Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
CHAPITRE XXI.
Des Coliques.
§. 278. L'on donne ordinairement le nom de colique à toutes les douleurs qu'on sent dans le ventre. Je n'entens ici, par ce mot, que les douleurs qui attaquent l'estomac ou les boyaux. Elles peuvent dépendre d'un très grand nombre de causes: & la plûpart sont des maladies chroniques: plus fréquentes parmi les gens désœuvrés des villes, ou les artisans sédentaires, que parmi le peuple des campagnes. Ainsi je ne parlerai que du petit nombre d'especes, qui sont les plus communes dans les villages. J'ai prouvé plus haut, que, dans quelques maladies, on tuoit en cherchant à faire suer. On tue dans les coliques, en voulant toujours chasser les vents, avec des liqueurs spiritueuses.
Colique inflammatoire.
§. 279. L'espece de colique la plus violente, & la plus dangereuse, c'est celle qui dépend de l'inflammation de l'estomac, ou des intestins. Elle commence le plus souvent, sans frisson, par une douleur violente dans le ventre: la douleur augmente par degrés; le pouls devient vîte & dur, le malade sent une chaleur brulante dans tout le ventre; quelquefois il a une diarrhée aqueuse, d'autre fois il est plutôt resserré, avec des vomissemens, ce qui est très facheux; le visage devient rouge, le ventre se tend, on ne peut pas le toucher sans augmenter cruellement les douleurs du malade, qui a, outre les douleurs, une inquiétude extrême. L'altération est très grande, & la boisson n'étanche point la soif. La douleur s'étend souvent jusques aux reins, où elle est très vive. Le malade urine peu; les urines sont brulantes & rouges: il n'a pas un instant de sommeil, quelquefois il a des momens de rêveries. Si l'on n'arrête pas le mal, après que les douleurs sont parvenues au plus haut point, le malade commence à se plaindre moins; le pouls moins fort, moins dur; mais plus vîte; le visage perd de sa rougeur; bientôt il pâlit, & le tour des yeux devient livide; le malade tombe dans une rêverie sourde; il perd entierement ses forces; le visage, les mains, les pieds, tout le corps, excepté le ventre, se refroidissent; la peau du ventre devient bleuâtre, il survient des foiblesses, & le malade périt.
Quand le mal attaque l'estomac, les symptômes sont les mêmes; mais la douleur se fait sentir plus haut, au creux de l'estomac; l'on vomit presque tout ce qu'on prend, l'angoisse est horrible, les rêveries viennent promptement. Cette maladie tue en très peu de jours.
§. 280. La seule façon de la guérir, c'est 1. de faire une très grande saignée du bras; elle diminue presque sur-le-champ la férocité des douleurs, & elle calme les vomissemens; elle rend d'ailleurs les autres remedes beaucoup plus efficaces. Souvent il faut la réitérer deux heures après. 2. On donne toutes les deux heures, soit qu'il y ait diarrhée, soit qu'il n'y en ait point, un lavement fait avec une décoction de mauve & de l'huile, ou avec une décoction d'orge & de l'huile. 3. On fait boire au malade beaucoup de lait d'amande No. 4, ou d'une ptisane de fleurs de mauve ou de celle d'orge. 4. L'on tient continuellement sur le ventre des flanelles trempées dans de l'eau tiede, & on les change toutes les heures, & même plus souvent; elles sont séches presque d'abord. 5. Si le mal s'opiniâtre, on met le malade dans un bain tiéde, dont j'ai vu les plus grands effets.
§. 281. Cette maladie est quelquefois l'effet d'une inflammation générale du sang, & elle est produite, comme les autres maladies inflammatoires, par des travaux forcés, une grande chaleur, des alimens ou des boissons échauffantes; mais souvent aussi elle est la suite des autres coliques mal traitées, qui n'auroient point été inflammatoires, mais qui le deviennent, & j'ai vu nombre de fois ces coliques naître après les remedes chauds (voyez-en un exemple §. 154).
