles qui ayment car d'amours vient joye plaisance et desplaisance/ aise et desaise de tous les biens du monde ne n'aura jamays femme ne homme qui soit amoureulx disette de biens/ car l'en a tousjours assés et vault myeulx ung soubzrys/ ou ung petit genoul ou quelque petit signe que l'en s'entregette l'ung a l'autre que avoir cent muys de blé au grenier car au moins telz biens d'amours ne se peuent diminuer et si ne les fault point vanner pour les chardons. Et aussi l'en voit communement que une femme qui est amoureuse est tousjours joyeuse ne n'y a celluy qui ne tasche a luy faire plaisir. et si s'entrebat l'en encores pour estre des premiers a la servir elle sera tousjours coincte jollye et bien cueillie et n'y a ordure qui s'osast prendre a sa robe/ mais au contraire celles qui renoncent au servyce d'amours sont maleureuses et chetives et ne veult l'en avoir a faire a elles sinon en passant pour dire dieu gard et a dieu dame. Et tous les plus grans biens qu'ilz peuent avoir c'est quant elles se treuvent es festes ou on dance ou en aultre lieu qu'on fait bonne chere qu'elles sont assises en banc pour parler du temps passé regardés le personnages et vieulx habitz qui sont pourtraictz en ses tapisseries de nopces de deviser illecques a ung coingnet du temps jadis n'avoyent garde d'eux habiler de telz habitz qui courent maintenant/ et l'une belle commença a dire tout est changé/ et qu'elle ne congnoist plus rien au monde/ et l'autre dira que ce n'est que folie d'y mettre son cueur veu qu'il fault mourir/ et en ce prennent leur deduyt et ne leur dure gueres/ car quelque chose qu'elles en disent elles vouldroient en leurs cueurs estre aussi jolyes que les aultres et avec ce elles n'ont point de bien car lors n'en tient l'en pas grant compte/ parquoy n'ont point de joye ne liesse ains languissent sur le pied & pource disoit ledit procureur d'amours qu'il avoit choys de l'ung a l'autre et qu'il ne pouoyt croire que ceste dame de si vaillant cueur reffusast son service/ et affin que il en sceust la verité requeroit qu'elle jurast c'elle vouloyt a tousjours renoncer aux biens & service d'amours surquoy elle interroguee dist et afferma que ouy & qu'elle n'avoit cure d'aymer quelque gallant que ce fust pour aucunes causes que a ce la mouvoient. Ouyes les responces et affirmations ledict procureur d'amours print ses conclusions a l'encontre d'elle tant qu'elle fut banie & privee a tousjours du royaulme d'amours/ et des biens qui y sont et qui n'y eust personne qui se esbahyst ne parlast a elle en quelque maniere que ce fust sur peine de confiscation de corps et de biens et qui tous ceulx qui luy verroyent desormais tenyr boucquetz les luy allassent arracher des mains devant tout le monde comme indigne de les porter Et avec ce que nonobstant la renonciacion par elle faicte et sans prejudice d'icelle fust condampnee a le saluer et rire de l'oeil et de bouche tant seulement et pour ce gallant aimer tant qu'il fust revenu a santé de la maladie qu'il avoyt a cause d'elle. Et oultre requeroit que a greigneur seureté il fut baillé a elle en garde pour le penser durant sa maladie en telle maniere que s'il rechet jamais en l'estat l'on s'en pourra prendre a elle. Et aussi qu'elle fust tenue de respondre ou que telles aultres conclusions fussent adjugees audict procureur d'amours qui la court aviseroit Surquoy ladite dame dessusdite disoit que veue la revocation par elle faicte de ne aimer ne d'avoir aucuns biens d'amours/ l'en ne luy pouoyt plus rien demander : car elle estoit exempte de la court/ et non tenue de proceder/ mais devoyt estre mise hors de procés Et quant est des conclusyons prinses contre elle par les gens d'amours disoit qu'elles n'estoyent recepvables : car amour vient de voulenté et de plaisir. Et ainsi doncques puis que une foys elle avoyt declairé que son plaisir n'estoit point d'aymer l'en ne la devoyt de raison contraindre par force aymer ne ne s'en devoit plus la court mesler. Et au regard d'avoir en garde le malade : elle respondoyt qu'elle n'en prendroit jamais la charge : pour ce qu'elle avoit assés a faire de se garder elle mesme. Et quant est de porter fleurs ou boucquetz bien s'en passeroit Mais le povre amant par ses repliques disoit qu'il estoyt content qu'elle demourast en sa liberté et qu'elle feist tout ce qu'elle voudroit pourveu qu'il ne luy souvint plus d'elle combien qu'il ne luy estoyt possible que jamais la sceut oublier/ et s'en estoit bien esforcé tant par voiages et pelerinaiges qu'il en avoit fait que aultrement car tout rien n'y a voulu/ car de tant plus qu'il en estoit loing c'estoit alors qu'il avoit plus grant desir de s'en approucher. parquoy son cas estoit pitoyable et moult favorable entendu mesmement qu'il n'estoit possible de recevoir garison synon de la grace de sadicte dame pour occasion de laquelle sa maladie luy estoit venue : et a ce qu'il fust guery et estoit content de mourir entre ses mains/ en offrant de la quiter de sa mort et aussi de deffendre a ses heritiers de ne luy en jamais rien demander Mais ladicte dame perseveroyt tousjours en ses reffus disant que celles qui y sont bien se y doivent tenir/ et que de soy obliger en une chose ou elle n'est point tenue jamais ne le feroyt pour rien. Oultre elle disoit qu'il ne luy souvient de luy/ parquoy ne luy doibt point souvenir d'elle : et est bien grant simplesse d'y mectre son cueur si avant que on ne l'en puisse oster A quoy le povre homme respondit que l'on n'en est pas maistre qui veult/ et que s'il s'en pouoit une fois deffaire jamais elle ne aultre n'aymeroit si parfaictement au moins qu'il ne sceust bien comment. Ouyes lesquelles parties en tout ce qu'elles ont voulu dire et alleguer elles ont esté appointees a mettre par devers la court et au conseil. Sy a la court finablement veu ledit procés avec ce qu'il failloit veoir et visiter en ceste matiere. Et tout veu et consideré la court dit que veu et visiter la renonciation faicte par ladicte dame deffenderesse de ne servir jamais a amours elle ne tiendra court ne congnoissance de ceste matiere mais elle ordonne qu'il sera deffendu a tous galans subjetz & serviteurs d'amours qu'ilz ne soyent si osez/ ne si hardys de la mener danser en quelque feste qu'elle soit ou voise ainçois qu'on la laisse toute comme une femme habandonnee et bannie de toute joye. Et pareillement sera deffendu a tous cousturiers qu'ilz ne luy facent aucunes robbes ou vestemens a la nouvelle façon/ mais que ilz mettent tousjours en celles qu'ilz luy feront ung gros ply entre deux menus que devant ou derriere elles soyent mal arondies que legier passe d'ung costé affin que chascun congnoysse que avant ses jours elle deviendra chartreuse/ et que par ce moyen elle soit esloingnee et privee de toute joyeuse compagnie. Et au regard de la provision requise par ledit povre amant malade/ la court dict que elle n'y peult toucher mais de grace combien qu'il ne soit acoustumé de faire/ luy conseille de se pourveoir ailleurs de dame/ ou de se vestir de dueil/ affin que le cueur d'elle puisse ung peu amollir.