Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
DES CHARLATANS
ET DES MAIGES.
§. 557. Il me reste à parler d'un fleau, qui fait plus de ravages, que tous les maux que j'ai décrits, & qui, tant qu'il subsistera, rendra inutiles toutes les précautions qu'on prendra pour la conservation du peuple; ce sont les Charlatans. J'en distinguerai de deux especes; les Charlatans passans, & ces faux Medecins de villages, tant mâles que femelles, connus dans quelques pays sous le nom de Maîges, & qui le dépeuplent sourdement.
Les premiers, sans visiter des malades, débitent des remedes dont quelques uns ne sont qu'extérieurs, & souvent ne font point de mal; mais les intérieurs sont quelquefois pernicieux. J'en ai vu les effets les plus cruels; & il ne passe point de ces misérables, dont l'entrée au pays ne coute la vie à quelqu'un de ses habitans. Ils nuisent encore d'une autre façon; en emportant une grande quantité d'argent comptant, & en enlevant annuellement, quelques milliers de francs, à cette partie des habitans, pour qui l'argent est le plus précieux. J'ai vu, avec douleur, le laboureur & l'artisan, dénués des secours les plus nécessaires à la vie, emprunter, de quoi acheter cherement le poison destiné à combler leur misere, en aggravant leurs maux, & souvent en les jettant dans des maux de langueur, qui réduisent toute une famille à la mendicité.
§. 558. Un homme ignorant, fourbe, menteur, & impudent, séduira toujours le peuple grossier & crédule, incapable de juger de rien, de rien apprécier, qui sera éternellement la dupe de quiconque aura la bassesse de chercher à éblouir ses sens, & qui, par-là même, sera friponné par les Charlatans, tant qu'on les tolerera. Mais le Magistrat, son tuteur, son protecteur, son pere, ne devroit-il pas le soustraire à ce danger, en prohibant séverement l'entrée de ce pays, où les hommes sont précieux; & l'argent rare, à des hommes pernicieux, qui détruisent les uns, & emportent l'autre, sans pouvoir jamais y faire le plus petit bien. Des raisons aussi fortes peuvent-elles permettre de différer plus long tems leur exil, puisqu'il n'y a pas la plus petite raison de les admettre.
§. 559. Les Maîges, n'emportent pas, il est vrai, l'argent du pays, comme les Charlatans passans; mais le ravage qu'ils font parmi les hommes, est continuel, & par-là même immense; & chaque jour de l'année est marqué par le nombre de leurs victimes. Sans aucune connoissance quelconque, sans aucune expérience, armés de trois ou quatre remedes, dont ils ignorent aussi profondement la nature, que celle des maladies dans lesquelles ils les emploient, & qui, étant presque tous violens, sont véritablement un glaive dans la main d'un furieux, ils empirent les maux les plus legers, & rendent à coup sûr mortels ceux qui sont un peu plus forts, mais qui se seroient guéris, si on les eût abandonnés à la nature; à plus forte raison, s'ils avoient été bien traités.
§. 560. Le Brigand, qui assassine au milieu d'un grand chemin, laisse au moins la double ressource, de se défendre, & d'être secouru; mais l'empoisonneur, qui surprend la confiance du malade, & le tue, est cent fois plus dangereux, & aussi punissable.
L'on signale les bandes de voleurs; qui s'introduisent dans le pays: il seroit à souhaiter qu'on eût un rôle de tous ces faux Medecins de l'un & de l'autre sexe, & qu'on en publiât la description la plus exacte, accompagnée de la liste de leurs exploits sanglans. L'on inspireroit peut-être par-là, une frayeur salutaire au peuple, qui ne s'exposeroit plus à être la victime innocente de ces bourreaux.
