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Les colombes poignardées: roman

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DÉFAUTS ET QUALITÉS

L’amour est comme la rougeole ou la fièvre typhoïde. De même que ces maladies, il se communique par le contact d’une main, un baiser imprudent, une visite à quelqu’un qui est déjà atteint par le mal.

Voilà qu’à force d’entendre Jacqueline me parler de son amour pour Marco, je deviens insensiblement amoureux de Jacqueline.

Je lui donne des conseils. Je lui dis :

— Quand Marco reviendra, il faudra être plus coquette avec lui. Il ne faudra pas surtout lui dire que vous l’aimez. Marco dit toujours qu’il a horreur des femmes gaies. Pour vous conformer à cette opinion, vous avez diminué votre gaieté, et votre rire qui coulait avant comme une eau pure entre les cailloux blancs de vos dents est maintenant pareil à une source tarie. Vous êtes devenue peu à peu tendre et grave et semblable à l’idéal que Marco dit se faire des femmes. Mais ce fut peut-être là une erreur. Les hommes sont contradictoires et il ne faut pas les prendre au pied de la lettre. C’est quand vous étiez trop gaie à son gré que Marco vous a aimée. Il ne faut jamais perdre sa qualité essentielle, ce qui est votre caractéristique morale dans la vie, de même que si on a une chevelure noire comme la nuit, avec un teint de brune, on ne doit pas la passer au henné pour obtenir une teinte mixte. Marco vous écrit peu en ce moment. Pour obtenir la lettre tendre que vous désirez, croyez-moi, ne lui écrivez pas de longs récits de vos tristesses, mais de simples mots très courts où il y ait entre les lignes votre fantaisie, avec le frisson d’un éclat de rire dans le papier replié.

Je donne ces conseils en toute sincérité. Mais parfois une perfide pensée s’empare de moi. J’ai envie de pousser Jacqueline à d’inhabiles démarches qui lui feraient perdre l’amour de Marco. J’estime que Marco ne mérite pas l’amour d’une femme aussi charmante que Jacqueline, Je le pèse dans une sévère balance, et l’amitié ne met aucun poids dans le plateau pour contrebalancer ses défauts. Je m’énumère à moi-même tous les petits travers de son égoïsme, de son égoïsme vis-à-vis des femmes, qui devraient lui faire du tort à leurs yeux.

Au hasard de la conversation je les rappelle quelquefois à Jacqueline.

Marco est frileux. Il habite un atelier où un poêle, toujours rouge en hiver, donne une chaleur fantastique. Quand Jacqueline vient le voir, si elle manifeste qu’elle a trop chaud, au lieu d’ouvrir un instant la fenêtre, il bourre cyniquement son poêle de charbon et il lui dit : Eh bien, déshabille-toi !

Jacqueline le fait du reste quelquefois, mais si elle est pressée, si elle a des courses à faire ou si elle a mis sa robe avec des agrafes compliquées, elle supporte la chaleur.

Marco, quand il est tard dans la nuit, n’aime pas ressortir de chez lui pour raccompagner sa maîtresse. Il habite un boulevard désert et Jacqueline a peur d’y passer seule.

Marco déclare qu’on ne doit pas avoir peur, qu’il faut raffermir son âme et que même c’est une école excellente pour s’aguerrir que de sortir après minuit. Il ajoute :

— Tu as des taxis à deux pas et je te surveillerai de la fenêtre.

Il sait fort bien que les taxis sont très loin de là et, quand la pauvre Jacqueline s’en va d’un pas rapide, elle n’entend même pas pour la rassurer Marco ouvrir sa fenêtre.

Je rappelle ces petits traits comme des choses plaisantes et sans importance du caractère de Marco et sous couleur de faire de la psychologie.

Je me repens aussitôt après parce que je vois s’attrister les yeux de Jacqueline et que je juge sévèrement ma conduite. Alors, pour me rattraper, je fais l’éloge de Marco, Jacqueline m’approuve, elle surenchérit et cela finit par un hymne d’éloges.

Et puis, je suis tout à fait vaincu quand Jacqueline ajoute à la fin, en rougissant et en détournant les yeux :

— Marco a surtout une qualité, mais je n’oserais jamais vous en parler.

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