Avis au peuple sur sa santé: ou traité des maladies les plus fréquentes
CHAPITRE XVII.
Des Fievres malignes.
§. 224. L'on appelle fiévres malignes, celles dans lesquelles le danger est plus grand que les symptomes ne sont effrayans. Elles font du mal sans qu'on les croie dangereuses. C'est, comme on l'a fort bien dit, un chien qui mord sans aboyer.
§. 225. Le caractere distinctif des fievres malignes, c'est la perte totale des forces dès le commencement. Elles dépendent d'une corruption des humeurs, qui est pernicieuse au principe des forces, dont la destruction est précisément la cause du peu de violence des accidens; parcequ'aucun organe n'est plus en état de faire une défense vigoureuse, contre la cause de la maladie. Si au moment où deux armées vont se battre, on enleve à l'une presque toutes ses armes, le combat sera peu violent, peu bruyant, horriblement meurtrier. Le spectateur, qui, sans s'appercevoir de ce désarmement, ne jugeroit du carnage qui se fait que par le bruit, seroit extrêmement trompé. Le nombre des morts sera prodigieux: il l'eut été beaucoup moins, & le bruit plus grand, si les combattans avoient été armés de part & d'autre.
§. 226. Les causes de cette maladie sont: un long usage des viandes, sans légumes, sans fruits, sans acides; des alimens mal conditionnés, comme le pain fait avec de mauvaises graines; des viandes corrompues (huit personnes mangerent du poisson gâté; elles furent toutes attaquées d'une fievre maligne, & il en périt cinq, malgré les soins des plus habiles Médecins); la disette; un air trop chaud & trop humide, un air surtout qui réunit ces deux qualités; aussi ces maladies sont fréquentes dans les années chaudes, au bord des étangs & des marais: un air enfermé, surtout s'il est habité par plusieurs personnes; un principe singulier de corruption dans l'air; les chagrins.
§. 227. Les symptomes des fievres malignes sont, je l'ai déja dit, une perte totale des forces, sans aucune cause précédente sensible, qui ait pu les détruire; en même tems un abbattement de l'ame, qui devient presqu'insensible à tout, & même à la maladie; un changement prompt dans le visage, & sur-tout dans les yeux; de petits frissons qui, en vingt-quatre heures, se renouvellent plusieurs fois, avec de petits accès de chaleur; quelquefois un grand mal de tête & de reins, d'autrefois il n'y a point de douleur. Des especes de défaillance, dès le commencement du mal, ce qui est toujours fâcheux; point de bon sommeil, souvent un demi-assoupissement; une rêverie légere & sourde, qui se manifeste sur-tout par l'air extraordinaire & étonné du malade, qui paroît s'occuper profondément de quelque chose, & qui ne pense à rien. Quelques malades ont cependant des rêveries violentes. Un sentiment de pesanteur, d'autrefois de serrement dans le voisinage du creux de l'estomac. Le malade paroît avoir beaucoup d'angoisse. Il a quelquefois de légers mouvemens convulsifs, dans le visage, dans les mains, & même dans les bras & les jambes; les sens paroissent s'engourdir. J'ai vu plusieurs malades perdre les cinq sens; & quelques-uns ont guéri. La voix s'altere, s'affoiblit; quelquefois elle se perd entierement. Il n'est point rare de voir des malades, qui ne voient, n'entendent, ni ne parlent. Quelques-uns ont une douleur fixe dans quelque partie du bas-ventre. Elle dépend d'un engorgement, qui finit souvent par la gangrene; aussi ce symptome est très fâcheux. La langue est quelquefois très peu changée; d'autrefois, chargée d'un sédiment d'un jaune brun; plus rarement seche que dans les autres especes de fievre; quelquefois cependant elle ressemble exactement à une langue long-tems fumée. Le ventre reste quelquefois très mol; d'autrefois il est tendu. Le pouls est foible; quelquefois assez régulier; toujours plus vite que dans l'état naturel; quelquefois même très vite; & je l'ai toujours trouvé tel, quand le ventre étoit tendu. La peau n'est souvent, ni froide, ni chaude, ni seche, ni humide; elle se couvre souvent de taches pétéchiales, (ce sont de petites taches d'un rouge livide) sur tout au col, autour des épaules, au dos; d'autrefois ce sont de plus grandes taches brunes, comme après des coups de bâton. Les urines sont presque toujours crues, c'est-à-dire, moins colorées qu'à l'ordinaire. J'en ai vu qu'on ne pouvoit point à l'œil distinguer du lait. Il y a quelquefois une diarrhée noire & fétide, qui est mortelle, si elle ne soulage pas. Il se forme chez quelques malades, des ulceres livides, dans l'intérieur de la bouche & dans le palais; d'autrefois il se fait des dépôts, dans les glandes qui sont aux aines, sous les aisselles, entre les oreilles & la machoire; ou il se forme une gangrene dans quelque partie, aux pieds, aux mains, au dos. Les forces se perdent entierement; le cerveau s'embarrasse tout-à-fait. Le malade étendu sur son dos, meurt souvent avec des convulsions, une sueur prodigieuse, & la poitrine embarrassée. Quelquefois ce sont des hémorragies qui tuent: elles sont presque toujours mortelles dans cette maladie. Il y a dans cette fievre, comme dans toutes les autres, un redoublement le soir.