§. 282. Il n'y a que quelques semaines, que j'avois guéri une femme d'une colique assez forte. Dix jours après, les douleurs revinrent violemment dans la nuit: elle crut que ce n'étoit que des vents, & prit beaucoup d'eau de noix. Les douleurs devinrent inouies, elle me demanda de grand matin; le pouls étoit fort, vite, dur; le ventre tendu, les reins souffroient beaucoup, les urines étoient presque entierement supprimées; elle n'en rendoit que quelques gouttes qui étoient ardentes, avec des douleurs très fortes; elle alloit très souvent sur la chaise, presque pour rien. L'angoisse, la chaleur, l'altération, la sécheresse de la langue étoient effrayantes; & son état, qui étoit l'effet de la liqueur qu'elle avoit prise, me fit craindre pour elle. Une saignée de quatorze onces calma un peu toutes les douleurs; elle prit plusieurs lavemens, & elle but quelques pots d'orgeat en peu d'heures. Ces secours adoucirent un peu le mal; en continuant la boisson & les lavemens, la diarrhée diminua, le mal de reins finit, & il vint beaucoup d'urines qui se troublerent, déposerent; & elle guerit. Je suis persuadé que si la saignée avoit été faite deux heures plus tard, la liqueur lui auroit coûté la vie. Pendant que le mal dure, il ne faut donner aucun aliment, & l'on ne doit jamais négliger les restes de douleurs, crainte qu'il ne se forme une dureté ou squirrhe, qui occasionneroit les maux chroniques les plus fâcheux.
§. 283. On doit croire qu'il se forme un abcès dans la partie enflammée, quand la violence des douleurs diminue, & qu'il reste une douleur sourde, un mal-aise général, peu d'appétit, des frissons fréquens, & que le malade ne reprend pas les forces. L'on ne doit donner, dans ce cas; que les boissons indiquées dans ce chapitre, & quelques bouillons farineux.
La rupture de l'abcès est quelquefois indiquée par une petite défaillance, suivie d'une cessation de pesanteur dans la partie malade, & quand le pus s'épanche dans l'intestin, le malade a quelquefois des envies de vomir, un peu de vertige, & le pus paroît dans les premieres selles. Il reste alors un ulcere dans l'intérieur du boyau, qui peut conduire à une fiévre lente & à la mort, & que j'ai guéri en faisant vivre uniquement de lait écrêmé, coupé avec un tiers d'eau, & en donnant, de deux jours l'un, un lavement avec parties égales d'eau & de lait, & un peu de miel.
Quand l'abcès creve en dehors de l'intestin, & que le pus s'épanche dans le ventre, c'est un cas très grave, qui demande des secours que je ne puis pas détailler ici.
Colique bilieuse.
§. 284. La colique bilieuse se manifeste par des douleurs très aigües; mais elle est assez rarement accompagnée de fiévre, à moins qu'elle n'ait déja duré un jour ou deux. Lors même qu'il y en a, le pouls, quoique vîte, n'est pas fort, ni très dur; le ventre n'est ni tendu, ni brûlant, comme dans la colique précédente; les urines coulent mieux, & sont moins rouges; la chaleur intérieure & la soif sont assez pressantes; la bouche est amere; les vomissemens ou la diarrhée, quand l'un ou l'autre existent, évacuent des matieres jaunes; souvent la tête tourne.
§. 285. On guérit 1. par des lavemens de petit lait & de miel; ou, si l'on n'a pas de petit lait, par celui du No. 5. 2. En faisant boire de grandes quantités de ce même petit lait, ou d'une ptisane faite avec la racine de chiendent & un peu de jus de citron; ou, si l'on n'en a point, un peu de vinaigre & de miel. 3. En donnant d'heure en heure une tasse du remede No. 31; ou, si on ne l'a pas, une demi-dragme de crême de tartre. 4. Les fomentations d'eau tiéde & le demi bain, sont aussi très favorables. 5. Si dans un sujet fort & robuste, les douleurs étoient aigües & le pouls fort tendu, il faudroit saigner, pour prévenir l'inflammation. 6. L'on ne donnera de nourriture que quelques bouillons d'herbes, surtout d'oseille. 7. Après avoir beaucoup délayé, si la fiévre ne survient pas, si la douleur continue, si les évacuations ne sont pas considérables, il faut donner un purgatif. Celui No. 46, est très convenable.
§. 286. Cette colique est habituelle pour plusieurs personnes; on la prévient par l'usage habituel de la poudre No. 23, en évitant le grand usage des viandes, les choses chaudes, les graisses & le lait.
Coliques d'Indigestion. Indigestions.
