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Cady mariée : $b roman

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VIII

Sept heures venaient à peine de sonner lorsque Cady, ayant entendu résonner le timbre de l’entrée, se précipita dans le salon, en corset et en jupon, ses cheveux dorés en toison sur ses épaules.

— Marie-Annette, tout est manqué ! cria-t-elle. Victor vient de me téléphoner du Palais qu’il ne pourrait se libérer que très tard…

Elle s’arrêta court, interdite.

— Vous ?… Ah ! bien, par exemple !

Paul de Montaux souriait, enchanté.

— Que vous êtes jolie comme cela !

Cady reculait, indignée.

— Non, mais, qu’est-ce que vous faites ici ?

— Ne m’avez-vous pas invité à dîner ?

— Eh bien, dîne-t-on à cette heure-ci ?… En voilà des façons !… Alors, mon cher, prenez un journal et amusez-vous bien en m’attendant !…

Elle lui tourna le dos avec dignité et s’apprêta à rentrer dans sa chambre. Il ne lui en laissa pas le temps. D’un geste prompt, l’ayant rejointe, il l’enveloppa de ses bras et l’attira sur un canapé.

— Cady, je t’adore ! murmura-t-il d’une voix tremblante, ses lèvres dans le cou, sur les épaules de la jeune femme.

Elle n’opposa aucune résistance à ces mains énervées et vigoureuses ; mais lorsque, la croyant consentante à rester près de lui, son étreinte se desserra, elle se libéra lestement.

— Dieu ! que vous êtes stupide, mon pauvre Paul ! fit-elle avec calme, en remontant les épaulettes de dentelle froissées de sa chemise.

Il avait pâli, tordant sa moustache d’un air dépité.

— Pourquoi faites-vous ainsi la coquette avec moi ?

Elle le regarda avec un sincère étonnement.

— La coquette ? Ah ! Dieu, non !…

Et, comme il la suivait dans sa chambre :

— Vous êtes fou, on peut venir !…

— N’appelez pas votre femme de chambre et laissez la porte du salon ouverte ; s’il arrive du monde, j’aurai bien le temps de filer…

Elle fit un geste de colère.

— Oh ! et puis, soyez tranquille, ça ne va pas tarder !…

En deux ou trois mouvements rapides, elle avait relevé ses cheveux, piqué des épingles d’écaille, rabaissé des ondulations sur son front. Puis, saisissant une souple robe maïs, au corsage de dentelle et de tulle gris pâle, garni de pampilles maïs et bleu ardoisé, elle la passa promptement. Cela se fermait sous le bras et par derrière, en biais.

— Agrafez cela ! commanda-t-elle d’un ton rogue.

Paul de Montaux obéit docilement. Ses longs doigts effilés se débrouillaient avec adresse dans les dentelles, le tulle et les plis d’étoffe.

— Écoutez, fit-il, sérieux, il faut absolument que nous ayons une explication. C’est pour cela que je suis venu de bonne heure.

Elle répliqua, toujours sèchement :

— Oh ! je pense bien que ce n’est pas pour mettre le couvert !… Non, à droite, sous le chou… plus bas.

Courbé, agrafant patiemment, avec soin, il reprit :

— Je vous assure que je suis on ne peut plus chagrin de votre attitude… et stupéfait.

— En vérité ?… Je ne vois pas qu’il y ait lieu à aucune stupéfaction… Non, ne vous acharnez pas, cette agrafe est brisée, la suivante suffit… En tout cas, ce n’est guère le moment de discuter cela !…

Il s’écria vivement :

— Lequel donc choisirai-je ? Je ne vous vois plus, vous m’évitez !…

— Ma foi non ! Je ne vous recherche pas, voilà tout…

— C’est bien pis.

— Si vous voulez… Merci… Maintenant, s’il vous plaît, rentrons au salon.

Il la suivait, constatant avec dépit :

— Vous êtes délicieuse ! Je vous désire plus que jamais… Pourquoi ne voulez-vous plus venir là-bas ?

Cady eut un petit rire.

— Je n’ai pas le temps.

Il réprima un geste colère.

— Dites que cela ne vous sourit plus !

— Si vous le préférez.

Il se désola :

— Mais non, je ne le préfère pas !… C’est inconcevable !… Enfin, pour que vous me punissiez ainsi, qu’ai-je fait qui vous ait fâchée ?…

Cady se percha sur le bras d’un fauteuil, le coude relevé, appuyé sur le dossier, les pieds dans le vide. Elle s’interrogea :

— Ce que vous avez fait ?… Oh ! mon Dieu, je crois bien rien du tout… Du moins, je ne vous reproche rien ; ayez l’esprit en repos.

Il attira un siège, s’y assit dans une pose souple et dégagée, s’immobilisa, la tête un peu inclinée, de façon à dérober sa calvitie, un demi-sourire navré découvrant ses jolies dents.

— Est-ce que je vous déplais ?

Cady étouffa une envie de rire.

— Oh ! ne faites pas l’irrésistible !… Je reconnais volontiers votre charme, votre séduction…

Il se redressa, piqué.

