Les cinquante et ung arretz d'amours
¶ Le .x. arrest.
Devant le juge de la garde des seaux establés aux contractz d'amours il c'est assis ung autre procés entre ung amoureux demandeur en matiere de recision de contrat usuratif d'une part/ & une sienne dame et amye deffenderesse d'aultre part. Et disoyt ledict demandeur que de raison & selon les ordonnances toutes usures sont en amour prohibees et deffendues et que l'en n'en doibt point user. Or ce presuposé disoit que du temps que il accointa ladicte dame luy estant en la grant chaleur et voulant bien complaire a elle se ingera pour entrer en la grace de luy offrir corps et biens en luy faisant plusieurs dons et gratuites/ & fut bien vray que en ce temps ledit gallant qui estoit fort feru et surprins de l'amour de elle et ne luy chaloit qu'il feist luy promist & obligea de luy mener toutes les festes de l'annee entre minuyt/ Et le point du jour le tabourin et les bas menestriers pour la resveiller en son lict et oultre luy promist de luy donner a toutes les estraines ung beau chapperon de demy graine et aussi une robbe neufve a chascun premier jour du mois de may de telle couleur qu'elle la vouldroit et aussi estoyt obligié de changer et porter pour l'amour d'elle tous les moys une robbe neufve a la devise d'elle lesquelles choses il avoit continuees ja par long temps Mais il en estoit fort lassé veu que la charge estoyt bien grande et disoyt que ledict contract ne se pouoit pas soubstenir/ car pour les biens/ et plaisirs dessusdictz qu'il estoyt tenu de faire a ladicte deffenderesse s'il ne amendoit d'elle il n'en avoyt pour toute recompence que ung seul baiser quant il la pouoyt trouver a part qui n'estoit pas juste ne egalle recompensation. Et aussy la deception y estoit toute clere. Et disoyt en oultre/ que lesdictz menestriers et robbes et chapperons sans les autres bagues ne la paine de luy pour la poursuitte coustoyt tous les ans une grant somme d'argent qui luy convenoit bailler et trouver/ et payer de sa bource pour complaire a elle & luy faire plaisir/ et touteffoys de son costé ne luy donnoit que ung seul baisier ne n'y mettoit du sien que la bouche/ ou la joue enquoy elle gaignoyt plus de la moytié et sans main mettre parquoy l'usure y estoit toute clere et pource elle concluoit et requeroit ledict amant que ledict contract feust recindé et adnullé et demandoit despens. De la partie de ladicte deffenderesse fut deffendu au contraire et disoit que de l'appeller usuriere ledict amant avoyt grant tort car avecques luy elle n'avoit gueres gaigné. Mais il advient souvent que pour faire plaisir l'en a dommage. Et pour passer oultre disoyt que se elle ne l'eust jamais trouvé luy eust esté grant prouffit/ pour luy avoit souffert de malles nuytz dont elle estoyt petitement recompensee et ne failloyt point qu'il se plaingnist dudict contract/ car ne luy avoit pas faict faire/ mais luy mesmes l'avoit poursuivy et chassé. Disoit aussy qu'elle ne le contraignoyt point de envoyer aulx festes les menestriers devant son huys ainçoys y venoient jouer telles fois qu'elle eust bien voullu qu'ilz en eussent esté bien loing Car de les ouyr quant l'en a pas le cueur en joye est regrettement de dueil et planté de pleurs et de lermes Et quant est des robbes si luy en a donné plusieurs et elle les a voulu prendre de tant luy a fait plusgrant plaisir/ et en est bien tenu a elle veu qu'elle luy avoit faict plus d'honneur qu'il ne luy apartenoit de les avoir vestues & portees pour l'amour de luy. Et entant que toutes les robbes neufves dont il s'abiloit tous les mois ladicte deffenderesse disoit qu'elle n'y avoit gaigné ne prouffit et que s'il en voulloyt avoir tous les jours elle ne l'en pourroit pas garder : Disoyt oultre pour respondre au faict de partie que toutes les robbes/ et tout l'argent qu'il sçauroit en tout le monde finer pour faire dons et gratuytés ne sont a comparager seullement a la moytié d'ung baiser/ Car s'il failloit faire estimation ou prisation de l'ung a l'autre et que ce fust chose que l'en peust priser ou estimer l'en trouveroit sans comparaison que la moytié d'ung seul baiser d'une dame octroyé de bon cueur vault mieulx que tous les biens ne l'argent que on sçauroyt donner. Or avoyt ledict amoureux ung baisyer d'elle tout entier et par sa confession mesmes prinse en son prejudice Parquoy de dire le contract feust usuré n'y avoit apparence nulle. Disoyt aussy que ung baisier est reputé en amours pour chose singulliere et espirituelle & qu'on ne le sçauroit trop vendre ne acheter mesmement quant il est procedant de joye et qu'il y a embrassement Si le doit par ses moyens ladicte dame affin d'absolution et de despens. A quoy ledict demandeur par ses replicques disoit que touchant ledit baisier il en avoit autant de payne comme elle & de la joye qu'il en yssoit elle en amendoit aussi bien comme luy parquoy il ne pouoit cheoir en compensation. Et sur ce dupliquoit la deffenderesse que le bien qu'il procede d'ung baiser vient de la grace de la dame qui le donne et nompas de celuy qui le requiert/ car le plaisir vient d'elle et multiplie la joye de celluy a qui il est donné pource dyent les maistres que telz biens ne sont a donner ne a garçonner/ ains il fault que ung homme soyt bien experimenté et qu'il ait bien servy avant que il soit digne de avoir ung baisier. oyez lesquelles parties elles furent par ledit juge de la garde des seaulx appoinctees a produire et en droict. Et depuis par sa sentence il dist et declaira que ledit contract ne estoit point usurier/ et absolut ladicte dame de ses petitions et demandes & le condampna es despens dont il appella en la court de ceans ou ledit procés a esté receu et conclut pour jugier/ et a ladicte court veu ledit procés et tout ce que il faisoit a veoir en ceste matiere/ Et tout veu dict que il a esté bien jugé et mal appellé par ledit amoureux et l'amendera et payera tous les despens de la cause d'appel la tauxation reservee a ycelle.