§. 228. Le terme de ces maladies est, comme celui des fievres putrides, très irrégulier. L'on meurt quelquefois le septiéme ou le huitiéme jour; plus ordinairement entre le douziéme & le quinziéme; souvent au bout de cinq ou six semaines: cela dépend de la force de la maladie. Il y en a dont les commencemens sont tout-à-fait lents, & pendant les premiers jours, le malade, avec beaucoup de foiblesse, & un air très changé, se croit à peine malade.
Il en est du terme de la guérison, comme de celui de la mort. Il y a des malades hors de danger au bout de quinze jours, & même plutôt, d'autres seulement au bout de quelques semaines.
Les signes qui annoncent une guérison sont: un peu plus de force dans le poulx; des urines plus cuites, moins d'abbattement & de découragement, le cerveau plus net, une chaleur égale, une sueur chaude, médiocrement abondante, sans angoisse, le retour des sens perdus pendant la maladie, quoique ce ne soit point un mal quand le malade devient sourd, si en même-tems les autres symptômes s'amandent.
Cette maladie laisse ordinairement beaucoup de foiblesse, & il faut long-tems, avant que les malades aient repris entiérement leurs forces.
§. 229. Il est plus important, dans cette maladie, soit pour le malade, soit pour les assistans, que dans aucune autre, de rafraîchir & de purifier l'air. Il faut souvent bruler du vinaigre dans la chambre, & avoir presque toujours une fenêtre ouverte. La diette doit être legere & aigre. On peut donner du jus d'oseille; mettre du jus de citron dans les farineux; manger des fruits aigres, comme griottes, groseilles, merises, & pour ceux qui sont en état, citrons, oranges, grenades. L'on doit aussi changer les linges le plus souvent possible. La saignée est rarement nécessaire, & les exceptions ne peuvent être déterminées sûrement qu'en voyant le malade. Les lavemens sont souvent très peu nécessaires, quelquefois dangereux. La boisson ordinaire doit être une ptisane d'orge rendue aigre avec l'esprit acide No. 10, dont on met deux gros sur une pinte, ou de la limonade. Il est important d'évacuer les premieres voies, où il y a ordinairement une quantité de matieres corrompues. Pour cela l'on donne la poudre No. 34, & ordinairement, après son effet, le malade est mieux au moins pendant quelques heures. Il est très important de donner ce remede dans les commencemens; mais quand on l'a négligé, on peut le donner plus tard, moyennant qu'il ne soit point survenu d'inflammation particuliere, & qu'il reste encore un peu de force au malade. Je l'ai donné, & avec un succès marqué, le vingtieme jour. Après avoir enlevé par ce reméde une grande partie des matieres qui contribuent à entretenir la fiévre, l'on fait prendre, de deux jours l'un, tant que la maladie dure, quelquefois même tous les jours, une prise de crême de tartre & de rhubarbe No. 37. Ce remede évacue les matieres corrompues, prévient la corruption des autres, chasse les vers qui sont très fréquens dans ces maladies, que le malade rend quelquefois par en haut & par en bas, & qui ont souvent beaucoup de part aux accidens bisarres qu'on observe: enfin il fortifie les intestins; & sans arrêter les évacuations nécessaires, il modere la diarrhée quand elle est nuisible. Si avec la diarrhée la peau est séche, & qu'en arrêtant la diarrhée on veuille aider la transpiration, on peut, au lieu de rhubarbe, mêler à la crême de tartre de l'ipecacuana No. 38, qui, donné à petites doses & fréquemment, arrête la diarrhée & chasse le venin à la peau. Les remedes No. 37 & 38 se prennent le matin; deux heures après il faut commencer la potion No. 39, & la continuer réguliérement de trois en trois heures, jusqu'à ce qu'on l'interrompe pour redonner l'un des remedes No. 37 ou 38, & on la recommence ensuite jusqu'à ce que le malade soit beaucoup mieux. Si les forces étoient extrêmement abattues, & que le malade eut des foiblesses fréquentes & des angoisses, il faudroit donner avec chaque prise de potion un bol No. 40. Si la diarrhée étoit très forte, on joindroit une ou