Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
CHAPITRE XIII.
De la petite Vérole.
§. 185. La petite vérole est la plus générale de toutes les maladies, puisque de cent personnes il n'y en a que quatre ou cinq qui en soient exemptes. Il est vrai, que si elle attaque tout le monde, elle n'attaque qu'une fois; & quand on l'a eue, on en est à l'abri pour toujours: c'est en même tems une des plus meurtrieres; & si elle est souvent la plus douce des maladies, elle est d'autres fois la plus horrible après la peste. Il est démontré, qu'en combinant les ravages des mauvaises & des bénignes, cette maladie tue la septiéme partie de ceux qu'elle attaque.
§. 186. On l'a ordinairement étant encore jeune. Il est rare qu'elle n'attaque qu'une personne dans un endroit. Le plus souvent elle est épidémique, & saisit une grande partie de ceux qui ne l'ont pas eue. Elle finit au bout de quelques semaines ou de quelques mois, & ne reparoît dans le même endroit, qu'au bout de quatre, cinq, ou six ans.
§. 187. Le mal s'annonce souvent, trois ou quatre jours avant la fievre, par un léger abattement, moins de vivacité, de gaieté; une facilité à suer, moins d'apétit, le visage un peu changé, les yeux battus. Cependant chez les enfans d'un tempéramment lent & phlégmatique, j'ai vu qu'une légere agitation dans le sang, avant que le frisson eût paru, leur donnoit une vivacité, une gaieté, & un coloris qu'ils n'avoient jamais eu. Il survient des alternatives de froid & de chaud, & enfin un frisson bien marqué, qui dure une, deux, trois, quatre heures, & qui est suivi d'une chaleur très forte, accompagnée de maux de tête, de maux de reins, & de vomissemens, ou au moins d'envie de vomir. Cet état dure pendant quelques heures; la fievre diminue un peu, par une sueur qui est quelquefois très abondante; le malade se trouve mieux, mais cependant accablé, engourdi, très dégoûté, avec mal de tête & de reins, & un penchant au sommeil, sur-tout s'il est jeune. La fievre ne finit pas entierement; & au bout de quelques heures, ordinairement sur le soir, elle reparoît avec tous ses accidens, & se termine de la même façon. Cet état dure trois ou quatre jours; au bout de ce tems, rarement plus tard, les premiers boutons paroissent parmi la sueur qui termine le redoublement. J'ai ordinairement vu les premiers au visage, ensuite aux mains, à l'avant-bras, au col, au haut de la poitrine. Dès que cette éruption est commencée, la fievre finit presqu'entierement. L'on continue à transpirer; le nombre des boutons augmente, & il en vient au dos, aux flancs, au ventre, aux cuisses, aux jambes & aux pieds; quelquefois même il en pousse abondamment sous la plante des pieds, où, en grossissant, ils occasionnent fréquemment de très grandes douleurs, à cause de la dureté de la surpeau dans cette partie.
Souvent le premier & le second jour de l'éruption, il y a encore un très leger mouvement de fievre sur le soir, vers la fin duquel il sort beaucoup de boutons. Quand la fiévre finit entierement après la premiere éruption, l'on ne doit pas attendre une petite vérole abondante; car si l'éruption est ou doit être très abondante, la fievre ne cesse pas tout-à-fait, mais il en reste toujours un peu, & elle redouble tous les soirs. Les boutons naissans sont une très petite tache rouge assez ressemblante à la morsure d'une puce, mais marquée au milieu d'un petit point blanc élevé, qui grossit peu à peu, & la rougeur s'étend au tour. Ils deviennent plus blancs à mesure qu'ils grossissent, & ordinairement le sixieme jour après leur sortie ils sont à leur plus haut point de grandeur, & remplis de pus. Il y en a qui sont aussi gros qu'un pois, & même plus; mais ce n'est pas le plus grand nombre. Dès ce moment ils commencent à jaunir, séchent & tombent en écailles brunes dix ou onze jours après leur sortie. Comme ils sont venus en différens tems, ils mûrissent, séchent & tombent inégalement. Le visage est quelquefois net pendant qu'il y a encore des boutons qui ne sont pas mûrs aux jambes; ceux surtout de la plante des pieds durent très long-tems.