§. 561. Son aveuglement sur cette double espece d'êtres malfaisans, est inconcevable. Celui qu'il a en faveur des Charlatans, l'est cependant moins; parceque ne les connoissant pas, il peut leur supposer une partie des talens & des connoissances qu'ils s'arrogent. Il faut donc l'avertir, & on ne peut trop le lui redire, que, malgré l'appareil pompeux dont quelques uns se parent, ce sont toujours des hommes vils, qui, incapables de gagner leur vie par aucun travail honnête, ont fondé leur subsistance sur leur propre impudence & son imbécille crédulité; qu'ils sont dénués de toute connoissance quelconque; que leurs titres & leurs patentes sont sans aucune autorité, parceque, par un misérable abus, ces actes sont devenus une denrée de commerce, qu'on obtient à très vil prix, tout comme le surtout galonné qu'ils achetent à la friperie; que leurs certificats de cure sont chimeriques ou faux, & qu'enfin, quand sur le nombre prodigieux de gens qui prennent leurs remedes, il y en auroit quelques uns de guéris, & il est presque physiquement impossible que cela n'arrive pas, il n'en seroit pas moins vrai, que c'est une espece destructive. Un coup d'épée dans la poitrine, en perçant un abcès, sauva un homme, que ce mal auroit tué; les coups d'épée n'en sont pas moins mortels. Il n'est point étonnant même, que ces gens là (je dis la même chose des Maîges), qui tuent des milliers de gens, que la nature seule, ou aidée des secours de la Medecine, auroit sauvés, guérissent, de tems en tems, un malade qui a été entre les mains des plus habiles Medecins. Souvent les malades de l'ordre de ceux qui vont consulter les gens de cet acabit, soit qu'ils ne veuillent pas s'astreindre au traitement qu'exige leur maladie, soit que, rebuté par leur peu de docilité, le Medecin ne leur continue pas ses conseils, vont chercher des gens qui leur promettent une guérison prompte, & hazardent des remedes qui en tuent plusieurs, & en guérissent un, qui se trouve la force de résister, un peu plus vite que ne l'auroit fait un Medecin. Il ne seroit que trop aisé de se procurer, dans toutes les Paroisses, des catalogues qui mettroient sous les yeux, la vérité de toutes ces propositions.
§. 562. Le crédit de ce Charlatan de foire, que cinq ou six cens paysans entourent, grands yeux ouverts, gueule béante, qui se trouvent fort heureux qu'il veuille bien leur friponner leur nécessaire, en leur vendant, quinze ou vingt fois au-delà de sa valeur, un remede, dont la plus grande qualité seroit d'être inutile; son crédit, dis-je, tomberoit bientôt, si l'on pouvoit persuader à chacun de ses auditeurs, ce qui est exactement vrai, qu'à un peu de souplesse près dans la main, il en fait tout autant que lui; & que, s'il peut acquérir son impudence, il aura dans un moment la même réputation, & méritera la même confiance.
§. 563. Si le peuple raisonnoit, il seroit aisé de le désabuser; mais ceux qui le conduisent doivent raisonner pour lui. J'ai déja prouvé le ridicule de sa confiance aux Charlatans proprement dits. Celle qu'il a pour les Maîges est encore plus insensée. L'art le plus vil s'apprend; l'on n'est savetier, l'on ne raccommode de vieux morceaux de cuir, que quand on a fait un apprentissage; & l'on n'en fera point pour l'art le plus nécessaire, le plus utile, le plus beau. L'on ne confie une montre pour la raccommoder, qu'à celui qui a passé bien des années à étudier comment elle est faite, & quelles sont les causes qui la font bien aller, & qui la dérangent; & l'on confiera le soin de raccommoder la plus composée, la plus délicate & la plus précieuse des machines, à des gens qui n'ont pas la plus petite notion de sa structure, des causes de ses mouvemens, de celles de ses dérangemens, & des instrumens qui peuvent la rétablir. Qu'un soldat chassé de son régiment, à cause de ses coquineries, ou qui a deserté par libertinage, qu'un banqueroutier, qu'un ecclésiastique flétri, qu'un barbier ivrogne, qu'une foule d'autres personnages aussi vils, viennent afficher qu'ils remontent les bijoux dans la perfection; s'ils ne sont pas connus, si l'on ne voit pas de leur ouvrage, si l'on n'a pas des témoignages authentiques de leur probité & de leur habileté, personne ne leur confiera pour quatre sols de pierres fausses; ils mourront de faim. Mais qu'au lieu de se faire Jouailliers, ils s'affichent Médecins, on achetera très cherement le plaisir de leur confier sa vie, dont ils ne tarderont pas à empoisonner les restes.
