Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
CHAPITRE VII.
Des Rhumes.
§. 116. Il regne plusieurs préjugés sur les rhumes, qui tous peuvent avoir des conséquences facheuses. Le premier c'est qu'un rhume n'est jamais dangereux. Cette erreur coûte tous les jours la vie à plusieurs personnes. Je m'en suis déja plaint il y a sept ans; & j'ai vu dès-lors une foule de nouveaux exemples, qui n'ont que trop justifié mes plaintes. L'on ne meurt effectivement pas d'un rhume, tant qu'il n'est que rhume; mais quand on le néglige, il jette dans des maladies de poitrine, qui tuent. Les rhumes emportent plus de gens que la peste, répondit un très habile Medecin, qui avoit beaucoup vu, à un de ses amis qui lui disoit, je me porte bien, je n'ai qu'un rhume. Un second préjugé, c'est que les rhumes ne veulent point de remedes, & que plus on en fait, plus ils durent. Cela peut être vrai, vu la mauvaise façon dont on les traite; mais c'est un principe faux en soi. Les rhumes ont leurs remedes tout comme les autres maux, & se guerissent avec plus ou moins de facilité, suivant qu'ils sont mieux ou moins bien conduits.
§. 117. Une troisieme erreur; c'est que, non-seulement on ne les regarde pas comme dangereux, mais on les croit même salutaires. Il vaut mieux, sans doute, avoir un rhume, qu'une maladie plus facheuse; mais il vaudroit beaucoup mieux n'en avoir aucune. Tout ce qu'on peut raisonnablement dire; c'est que quand une transpiration arrêtée devient cause de maladie, il est heureux qu'elle produise un rhume, plutôt que quelque maladie très grave, comme il arrive souvent; mais il seroit à préférer, que ni la cause, ni l'effet, n'eussent existé. Un rhume prouve toujours un dérangement dans les fonctions de notre corps, une cause de maladie; il est une maladie réelle, qui, quand elle est violente, porte une atteinte sensible à toute la machine. Les rhumes affoiblissent considérablement la poitrine; & la santé en est tôt ou tard altérée. Les personnes souvent enrhumées, ne sont jamais robustes, & tombent souvent dans la langueur. Et la facilité à s'enrhumer est une preuve de la facilité avec laquelle la transpiration se dérange, & le poulmon s'engorge, ce qui est toujours dangereux.
§. 118. L'on conviendra de la fausseté de ces préjugés, en examinant la nature des rhumes, qui ne sont autre chose que les maladies que je viens de décrire, mais dans un degré fort leger.
Un rhume est véritablement presque toujours, une maladie inflammatoire; c'est une legere inflammation du poulmon, ou de la gorge, ou d'une membrane qui garnit intérieurement les narines & l'intérieur de quelques cavités qui se trouvent dans les os de la joue & du front; cavités, qui toutes communiquent avec le nez; de façon que quand l'inflammation a attaqué une partie de cette membrane, elle se communique aisément aux autres.
§. 119. Il est presque inutile de décrire les symptomes du rhume; il suffira de faire remarquer 1. que la principale cause des rhumes est la même que celle qui produit le plus ordinairement les maladies dont j'ai parlé; c'est-à-dire, la transpiration arrêtée. 2. Que quand ces maladies regnent, il y a en même-tems beaucoup de rhumes. 3. Que les symptômes qui annoncent un rhume violent, ressemblent beaucoup à ceux qui précedent ces maladies. L'on a rarement de gros rhumes sans frisson & sans fievre, quelquefois même elle dure plusieurs jours. L'on tousse, la toux reste seche pendant quelque tems, ensuite il vient des crachats qui diminuent la toux, & l'oppression. C'est alors qu'on peut dire que le rhume est mûr. L'on a souvent de legers points, mais passagers, & un peu de mal de gorge. Quand les narines sont le siege du mal, ce qu'on appelle fort mal à propos rhume de cerveau, on a souvent un mal de tête très violent. Le mal de tête dépend souvent de l'irritation de la membrane qui tapisse les cavités de l'os du front, ou Sinus maxillaires. L'on ne mouche, dans les commencemens, qu'une eau fort claire, & fort âcre; ensuite, à mesure que l'inflammation diminue, elle s'épaissit, & l'on mouche une matiere semblable à celle qu'on crache. L'on perd ordinairement l'odorat, le gout, l'appetit.