§. 188. La peau est nécessairement tendue par les boutons, & dès qu'il y en une certaine quantité, tous les intervalles sont rouges, luisans, & la peau très enflée. Le visage est la premiere partie qui enfle, parceque c'est celle où les boutons sont parvenus le plutôt à leur grosseur, & l'enflure est quelquefois si considérable qu'il est monstrueux, aussi-bien que le col & les yeux, qui sont absolument fermés. Le visage désenfle à proportion que le desséchement se fait, & alors les mains enflent prodigieusement, ensuite les jambes, parceque le gonflement est la suite du plus haut dégré de la grosseur des boutons, & que ce degré a lieu successivement dans ces différentes parties.
§. 189. Quand on a beaucoup de boutons, la fiévre se releve dans le tems de la suppuration, & cela n'est point étonnant, un seul furoncle ou clou donne la fievre; comment des centaines ou des milliers de ces petits abcès ne la donneroient-ils pas? Et cette fiévre est le période le plus dangereux de la maladie, ce qui tombe entre le neuvieme & le treizieme jour; car plusieurs circonstances varient le tems de la maturité. Le malade à cette époque a de la chaleur, de la soif, des douleurs, de la peine à trouver une attitude favorable. Si le mal est considérable, il ne dort point, il a des rêveries, de l'oppression, de l'assoupissement; & quand il meurt, il meurt suffoqué ou léthargique, souvent tous les deux à la fois. Le pouls, dans cette fiévre, est quelquefois d'une vîtesse étonnante, & l'enflûre des poignets fait qu'il paroît dans quelques sujets très petit. Le tems du plus grand danger, c'est quand le visage, la tête, le col sont extrêmement enflés. Dès que ces parties commencent à désenfler, que les croûtes du visage commencent à sécher, & que la peau se flétrit, le pouls devient un peu moins fréquent, & le danger diminue. Quand il n'y a que très peu de boutons, cette seconde fiévre est si legere, qu'il faut être attentif pour s'en appercevoir, & elle n'est pas dangereuse.
§. 190. Outre tous ces symptômes, il y en a quelques autres qui demandent aussi beaucoup d'attention. L'un, c'est le mal de gorge, dont plusieurs malades sont atteints dès que la fiévre est un peu forte. Il dure deux ou trois jours, & gène quand on veut avaler; & même quand la maladie est extrêmement grave, il en empêche absolument. On l'attribue ordinairement aux boutons qui poussent dans la gorge. C'est une erreur, & ces boutons sont presque toujours une chimere. Il naît le plus souvent avant le temps de l'éruption. Si le mal est leger, il finit quand elle est faite; & quand il reparoît dans le courant de la maladie, il est toujours proportionné au dégré de la fiévre; ainsi il ne dépend point des boutons, mais de l'inflammation, & s'il est de durée, il est presque toujours suivi du second symptôme, qui est la salivation, c'est-à-dire le crachement d'une grande quantité de salive. Elle a rarement lieu, quand la maladie est très legere, ou le malade très jeune; elle manque rarement quand la maladie est considérable, & que le malade a plus de sept ou huit ans. Elle est prodigieuse quand la petite vérole est très abondante & le malade adulte. Dans ce cas elle est continuelle, elle ne laisse aucun repos au malade & l'incommode à l'excès, d'autant plus qu'au bout de quelques jours les lévres, l'intérieur des joues, la langue, le palais sont entiérement écorchés. Quelqu'incommode que soit cette évacuation, elle est très salutaire. Les petits enfans y sont moins sujets, quelques-uns en échange ont la diarrhée; mais j'ai vu que cette évacuation est beaucoup plus rare chez eux, que la salivation chez les adultes.