§. 564. Les plus grands Médecins, ces hommes rares, qui, nés avec les plus heureux talens, ont éclairé leur esprit dès leur plus tendre enfance, qui ont cultivé ensuite avec soin toutes les parties de la physique, qui ont sacrifié les plus beaux momens de leur vie à une étude suivie & assidue du corps humain, de ses fonctions, des causes qui peuvent les empêcher, & de tous les remedes, qui auront surmonté le désagrément de vivre dans les hôpitaux, parmi des milliers de malades, qui auront réuni à leurs propres observations, celles de tous les tems & de tous les lieux; ces hommes rares, dis-je, ne se trouvent pas même tels qu'ils voudroient être, pour se charger du précieux dépôt de la santé humaine: & on le remettra à des hommes grossiers, nés sans talens, élevés sans culture; qui souvent ne savent pas même lire, qui ignorent tout ce qui a quelque rapport à la médecine, aussi profondement que les mœurs des Sauvages asiatiques; qui n'ont veillé que pour boire, qui souvent ne font cet horrible métier que pour fournir à leur boisson, & ne l'exercent que dans le vin; qui ne se sont fait Medecins que parcequ'ils étoient incapables d'être quelque chose! Une telle conduite paroîtra, à tout homme sensé, le comble de l'extravagance.
Si l'on entroit dans l'examen des remedes qu'ils emploient, si on les comparoit aux besoins du malade à qui ils les ordonnent, on seroit saisi d'horreur, & l'on gemiroit sur le sort de cette infortunée partie du genre humain, dont la vie, si importante à l'Etat, est misérablement confiée aux plus meurtriers des êtres.
§. 565. Quelques-uns d'eux, sentant bien le danger de l'objection tirée du manque d'études, ont cherché à la prévenir, en répandant parmi le peuple, un préjugé qui n'est que trop accredité aujourd'hui; c'est que leurs talens pour la medecine, sont un don surnaturel, fort supérieur par là même, à toutes les connoissances humaines. Ce n'est point à moi à montrer l'indécence, le crime, l'irreligion d'une telle fourberie; ce seroit empiéter sur les droits de Messieurs les Pasteurs; mais qu'il me soit permis de les avertir, que cette branche de superstition ayant les suites les plus cruelles, mérite toute leur attention; & en général, il seroit d'autant plus à souhaiter, qu'on combattît la superstition, qu'un esprit imbu de préjugés faux, n'est pas propre à recevoir une doctrine véritable. Il y a des scélerats, qui espérant de s'accréditer par la crainte autant que par l'espérance, ont poussé l'horreur jusques à laisser douter, s'ils tenoient leur puissance du Ciel ou de l'Enfer. Voilà les hommes qui disposent de la vie des autres.
§. 566. Un fait que j'ai déja indiqué, & qu'on n'expliquera jamais, c'est l'empressement du paysan à se procurer les meilleurs secours pour ses bêtes malades. Quelque éloigné que soit le Medecin veterinaire, ou l'homme qu'on croit tel, (car malheureusement il n'y en a point dans ce pays) s'il a beaucoup de réputation, il va le consulter, ou le fait venir à tout prix. Quelque couteux que soient les remedes qu'il indique, s'ils passent pour les meilleurs, il se les procure. Mais dès qu'il s'agit de lui, de sa femme, de ses enfans, il se passe de secours, ou se contente de ceux qui s'offrent sous sa main, quelque pernicieux qu'ils soient, sans en être moins couteux; car c'est une injustice criante, que les sommes extorquées par quelques Maîges, ou aux patiens, ou, plus souvent à leurs héritiers.