§. 287. J'appelle de ce nom toutes les coliques qui sont produites ou par trop d'alimens pris à la fois, ou par des amas faits à la longue chez les personnes qui ne digerent pas parfaitement, ou par des mélanges nuisibles, comme des aigres & du lait, ou par des alimens malsains en eux-mêmes, ou mal conditionnés.
On connoît cette espece, par ce qui a précédé, par des douleurs qui sont accompagnées de beaucoup de mal-aises qui viennent peu-à-peu, qui ne sont pas aussi fixes que dans les especes précédentes, qui sont sans fiévre, sans chaleur, sans altération, mais accompagnées de vertiges ou étourdissemens, d'efforts pour vomir, de pâleur plutôt que de rougeur.
§. 288. Elles ne sont jamais dangereuses, à moins qu'on ne les rende telles par beaucoup de soins mal entendus. Il n'y a qu'une seule chose à faire; c'est d'aider les évacuations par beaucoup de boisson tiéde. Il y en a plusieurs également bonnes; l'eau tiéde, ou pure, ou un peu sucrée, ou un peu salée, du thé de fleurs de camomille peu chargé, celui de sureau, de mélisse, du thé ordinaire; il importe peu lequel, pourvu qu'on boive beaucoup. Alors les matieres s'évacuent ou par les vomissemens, ou par une diarrhée abondante. Plus ces évacuations sont promptes ou copieuses, plutôt le malade est soulagé.
Si le ventre est fort rempli, & qu'il ne se fasse pas de débouchement, il faut donner des lavemens avec de l'eau tiede & du sel.
L'on aide aussi le dégagement des matieres, en faisant frotter fortement le ventre avec des linges chauds.
Quelquefois les matieres nuisent moins par leur quantité que par leur qualité; alors le mal se dissipe sans évacuation, quand cette matiere irritante est noyée dans beaucoup d'eau. Si les douleurs commencent par l'estomac, elles deviennent moins vives, & le malade est moins angoissé, dès que les matieres ont passé dans les boyaux, qui sont moins sensibles.
Après les évacuations abondantes & la cessation des douleurs, il reste souvent à la bouche un goût d'œufs pourris; il faut donner quelques prises de poudre No. 23, & beaucoup d'eau fraîche.
L'essentiel, c'est de ne prendre aucune nourriture, qu'on ne soit parfaitement bien.
§. 289. L'on a la fureur de donner d'abord de la confection, de la thériaque, de l'eau d'anis, de celle de genievre, du vin rouge pour arrêter les évacuations. Il n'y a pas de pratique plus détestable. Ces évacuations sont la seule chose qui peut guérir le malade; les arrêter, c'est ôter la planche à celui qui se noie; & si l'on réussit, on le jette dans quelque fiévre putride, ou dans quelque maladie de langueur, à moins que la nature plus sage, ne surmonte les obstacles qu'on lui oppose, & ne renouvelle les évacuations au bout de quelques jours.
§. 290. Quelquefois l'on a une indigestion, sans douleur de colique bien marquée, mais avec de violens efforts pour vomir, une angoisse inexprimable, des défaillances, des sueurs froides. Souvent même le mal ne s'annonce que par une défaillance qui saisit le malade tout-à-coup: il perd l'usage de tous ses sens; le visage est pâle, défait; il a quelques hoquets plutôt que des efforts pour vomir; ce qui, joint à la petitesse du pouls, à ce que la respiration n'est pas embarrassée, à ce que le mal a attaqué après un repas, à ce que l'on sent l'estomac tendu, fait distinguer ce mal d'une véritable apoplexie. S'il est parvenu à ce degré, il tue quelquefois en peu d'heures. Il faut commencer par donner un lavement âcre, avec du sel & du savon; on fait avaler, autant qu'il est possible, d'eau salée; & si cela est inutile, on fait fondre la poudre No. 33, dans trois tasses d'eau. On en donne d'abord la moitié; si au bout d'un quart-d'heure elle n'opere pas, on donne le reste. Ordinairement la connoissance commence à revenir d'abord que le malade a commencé à vomir.
Colique venteuse.
