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Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes

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CHAPITRE XXIV.
De la Dyssenterie.

§. 310. La dyssenterie est un flux de ventre, accompagné d'un mal-aise général, de fortes tranchées, & d'envies fréquentes d'aller à la selle. Ordinairement il y a un peu de sang dans les selles; mais cela n'arrive pas toujours, & n'est point nécessaire pour constituer la dyssenterie: celle où il n'y en a point, n'est pas moins dangereuse que l'autre.

§. 311. La dyssenterie est ordinairement épidémique; elle commence quelquefois à la fin de Juillet, plus souvent au mois d'Août, & finit quand les gelées commencent. Les grandes chaleurs rendent le sang & la bile âcres; tant qu'elles durent, la transpiration se fait; mais dès qu'elles diminuent, surtout le soir & le matin, elle se fait moins bien, d'autant plus que les humeurs ont acquis de l'épaississement; alors cette humeur âcre arrêtée se rejette sur les intestins, & les irrite; les douleurs & les évacuations surviennent. Cette dyssenterie est de tous les tems & de tous les païs. Si à cette cause il s'en joint d'autres, & sur-tout la réunion d'un grand nombre de gens dans un endroit trop serré, tel que les hôpitaux, les camps, les prisons, cela porte dans les humeurs un principe de malignité, qui, s'alliant à la cause de la dyssenterie, rend cette maladie plus fâcheuse.

§. 312. Le mal commence par un froid général qui dure quelques heures, plutôt que par un frisson; le malade s'affoiblit, il souffre des douleurs vives dans le ventre, qui quelquefois durent plusieurs heures avant que les évacuations viennent. L'on a des vertiges, des envies de vomir; l'on pâlit; le pouls n'est cependant que peu ou point fiévreux; mais ordinairement petit. Enfin les selles surviennent, les premieres ne sont souvent que des matieres liquides & jaunâtres; mais bientôt elles ne sont mêlées que de glaires, & ces glaires souvent teintes de sang. Leurs couleurs varient, elles sont brunes, vertes, noires, plus ou moins liquides, fœtides. Les douleurs augmentent avant chaque selle, & les selles deviennent très fréquentes. L'on en a jusqu'à huit, dix, douze, quinze par heures; alors le fondement s'irrite, le tenesme (qui est une envie d'aller à la selle, quoiqu'il n'y ait point de matiere), se joint à la dyssenterie, & occasionne une chûte du fondement. L'état du malade est très cruel. L'on rend quelquefois des vers, des glaires épaissies qui ressemblent à des morceaux d'intestins, quelquefois des grumeaux de sang. Si le mal devient très fâcheux, les boyaux s'enflamment; il se forme des suppurations, des gangrennes; l'on rend du pus, des eaux noires & puantes; le hoquet survient, le malade rêve, son pouls s'affoiblit; il tombe dans des sueurs froides & dans des défaillances qui finissent par la mort.

Quelquefois il survient une espece de phrénésie ou délire violent, avant le dernier moment. J'ai vu chez deux sujets, un symptôme assez rare; c'est une impossibilité d'avaler, trois jours avant la mort. Mais le mal n'est pas ordinairement de cette violence; les selles ne sont pas si fréquentes; cela va de vingt-cinq à quarante dans le jour. Les matieres sont mêlées de moins de choses étrangeres, & de peu de sang. Le malade conserve quelques forces; peu-à-peu les selles diminuent, le sang disparoît, les matieres s'épaississent, l'appétit & le sommeil reviennent, le malade se remet.

Il y a beaucoup de malades qui n'ont point de fiévre & point d'altération, qui est peut-être moins ordinaire dans cette maladie, que dans une diarrhée ordinaire.

Les urines sont quelquefois peu abondantes, & plusieurs malades ont des envies d'uriner inutiles.

§. 313. Le grand remede de cette maladie, c'est l'émétique. Le remede No. 33, quand il n'y a point de raison de ne pas l'employer, pris dès les commencemens, emporte souvent le mal d'abord, & toujours l'abrége beaucoup. Le remede No. 34, n'est pas moins efficace dans cette maladie; il en a été regardé long tems comme le spécifique. Il ne l'est pas, mais il est très utile. Si après qu'ils ont produit leur effet, les selles sont moins fréquentes, c'est une très bonne marque. Si elles ne diminuent point, il est à craindre que la maladie ne soit longue & opiniâtre.

L'on met le malade au régime, & l'on évite avec grand soin surtout toute viande, jusqu'à l'entiere guérison de la maladie. La ptisane No. 3, est la meilleure boisson.

Le lendemain de l'émétique, on lui donne le remede No. 50, en deux prises. On le laisse un jour sans autre remede que la ptisane; on réitere la rhubarbe; alors ordinairement la force du mal est passée; on continue la diette pendant quelques jours, & l'on met le malade au régime des convalescens.