§. 567. Je ne m'étendrai pas plus long-tems sur cette matiere, l'amour de l'humanité m'a forcé à en dire quelque chose; elle mériteroit d'être traitée plus au long, & elle est de la plus grande conséquence. Il n'y a que les Medecins qui pussent se tranquilliser sur cet horrible abus, s'ils n'étoient animés que par des vues d'intérêts; puisque les Maîges diminuent le nombre des consultans du peuple, qui ne sont pour eux qu'une occupation pénible. Mais quel est le Medecin assez vil, pour vouloir acheter quelques heures de tranquillité à un prix aussi cher & aussi odieux.
§. 568. J'ai montré le mal, je souhaiterois de pouvoir indiquer des remedes sûrs, mais cela est difficile.
Le premier, c'est peut-être d'avoir fait connoître le danger.
Le second, & sans contredit le plus efficace, est celui dont j'ai déja parlé; n'admettre aucun Charlatan passant, & chasser tous les Maîges.
Un troisieme moyen, ce seroit des instructions pastorales sur cette objet. La conduite du peuple à cet égard est un vrai suicide, & il seroit important de l'en convaincre. Mais l'inefficacité des exhortations réflechies les plus fortes sur tant d'autres articles, ne fait-elle point craindre le même sort pour celles ci. L'usage a décidé qu'il n'y a aujourd'hui de vice, qui exclut du titre & de la considération d'honnête homme, que le vol ouvert & caractérisé; & cela par cette raison simple, c'est que nous tenons à nos biens plus qu'à toute autre chose; l'homicide même est honnête dans un très grand nombre de cas; peut-on espérer de persuader qu'il y a du crime à confier sa santé à des empoisonneurs, sous l'espérance de guérison. Un remede plus sûr, ce seroit de faire sentir au peuple, ce qui est fort aisé, qu'il lui en coutera moins pour être bien soigné, que pour l'être mal. L'appas du bon marché le ramenera beaucoup plus surement que l'aversion du crime.
Le quatrieme, qui ne seroit surement pas inutile, ce seroit de retrancher des almanachs ces regles de medecine astrologique, qui contribuent continuellement à entretenir des préjugés dangereux dans une science, dans laquelle les plus petites erreurs sont funestes. Que de paysans morts pour avoir differé, rejetté, ou mal placé une saignée dans une maladie aigüe, parceque l'almanach le vouloit ainsi. N'est-il point à craindre, pour le dire en passant, que la même cause ne nuise à leur œconomie; & qu'en consultant la Lune, qui n'a aucune influence, ils ne négligent les attentions relatives aux autres circonstances, qui en ont beaucoup.
Un cinquieme remede, seroit l'établissement d'hôpitaux pour les malades, dans les différentes villes du pays.
Il y a un grand nombre de moyens aisés, pour les fonder & les entretenir, presque sans nouvelles dépenses, & les avantages qui en résulteroient seroient immenses; d'ailleurs, quelque considérables que fussent les dépenses, en est-il de plus importantes? Elles sont sans doute de devoir; & l'on ne tarderoit pas à s'appercevoir qu'elles rapportent un intérêt réel, plus fort qu'on ne pourroit l'esperer d'aucun autre emploi de l'argent. Il faut, ou admettre que le peuple est inutile dans un Etat, ou convenir qu'il faut pourvoir aux soins de sa conservation. Un Anglois respectable, qui, après avoir tout vû avec beaucoup de soin, s'est occupé profondement & utilement des moyens d'augmenter les richesses & le bonheur de ses compatriotes, se plaint, en Angleterre, le pays du monde où les hôpitaux sont le plus multipliés, que le peuple malade n'est pas assez secouru. Que doit-ce être dans les pays où il n'y en a point? «Les secours de Chirurgie & de Medecine trop abondans dans les Villes, ne sont point assez répandus dans les campagnes; & les paysans sont sujets à des maladies assez simples; mais qui, faute de soins, dégénerent en une langueur mortelle.»