deux fois par jour à ce bol, vingt grains, ou la grosseur d'une petite féve de diascordium; ou, si l'on n'en avoit point, de thériaque. Quand, malgré ces secours, le malade reste dans son état de foiblesse & d'insensibilité, il faut appliquer de grands vésicatoires au gras des jambes ou à la nuque: quelquefois même, quand il y a beaucoup d'assoupissement ou d'embarras de cerveau, on les met avec grand succès sur toute la tête. On les fait suppurer abondamment; & s'ils se séchent au bout de quelques jours, on en remet d'autres. Il faut entretenir long-tems un écoulement. Dès que le mal est assez amandé, pour que le malade soit quelques heures avec très peu ou point de fiévre, il faut profiter de cet intervalle pour donner six, ou au moins cinq prises du reméde No. 14, & réitérer la même dose le lendemain, ce qui arrête les accès. On continue ensuite à en donner deux doses pendant quelques jours. Dès qu'il n'y a plus de fiévre, on met le malade au régime des convalescens §. 42; & si les forces ne reviennent pas, on lui donne avec succès pour les rétablir plus vîte, deux prises par jour, une à jeun, & l'autre douze heures après, de la thériaque des pauvres No. 41, qu'il seroit à souhaiter qu'on introduisît dans toutes les apoticaireries, comme un excellent stomachique fort à préférer à cet égard à l'autre thériaque, qui est une composition ridicule, chere & souvent dangereuse. Il est vrai que celle des pauvres ne fait pas dormir; mais quand on veut procurer du sommeil, il y a beaucoup d'autres remédes qui valent mieux que la thériaque. Ceux qui ne craindront pas la dépense, au lieu du reméde No. 41, continueront à prendre tous les jours, pendant quelques semaines, trois prises du No. 14.
§. 230. L'on a dans les campagnes, sur le traitement de ces fiévres, un préjugé qu'il faut détruire, non-seulement parcequ'il est faux & ridicule, mais encore parcequ'il est dangereux. L'on imagine que des animaux peuvent attirer le venin; pour cela on met ou des poules, ou des pigeons, ou des chats, ou des cochons de lait aux pieds ou sur la tête du malade, après les avoir ouverts en vie. On les retire quelques heures après corrompus & répandans une odeur horrible; on se persuade que c'est le venin dont ils sont chargés. C'est une erreur, ils puent non point parcequ'ils ont tiré le venin, mais parcequ'ils se sont pourris par l'humidité & par la chaleur, & ils n'ont que l'odeur qu'ils auroient si on les avoit mis dans tout autre endroit que le corps du malade, également chaud & humide. Bien loin d'ôter le venin, ils augmentent la corruption, & il n'y auroit qu'à appliquer plusieurs de ces animaux sur un corps sain, dans le lit, & le laisser long-tems dans cet air, pour lui donner une fiévre maligne. Dans le même but, on attache un mouton au pied du lit pendant plusieurs heures; ce qui n'est pas aussi dangereux, quoique ce soit toujours un mal, parceque plus il y a d'animaux dans la chambre, plutôt l'air est corrompu, mais cela est tout aussi peu sensé. Il est bien certain que les animaux qui environnent le malade, respirent le venin qui sort de son corps; mais ils n'en font pas sortir: au contraire, en contribuant aussi à corrompre l'air, ils augmentent la maladie. Du faux principe, on tire une fausse conséquence; l'on dit que si le mouton meurt, le malade guérira: ordinairement le mouton ne meurt pas, & quelquefois cependant le malade guérit, d'autrefois ils meurent tous les deux.
§. 231. Souvent la cause qui produit les fiévres malignes, s'allie avec d'autres maladies, & en augmente extrêmement le danger: elle se mêle, par exemple, avec le venin de la petite vérole & celui de la rougeole. On le connoît par la réunion des accidens qui caractérisent la malignité avec les symptômes de ces maladies. Ces cas sont extrêmement dangereux; ils demandent toute l'attention d'un Médecin, & il n'est pas possible d'en prescrire ici le traitement, qui dépend, en général, de la combinaison du traitement des deux maladies; mais la malignité demande ordinairement le plus d'attention.