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Les colombes poignardées: roman

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FORME NOUVELLE DE LA CAMARADERIE

Que faire quand une femme charmante passe et vous sourit sous ses fourrures, sinon la suivre, pour se rendre compte de cette sympathie inconnue ? Et si elle suit le même chemin que vous, il convient de se réjouir de cette providence qui concilie à la fois vos occupations et l’imprévu d’une poursuite.

Il n’y a pas à délibérer si la femme charmante rentre dans la même maison où vous allez vous-même et si, dans l’obscurité de l’escalier, elle fait confusément signe qu’il y a bien deux places dans l’ascenseur.

Que faire dans ce petit cube errant dans l’espace, si vous sentez un sourire favorable flotter vers vous et si cependant aucune parole ne vous vient aux lèvres, sinon passer à tout hasard votre bras sous celui de votre voisine ?

Que faire si ce bras ne résiste pas, si même il y a une petite poussée vers vous, sinon se rapprocher davantage jusqu’au point de sentir des cheveux légers près de voire visage ?

Voilà les choses qui m’advinrent comme je me rendais, avec le cœur bien triste, chez Jacqueline pour lui raconter mon voyage et le résultat de ma mission. Je l’aimais trop pour lui apporter sans ménagement la vérité et lui causer une peine profonde. Je ne l’aimais pas assez pour tenter de la consoler entièrement, car mon orgueil se révoltait à l’idée de prendre une maîtresse qui aimait encore mon ami et dont celui-ci ne voulait plus. J’allais chez elle plein d’irrésolution et sans savoir au juste quelles explications j’allais lui donner.

Et quand l’ascenseur s’arrête brusquement, et qu’on est dans la situation que j’ai dite, que faire sinon profiter de cette secousse pour embrasser un cou dans des fourrures parfumées ?

— Je ne vous ai pas demandé à quel étage vous alliez, dit la femme charmante avec un éclat de rire.

— J’allais au cinquième.

— Nous sommes au quatrième. Venez prendre une tasse de thé avec moi.

Et je commençais à avoir une fort mauvaise opinion d’une femme qui a une si grande liberté d’allures, quand alors seulement, je reconnus Chinette.

— Oui, j’ai quitté mon hôtel et j’ai repris une femme de chambre, me dit-elle pendant que celle-ci servait le thé. Que voulez-vous ? la guerre est si longue !

Je lui expliquai que j’allais voir Jacqueline qui habitait au-dessus d’elle, mais elle m’assura que ce n’était pas pressé, et je la crus.

— Je vous avais accueilli si froidement, une fois, au début de la guerre, que vous ne vouliez pas me dire bonjour aujourd’hui ! Vous le voyez, je suis redevenue la Chinette d’autrefois et je ne balaye plus mon appartement.

Je lui demandai des nouvelles de son ami. Elle me répondit qu’il avait un sursis, qu’il était aux environs de Paris, et que c’était toujours un homme très ennuyeux.

Que faire quand il faut quitter une femme charmante et qu’on n’en a pas envie ?

Je perçus de petits pas qui marchaient dans l’appartement au-dessus. C’étaient les pas de Jacqueline.

Il y avait de l’impatience dans leur bruit. Chinette aussi les entendit.

— Ces maisons neuves sont construites avec du carton.

Je songeai que ma mission était bien délicate.

— Nous allons dîner tous les deux en bavardant, et vous ne monterez qu’après.

Le dîner fut plein de la plus amicale intimité.

Assurément Jacqueline avait dû sortir, car je n’entendais plus aucun bruit sur ma tête.

Que faire lorsque l’on se propose d’aller voir quelqu’un et que l’on sait qu’il n’est pas là ?

— Jacqueline ne tardera pas à rentrer. Vous n’avez qu’à l’attendre. Nous en serons bien assez avertis, car ces plafonds sont d’une indiscrétion !

Il est extraordinaire combien certaines femmes ont, à un haut degré, le goût des meubles anciens et combien elles sont compétentes sur les styles. C’était le cas de Chinette ; et quand elle était sur ce chapitre, elle ne s’arrêtait plus.

— Voyez combien ce petit bureau, qui ne faisait aucun effet dans mon hôtel, prend de valeur ici. Ne trouvez-vous pas que cette glace est un amour ?

Je dis : oui ! avec sincérité, car c’était son image que je regardais dans la glace.

Peut-être Jacqueline était-elle rentrée sans que je m’en aperçoive, car les paroles de Chinette sur les meubles m’empêchaient de prêter l’oreille à tout autre bruit.

Il devait être assez tard quand nous allâmes voir une délicieuse petite coiffeuse qui était dans sa chambre à coucher. Elle était placée devant la fenêtre, et, pour la bien voir, il n’y avait vraiment pas moyen de faire autrement que de s’asseoir sur le lit.

C’est ce que nous fîmes, et Chinette n’expliqua les beautés de la coiffeuse.

Que faire pour empêcher une femme charmante de parler trop longuement sur les meubles, quand il est tard et qu’on est assis à côté d’elle sur son lit ?

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