§. 314. Quelquefois la dyssenterie s'annonce avec une fiévre inflammatoire, un pouls fiévreux, dur, plein, un violent mal de tête & de reins, le ventre tendu. Dans ces cas, il faut faire une saignée, donner tous les jours trois, & même quatre lavemens No. 6, ou plus, & boire beaucoup de la ptisane No. 3.

Quand toute crainte d'inflammation est absolument passée, on vient au traitement marqué dans le paragraphe précédent.

J'ai guéri plusieurs dyssenteriques, en ne leur ordonnant pour tout remede, qu'une tasse d'eau tiede tous les quarts-d'heure; & il vaudroit mieux s'en tenir à ce remede, qui ne peut être qu'utile, que d'en employer d'autres dont on ignore les effets, & qui en produisent souvent de très dangereux.

§. 315. Il arrive aussi que la dyssenterie se joint à une fiévre putride; ce qui oblige à donner, après l'émétique, les purgatifs No. 22 ou 46, & plusieurs doses du No. 23, avant que d'en venir à la rhubarbe. Le No. 31 est excellent dans ce cas.

En 1755, il y eut ici, en automne, quand l'épidémie nombreuse de fiévres putrides commença à cesser, un grand nombre de dyssenteries, qui avoient beaucoup de rapport avec ces fiévres. Je commençai par le remede No. 33, & ensuite je donnai le No. 31. Je ne fis prendre la rhubarbe qu'à très peu de malades sur la fin de la maladie. Presque tous furent guéris au bout de quatre ou cinq jours. Un petit nombre, à qui je n'avois pas pû donner l'émétique, ou qui avoient quelque complication, languirent assez long temps; mais sans danger.

§. 316. Quand la dyssenterie est compliquée avec des symptômes de malignité (voyez §. 227.), l'on emploie, avec succès, après le remede No. 34, ceux No. 37 & 39.

§. 317. Quand le mal a déja duré plusieurs jours, sans remede ou avec de mauvais remedes, il faut se conduire tout comme s'il commençoit, à moins qu'il ne fût survenu des accidens étrangers à la maladie.

§. 318. Cette maladie a quelquefois des rechûtes au bout de quelques jours; elles sont presque toutes occasionnées ou par le manque de diette, ou par l'air froid, ou par l'échauffement. On les prévient en évitant ces causes; on les guérit en se mettant au régime & en prenant une prise du remede No. 50. Si sans aucune cause sensible, le mal revenoit, & s'annonçoit comme une nouvelle maladie, il faudrait la traiter comme telle.

§. 319. Quelquefois elle est compliquée avec une fiévre d'accès; il faut guérir premierement la dyssenterie, et ensuite la fiévre. Si cependant les accès de fiévre étoient violens, on donneroit le quinquina (voyez §. 241).

§. 320. Un préjugé pernicieux, dont l'on est encore généralement imbu, c'est que les fruits sont nuisibles dans la dyssenterie, qu'ils la procurent, & qu'ils l'augmentent. Il n'y a peut-être point de préjugé plus faux. Les mauvais fruits, les fruits mal mûrs dans les mauvaises années, peuvent occasionner des coliques, quelquefois des diarrhées, plus souvent des constipations, des maladies des nerfs & de la peau; jamais la dyssenterie épidémique. Les fruits mûrs de quelques especes qu'ils soient, & surtout ceux d'été, sont le vrai préservatif de cette maladie. Le plus grand mal qu'ils puissent faire, c'est, en fondant les humeurs, & sur-tout la bile épaissie s'il y en a, dont ils sont le vrai dissolvant, d'occasionner une diarrhée; mais cette diarrhée même mettroit à l'abri de cette dyssenterie. L'année derniere & la précédente ont été extrêmement abondantes en fruits; point de dyssenterie. On croit même remarquer qu'elle est plus rare & moins fâcheuse qu'autrefois; & l'on ne peut assurément l'attribuer, si le fait est vrai, qu'aux nombreuses plantations d'arbres, qui ont rendu les fruits extrêmement communs. Toutes les fois que j'ai vu des dyssenteries, j'ai mangé moins de viande & beaucoup de fruits; je n'en ai jamais eu la plus legere attaque. Plusieurs Médecins suivent la même méthode. J'ai vu onze malades dans une maison; neuf furent dociles, & mangerent des fruits; ils guérirent. La grand'-mere & un enfant, qu'elle aimoit mieux que les autres, périrent. Elle conduisit d'abord l'enfant à sa mode, avec du vin brûlé, de l'huile, quelques aromates & point de fruit; il mourut. Elle se conduisit de la même façon, & eut le même sort. Dans une campagne près de Berne, en 1750, dans le tems que la dyssenterie faisoit beaucoup de ravages, & que l'on défendoit sévérement les fruits; de onze personnes qui composoient la maison, dix mangerent beaucoup de prunes, & ne furent point attaquées. Le cocher, seul docile au préjugé, s'en abstint soigneusement, & eut une dyssenterie terrible.

