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Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes

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CHAPITRE XXIX.
Des corps arrêtés entre la bouche & l'estomac.

§. 372. Du fond de la bouche, les alimens passent dans un canal plus étroit, qu'on appelle l'œsophage, qui, en suivant l'épine du dos, va aboutir à l'estomac.

Il arrive souvent que plusieurs corps sont arrêtés dans ce canal, sans pouvoir ni descendre, ni remonter; soit parcequ'ils sont trop gros, soit parcequ'ils se trouvent avoir quelques pointes, qui, s'enfonçant dans les parois de l'œsophage, les empêchent de faire aucun mouvement.

§. 373. Il résulte de cet arrêt, des accidens très graves; qui font, souvent une douleur très vive dans la partie; d'autres fois un sentiment incommode, plutôt que douloureux; quelquefois des soulevemens de cœur inutiles; une angoisse extraordinaire; & si l'arrêt est tel que la glotte soit bouchée, ou la trachée artére comprimée, le malade ne peut pas respirer; il a des suffocations horribles, & le sang ne pouvant pas revenir de la tête, il devient rouge, livide; le visage, le col, se gonflent, l'oppression augmente, & il périt très promptement.

Quand la respiration n'est pas arrêtée ou gênée, si le passage n'est pas entierement bouché, & que le malade puisse avaler quelque chose, il vit très bien; & la maladie est alors une maladie particuliere de l'œsophage; mais si le passage est absolument fermé, & qu'on ne puisse point le déboucher pendant plusieurs jours, il en résulte une mort cruelle.

§. 374. Le danger ne dépend pas autant de la nature du corps qu'on avale, que de sa grosseur relativement au passage, de l'endroit où il s'arrête, & de la façon dont il s'arrête; & souvent les alimens tuent, pendant que les corps les moins faits pour être avalés, n'occasionnent pas de grands maux.

Un enfant de six jours, avala une dragée sucrée qui s'arrêta; il mourut d'abord. Un homme sentoit qu'un morceau de mouton s'étoit arrêté; pour n'effrayer personne, il sortit de table. Un moment après on veut savoir où il est, on le trouve mort. Un second périt par un morceau de gâteau; un troisieme par un morceau de couenne de jambon; un quatrieme par un œuf, qu'il avaloit par défi. Une chataigne, qu'un enfant avaloit entiere, le tua. Un second périt promptement étouffé (car c'est toujours d'étouffement qu'on périt si vite), par une poire qu'il avoit jettée en l'air, & reçue dans sa bouche. Une poire a aussi tué une femme. Un morceau de tendon, (ce qu'on appelle ordinairement nerf) resta arrêté huit jours, sans que le malade pût rien prendre. Au bout de ce tems, il tomba dans l'estomac, dégagé par la pourriture; mais le malade mourut bientôt après, tué par l'inflammation, la gangrene & la foiblesse.

§. 375. Quand un corps est arrêté, il y a deux moyens de le dégager; il faut ou le retirer, ou le pousser. Le plus sûr est toujours de le retirer; mais ce n'est pas toujours le plus aisé; & comme les efforts qu'on fait, fatiguent beaucoup le malade, & ont quelquefois des suites facheuses; que d'ailleurs le mal est souvent extrêmement pressant, il convient de pousser, si cela est plus aisé, & s'il n'y a point d'inconvéniens à faire entrer les corps arrêtés dans l'estomac.

Les corps qu'on peut pousser sans risque, sont tous les alimens ordinaires, le pain, les viandes, les gâteaux, les fruits, les legumes, les morceaux de boyaux. L'on peut aussi pousser le cuir. Ce n'est pas que de très gros morceaux de certains alimens, ne soient presque indigestibles; mais il est rare qu'ils soient mortels.

