← Retour

Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes

16px
100%

CHAPITRE XXVIII.
Secours pour les Noyés[15].

[15] Le malheur d'un jeune homme noyé en se baignant le premier jour des bains, détermina à publier ce chapitre séparément. Peu de jours après un ouvrier alloit éprouver le même sort; mais il fut heureusement retiré plus vîte que le premier, qui avoit été environ trente minutes sous l'eau, & on le guérit en suivant une partie des conseils indiqués dans cette instruction, dont plusieurs habitans avoient des exemplaires.

§. 366. Lorsqu'un noyé a été plus d'un quart-d'heure sous l'eau l'on ne doit pas avoir de grandes espérances de le r'animer; il suffit souvent d'y avoir été deux ou trois minutes, pour être absolument mort. Cependant plusieurs circonstances pouvant avoir prolongé la vie au-delà du terme ordinaire, l'on doit toujours essayer de leur donner les secours les plus efficaces, & il faut dans ce cas ne pas se lasser trop tôt. Ce n'est souvent qu'au bout de deux ou trois heures qu'ils donnent quelques marques non équivoques de vie.

§. 367. L'on a trouvé quelquefois de l'eau dans l'estomac des noyés, plus souvent il n'y en a point; d'ailleurs la plus grande quantité qu'on y en ait jamais trouvé, n'excede pas ce qu'on peut en boire sans s'incommoder; ainsi ce n'est point là la cause de la mort. Il n'est pas aisé de dire comment ils peuvent avaler cette eau. Ce qui les tue, c'est l'eau qui passe dans le poulmon, & qui y est portée dans les mouvemens qu'ils font nécessairement & involontairement pour respirer lorsqu'ils sont sous l'eau; car il n'entre absolument point d'eau dans l'estomac ou dans le poulmon de ceux qu'on met sous l'eau après leur mort; ce qui sert à fonder un jugement dans plusieurs cas criminels. Cette eau intimement mêlée avec l'air qui est dans le poulmon, forme une écume visqueuse, sans ressort, qui empêche absolument les fonctions du poulmon; & par-là non-seulement le malade est suffoqué, mais de plus le sang ne pouvant pas revenir de la tête, les vaisseaux du cerveau se remplissent, & l'apoplexie se joint à la suffocation.

§. 368. Le but qu'on doit avoir, c'est de dégorger le poulmon & le cerveau, & de ranimer la circulation éteinte. L'on doit 1o. dépouiller le patient de tous ses habits mouillés, le frotter fortement avec un linge sec; le mettre, s'il est possible, dans un lit chaud, & continuer les frictions. 2. Une personne saine & robuste doit souffler dans ses poulmons de l'air chaud, & de la fumée de tabac si l'on peut en avoir, par le moyen de quelque tuyau de pipe, de paille ou d'entonnoir, de chalumeau &c. qu'on introduit dans la bouche. Cet air soufflé avec force, si l'on bouche en même-tems les narines, pénetre dans le poulmon, & raréfie par sa chaleur l'air, qui, mêlé à l'eau, forme l'écume; il se dégage de cette eau, il reprend du ressort, dilate le poulmon, & s'il reste encore un principe de vie, la circulation recommence dans ce moment. 3. Dans le même-tems, si l'on a un Chirurgien un peu adroit, il ouvre la veine jugulaire ou grosse veine du col, & laisse couler huit, dix, douze onces de sang. Cette saignée fait du bien de plusieurs façons: premierement comme saignée, elle rétablit la circulation; parceque c'est l'effet constant de la saignée dans les évanouissemens qui dépendent d'une circulation suffoquée; en second lieu, c'est celle qui, dans ce cas, soulage le plus promptement l'engorgement de la tête & du poulmon; en troisieme lieu, c'est quelquefois la seule qui fournisse du sang; celle du pied n'en donne point, ou presque jamais; celle du bras rarement; celle de la jugulaire en donne presque toujours.

4. On introduit le plus vîte qu'on peut, & en aussi grande quantité possible, de la fumée de tabac dans les intestins par le fondement. L'on a des machines très commodes destinées à cet usage; mais elles sont très rares. On peut y suppléer par plusieurs moyens prompts; l'un, par lequel on a sauvé une femme, consiste «à introduire dans le fondement, le tuyau d'une pipe allumée; on enveloppe le fourneau d'un papier percé de plusieurs trous, on le met dans la bouche, & on souffle de toutes ses forces; à la cinquieme gorgée, on entendit dans le ventre de la femme, un grouillement considérable; elle rendit de l'eau par la bouche, & un moment après la connoissance lui revint». L'on peut aussi allumer deux pipes dont on abbouche les fourneaux; on met le tuyau de l'une dans le fondement, & on souffle par celui de l'autre. L'on peut encore introduire une vapeur quelconque, en mettant une canule ou un autre tuyau dans le fondement; on le lie fortement à une vessie; cette vessie tient par son autre bout à un gros entonnoir de fer blanc, sous lequel brûle le tabac. Ce moyen m'a réussi dans d'autres cas où le besoin me le fit imaginer.