§. 120. Les rhumes n'ont point de durée fixe. Ceux de cerveau durent ordinairement très peu de jours; ceux de poitrine sont plus longs. Il y en a cependant beaucoup qui se dissipent au bout de quatre à cinq jours. S'ils durent trop long tems, ils nuisent; 1. parceque la toux violente dérange toute la machine, & surtout qu'elle porte le sang à la tête. 2. En privant du sommeil, qui est presque toujours diminué par un rhume. 3. En ôtant l'appetit, & en troublant la digestion; ce qui affoiblit nécessairement. 4. En affoiblissant le poulmon même, par les secousses continuelles qu'il reçoit; de façon que, peu à peu, toutes les humeurs s'y jettant, comme sur la partie la plus foible, il reste une toux continuelle; il est toujours surchargé d'humeurs, qui, s'y épaississant, gênent la respiration, oppressent & donnent une fievre lente; le corps ne se nourrit pas; le malade tombe dans la foiblesse, le déperissement, l'insomnie, l'angoisse, & meurt souvent assez promptement.
§. 121. Puisque le rhume est une maladie de la même espece que les esquinancies, les peripneumonies, les inflammations de poitrine; le traitement doit être de la même espece. Si le rhume est fort, il faut faire une saignée au bras, ce qui l'abrege beaucoup; & elle est convenable toutes les fois que le malade est sanguin, qu'il a une forte toux, & un grand mal de tête. L'on doit faire un usage abondant des ptisanes No. 1, 2, 4. Il est utile de prendre tous les soirs, des bains de pied en se couchant. En un mot, si l'on met le malade au régime §. 29, on le guerit très promptement.
§. 122. Mais souvent le mal est si leger, qu'on ne croit pas devoir y faire des remedes; & sans remede, on guerit aisément, en se privant pendant quelques jours de viande, d'œufs, de bouillon, de vin, de tout ce qui est acre, gras ou pesant; en vivant de pain, de legume, & d'eau, & surtout en soupant peu ou point, & en buvant, si l'on est altéré, une simple ptisane d'orge, ou une infusion de sureau, à laquelle on peut joindre un quart ou un tiers de lait. Les bains de pied, & la poudre No. 20, contribuent à faire dormir. L'on peut aussi, sans danger, prendre quelques tasses d'infusion de fleurs de coquelicot ou pavot rouge, faite comme du thé.
Quand il n'y a plus de fievre, de chaleur, d'inflammation; que le malade a été à la diete pendant quelques jours, & qu'il s'est bien délayé; si la toux & l'insomnie continuent, on peut donner le soir une pilule de stirax, ou une prise de thériaque, avec un peu d'infusion de fleurs de sureau, en sortant d'un bain de pied; alors ces remedes, en calmant la toux, & en rétablissant la transpiration, guerissent souvent dans une nuit: mais j'en ai vu de mauvais effets, quand on les donnoit trop tôt, & il faut toujours, quand on les prend, n'avoir que très peu soupé, & que le soupé soit digéré.
§. 123. Il y a un très grand nombre de remedes vantés pour les rhumes, des ptisanes de pommes, de reglisse, de figues, de raisins secs, de bourache, de lierre terrestre, de veronique, d'hysope, d'orties. Je ne veux rien leur ôter de leur prix: elles peuvent toutes avoir été utiles; & ceux qui en ont vû réussir une dans un cas, la croient la plus excellente de toutes. C'est une erreur. Ce n'est point sur un seul cas qu'on doit décider; c'est à ceux qui en voient journellement un grand nombre, & qui observent attentivement l'effet des différens remedes, à juger de ceux qui conviennent le plus généralement; & ce sont ceux que j'ai indiqués. Je sais qu'un thé de queues de cerises, qui est une boisson assez agréable, a guéri un rhume fort invétéré.
