Cady mariée : $b roman
VII
Il était six heures lorsque Cady entra dans le grand salon de Marie-Annette, lequel, ainsi que la galerie, était plein de visiteuses et de quelques hommes qui, par groupes, causaient, flirtaient et mangeaient.
Une odeur lourde de fleurs, de liqueurs, de thé, de parfums régnait dans l’atmosphère des trois pièces, qui n’étaient pas des plus vastes.
On jouait au bridge dans la salle à manger, et, à l’entrée de l’office, le maître d’hôtel russe de Marie-Annette, la figure rasée, les pommettes saillantes, des yeux obliques de Mongol, servait le champagne exquis, les mille riens exotiques, rares, biscornus, qui étaient le renom des « troisièmes et quatrièmes jeudis » de la jeune femme.
Cady avait pris le temps de monter chez elle, de se coiffer et de passer une robe élégante. La démarche lente et souple, un peu pâle, les yeux emplis d’une joie mystérieuse, elle attirait invinciblement l’attention.
Le docteur Trajan, qui volontiers perdait parfois une heure dans le salon pittoresque de Mme de Montaux, la retint au passage.
— Sapristi ! que l’amour vous va bien ! dit-il bas, avec admiration.
Elle élargit des yeux candides, sans mot dire. Il poursuivit :
— Vous n’avez aucune considération pour l’ami que j’ai toujours été pour vous. Autrement, vous vous installeriez gentiment près de moi, et vous me raconteriez votre après-midi, ce qui a mis une pareille lueur dans vos yeux, un pli aussi adorable à vos lèvres.
Cady restait debout, souriante, imperturbable.
— Ce que j’ai fait aujourd’hui ? Oh ! c’est bien simple. Je ne suis pas sortie de chez moi, j’ai un peu lu, un peu dormi, beaucoup bâillé… Je me suis habillée pour venir ici, et voilà…
Il secoua la tête, les yeux toujours attachés sur elle.
— Menteuse !
Marie-Annette, qui avait aperçu sa cousine, abandonna sans façon trois personnages graves pour courir au-devant d’elle.
— Comme tu as tardé ! J’ai mille choses à te dire !
Elle entraîna Cady dans un angle du petit salon, jetant en passant à Mme Durand de l’Ile, qui conduisait des visiteurs à la table à thé :
— Chère amie, occupez-vous de ces braves Monjolin, je vous en prie… J’ai à causer avec Cady.
Les relations de Marie-Annette étaient les plus variées que l’on pût imaginer. Malgré le scandale que leur causait la bande spéciale des camarades de Marie-Annette, jeunes femmes excentriques, jeunes hommes faisant du sport comme on se grise, tout un clan de bourgeoisie correcte, de magistrature gourmée, de fonctionnaires sans fantaisie, persistait à fréquenter le salon de la jeune femme bien apparentée, et qui n’était pas sans influence directe et indirecte dans les milieux gouvernementaux.
Mme Durand de l’Ile, toujours fidèle au poste, était le tampon entre les gens corrects, les toqués et les flirteurs à outrance qui se disputaient la place. Avec son empressement infatigable, son affabilité inaltérable, elle comblait les lacunes de réceptions où Marie-Annette, toute à ses caprices, délaissait volontiers la plupart de ses visiteurs pour s’isoler avec quelques-uns.
Triomphante, celle-ci déclara à Cady :
— Je sais en compagnie de qui tu as déjeuné !…
Cady sourit ironiquement, se calant avec une jouissance de chatte dans un fauteuil, si profond qu’il avait fallu le garnir de plusieurs coussins.
— Vraiment ?
Marie-Annette fit un geste de mystère.
— Il est ici depuis une heure !
— Ah ! ah !…
— Je l’ai mis à une table de bridge avec Paul, car il était si ému, si bouleversé que je craignais à tout moment la gaffe énorme… Mais je tiens prêt un remplaçant, et je vais te le rendre.
— Ne te presse pas, dit Cady tranquillement.