5. L'on fait sentir au malade les eaux fortes les plus volatiles; on lui souffle dans le nez de la poudre de quelque herbe forte, séche, comme de sauge, de romarin, de rhue, de mente, & surtout de marjolaine, ou de tabac très sec, ou quelque fumée des mêmes herbes. Il convient au reste de n'employer ces derniers secours, qu'après la saignée; ils sont plus efficaces & plus sûrs. 6. Tant que le malade ne donne aucun signe de vie, il n'avalera pas, & il est inutile & même dangereux de lui mettre dans la bouche beaucoup de liquides; il suffit d'y mettre quelques gouttes de quelque liqueur irritante qui ranime. Mais dès qu'il a repris quelque mouvement, il faut lui donner dans l'espace d'une heure cinq ou six cuillerées à soupe d'oxymel scillitique, délayé avec de l'eau tiéde, ou si l'on n'avoit pas ce remede, on y suppléeroit par une forte infusion de chardon bénit, ou de sauge, ou de camomille adoucie avec du miel. Quelques personnes recommandent les remedes vomitifs; mais ils ne sont pas sans inconvénient. 7. Quoique le malade donne quelques signes de vie, il ne faut pas discontinuer les secours; car quelquefois ils meurent après ces premiers mouvemens. 8. Lors même qu'ils sont entierement rappellés à la vie, il reste de l'oppression, de la toux, de la fiévre, en un mot une maladie. Il faut quelquefois saigner au bras, & ensuite on leur donne beaucoup de ptisane d'orge, ou, si elle manque, du thé de sureau.

§. 369. Après avoir indiqué les secours nécessaires, je dirai un mot de quelques autres. On enveloppe dans des peaux de mouton, ou de veau, ou de chiens, qu'on écorche sur-le-champ; ces secours ont quelquefois ranimé la chaleur; mais ils sont plus lents, & ne sont pas plus efficaces que la chaleur d'un lit bien chauffé, parfumé de sucre, & que les frictions avec des flanelles chaudes. La méthode de les rouler dans un tonneau est dangereuse, & fait perdre un tems précieux. Celle de les pendre par les pieds, est aussi accompagnée de danger, & ne peut avoir aucun usage. Cette écume, qui cause la mort, est trop adhérente pour s'évacuer par son propre poids; c'est cependant le seul secours qu'on pourroit retirer de la suspension, qui augmente l'engorgement de la tête & du poulmon.

§. 370. Il y a quelques années qu'on sauva une fille de dix huit ans, (on ignore si elle avoit été sous l'eau peu de tems ou quelques heures) «qui étoit sans mouvement, glacée, insensible, les yeux fermés, la bouche béante, le teint livide, le visage bouffi, tout le corps enflé, chargé d'eau,» en étendant sur un lit quatre doigts de cendres, promptement chauffées dans des chaudieres, en la couchant toute nue sur ces cendres, en la couvrant avec d'autres cendres aussi chauffées; en lui mettant sur la tête un bonnet, autour du col un bas qui en étoient remplis; & en mettant par-dessus le tout des couvertures. Au bout de demi heure le pouls revint, elle reprit la voix, & cria: je gele, je gele. On lui donna un peu d'eau & on la laissa huit heures ensevelie sous les cendres. Elle en sortit sans aucun autre mal qu'une lassitude, qui se dissipa le troisieme jour. Ce remede doit certainement être efficace, & n'est pas à négliger; mais il ne doit pas faire négliger les autres. Du sable mêlé avec du sel, ou du sel seul auroient la même efficacité.

Dans ce moment on vient de ressusciter deux petits canards qui s'étoient noyés, par un bain de cendres chaudes. Celui de fumier peut aussi être utile.

Je viens d'apprendre, par un témoin oculaire, très digne de foi, & très éclairé, qu'il contribua efficacement à rappeller à la vie, un homme qui avoit été certainement six heures sous l'eau.

§. 371. Je finirai par un article qui se trouve dans un petit ouvrage imprimé à Paris, il y a vingt ans, par ordre du Roi; & auquel il n'y a sans doute aucune personne qui ne souscrive.

«Quoique le peuple soit assez généralement porté à la compassion, & quoiqu'il souhaitât de donner des secours aux noyés, souvent il ne le fait pas, parcequ'il ne l'ose. Il s'est imaginé qu'il s'exposeroit aux poursuites de la Justice. Il est donc essentiel qu'on sache, & on ne sauroit trop le redire, pour détruire le préjugé où l'on est, que les Magistrats n'ont jamais prétendu empêcher, qu'on tentât tout ce qui peut être tenté, en faveur des malheureux qui viennent d'être tirés de l'eau. Ce n'est que quand leur mort est très certaine, que des raisons exigent que la Justice s'empare de leurs cadavres.»

Chargement de la publicité...