§. 376. Les corps qu'on doit chercher à retirer, quoique cela soit beaucoup plus pénible que de les pousser, sont tous ceux dont l'effet pourroit être très dangereux, & même mortel, si on les avaloit. De cette classe sont tous les corps indigestibles: le liege, les paquets de linge, les gros noyaux de fruits; les os, les bois, les verres, les pierres, les métaux; surtout si au danger de l'indigestibilité, se joignent ceux qui résultent de la figure de ces corps. Ainsi l'on doit retirer, principalement, les épingles, les éguilles, les arrêtes, les os pointus, les fragmens de verre, les ciseaux, les canifs, les bagues, les boucles. Il n'y a aucun de ces corps qui n'ait été avalé; & les accidens qui en résultent le plus ordinairement, sont de violentes douleurs dans l'estomac, & les intestins; des inflammations, des suppurations, des abcès, des ulceres, la fiévre lente, la gangrene, des coliques de miseréré, des abcès extérieurs, par lesquels ces corps ressortent, & souvent après beaucoup de maux, une mort cruelle.

§. 377. Quand les corps ne sont que peu avancés, & qu'ils se trouvent à l'entrée de l'œsophage, on peut essayer de les retirer avec les doigts, ce qui réussit souvent. S'ils sont plus avancés, il faut se servir de pincettes; les Chirurgiens en ont de plusieurs especes. L'on en a, dont quelques fumeurs se servent, qui seroient très commodes pour cela. L'on peut en faire très promptement avec deux morceaux de bois. Ce moyen est peu utile, si le corps est fort avancé dans l'œsophage, & si c'est un corps flexible, qui soit exactement appliqué, & remplisse tout le canal.

§. 378. Mais quand les doigts ou les pincettes échouent, ou ne peuvent pas être employés, il faut se servir des crochets. On en fait dans le moment, avec un fil de fer un peu fort, qu'on courbe par le bout; on l'introduit plat, & pour s'assurer de cette direction, on fait, au bout par lequel on le tient, un autre crochet, ou une anse dans le même sens; ce qui sert en même-tems, à l'assurer à la main par un fil: moyen qu'on devroit employer dans ce cas, pour tous les instrumens, afin d'éviter les malheurs arrivés plus d'une fois, quand ces instrumens échapent. Après que le crochet a passé l'obstacle, ce qui est presque toujours possible, on le retourne, & il accroche le corps qu'on amene en le retirant. Le crochet est aussi très commode, quand un corps un peu flexible, comme une épingle, ou une arrête, se sont mis en travers de l'œsophage; alors ce crochet, les prenant par le milieu, les courbe, & les dégage. S'ils étoient très fragiles, il serviroit à les casser; & alors, si les fragmens ne se dégageoient pas, on pourroit les retirer par quelqu'un des autres moyens.

§. 379. Quand ce sont des corps minces, qui n'occupent qu'une partie du passage, & qui pourroient aisément, ou échapper au crochet, ou par leur résistance le redresser, on se sert d'anneaux. On en fait de solides; ou de flexibles. On en fait de solides avec un fil de fer, ou un cordon de quelques fils d'archal très minces. Pour cela on plie ces fils en cercle par le milieu, où on ne les rapproche pas; mais on y laisse un anneau d'un doigt de diametre; on rapproche les branches l'une de l'autre, & on introduit l'anneau dans l'œsophage. On cherche à engager le corps, & alors on le ramene. On en fait aussi de très flexibles avec de la laine, des fils, des soies, de petites ficelles, qu'il convient de cirer, afin qu'ils aient un peu plus de consistance; on les attache fortement à un manche ou de fil de fer, ou de baleine, ou de bois flexible; on les introduit, on cherche à engager le corps, & on le retire. On met souvent plusieurs de ces anneaux de fils, passés l'un dans l'autre, afin d'engager plus surement le corps, qui entrera dans l'un, s'il échappe à l'autre. Cette espece d'anneau a un avantage, c'est que, quand on a engagé le corps, on peut alors, en tournant le manche, le serrer si fortement, dans l'anneau ainsi tordu, qu'on est le maître de le remuer en tout sens; ce qui est un avantage très considérable, dans un grand nombre de cas.