Les enfans jusqu'à l'âge de cinq ou six ans, sont sujets aux convulsions avant la sortie des boutons; elles ne sont point dangereuses, à moins qu'elles ne soient accompagnées d'autres symptômes violens & fâcheux. Celles qui surviennent, ou quand l'éruption déja faite rentre tout-à-coup, ou dans le tems de la fievre de suppuration, sont beaucoup plus à craindre. Il survient souvent des saignemens de nez, les premiers jours de la maladie, qui sont extrêmement utiles, & qui diminuent ordinairement le mal de tête. Les petits enfans y sont moins sujets; ils en ont cependant quelquefois, & j'ai vû des assoupissemens considérables finir d'abord après le saignement.
§. 191. L'on distingue ordinairement la petite vérole en deux especes, la confluente & la discrette, & cette division est dans la nature. Mais comme le traitement de l'une, est le même que celui de l'autre, & qu'il ne faut que proportionner la dose des remedes au danger, pour ne pas entrer dans des détails trop longs & trop difficiles à saisir pour la plûpart des lecteurs, aussi bien que tout ce qui regarde les petites véroles malignes; je me bornerai à la description que j'ai donnée, qui contient les symptômes essentiels communs à l'une & à l'autre espece. Je me contente d'ajouter que l'on doit s'attendre à une petite vérole très abondante, si dès le commencement le malade est attaqué brusquement par plusieurs symptômes violens, sur-tout si les yeux sont extrêmement vifs, les vomissemens continus, les maux de reins forts, & s'il a en même-tems beaucoup d'angoisse & d'inquiétudes, si les enfans ont beaucoup d'assoupissement, si l'éruption se fait dès le troisieme jour, quelquefois même dès le second; car plus l'éruption est prompte dans cette maladie, plus la maladie est dangereuse. Au contraire, plus l'éruption est tardive & mieux c'est, à moins que ce retard ne fût causé par une très grande foiblesse.
§. 192. La maladie est quelquefois si legere, que l'éruption se fait presque sans qu'on ait soupçonné que l'enfant fût malade, & la suite répond au commencement. Les boutons passent, grossissent, suppurent & mûrissent sans que le malade garde le lit, dorme moins, & ait moins d'appétit. Il est très commun dans les campagnes de voir des enfans, & ce n'est presque que les enfans qui l'ont si legere, passer en plein air tout le tems de leur maladie, courant & mangeant comme en santé. Ceux mêmes qui l'ont eue un peu plus grave, sortent ordinairement dès que l'éruption est entierement finie, & se livrent sans ménagement à la voracité de leur appétit. Nonobstant ce peu de soin, plusieurs se guérissent parfaitement; mais ce n'est cependant point un exemple qu'on doive suivre, parcequ'un grand nombre éprouve des suites très fâcheuses, & l'on m'a amené une foule de ces enfans, qui, après avoir eu de ces petites véroles heureuses mais mal soignées, étoient tombés dans des infirmités de différentes especes, qu'il est très difficile de détruire.