§. 291. Tous nos alimens & toutes nos boissons contiennent beaucoup d'air, plus cependant les uns que les autres; s'ils ne se digerent pas assez vîte, ou si la digestion en est mauvaise; ce qui fait qu'il se développe plus de cet air; s'ils en contiennent une très grande quantité, ou si les intestins se serrant dans quelque point de leur longueur, empêchent que cet air ne se distribue également; ce qui fait qu'il s'en amasse beaucoup dans quelques endroits; alors l'estomac & les boyaux sont tendus par ces vents, & cette tension produit des douleurs qu'on appelle colique venteuse.
Cette espece se trouve assez rarement seule; mais elle se joint souvent aux autres especes dont elle est l'effet, & sur-tout à la précédente, & elle contribue beaucoup à en augmenter les symptômes. On la connoît par les causes qui ont précédé; parcequ'il n'y a ni fiévre, ni chaleur, ni altération; parceque le ventre est gros sans dureté, qu'il est inégalement gros, parcequ'il se forme des poches de vents, tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre; parcequ'en frottant le ventre du malade, on fait remuer les vents, ce qui le soulage, & que quand il en rend par en haut ou par en bas, il est encore plus soulagé.
§. 292. Quand elle est jointe à une autre, elle ne demande point de traitement particulier; elle se dissipe par les remedes qui dissipent la colique principale.
Quelquefois elle est seule, & elle dépend d'alimens ou de boissons pleines d'air, comme le moût ou vin muté ou prompt, la biere, quelques fruits, quelques légumes. On la guérit par un lavement, en frottant le ventre avec des linges chauds, & en buvant quelque boisson un peu aromatique, & surtout du thé de camomille, auquel on peut joindre un peu de confection stomachique, ou même de thériaque. Quand les douleurs ont presque fini, si l'on n'a ni chaleur ni fiévre, & si l'on sent l'estomac affoibli, on peut alors (mais c'est presque le seul cas de colique où on le puisse); donner un peu de vin aromatique, ou un peu de quelque liqueur stomachique.
§. 293. Quand on est sujet à de fréquentes douleurs de coliques; c'est une preuve que les digestions ne se font pas bien, & l'on doit y remédier, sans quoi la santé se dérange, & l'on tombe dans des maux fâcheux.
Coliques après le froid.
§. 294. Quand on a eu très froid, surtout aux pieds, l'on est quelquefois attaqué, peu d'heures après, de violentes coliques dans lesquelles les remedes chauds & spiritueux sont très nuisibles, mais qui se guérissent aisément en frottant les jambes avec des linges chauds, en les trempant ensuite dans l'eau tiéde pendant long tems, & en faisant boire beaucoup de thé léger de camomille ou de sureau. La guérison sera encore plus prompte, si le malade se met au lit, & peut un peu suer, sur-tout aux jambes. Si les douleurs étoient très fortes, on donneroit des lavemens. Une femme s'étant trempée les jambes dans une source assez fraîche, après avoir marché pendant un tems fort chaud, fut d'abord attaquée d'une colique très violente. On lui donna des choses chaudes, le mal empira; on la purgea, le mal empira; on m'appelle le troisieme jour, peu d'heures avant sa mort. Il faut dans ces cas-là, si la douleur est excessive, saigner, donner un lavement d'eau tiéde, tenir les jambes plusieurs heures d'abord à la vapeur de l'eau chaude, ensuite de l'eau tiéde; faire boire abondamment d'une infusion de fleurs de tilleul avec un peu de lait, donner ensuite un grain d'opium; & si le mal ne cédoit pas, mettre aux jambes des vésicatoires dont j'ai vu de grands effets.
§. 295. On voit, par ce chapitre, qu'il faut être extrêmement en garde contre les choses chaudes & spiritueuses dans les coliques; que ces remedes peuvent non-seulement les empirer, mais même les rendre mortelles. L'on doit donc n'en jamais donner; & quand on ne sait pas démêler la cause de la colique, je conseille de s'en tenir à ces trois secours qui ne peuvent nuire à aucune espece, & peuvent guérir toutes celles qui ne sont pas extrêmement fortes: 1. Des lavemens réitérés. 2. Une grande quantité d'eau tiéde, ou du thé de sureau en boisson. 3. Des fomentations sur le bas ventre; celles d'eau tiéde sont à préférer à toutes les autres.
§. 296. Je n'ai rien dit des huiles, parcequ'elles ne conviennent que dans très peu d'especes de coliques, & point du tout dans celles dont j'ai parlé; ainsi j'en déconseille tout-à-fait l'usage, qui peut nuire à plusieurs égards.