§. 380. Un quatrieme moyen, c'est l'éponge. La propriété qu'elle a de se gonfler en s'humectant, fonde son usage dans ce cas. Si un corps est arrêté sans remplir toute la cavité de l'œsophage, on fait passer une éponge, par le vuide qui reste, au-delà de ce corps; elle se gonfle bientôt dans cet endroit humide, & l'on peut même en hâter le gonflement, en faisant avaler quelques gouttes d'eau; alors, en la retirant au moyen du manche qui a servi à l'introduire, comme elle est trop grosse pour ressortir par le même endroit par lequel elle étoit entrée, elle entraine avec elle le corps qui lui fait obstacle, & par-là elle débouche le gosier.

Comme l'éponge seche peut se resserrer, on a quelquefois profité de ce moyen pour en faire passer un morceau assez gros par un fort petit espace. On la resserre, en l'entourant fortement, avec un fil ou un ruban, qu'on peut desserrer très aisément, & retirer quand l'éponge a passé. On l'assujettit aussi dans un morceau de baleine, fendu en quatre à un bout, & qui ayant beaucoup de ressort, resserre sur l'éponge; on accommode la baleine de façon qu'elle ne puisse pas blesser; l'éponge est également attachée à un cordon très fort, afin qu'après l'avoir dégagée de la baleine, le Chirurgien puisse la retirer. On s'est aussi servi de l'éponge d'une autre façon. Quand il n'y a pas de place pour la faire passer, parceque le corps remplit tout le canal, & que ce corps n'est point accroché, mais seulement engagé par la petitesse du passage, on introduit un morceau d'éponge un peu gros dans l'œsophage, jusques près du corps avalé; alors cette éponge se gonfle, elle dilate le canal en dessus du corps, on la retire un peu, mais très peu, & le corps étant moins pressé en dessus qu'en dessous, quelquefois le resserrement de la partie inférieure de l'œsophage, peut le faire remonter; & dès qu'un premier dégagement est fait, le reste s'opere aisément.

§. 381. Enfin quand tous ces moyens sont inutiles, il en reste un autre, c'est de faire vomir le malade; mais ce remede ne peut gueres être utile que pour les corps engagés. Dans les cas où ils seroient accrochés ou plantés, il pourroit faire du mal.

Si l'on peut avaler, on fait vomir en donnant le remede No. 8, ou un remede émétique. L'on a dégagé, par ce moyen, un os arrêté depuis vingt-quatre heures.

Quand on ne le peut pas, on doit essayer si l'irritation d'une plume promenée dans le fond de la gorge produira cet effet; ce qui n'arrivera pas si le corps comprime fortement tout l'œsophage; & en ce cas, il faut donner un lavement de tabac. Un homme avala un gros morceau de poulmon de veau, qui s'arrêta au milieu de l'œsophage & bouchoit exactement le passage. Un Chirurgien essaya inutilement un très grand nombre de moyens. Un second voyant leur inutilité, & le malade ayant «le visage noir & tuméfié, les yeux pour ainsi dire hors de la tête, tombant dans des syncopes fréquentes avec des mouvemens convulsifs, il lui fit donner en lavement la décoction d'une once de tabac en corde; ce remede procura un vomissement violent, qui fit rejetter le corps étranger, qui alloit causer la mort du malade.»

Un sixieme moyen, que je ne crois point qu'on ait employé, mais qui pourroit être très utile dans plusieurs cas, quand les corps avalés ne sont pas trop durs, & qu'ils sont fort gros, ce seroit de fixer un tire-boure solidement à un manche flexible, & à un fil ciré, afin qu'on pût le retirer, supposé qu'il quittât le bâton, il seroit aisé, sur tout si le corps n'étoit pas extrêmement bas, d'y planter le tire boure, & de le retirer par ce moyen.

L'on a vu une épine fixée dans la gorge, dégagée & rejettée en riant.

