Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
CHAPITRE V.
De la Pleurésie.
§. 84. La pleurésie, qu'on reconnoît principalement à ces quatre caracteres; une forte fiévre, de la peine à respirer, de la toux, & une vive douleur dans l'enceinte de la poitrine; la pleurésie, dis-je, n'est point une maladie différente de la péripneumonie dont je viens de parler; ainsi je n'ai presque rien à en dire de particulier.
§. 85. La cause en est, tout comme de la premiere, une inflammation du poulmon; mais une inflammation peut-être plus extérieure. La seule différence considérable dans les symptômes, c'est que la pleurésie est accompagnée d'une douleur très vive que l'on sent sur les côtes, & que l'on appelle ordinairement point. Cette douleur se fait sentir indifféremment sur toutes les parties de la poitrine, mais plus ordinairement sur les côtes sous les mammelles, & peut-être plus souvent du côté droit. La douleur redouble quand on tousse & quand on inspire, c'est-à-dire, quand on tire l'air; & la crainte de l'augmenter, fait que quelques malades s'empêchant machinalement, autant qu'ils le peuvent, de tousser & de respirer, empirent leur état en arrêtant le sang dans le poulmon, qui bien-tôt en est rempli; l'inflammation devient générale, le sang se porte à la tête, le visage devient livide, le malade suffoque & tombe dans l'état décrit §. 46.
Quelquefois la douleur est si violente, que si la toux est forte en même-tems, & que les malades ne puissent pas l'arrêter, ils ont des convulsions. Je l'ai vu plusieurs fois; mais presque toujours chez des femmes qui sont d'ailleurs beaucoup moins sujettes que les hommes à cette maladie & à tous les maux inflammatoires. Je dois avertir ici que si elles en sont attaquées dans le tems de leurs regles, cela ne doit ni empêcher les saignées réitérées, ni rien changer du tout au traitement. L'on voit par-là que la pleurésie n'est qu'une inflammation de poitrine, accompagnée d'une vive douleur.
§. 86. Je sais que quelquefois l'inflammation du poulmon se communique à cette membrane qui tapisse intérieurement la poitrine, & qu'on appelle la pleure, & de-là aux muscles ou chairs qui sont sur les côtes; mais cela n'est pas ordinaire.
§. 87. Le printems est la saison qui produit le plus de pleurésies[10]. Le mal commence par un frisson ordinairement très fort, suivi de chaleur, de toux, d'oppression, quelquefois d'un sentiment de resserrement dans toute la poitrine, de mal de tête, de rougeur de joues, d'envies de vomir. Le point ne se fait pas toujours sentir d'abord; souvent ce n'est qu'après plusieurs heures, quelquefois le second & même le troisieme jour. Le malade sent quelquefois deux points; mais il est rare qu'ils soient également forts, & le plus leger disparoit bien-tôt: d'autrefois le point change de place; ce qui est un bien si le premier se dissipe parfaitement, un mal s'ils subsistent tous deux. Le pouls est ordinairement très dur dans cette maladie; mais dans le cas fâcheux du §. 85, il devient mol & petit. Il vient souvent des crachats tels que dans l'inflammation de poitrine, dès les commencemens, d'autrefois il n'en vient point du tout: c'est ce qu'on appelle pleurésie séche, qui n'est pas rare. Quelquefois le malade tousse peu ou point: il se couche souvent plus aisément sur le côté malade que sur le sain. La marche de la maladie est la même que dans la maladie précédente. Comment seroit-elle différente, & les moyens de guérison les mêmes? Il survient souvent des saignemens de nez très considérables, & qui soulagent beaucoup; mais il en survient quelquefois d'une espece de sang corrompu, quand le malade est très mal, qui annoncent la mort.
[10] Ces Pleurésies sont très communes ici lorsque les vents de Nord, d'Est, de Nord-Est regnent long-tems de suite dans l'hiver, & les vents de Sud, d'Est, de Sud-Est dans l'été.
§. 88. Cette maladie est fréquemment produite par la boisson froide, que l'on prend ayant fort chaud, & alors elle est quelquefois si violente, qu'on l'a vue tuer le malade en trois heures. Un jeune homme mourut au pied de la fontaine même où il s'étoit désaltéré. Il n'est pas rare que les pleurésies tuent en trois jours.