Dans les rhumes de cerveau, la vapeur de l'eau chaude toute simple, ou dans laquelle on a mis des fleurs de sureau, ou quelques autres herbes un peu aromatiques, procurent ordinairement un soulagement très prompt. Elle fait aussi du bien dans les rhumes de poitrine (voyez §. 52). L'on étoit fort en usage d'employer le blanc de baleine; mais c'est une huile très indigeste; & les huiles ne conviennent que très rarement dans les rhumes. D'ailleurs le blanc de baleine est presque toujours rance; ainsi il vaut mieux le bannir.
§. 124. Ceux qui ne diminuent point la quantité des alimens, & qui boivent de grandes quantités d'eau chaude, ruinent leur santé. Ils ne font plus de digestion, la toux devient stomachale sans cesser d'être pectorale; & ils courent risque de tomber dans l'état décrit §. 120, No. 4. Les eaux-de-vie brûlées, les vins aromatisés, font les plus grands maux pris dans les commencemens, & l'on feroit mieux de n'en jamais prendre. Si l'on en a vu quelques bons effets, ce n'est que sur la fin, quand la maladie étoit entretenue uniquement par la foiblesse des organes. Dans ce cas, il faut quitter les relachans, prendre tous les jours quelques prises de la poudre No. 14, avec un peu de vin, & si les humeurs paroissoient se jetter trop sur le poulmon, appliquer des vesicatoires aux gras des jambes.
§. 125. Les liqueurs conviennent si peu, que souvent une très petite quantité ranime un rhume qui finissoit. Il y a même des personnes qui n'en boivent jamais sans s'enrhumer, & cela n'est point étonnant. Elles occasionnent une très legere inflammation de poitrine, qui est un rhume. Il ne faut pas, dans cette maladie, s'exposer sans nécessité à un grand froid; mais il faut également se garder de trop de chaleur. Ceux qui s'enferment dans des chambres fort chaudes, ne guérissent point: & comment y guérir? ces chambres, indépendamment du danger qu'on court en les quittant, enrhument comme les liqueurs, en produisant une legere inflammation de poitrine.
§. 126. Les personnes sujettes aux fréquens rhumes, celles qu'on appelle catharreuses, croient devoir se tenir fort au chaud. C'est une erreur qui acheve de ruiner leur santé. Cette disposition vient de deux causes; ou de ce que la transpiration se dérange aisément, ou quelquefois de la foiblesse d'estomac, ou de celle du poulmon, qui demandent des remedes particuliers. Quand le mal vient de ce que la transpiration se dérange aisément, plus elles se tiennent au chaud, plus elles se font suer, & plus le mal augmente. Cet air continuellement tiede, affoiblit tout le corps, & sur-tout le poulmon; les humeurs s'y jettent toujours plus. La peau sans cesse baignée par une petite sueur, se relâche, s'amollit, devient incapable de faire ses fonctions; la moindre chose arrête alors toute transpiration, & il naît une foule de maux de langueurs. Ils redoublent de précaution pour se préserver de l'air froid, & tous leurs soins sont autant de moyens efficaces pour rendre leur santé plus foible; & cela d'autant plus surement, que la crainte de l'air assujettit nécessairement à une vie sédentaire qui augmente tous leurs maux, auxquels les boissons chaudes, dont ils font usage, mettent le comble. Ils n'ont qu'un moyen de guérir; c'est de se familiariser avec l'air, de fuir les chambres chaudes, de diminuer peu à peu leurs vêtemens, de coucher au froid, de ne rien manger & de ne rien boire qui ne soit froid, les boissons même à la glace leur sont salutaires; de prendre beaucoup d'exercice; & enfin si le mal est invétéré, de faire usage pendant long-tems de la poudre No. 14, & des bains froids. Cette méthode réussit aussi très bien pour ceux chez qui le mal dépend primitivement d'une foiblesse d'estomac ou de poulmon, & au bout d'un certain tems ces trois causes se réunissent toujours.
§. 127. L'on est plus en usage, il est vrai, à la ville qu'à la campagne, de tenir souvent à la bouche différentes tablettes, pâtes, &c. Je n'en exclus point l'usage; mais il n'y a rien d'aussi efficace que le jus de réglisse, & moyennant qu'on le prenne à dose suffisante, il procure un vrai soulagement. J'en ai pris moi-même une once & demie dans un jour, & j'en ressentis les bons effets d'une façon marquée.