§. 382. Dans le cas du §. 375, quand il convient de pousser les corps, on emploie ou des porreaux, qui ont l'avantage de se trouver par-tout, mais qui sont sujets à se casser, ou une bougie huilée & tant soit peu chauffée, afin qu'elle soit flexible, ou une baleine, ou un fil de fer, dont on épaissit dans le moment un des bouts avec du plomb fondu, ce qui est très vite fait. L'on peut employer, avec le même succès, quelques bâtons de bois flexible, comme le bouleau, le coudrier, le frêne, le saule, une sonde flexible, une baguette de plomb. Tous ces corps doivent être très unis & polis, afin qu'ils n'occasionnent point d'irritation. Quelquefois dans cette vue on les enveloppe avec un boyau mince de mouton. L'on attache quelquefois au bout une éponge, qui remplissant tout le canal, entraine tous les obstacles qu'elle rencontre.

L'on fait aussi quelquefois dans ces cas, avaler de gros corps, comme de la mie ou de la croute de pain, un navet, une tige de laitue, une bale, dans l'espérance qu'ils entraineront l'obstacle; mais ce sont des moyens bien foibles, & si on les fait avaler sans les avoir assujettis à un fil, il est à craindre que, s'arrêtant eux-mêmes, ils ne doublent le mal.

Il est arrivé quelquefois, fort heureusement, que les corps qu'on vouloit pousser s'engageoient dans la bougie, ou dans le porreau dont on se servoit pour les pousser, & ressortoient avec: mais cela n'arrive qu'aux corps pointus.

§. 383. S'il est impossible de retirer les corps §. 376, & tous ceux qu'il est dangereux d'avaler, il faut alors, de deux maux choisir le moindre, & courir les risques de les pousser, plutôt que de laisser périr horriblement le malade en peu de momens. L'on doit d'autant moins balancer à prendre ce parti, qu'un grand nombre d'exemples prouvent, que, s'il est arrivé souvent de grands maux, après avoir avalé ces corps, & même une mort cruelle, d'autrefois ils n'ont occasionné que peu ou point d'accidens.

§. 384. Il arrive quand ces corps ont été avalés, de quatre choses l'une; ou ils ressortent avec les excrémens au bout de peu de tems, sans avoir occasionné presque aucun mal, ou cette sortie ne se fait que long-tems après, & est précédée par beaucoup de douleurs. L'on a vu ressortir peu de jours après, sans avoir souffert, un os de jambe de poule, un noyau de pêche, un couvercle de boëte de thériaque, des épingles, des aiguilles, des monnoies de toute espece, une petite flûte longue de quatre pouces, elle causa de vives douleurs pendant trois jours, & sortit heureusement; des couteaux, des rasoirs, une boucle de souliers. J'ai vu il n'y a que peu de jours, un enfant de deux ans & demi, qui avala un clou long de plus d'un pouce, & dont la tête avoit plus de trois lignes de largeur; il s'arrêta quelques momens au col, mais il passa pendant qu'on vint me chercher, & ressortit pendant la nuit, avec une selle, sans avoir occasionné aucun accident. Plus récemment encore, un os entier d'aîleron de poulet n'a occasionné qu'un peu de douleur d'estomac pendant trois ou quatre jours. Quelquefois ces corps restent plus long-tems, & ne ressortent qu'au bout de plusieurs mois, & même des années, sans avoir cependant fait aucun mal.

§. 385. L'événement n'est pas toujours si heureux; quelquefois ils ressortent naturellement, mais ce n'est qu'après avoir fait souffrir les douleurs les plus vives dans l'estomac & les boyaux. Il arrive quelquefois que ces corps, après avoir parcouru tous les intestins, sont arrêtés au fondement, & occasionnent de fâcheux accidens, mais auxquels un chirurgien adroit peut presque toujours remédier, s'il est possible de les couper, comme des os minces, des machoires de poissons, des épingles, ils sortent alors avec beaucoup de facilité.