— Oui, mais vous n’en faites plus cas !

Elle eut un geste indécis.

— Mais si, seulement…

Il se rapprocha, reprenant un espoir.

— Seulement, quoi ?

Elle ne disait rien, souriante, le regardant avec tranquillité. Il suggéra :

— Vous me gardez rancune de quelque chose que j’ignore ?… Oh ! j’ai tort, évidemment, je devrais deviner… Voulez-vous que j’essaie ?

— Je vous répète que je ne vous reproche absolument rien.

Il hochait la tête avec incrédulité.

— Si, si, autrement vous ne vous conduiriez pas ainsi vis-à-vis de moi.

Et, avec une soudaine inspiration :

— Seriez-vous jalouse de Rosine Derval ? Si cela était, quelle joie j’aurais à vous la sacrifier !…

— Ah ! Dieu, ne faites pas cela !…

— Si ! c’est la raison de votre bouderie. Vous y avez fait allusion l’autre soir, je n’avais pas compris tout d’abord, pardonnez-moi… Si vous saviez combien vous avez peu sujet de vous offenser de cette liaison !…

— Parce que ? fit Cady avec une certaine curiosité.

— Mais parce qu’une maîtresse de cette catégorie, cela ne compte pas… C’est un passe-temps, voilà tout.

— Ah !

Elle réfléchissait, l’air posé et ingénu.

— S’il vous plaît, quelle différence faites-vous entre votre liaison avec Rosine Derval… et celle que nous avons eue ?

Il se leva avec agitation.

— Comment pouvez-vous parler ainsi ?… Vous, Cady, je vous adore !

— Vous me l’avez déjà dit… Mais, qu’est-ce que cela signifie, au juste ?…

Il s’approcha, tendre et entreprenant.

— Je ne demande qu’à vous l’expliquer.

Elle le repoussa du geste, impérieusement.

— S’il vous plaît, causons simplement !…

Il recula, reconnaissant avec regret :

— Il est vrai qu’ici…

Et il ajouta avec ardeur :

— Mais demain, venez, je vous en prie !… Je vous attendrai toute la journée.

Elle secoua la tête avec décision.

— Vous auriez tort, je n’irai pas.

— Alors, quel jour ?

— Aucun.

Il fit quelques pas, l’air vexé, démonté.

— C’est donc vraiment la rupture ?…

Elle caressait le dossier du fauteuil, y jouait du piano, du bout de ses doigts menus.

— Quel grand mot pour si peu de chose !

Il se rebiffa, presque insolent.

— Oh ! si peu de chose !…

Elle le regarda fixement.

— Ne soyez pas grossier, mon petit… Je suis gentille, amicale, imitez-moi s’il est possible.

Il se jeta sur un fauteuil.

— Ah ! vous vous jouez de moi ! Vous me torturez, vous me taquinez !…

— Vous n’avez aucun sentiment de la valeur des mots… Torturer et taquiner, cela ne va pas ensemble.

— Est-ce que l’on réfléchit à ce que l’on dit quand on est affolé…

Elle riposta vivement, en riant :

— Vous n’êtes pas du tout affolé !… Étonné, vexé, oui, mais pas plus…

Il croisa ses bras dramatiquement.

— Vous ne savez pas ce qui se passe en moi !

— Je le sais parfaitement bien, au contraire… Ça n’est pas grave, allez !…

Il s’agita, chercha des paroles qui ne vinrent pas, se promena dans la pièce, et finit par revenir auprès de la jeune femme, plus doux, plus simple.

— Cinq fois vous êtes venue… Je vous ai eue, je vous ai possédée, et maintenant, ce serait fini ?…

Elle fit un geste, moqueuse et amicale.

— Évidemment, ce serait plus correct, la demi-douzaine, mais que voulez-vous, faudra vous en contenter.

Il supplia, avec une expression de désolation que l’on sentait sincère.

— Dites-moi pourquoi vous êtes si méchante ?

Cady détourna son regard, quitta sa place, et dit, plus grave :

— Voyons, Paul, vous ne vous étiez pas imaginé que c’était pour la vie ?

Il jeta vivement :

— Non ! mais je vous estimais assez pour vous croire incapable de vous donner sans éprouver d’amour !… Et l’amour ne s’enfuit pas si vite !…

Elle observa posément, avec simplicité :

— Oh ! je ne vous ai jamais aimé… Je ne crois d’ailleurs pas vous avoir dit que je vous aimais ?

— Alors, c’était une simple fantaisie ?

Elle balança la tête.

— Est-ce que je sais ?… une idée.

Il la considérait avec un réel étonnement.

— Alors, vous êtes de celles qui s’abandonnent sans savoir pourquoi ? Par caprice fugitif ?… Jamais je ne vous aurais fait l’injure de vous supposer pareille à cela !…

Elle s’impatienta subitement.