— Pauvre garçon !… A quel point tu l’affoles, c’est inimaginable !… Lorsqu’il est arrivé, il a balbutié je ne sais quoi d’incohérent pour me certifier qu’il ne t’avait pas vue depuis la veille, au Bellevue-Palace… Il s’est étonné ensuite si peu naturellement que tu ne fusses pas déjà là que je n’ai pu douter que vous veniez à peine de vous quitter… Du reste, quand tu m’avais annoncé sa visite, j’avais eu un soupçon… Il n’est pas beau, mais il est intéressant.
Cady balançait la tête.
— C’est donc de Maurice Deber que tu parles ?
— Naturellement.
— Bien, bien, il ne s’agit que de s’entendre… Je ne savais pas, moi.
— Cady, tu es insupportable, de te montrer aussi cachottière avec moi !…
La jeune femme prit la main de sa cousine, et la caressa.
— Ne te fâche pas, je vais te prouver que tu as tort… Je viens te demander un service.
— Lequel ?
— Il me faut de l’argent. Pas énormément, mais un peu beaucoup tout de même pour moi, qui n’ai jamais rien.
Marie-Annette fit un geste de surprise, et désigna imperceptiblement la pièce où Deber, invisible, jouait au bridge.
— Comment, il ne t’en donne pas ? fit-elle naïvement.
Cady sourit, avec un rappel soudain qui lui fit tâter la pochette de son manchon, où les billets du colonial étaient restés oubliés.
— Si… mais pas suffisamment pour ce que je veux.
Marie-Annette déclara, doctorale :
— Ma petite, si au début tu ne l’habitues pas à tes fantaisies, ce sera fini !…
Cady s’agaçait.
— Ah ! en voilà assez !… J’ai ri, mais cela ne m’amuse plus. Deber n’est pas mon amant, ne le sera jamais… Tu fais fausse route complètement. Je te dirai de qui il s’agit, mais un autre jour, pas ici, avec tout ce monde autour de nous… Réponds-moi simplement. Veux-tu me prêter deux ou trois mille francs ?
Marie-Annette se récria :
— Oh ! ma pauvre petite, on n’a jamais cela !…
— Je le sais bien, puisque moi-même je ne les ai pas. Mais peux-tu me les procurer, d’une façon quelconque, ou m’indiquer un moyen de me débrouiller ?… Moi, tu sais, pour les questions d’argent, je suis tout à fait obtuse.
Sa cousine réfléchissait.
— Pourquoi ne demandes-tu pas cela à ton mari ? Il t’adore, il ne saura rien te refuser. Invente un caprice, une dette…
Cady haussa imperceptiblement les épaules.
— Tu ne connais pas notre ménage… Victor s’occupe de tout, règle tout… Je ne fais pas de folies, et je ne peux en prétexter subitement, il flairerait un mystère, et ne s’arrêterait pas avant d’avoir tout découvert.
— Juge d’instruction même chez lui ?
— Je t’en réponds… Rien à faire avec lui.
Marie-Annette devenait sérieuse.
— Laumière ? suggéra-t-elle.
Cady fit « non ! » sèchement. Et, s’impatientant :
— Pourquoi ne me proposes-tu pas ton mari, pendant que tu y es ?
L’autre répondit avec calme :
— Oh ! Paul ne marcherait pas… ou, du moins, il demanderait des explications… Et comme tu n’en veux donner aucune…
Cady comprit qu’elle était vexée de son mutisme rigoureux.
— Écoute, expliqua-t-elle, j’ai besoin de louer et de meubler en cachette un petit appartement.
Marie-Annette battit des mains joyeusement.
— Chouette ! Quelle bonne idée ! Oh ! mais alors, cela ira tout seul !… Il y a longtemps que je rêve cela aussi !… Nous nous mettrons plusieurs, rien que des femmes, et on installera une fumerie d’opium, celle de la mère Garnier n’est jamais libre !…
Cady secoua la tête.
— Non, ce sera un chez moi exclusivement à moi… Personne n’y entrera, pas même toi.
L’enthousiasme de Marie-Annette tomba.