§. 386. Une seconde terminaison, c'est quand ces corps ne ressortent point, mails occasionnent des accidens fâcheux qui tuent le malade, & il y a beaucoup de ces cas. Une Demoiselle ayant avallé des épingles qu'elle tenoit dans sa bouche, une partie ressortit par les selles; mais l'autre partie perça les intestins, & même le ventre avec des douleurs inouies; la malade périt au bout de trois semaines. Un homme avala une aiguille, elle perça l'estomac, pénétra dans le foie, & fit périr le malade en consomption. L'on mange tous les jours des noyaux, mais on a des exemples de gens chez lesquels il s'en est fait des amas, qui sont devenus cause de mort après beaucoup de douleurs.

§. 387. Le troisieme cas, c'est quand ces corps ressortent avec les urines. Ces cas sont rares; l'on en a cependant quelques exemples. Une épingle de moyenne grandeur, ressortit en urinant trois jours après, & l'on a rendu, par la même voie, un petit os, des noyaux de cerises, de prunes, & même un de pêche.

§. 388. Enfin le quatrieme cas, c'est quand ils percent l'estomac ou les boyaux, & qu'ils vont jusqu'à la peau, occasionnent un abcès, & se font jour eux-mêmes, ou sont tirés en ouvrant l'abcès. Ils sont souvent très long-tems à faire ce trajet. Quelquefois les douleurs sont continues, d'autres fois le malade souffre pendant quelque tems, les douleurs cessent & recommencent. L'abcès se forme ou sur l'estomac, ou dans d'autres parties du ventre; quelquefois même ces corps, après avoir percé les intestins, font des routes singulieres, & vont ressortir loin du ventre. Une aiguille avallée ressortit au bout de quatre ans à la jambe.

§. 389. Tous ces exemples, & une foule d'autres, de morts cruelles après des corps avalés, prouvent la nécessité d'être sur ses gardes à cet égard, & déposent contre l'imprudence horrible, j'oserois dire criminelle, de s'amuser de jeux qui peuvent occasionner ces malheurs, ou même de tenir dans la bouche des corps, qui échappans, deviennent cause de mort. Peut-on, sans frémir, mettre dans la bouche des aiguilles & des épingles, quand on pense aux maux horribles & à la mort cruelle qu'elles peuvent occasionner?

§. 390. L'on a vu plus haut, que quelquefois les corps arrêtés étouffoient le malade; d'autrefois on ne peut pas les faire passer, mais ils restent dans l'œsophage, sans que le malade meure, au moins d'abord. Cela arrive quand ils sont situés de façon qu'ils ne compriment pas la trachée artere, & qu'ils n'empêchent pas le passage des alimens; ce qui ne peut gueres arriver qu'aux corps pointus. Ces corps ainsi arrêtés, quelquefois occasionnent sans beaucoup de violence, une petite suppuration qui les dégage; ils ressortent par la bouche, ou tombent dans, l'estomac. D'autrefois ils occasionnent une inflammation prodigieuse qui tue le malade; ou si la matiere de l'abcès se porte en dehors, il se forme une tumeur à l'extérieur du col; on l'ouvre, & le corps ressort par-là. D'autres enfin se font une route qu'ils parcourent avec peu ou point de douleurs, & ils vont ressortir derriere le col sur la poitrine, à l'épaule, enfin en différens endroits.

§. 391. Quelques personnes étonnées des marches singulieres de ces corps, qui, par leur volume, & surtout par leur figure, paroissent ne pouvoir s'introduire dans le corps qu'en le détruisant, souhaiteront qu'on leur explique comment & où ces corps font leur route; l'on me permettra en leur faveur une courte digression; elle est peut-être d'autant moins hors de mon plan, qu'en faisant disparoître le merveilleux de la chose, elle fera tomber le préjugé superstitieux qui a souvent attribué aux sortiléges des faits de cette espece, qui s'expliquent avec beaucoup de facilité. Cette même raison est une de celles qui m'ont déterminé à étendre autant ce chapitre.