Enfin, si l'on ne peut pas remedier aux abus, (ceux qui regardent les Charlatans ne sont pas les seuls, & l'on ne donne pas ce nom à tous ceux qui le mériteroient), il seroit sans doute avantageux de détruire tout Art medecinal. Quand les bons Medecins ne peuvent pas faire autant de bien, que les mauvais peuvent faire de mal, il y a un avantage réel à n'en pas avoir. Je le dis avec conviction, l'anarchie en Medecine est la plus dangereuse de toutes. Libre de toute regle, & sans loix, cette science est un fléau d'autant plus affreux, qu'il frappe sans cesse; & si l'on ne peut pas réparer le désordre, il faut, ou défendre, sous de rigoureuse peines, l'exercice d'un art qui devient si funeste, ou, si les constitutions d'un Etat ne permettoient pas ce moyen violent, ordonner, comme dans les grandes calamités, des prieres publiques dans tous les Temples.
§. 569. Un autre abus, moins dangereux que ceux dont je viens de parler, qui ne laisse pas cependant de faire des maux réels, & qui au moins, sort beaucoup d'argent du pays, mais dont le peuple est moins la victime que les gens aisés, c'est l'imbecille aveuglement, avec lequel on s'en laisse imposer par les pompeuses annonces de quelque remede universel, qu'on tire dispendieusement de l'étranger. Les personnes au-dessus du commun peuple, ne courent pas au Charlatan, parcequ'elles croiroient s'avilir en se mêlant à la foule; mais si ce même Charlatan, au lieu de venir, s'étoit tenu dans quelque ville étrangere; si, au lieu de faire afficher ses placards aux coins des rues, il les avoit fait insérer dans les mercures ou dans les gazettes; si, au lieu de vendre ses remedes lui-même, il avoit établi des bureaux dans chaque ville; si, au lieu de les vendre vingt fois au-dessus de leur valeur, il avoit encore doublé ce prix; au lieu de vendre au peuple, il auroit vendu aux Habitans aisés des villes. Telle personne, sensée à tout autre égard, qui hésitera de confier sa santé à des Medecins dignes d'une entiere confiance, hazardera, par une folie inconcevable, le remede le plus dangereux, sur la foi d'un placard imposteur, publié par un homme aussi vil que le Charlatan qu'il méprise parcequ'il fait jouer du cors de chasse sous sa fenêtre, & qui n'en differe cependant, que par les circonstances que je viens d'indiquer. Il n'y a presque pas d'année qu'il ne s'accrédite quelqu'un de ces remedes, dont les ravages sont plus ou moins grands, à proportion de leur plus ou moins de vogue. Peu heureusement, en ont eu autant que les poudres d'un nommé Ailhaud, habitant d'Aix en Provence, & indigne du nom de Medecin, qui a inondé l'Europe, pendant quelques années, d'un purgatif âcre, dont le souvenir ne s'éteindra que quand toutes ses victimes auront fini. Je soigne, depuis long-tems, plusieurs malades, dont j'adoucis les maux, sans esperer de les guérir jamais, & qui ne doivent les tristes jours qu'ils coulent, qu'à l'usage de ces poudres. Un Medecin françois, aussi célebre par ses talens & ses connoissances, que recommandable par son caractere, a publié quelques-unes des sinistres catastrophes que leur usage avoit occasionnées. Si on recueilloit ces observations dans tous les endroits où l'on a employé la drogue, on formeroit un volume qui effraieroit.