— Oh ! mais, vous êtes idiot, à la fin !… Qu’est-ce que ça veut dire tous ces mots-là ?… Je me suis « abandonnée » !… Vous m’avez « eue ». Vous m’avez « possédée » ! Laissez-moi vous dire une chose, mon petit… c’est des expressions stupides, qui ne signifient rien du tout !… Car je vous assure bien que certains souvenirs — qui n’ont rien de désagréable, du reste — ne me laissent aucunement l’impression que je vous aie donné le moindre droit sur moi !… Pas plus que je ne vous ai « pris » vous ne m’avez « prise » !… Nous avons été durant quelques instants des camarades… un peu intimes, il n’y a pas autre chose !… Ne cherchez pas à travestir cela, et à nous affubler de grands sentiments qui jurent absolument avec notre aventure très banale, très quelconque… Vous êtes un gentil garçon, et je vous sais au fond trop bien élevé pour que vous vous entêtiez à me rappeler ce que je veux — non pas oublier — mais passer désormais sous silence… Nous étions « avant » cousins par alliance, à présent, nous le sommes encore, rien de plus !… Ça vous va ?… Mais oui, ça vous va, ne faites pas la grimace, et embrassez-moi…

Il hésita, puis l’enveloppa de ses bras.

— Ah ! Cady !

Elle se dégagea.

— Non, pas comme cela… Un petit baiser de rien du tout… Oui, bon, cela suffit… Oh ! que c’est bête !… Je suis sûre que je n’ai plus du tout de poudre sur cette joue-là !…

Et elle s’enfuit dans sa chambre réparer le dommage. Quand elle revint, Paul de Montaux était étendu, songeur, dans un fauteuil. Il dit, sérieux :

— Je vous assure que j’ai beaucoup de chagrin… Je tenais à vous plus encore que je ne l’imaginais. Je le vois à présent que j’ai l’idée nette que je vous perds… Si, réellement, vous avez éprouvé si peu de tendresse pour moi, vous n’auriez pas dû m’accorder… tant !… Car, malgré ce que vous dites, je persiste à estimer que j’ai eu beaucoup de vous…

Elle le considérait avec surprise.

— Je ne vous aurais pas cru aussi sentimental, dit-elle sans ironie.

— Moi non plus.

Elle s’assit, les yeux dans le vide, songeant…

— Je n’ai eu aucune mauvaise intention envers vous, Paul… J’ai agi, mon Dieu, il m’est impossible de dire pourquoi… Parce que, depuis toujours, je vais devant moi, au hasard de ce qui me tente… sans jamais réfléchir avant ; sans vouloir y penser après… Tout, dans la vie, a si peu d’importance !…

— Croyez-vous ?… Cependant, c’est quelque chose pour une femme de prendre un amant… Si ce n’est à l’égard de cet amant, au moins pour son mari… Si vous ne m’aimiez pas, si vous ne me jugiez digne que d’une amourette sans lendemain, comment, pour si peu, avez-vous eu le courage de détruire le bonheur d’un homme qui vous adore ?… Si vous n’avez nulle compassion pour moi, comment n’éprouvez-vous pas de pitié pour Renaudin ?…

Elle haussa les épaules avec lassitude.

— Je ne touche aucunement au bonheur de Victor… Jamais il ne se doutera de quoi que ce soit… Vous voyez, Paul, que j’ai confiance en vous ?

Il s’inclina.

— Vous avez raison, je ne suis pas un goujat… Mais vous vous trompez en supposant que votre mari restera toujours aveugle… Un jour fatalement, il apprendra, il comprendra…

Elle dit « non » sèchement, et ajouta avec une certaine véhémence :

— Non, j’en suis convaincue !… Mais, après tout, s’il arrivait qu’il se doutât… soyez sûr qu’il ne me reprocherait rien !… Il me connaît depuis mon enfance, et je vous assure que ce n’est pas ce qui peut inciter un mari à dormir sur les deux oreilles !…

— Je sais que, en effet, vous fûtes une enfant terrible.

Elle protesta.

— Il y a beaucoup de légende !… je n’étais ni pire, ni meilleure que bien d’autres gamines… La seule différence, c’est que, tout en étant souvent menteuse, je suis aussi parfois très franche… Je ne dissimule guère, parce que l’opinion des autres m’est indifférente. Je mens quand j’en ai besoin, pour obtenir ce que je veux, ou faire ce qu’on me défend, autrement je ne me donne pas la peine de jouer la comédie… Alors, on m’a fait une réputation fantaisiste.

— Cependant vous avouez qu’un mari aurait tort d’avoir confiance en vous.

Elle agita la main d’un air irrité.

— Vous m’ennuyez ! Vous ne comprenez pas un mot de ce que je veux dire !… J’entends qu’un mari serait stupide et injuste d’exiger de moi des qualités — si ce sont toutefois des qualités — de calme, d’ordre, d’incombustibilité qu’il m’est impossible de posséder… Le mari de Cady est un brave homme naïf de supposer que Cady peut lui être fidèle… Ce serait une brute de lui faire un crime de ses inconséquences, s’il les découvrait.

— En résumé, vous estimez qu’il n’a pas le droit de se fâcher de son sort, et vous êtes certaine d’être toujours pardonnée, quoi que vous fassiez ?

Elle le regarda narquoisement.

— Si vous croyez que je réfléchis à tout cela un quart d’heure par semaine !…

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