Cette maladie détruisoit un régiment Suisse, qui se trouvoit en garnison dans les Provinces méridionales de France; les Capitaines acheterent le fruit de plusieurs arpens de vignes: l'on y portoit les soldats malades; l'on cueilloit du raisin pour ceux qui ne pouvoient pas être portés; les sains ne mangeoient rien autre chose. Il n'en mourut pas un seul, & il n'y en eut plus d'attaqués.

Un Ministre étoit attaqué d'une dyssenterie, que les remedes qu'il prenoit ne guérissoient point; il vit par hasard des groseilles rouges; il en eut envie, il en mangea trois livres depuis sept heures du matin jusqu'à neuf: il fut déja mieux ce jour-là, & entiérement guéri le lendemain.

Je pourrois accumuler un grand nombre de faits pareils: ceux-là suffiront pour convaincre les plus incrédules, & il m'a paru important de le faire. Loin de s'interdire les fruits quand la dyssenterie régne, l'on peut en manger davantage. Les Directeurs de la Police, loin de les prohiber, doivent en faire fournir les marchés; c'est une vérité que les gens instruits ne révoquent plus en doute nulle part. L'expérience la démontre, & elle est fondée en raison, puisque les fruits remédient à toutes les causes des dyssenteries.

§. 321. Il est extrêmement important que les malades aillent à la selle dans des endroits à part, parceque les excrémens sont très contagieux; & s'ils vont sur des bassins, on doit les sortir très promptement de la chambre, dans laquelle on doit renouveller continuellement l'air, & brûler beaucoup de vinaigre. Il est aussi très nécessaire de changer souvent les linges; sans ces précautions, la maladie devient plus mauvaise, & elle attaque ceux qui habitent la même maison. Il seroit fort à souhaiter qu'on pût convaincre le peuple de ces vérités. Monsieur Boerhaave conseilloit, quand la dyssenterie étoit épidémique, de mettre de l'eau-de-vie dans toute l'eau qu'on boit.

§. 322. Je ne sais par quelle fatalité il n'y a point de maladie pour laquelle on conseille un plus grand nombre de remedes différens; il n'y a personne qui ne vante le sien, qui ne l'éleve au-dessus des autres, & qui ne promette hardiment de guérir en quelques heures une maladie longue, dont il n'a aucune idée juste, avec un remede dont il ignore parfaitement les effets. Le malade souffrant, inquiet, impatient, prend de toutes mains, & s'empoisonne par peur, par ennui, ou par complaisance. De ces différens remedes, il y en a qui ne sont qu'indifférens, d'autres sont pernicieux. Je n'entreprendrai point de rapporter ceux-mêmes que je connois; mais après avoir réitéré que la seule véritable méthode est celle que j'ai indiquée, & qui a pour but d'évacuer les matieres; & que celles qui ne vont pas à ce but, sont mauvaises, je me borne à avertir que la pire de tous, c'est celle qui est la plus généralement suivie, & qui consiste à arrêter les évacuations par des remedes adstringens, ou ceux qu'on tire de l'opium; méthode mortelle, qui tue, toutes les années, un grand nombre de personnes, & qui en jette d'autres dans des maux incurables. En empêchant l'évacuation de ces matieres, en renfermant le loup dans la bergerie, il arrive ou que cette matiere irrite les intestins, les enflamme, & de l'inflammation naissent les douleurs horribles, la vraie colique inflammatoire, & ensuite ou la gangrenne & la mort, ou un squirrhe, qui dégénere en cancer (j'ai vu ce cas horrible); ou un abcès, la suppuration, un ulcere; ou elle se jette ailleurs, produit des squirrhes au foie, des asthmes, l'apoplexie, l'épilepsie ou mal-caduc, des douleurs de rhumatismes horribles, des maux d'yeux & des maux de peau incurables. Telles sont les suites de tous les remedes adstringens, & de ceux qu'on donne pour faire dormir; thériaque, mithridate, diascordium, quand on les donne trop tôt.

J'ai été appellé pour un rhumatisme cruel, qui avoit succedé immédiatement à un mélange de thériaque & d'eau de plantain donné le second jour d'une dyssenterie. Ceux qui ordonnent ces remedes, en ignorent sans doute les conséquences; il suffira j'espere de les leur avoir fait connoitre.

§. 323. L'abus des purgatifs a aussi ses dangers. L'on détermine toutes les humeurs à se jetter sur les parties malades; le corps s'épuise, les digestions ne se font plus, les boyaux s'affoiblissent; quelquefois même il s'y fait de legeres ulcerations; il nait des diarrhées presqu'incurables, & qui tuent après plusieurs années de souffrances.

§. 324. Si les évacuations sont excessives, & le mal long, on tombe dans l'hydropisie; mais en l'attaquant d'abord, on peut la dissiper.

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