§. 570. Heureusement tous les remedes qu'on débite ne sont ni aussi employés, ni aussi dangereux; mais l'on doit juger toutes ces affiches sur ce principe, je n'en connois point de plus vrai en Physique & en Medecine; c'est que, quiconque annonce un remede universel, est un imposteur, & qu'un tel remede est impossible, & contradictoire. Je n'entrerai point dans des détails de preuves; mais j'en appelle hardiment à tout homme sensé, qui voudra bien réflechir un moment sur les différentes causes des maladies, sur l'opposition de ces causes, & sur l'absurdité de vouloir combattre toutes ces causes avec le même remede.
Quand on sera bien rempli de ce principe, on ne s'en laissera plus imposer par des tissus de sophismes, destinés à prouver que toutes les maladies viennent d'une cause, & que cette cause est de nature à ceder au remede vanté. On comprendra d'abord qu'une telle assertion est le comble de la fourberie ou de l'ignorance; & l'on découvrira bientôt où est le sophisme. Peut-on esperer de guérir une hydropisie, qui vient de ce que les fibres sont trop lâches, & le sang trop dissous, avec les remedes qu'on emploie pour guérir une maladie inflammatoire, dans laquelle les fibres sont trop roides & le sang trop épaissi. Parcourez les annonces publiques, vous trouverez dans toutes des vertus aussi contradictoires; & ceux qui les font seroient sans doute punissables juridiquement.
§. 571. Je souhaite qu'on fasse une réflexion, qui se présente naturellement. Je n'ai traité que d'un petit nombre de maladies, ce sont presque toutes des maladies aigües; je puis assurer qu'aucun Medecin éclairé, n'a jamais employé moins de remedes; cependant j'en indique près de soixante & dix, & je ne saurois lequel retrancher, si j'y étois obligé. Comment peut-on esperer, que l'on guérira avec un seul remede, dix & vingt fois plus de maladies que je n'en indique.
§. 572. J'ajouterai une observation très importante, & qui se seroit sans doute presentée à plusieurs lecteurs; c'est que les différentes causes des maladies, leurs divers caracteres, les différences qui dépendent des changemens nécessaires qui arrivent pendant leur durée, les complications dont elles sont susceptibles, les variétés qui dépendent des épidémies, des saisons, des sexes, de plusieurs autres circonstances, obligent très souvent à faire des changemens dans les remedes; ce qui prouve combien il est dangereux d'en ordonner sans des connoissances plus nettes, que celles qu'ont ordinairement les personnes qui ne sont pas Medecins; & la circonspection doit, dans ces cas, être proportionnée à l'intérêt qu'on prend au malade, & à la charité dont on est animé.
§. 573. Les mêmes considérations, ne font-elles pas sentir la nécessité d'une entiere docilité, de la part du malade & des assistans. L'histoire des maladies, qui ont leurs tems limités pour naître, se développer, rester dans leur force, décroître, ne démontre-t-elle pas, & la nécessité de la continuation des mêmes remedes, aussi long-tems que le caractere de la maladie est le même, & le danger d'en changer fréquemment, par la seule raison, que celui qu'on a ne soulage pas dans le moment. Rien ne nuit plus au malade, que cette instabilité. L'on doit, après avoir examiné les indications que fournit la maladie, choisir le remede le plus propre à en combattre la cause, & en continuer l'usage, tant qu'il ne survient aucune circonstance nouvelle qui oblige à le changer, à moins qu'on ne reconnoisse évidemment qu'on s'est trompé. Mais s'imaginer qu'un remede est inutile, parcequ'il ne détruit pas la maladie au gré de notre impatience, & le rejetter pour en prendre un autre, c'est casser sa montre parceque l'éguille emploie douze heures à faire le tour du cadran.
Les Medecins font quelque attention aux urines des malades; mais c'est une ignorance crasse, que de croire, & le comble de la fourberie, que de persuader, que leur seule inspection suffit pour juger des symptômes, de la cause, & des remedes d'une maladie. Le seul bon sens le démontre, & je n'en détaillerai point les preuves.