L'on trouve sous la peau, dans quelqu'endroit qu'on l'ouvre, une membrane composée de deux lames, séparées l'une & l'autre par de petites cellules qui communiquent toutes les unes aux autres, & qui sont remplies plus ou moins de graisse. Il n'y a aucune graisse dans tout le corps, qui ne soit renfermée dans cette membrane, qu'on appelle membrane graisseuse. Non-seulement elle se trouve sous la peau, mais de-là, en se repliant de différentes façons, elle se répand dans tout le corps, elle sépare tous les muscles, elle fait partie de l'estomac, des boyaux, de la vessie, de tous les visceres, c'est elle qui forme ce qu'on appelle la coeffe, ou dans les animaux, penne; elle fournit une enveloppe aux veines, aux arteres, aux nerfs. Dans quelques endroits elle est très épaisse & remplie de beaucoup de graisse; dans d'autres elle est extrêmement mince & dénuée de graisse; par tout elle est privée de tout sentiment. On pourroit se la représenter comme une couverture piquée, dont le coton est inégalement distribué; dans quelques endroits il y en a beaucoup; dans d'autres il n'y en a point, & les deux doubles se touchent. C'est dans cette membrane que se font les mouvemens de ces corps étrangers, & comme la communication est générale, il n'est point étonnant qu'ils aillent d'un endroit à un autre très éloigné, en parcourant de très longs chemins. Les officiers & les soldats sentent très fréquemment des bales qu'on n'a pas pû faire sortir, faire des trajets considérables.

La communication générale entre toutes les parties de cette membrane, est démontrée par un fait qui se réitere tous les jours contre les loix de la Police, les bouchers font une petite incision à la peau d'un veau, à laquelle ils appliquent un soufflet; ils soufflent fortement, & il n'y a pas une partie de tout le veau qui ne se ressente de ce gonflement artificiel. Des scélérats se sont servis de cette indigne manœuvre, pour rendre monstrueux des enfans qu'ils faisoient voir ensuite pour de l'argent. C'est dans cette membrane que les eaux des hydropiques sont ordinairement épanchées, & dans laquelle elles suivent les mouvemens que leur imprime la pesanteur. L'on demandera; cette membrane étant traversée en différens endroits par des nerfs, des veines, des arteres, &c. qui sont des parties dont les blessures occasionneroient nécessairement des accidens fâcheux; comment n'en arrive-t-il pas? Je répons 1. que ces accidens arrivent quelquefois. 2. Qu'ils doivent cependant arriver rarement, parceque toutes ces parties qui traversent la membrane graisseuse, étant plus durs que la graisse, ces corps doivent presque nécessairement, quand ils les rencontrent, être détournés vers les graisses qui les entourent, où la résistance est beaucoup moins considérable, & cela d'autant plus sûrement, que ces corps sont toujours cilindriques.

§. 392. A tous les secours que j'ai indiqués jusqu'à présent, je dois ajouter encore quelques conseils généraux.

1o. Il est souvent utile & même nécessaire de faire une ample saignée du bras, surtout quand la respiration est extrêmement gênée, ou quand l'on ne peut pas réussir d'abord à déplacer le corps; parcequ'alors la saignée prévient l'inflammation que produiroient les irritations fréquentes. Il peut arriver que la saignée, qui jette toutes les parties dans le relâchement, opere sur-le-champ le dégagement du corps.

2o. Quand on voit que toutes les tentatives, pour retirer ou pour pousser, sont inutiles, il faut les cesser; parceque l'inflammation qu'on occasionneroit, seroit aussi fâcheuse que le mal même, & que l'on a des exemples de gens morts à cause de cette inflammation, quoique le corps eût été déplacé.

3o. Pendant qu'on fait ces tentatives, il faut faire avaler souvent au malade, ou injecter avec un canal courbe qui aille plus loin que la glotte, quelque liqueur fort émolliente, comme de l'eau tiede, ou pure, ou mêlée avec du lait, ou une décoction d'orge, de mauve, de son. Il en résulte ce double avantage; c'est que l'on adoucit par-là les parties irritées, ce qui retarde l'inflammation; & en second lieu souvent une injection faite avec force, réussit mieux pour dégager un corps charnu, que toutes les tentatives avec des instrumens.