§. 193. C'est encore ici une de ces maladies dont le mauvais traitement, & sur-tout l'envie de faire suer, a augmenté le danger pendant long-tems, & l'augmente encore parmi le peuple, sur-tout dans les campagnes. L'on voit que l'éruption se fait pendant que le malade sue, & qu'il se trouve mieux quand l'éruption est faite; l'on conclut qu'en hâtant cette éruption, l'on contribue au soulagement du malade, & l'on imagine qu'en augmentant la quantité de la sueur & des boutons, le sang se dépure mieux de tout le venin. Ce sont des erreurs funestes dont de tristes exemples prouvent tous les jours le danger. Quand le venin a passé dans le sang, il faut un certain tems pour qu'il produise son effet; alors le sang étant gâté par le venin qui y est entré & par celui qui s'est formé, la nature fait effort pour s'en débarrasser, et le jetter à la peau, précisément dans le moment où tout est disposé pour cela. Ordinairement cet effort est suffisant, & fort souvent même très violent, très rarement trop foible. L'on voit par-là, que quand l'effort est suffisant, il ne faut point l'augmenter par des remedes chauds, qui le rendroient trop violent & dangereux. Quand il est déja trop violent, l'augmenter, c'est le rendre mortel. Les cas où il est trop foible sont très rares, surtout dans les campagnes, & très difficiles à juger; aussi il faut être très réservé sur l'usage des remedes chauds, qui sont meurtriers dans cette maladie. Le vin, la thériaque, la confection, l'air chaud, les couvertures pesantes, font périr annuellement des milliers d'enfans, qui auroient été guéris si on ne leur avoit donné que de l'eau tiede; & toutes les personnes qui s'intéressent à la conservation de ceux qui sont atteints de cette maladie, doivent soigneusement empêcher qu'ils ne fassent aucun usage de ces drogues, qui, lors même qu'elles ne rendent pas la maladie mortelle, la rendent cruelle & accompagnée des suites les plus funestes. Le préjugé est enraciné, il se détruira difficilement; mais je ne souhaite que de faire ouvrir les yeux sur le succès de la méthode chaude, & sur celui de celle que je vais proposer; le jugement alors ne restera pas long-tems suspendu. Je dois même dire, que j'ai trouvé parmi le peuple de la ville plus de docilité à cet égard, surtout dans la derniere épidémie, que je n'aurois osé l'espérer. Non-seulement ceux qui me consultoient dès le commencement, observoient avec assez d'exactitude le régime rafraichissant que je leur conseillois; mais même leurs voisins l'employoient, quand leurs enfans étoient attaqués, & ayant été souvent appellé après plusieurs jours de maladie, j'ai vu avec plaisir, dans plusieurs maisons, qu'on n'avoit donné aucun remede chaud, & qu'on avoit eu grand soin de rafraichir l'air. J'ai lieu d'espérer que cette méthode sera bientôt générale ici; & ce qui l'accreditera, c'est que cette épidémie, quoiqu'aussi nombreuse, a été moins meurtriere que les précédentes.
§. 194. Dès que la maladie commence, ce qu'on soupçonne si l'on trouve les signes que j'ai décrits plus haut, si le malade ne l'a pas eue, & si elle est actuellement dans le lieu, on le met très exactement au régime, §. 29-42, & on lui donne soir & matin un bain de jambes tiede; c'est le remede le plus propre à diminuer le nombre des boutons à la tête, & à faciliter l'éruption dans le reste du corps. Les lavemens contribuent aussi beaucoup à abattre le mal de tête, & à diminuer les envies de vomir & les vomissemens, qui incommodent beaucoup le malade, mais qu'on cherche très mal-à-propos à arrêter par la confection ou la thériaque; & dont il est plus dangereux encore de vouloir emporter la cause, avec un émétique ou un purgatif, qui sont des remedes pernicieux dans les commencemens de cette maladie. Si la fievre est legere, les bains de pieds du premier jour, & le premier lavement suffisent; alors on se contente du régime, & l'on peut même au lieu des ptisanes No. 1, 2, 4, ne donner à l'enfant que du lait coupé avec les deux tiers, ou la moitié, de thé de sureau, ou de tilleul, ou même, s'il n'a point du tout de fievre, de melisse; enfin, s'ils craignent tous ces gouts, avec de l'eau de fontaine. On peut joindre à cela quelques pommes cuites, & s'ils ont faim, quelques tranches de pain; mais il ne leur faut ni viande, ni bouillon à la viande, ni œufs, ni vin; parcequ'une observation réitérée a prouvé que les enfans, qui avoient pris de ces nourritures, étoient plus mal & se remettoient plus lentement que les autres. L'on peut aussi à cette époque, leur donner pour toute boisson du petit lait, dont j'ai vu souvent de très bons effets; ou de la battue. Quand la maladie n'est pas forte, elle se guérit parfaitement sans aucun autre secours & sans aucun autre remede. Il faut seulement avoir soin de purger, dès que les boutons du visage sont en partie secs, avec le remede No. 11, & de réitérer la même purgation six jours après. Ils ne doivent manger de la viande, qu'après cette derniere purgation, mais après la premiere on peut leur donner des legumes ou jardinages, & du pain assez pour qu'ils ne souffrent pas de la faim.