Le point disparoît quelquefois, & le malade se plaint moins; mais en même-tems son visage change & devient pâle & triste, ses yeux se troublent, le pouls s'affoiblit, c'est un transport de l'humeur au cerveau; ce cas est presque toujours mortel. Il n'y a point de maladie dans laquelle les symptômes critiques soient plus violens & plus marqués que dans celle-ci: il est bon d'en être averti pour ne pas trop s'effrayer. La guérison survient souvent au moment où l'on attendoit la mort.
§. 89. Cette maladie est une des plus fréquentes & des plus meurtrieres, tant par elle-même, que dans nos campagnes par le mauvais traitement. Le préjugé qui veut que toutes les maladies se guérissent par les sueurs, regle tout le traitement de la pleurésie; & dès qu'un malade a un point, sur-le-champ on met en œuvre tous les remedes chauds. Cette funeste erreur tue plus de gens que la poudre à canon, & elle est d'autant plus fâcheuse, que la maladie est plus violente. Dans celle-ci il n'y a pas un moment à perdre, tout dépend des premieres heures.
§. 90. Le traitement est précisément le même, à tous égards, que dans la péripneumonie, parceque, je le répete, c'est la même maladie; ainsi les saignées, les boissons émollientes & délayantes, les vapeurs, les lavemens, la potion No. 8, les cataplasmes émolliens & les autres topiques No. 9, sont les vrais remedes; peut-être ces derniers sont-ils encore plus efficaces dans ce cas, & l'on doit en appliquer continuellement sur l'endroit où le point se fait sentir.
La premiere saignée, surtout si elle est considérable, diminue presque toujours le point, & souvent le dissipe entierement; mais il revient ordinairement au bout de quelques heures, ou dans le même endroit, ou quelquefois ailleurs, ce qui est assez favorable, surtout si la douleur qui se faisoit d'abord sentir sous la mammelle, se jette aux épaules, au dos, à l'omoplate, à la nuque.
Quand la douleur ne diminue point, ou peu; ou, si après avoir diminué, elle revient aussi violente que la premiere, surtout si elle revient dans le même endroit, & si la violence des autres symptômes dure, il faut réitérer la saignée; mais si la diminution du point subsiste, s'il ne revient que foiblement, de tems en tems, ou dans les parties dont je viens de parler; si la fréquence ou la dureté du pouls & tous les autres symptômes ont diminué, on peut quelquefois s'en passer. Il est cependant plus prudent, dans un sujet fort & robuste, de la faire; elle ne peut point faire de mal, & on court de grands risques en l'omettant. Dans les cas graves, on la réitere fréquemment, à moins qu'on ne trouve quelque obstacle dans la constitution du malade, ou dans son âge, ou dans quelques autres circonstances. Si dès le commencement, le pouls n'est que peu fréquent & peu dur, s'il n'est pas extrêmement fort, si le mal de tête & le point sont supportables, si la toux n'est pas trop violente, & si le malade crache, on peut se passer de la saignée. L'usage des autres remedes est précisément le même que dans le chapitre précédent, qu'il faut consulter depuis §. 50 jusqu'au §. 62.
§. 91. Quand le mal n'est pas fort grave, j'ai guéri souvent en peu de jours par une seule saignée & une grande quantité d'infusion de fleurs de sureau préparée comme du thé, à laquelle on ajoutoit du miel. C'est dans des cas de cette espece qu'on a vu réussir quelquefois le faltran, ou les vulneraires de Suisse infusés comme du thé dans de l'eau, avec du miel & même de l'huile; mais la boisson précédente que j'indique est fort à préferer. La boisson qu'on fait avec parties égales d'eau & de vin, & à laquelle on ajoute beaucoup de thériaque, du poivre, de la canelle &c. tue toutes les années plusieurs paysans.
§. 92. Dans les pleurésies seches, dans lesquelles le point, la fievre, le mal de tête sont très forts, le pouls très dur, très plein, avec une secheresse prodigieuse de la peau, & de la langue; il faut faire les saignées très près les unes des autres. Elles emportent souvent la maladie sans aucune autre évacuation.