4o. Quand on est obligé de laisser dans la gorge un corps arrêté, il faut conduire le malade tout comme s'il avoit une maladie inflammatoire; le saigner, le mettre au régime; lui envelopper tout le col avec des cataplasmes émolliens. Il convient d'employer la même méthode, quoique le corps soit déplacé, si l'on a lieu de croire qu'il y a de l'inflammation dans l'œsophage.

5o. Quelquefois un peu de mouvement dégage mieux que les instrumens. L'on sait qu'un coup de poing derriere l'épine, a souvent dégagé des corps fortement arrêtés, & j'ai deux exemples que les malades qui avoient des épingles arrêtées, étant montés à cheval, pour aller, de la campagne, chercher du secours dans la ville voisine, sentirent le corps se dégager après une heure de marche; l'un le cracha; l'autre l'avala sans mauvaise suite.

6o. Quand le danger de suffocation est pressant, que la saignée est insuffisante, qu'on n'a point d'espérance de dégager promptement le col, & que la mort est proche, si l'on ne rend pas la respiration au malade; il faut, sur-le-champ, faire la bronchotomie; c'est-à-dire ouvrir la trachée artere; ce qui n'est ni difficile pour un Chirurgien un peu entendu, ni fort douloureux.

7o. Quand le corps arrêté passe dans l'estomac, il faut d'abord mettre le malade à un régime très doux, éviter tous les alimens âcres, irritans, chauds; le vin, les liqueurs; ne prendre que peu d'alimens à la fois; n'en point prendre de solides, qu'après les avoir extrêmement mâchés. Le meilleur régime seroit de vivre de soupes farineuses, de quelques légumes, d'eau & de lait; ce qui vaut beaucoup mieux que l'usage des huiles.

§. 393. L'auteur de la nature a pourvu à ce qu'en mangeant, rien ne passât par la glotte, dans la trachée artere; ce malheur arrive cependant quelquefois. Il survient dans le moment une toux continue & violente, une douleur aigüe, une suffocation; tout le sang se porte à la tête; le malade est angoissé & agité par des mouvemens violens & involontaires, il meurt quelquefois sur-le-champ. Un grenadier hongrois, cordonnier de son métier, travailloit & mangeoit en même-tems, il tomba de sa chaise sans dire un seul mot; ses camarades appellerent du secours, des Chirurgiens arriverent aussi tôt; il ne donna, malgré plusieurs secours, aucun signe de vie. On trouva dans le cadavre un morceau de viande de bœuf fort gros qui étoit enfoncé dans la trachée artere, qu'il bouchoit si exactement, qu'elle ne pouvoit laisser passer le moindre air au poulmon.

§. 394. Il faut frapper fréquemment sur l'épine du dos, occasionner quelques efforts pour vomir, faire éternuer avec du poivre blanc, du muguet, de la sauge, des tabacs céphaliques quelconques, qu'on souffle fortement dans les narines. Un pois jetté en badinant dans la bouche, entra dans la trachée artere, & ressortit en faisant vomir avec de l'huile. Un petit os fut chassé en faisant éternuer avec de la poudre de muguet. Enfin si ces secours ne réussissent pas d'abord, il faut, sans hésiter, faire la bronchotomie (voyez le §. précédent No. 6.). L'on a retiré par ce moyen des os, une féve, une arrete, & sauvé par-là les malades.

§. 395. L'on tente tout, quand il s'agit de la vie humaine. Dans le cas où un corps ne pourroit ni être dégagé de l'œsophage, ni y rester sans tuer promptement le malade, l'on a proposé de faire une incision à l'œsophage même, par laquelle on le tireroit, & d'employer le même moyen lorsqu'un corps tombé dans l'estomac, seroit de nature & occasionneroit des accidens propres à tuer promptement le malade. Quand l'œsophage est fermé, on nourrit par des lavemens de bouillon.

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