§. 195. Quand la fievre est forte, le pouls dur, le mal de tête & de reins violens, il faut sur-le-champ faire une saignée au bras; donner deux heures après un lavement, & si la fievre continue, réitérer la saignée. J'en ai fait faire jusques à quatre les deux premiers jours, à des gens qui n'avoient pas dix-huit ans. La saignée est surtout nécessaire, quand avec un pouls dur & plein, il y a assoupissement ou rêveries. L'on donne, tant que la fievre est trop forte, deux, trois, & même quatre lavemens par jour, & deux bains de pieds. On sort le malade du lit, & on le tient sur une chaise aussi long-tems que l'on peut. On change souvent l'air de la chambre; & s'il est trop chaud, comme cela arrive souvent en été, on emploie pour le rafraichir, les moyens décrits (§. 34). Le malade ne boit que des ptisanes No. 2, ou 4; & si cela ne modére pas suffisamment la fievre, on donne la potion No. 10. Après l'éruption, la fievre étant moins forte, on diminue la quantité des secours, & même si elle cessoit entierement, on se conduiroit comme §. 194.
§. 196. Quand après quelques jours de calme, la suppuration renouvelle la fievre, il faut, à la saignée & aux bains de pieds près, se conduire comme dans le §. précédent. L'on doit surtout avoir soin d'entretenir le ventre très libre; pour cela, on peut mettre dans les lavemens une once de catholicon, ou simplement les faire de petit lait, avec du miel, de l'huile & du sel. Donner trois fois par jour dans la matinée, à deux heures de distance l'un de l'autre, trois verres de la ptisane No. 31. Purger de deux jours l'un avec la potion No. 22: mais ce jour-là on ne prendra pas celle No. 31. Prodiguer, si le mal est violent, le remede No. 10. Sortir le malade du lit, & le tenir levé, dans une chambre bien airée, jour & nuit jusques à ce que la fievre ait baissé. Plusieurs personnes s'étonneront de ce conseil; cependant c'est celui qui m'a paru souvent le plus efficace, & sans lequel les autres sont inutiles. Comment dormira le malade, dira-t-on? Il n'est pas nécessaire qu'il dorme à cette époque; au contraire, le sommeil lui nuiroit: d'ailleurs il ne peut pas dormir; la salivation qui est continuelle l'en empêche, & il est très important de l'entretenir; on la facilite en injectant souvent dans la gorge de l'eau miellée. Il est aussi très utile d'en injecter dans les narines, & de les nétoyer souvent des croutes qui s'y amassent. Ces attentions diminuent non-seulement le mal-aise du malade, mais elles contribuent même très efficacement à la guérison. Si le visage & le col sont fort enflés, on met des cataplasmes émolliens à la plante des pieds; & si cela ne suffit pas, l'on y applique des sinapismes No. 35. Ils occasionnent quelquefois des douleurs excessives à la plante des pieds; mais à mesure que ces douleurs augmentent, la tête & le col se dégagent.
§. 197. Les paupieres s'enflent, quand la maladie est grave, au point de couvrir les yeux qui restent fermés pendant plusieurs jours. Il ne faut rien faire que de les arroser souvent avec un peu de lait & d'eau tiede. Ces précautions qu'on prend de les frotter avec du safran, une piece d'or, de l'eau rose, sont aussi inutiles que puériles. Ce qui contribue le plus à prévenir la rougeur des yeux, après la maladie, & en général toutes les autres suites, c'est de se contenter, pendant long tems, de très peu d'alimens, & surtout de ne prendre ni viande ni vin. Dans les petites véroles mauvaises, & chez les petits enfans, les yeux se ferment dès le commencement de l'éruption.