§. 93. La pleurésie se termine, tout comme l'inflammation plus profonde, par quelque évacuation, par un abcès, par la gangrene, ou par un endurcissement; & elle laisse très fréquemment des adhérences.
La gangrene se manifeste quelquefois dès le troisieme jour, sans avoir été précédée par de grandes douleurs. Le cadavre, dans ce cas, noircit souvent beaucoup, surtout dans le voisinage du mal; & le peuple superstitieux attribue la maladie à quelque cause surnaturelle, ou en tire quelque présage facheux pour les restans. Ce cas est un effet tout naturel, tout simple, & ne peut pas être autrement. Le traitement chaud produit ordinairement ce malheur. Je l'ai vu chez un homme à la fleur de l'âge, qui avoit pris de la thériaque avec de l'eau de cerise, & du faltran au vin.
§. 94. Il se forme des vomiques, mais leur situation leur donne plus de facilité à s'ouvrir en dehors, & de là résulte plus souvent l'empyeme, §. 79. Pour prévenir cet accident, «il est très bien de placer, dès le commencement de la maladie, à l'endroit le plus douloureux, une petite emplâtre, qui tienne exactement, parceque si la pleurésie dégénere en abcès, l'amas du pus se fera de ce côté-là.
«Lors donc que l'on connoîtra qu'il se forme un abcès, (voyez §. 63) on rongera, par un caustique leger, l'endroit qu'on aura marqué, & dès qu'il sera ouvert, on aura soin d'y entretenir la suppuration. On peut alors avoir un espoir fondé, que l'amas du pus prendra son cours par cet endroit où il trouvera moins de resistance, & qu'il sortira; car l'amas de matiere s'arrête souvent entre la pleure, & les parties qui y sont adhérentes.»
Il n'y a à dire, de l'endurcissement ou squirrhe & de l'adhérence, que ce que j'en ai dit §. 81, 82.
§. 95. L'on remarque que quelques personnes, qui ont eu une attaque de cette maladie, ont souvent des rechûtes, surtout les ivrognes. J'en ai vu un qui les comptoit par douzaines. Quelques saignées, de tems en tems, pourroient prévenir ces retours fréquens, qui, joints à l'ivrognerie, les rendent languissans & stupides à la fleur de l'âge. Ils tombent dans une espece d'asthme, & de-là dans l'hydropisie; triste fin, digne de leur vie. Ceux qui peuvent s'astreindre à quelques soins, peuvent aussi les prévenir sans saignées, par un regime raffraichissant, en se privant de tems en tems de viande & de vin; en buvant du petit lait, ou d'une des boissons No. 1, 2, 4, & en prenant quelques bains de pied tiedes, surtout dans les saisons dans lesquelles ces maux ont accoutumé de revenir.
§. 96. Il y a des remedes très usités dans cette maladie parmi le paysan, & vantés par quelques Medecins; le sang de bouquetin, & la suie dans un œuf[11]. Je ne nie point, que bien des gens n'aient été gueris après l'usage de ces remedes; mais il n'en est pas moins vrai, qu'ils sont dangereux; ainsi il est prudent de ne jamais les employer, puisqu'il y a beaucoup de probabilité qu'ils feront un peu de mal, & une certitude qu'ils ne peuvent point faire de bien. On doit penser de même du genipi, ou absinthe des Alpes, qui s'est aussi acquis beaucoup de réputation. Il est aisé d'en déterminer l'usage. Le genipi, est puissamment amer; il échauffe & fait suer. L'on ne doit donc jamais l'employer dans une pleurésie, tant que les vaisseaux sont pleins, le pouls dur, la fievre forte, le sang enflammé. Dans tous ces cas il augmenteroit le mal; mais sur la fin de la maladie, quand les vaisseaux sont désemplis, le sang délayé, la fievre diminuée, alors on peut s'en servir, en se souvenant toujours qu'il est chaud, & qu'il faut l'employer sobrement.
[11] Les fientes ou excrémens de cheval, de mulet, de poule, de coq. Le poivre & les autres épices & aromates dans de l'eau ou du vin.