§. 198. Un secours extrêmement efficace, & qui n'avoit été employé pendant long-tems que comme un moyen de conserver le visage, mais qui a les plus grandes influences sur la conservation de la vie, c'est d'ouvrir les boutons, non-seulement au visage, mais par tout le corps. En les ouvrant très soigneusement au visage, premierement, on prévient le séjour du pus, & par là on empêche qu'il ne ronge, & ne laisse des cicatrices, des creux profonds, ou d'autres défigurations de cette espece; en second lieu, en donnant ainsi issue au venin, l'on empêche qu'il ne repasse dans le sang, & par-là on enleve une des grandes causes du danger, & l'on détend la peau; l'enflure du visage, celle du col, diminuent à mesure qu'on ouvre, & l'on facilite ainsi le retour du sang du cerveau; ce qui est un avantage très grand. Il faut ouvrir successivement par tout, à mesure que les boutons sont mûrs. Le moment de le faire, c'est quand ils sont tout-à-fait blancs, qu'ils commencent à jaunir tant soit peu, & que le cercle rouge qui les entoure a entierement pâli. On ouvre avec des ciseaux très pointus, ce qui n'est absolument point douloureux pour le malade; & quand on en a coupé une certaine quantité, on applique plusieurs fois une éponge trempée dans l'eau tiede, pour enlever ce pus qui se forme aisément en croutes. Mais comme les boutons vuidés se remplissent aisément, il faut réitérer l'ouverture au bout de quelques heures, & y revenir quelquefois cinq ou six fois de suite. Ces soins paroîtront minutieux, & ne deviendront sans doute jamais une pratique générale, mais je répete qu'ils sont beaucoup plus importans qu'on ne l'imagine, & que dans une fievre de suppuration fort grave, une ouverture générale, exacte, & réitérée, est le remede le plus efficace, parcequ'elle ôte les deux causes du danger, qui sont le pus & la tension de la peau.
§. 199. Je n'ai point parlé, dans le traitement, des remedes anodins ou propres à faire dormir, qu'on emploie généralement, mais que je n'emploie presque jamais, & dont j'ai prouvé tout le danger, dans cette même lettre à M. Haller, dont j'ai déja parlé: ainsi par-tout où l'on n'a point de Médecin, on doit éviter avec le plus grand soin, la thériaque, le laudanum, le syrop de pavot blanc, celui même de pavot rouge, celui de karabé, les pilules de styrax ou de cynoglosse, en un mot tout ce qui peut faire dormir. On doit sur-tout les bannir absolument dans le tems de la seconde fievre, pendant laquelle le sommeil même naturel est dangereux. Un cas dans lequel il est permis quelquefois de les employer, c'est pour les enfans foibles ou sujets aux convulsions, chez lesquels l'éruption se fait avec peine; mais, je le répete, il faut être circonspect dans l'usage de ces remedes, qui sont mortels, quand les vaisseaux sont pleins, quand il y a de l'inflammation, de la fievre, quand la peau est tendue, quand le malade a des rêveries, ou de l'oppression, & quand il convient que le ventre soit libre, que les urines coulent abondamment, & qu'on salive beaucoup.
§. 200. Si l'éruption commencée rentroit tout-à-coup, il faudroit bien se garder de donner des remedes sudorifiques, chauds, spiritueux, volatils; mais il faut donner beaucoup du remede No. 12, qu'on boira chaudement, et appliquer des vésicatoires aux gras des jambes. Ce cas est fâcheux, & les différentes circonstances qui l'accompagnent, peuvent exiger quelques secours, dans le détail desquels je ne puis pas entrer ici. Quelquefois une saignée fait reparoître l'éruption sur le champ.
§. 201. La meilleure préparation, pour disposer les enfans à avoir heureuse cette maladie, c'est d'empêcher qu'ils ne mangent trop, & sur-tout de ne leur donner que peu de viande, point de salé, & point de vin.
§. 202. Le seul moyen sûr d'en éloigner tout le danger, c'est de l'inoculer: mais ce moyen salutaire, qu'on doit regarder comme une grace particuliere de la Providence, ne peut être à l'usage du peuple, que dans les pays où l'on a fondé des hôpitaux pour l'inoculation.