— Ma parole, tu as un culot ! s’écria-t-elle avec mauvaise humeur. Tu viens demander de l’argent, et tu ne veux faire aucune concession pour l’obtenir !…
Cady reprit avec douceur :
— Je ne te demande pas de l’argent à toi, je te prie de me suggérer un moyen pour m’en procurer, si tu en vois un.
Marie-Annette songea ; et, délibérément :
— Ma chère, je ne vois qu’une façon prompte et pratique… t’adresser à Mme Garnier.
Le visage de Cady se colora légèrement. Elle hésita, et dit enfin avec découragement, l’accent plaintif :
— Écoute, Marie-Annette, j’ai bien besoin de cet argent… J’en ai un désir fou… Mais je ne peux pas me décider à l’obtenir comme cela !… C’est plus fort que moi !…
Sa cousine s’apitoya.
— Quelle enfant tu fais !… Ah ! si toutes les femmes pensaient comme toi, les grands magasins feraient faillite !…
Et, avec une générosité inattendue :
— Eh bien, tiens, moi je te le procurerai !… L’embêtant, c’est que cela va me prendre du temps et que je manquerai la semaine d’aviation de l’Ouest.
Cady lui serra furtivement la main avec reconnaissance.
— Tu es gentille comme tout, mais je n’accepterai pas… Ça me déplairait autant que si c’était moi.
Marie-Annette leva les bras avec désolation.
— Mais, ma pauvre enfant, si tu refuses tout !…
Cady glissa :
— J’ai une idée qui serait bonne si tu voulais bien la mettre à exécution.
— Laquelle ?
— Tu demanderais la somme à Victor.
— A ton mari ? s’écria Marie-Annette, stupéfaite.
— Oui… pas pour moi, bien entendu… Soi-disant pour toi.
— Mon Dieu, à quel propos ?… Renaudin est le dernier homme auquel je m’adresserais un jour de dèche.
— Tu aurais tort, il est on ne peut plus obligeant. Tu lui diras que tu as une dette pressante.
— Tu prétendais qu’il ne te croirait pas.
— Moi, non, mais pour toi, cela ira tout seul… Il te sait indépendante, dépensière, désordonnée…
— Dis donc, je te remercie !…
— Je n’apprécie pas, je constate… Mieux même, je t’admire… Tous les défauts, une fois qu’ils sont admis, c’est une force.
Marie-Annette rit.
— Tu as raison ! Allons, je tenterai le coup.
Et après réflexion :
— Au fait, tu me permets de demander cinq cents francs de plus ?… Ils seront pour moi… Je te les rendrai dès que je serai en fonds, ce sera tout bénéfice pour toi.
— Entendu ! acquiesça Cady en réprimant un sourire.
Marie-Annette annonça :
— Voilà ton amoureux.
Maurice Deber sortait de la salle à manger. Elle alla à lui, et désigna Cady.
— Elle vous attend.
Certaine que son désir serait exaucé, l’esprit allégé, Cady accueillit le colonial avec un délicieux sourire, la pensée ailleurs, toute emplie du souvenir de Georges, de la joie du logis clandestin qu’elle organisait pour lui. Elle plaisanta.
— Eh bien, vous vous êtes donc arraché à ce cher bridge ?
Il s’assit auprès d’elle, protestant du geste.
— D’ordinaire, il m’amuse fort médiocrement… et aujourd’hui, il m’horripilait… Mais c’était une contenance.
— Oui, il paraît que vous en faites de pas banales !… Que diable avez-vous pu dire à ma cousine ?… Elle a conclu de vos palabres que nous sommes au mieux, et même que nous venions juste de nous quitter… et, de quel genre d’entrevue, je ne veux même pas y arrêter mes esprits !
Il l’écoutait, atterré.
— Est-il possible ?… Mais, je n’ai rien dit !…
— Vous avez été compromettant comme une teigne !… Tranchons le mot, comme dirait ce bon M. Monjolin que vous apercevez là-bas en train de grimacer sur du caviar… vous fûtes révoltant !…
Deber protesta.
— Je vous jure que non !… Mme de Montaux a interprété des paroles toutes simples, toutes correctes, de façon déplorable…
Et, avec amertume :
— Du reste, cela ne devrait pas me surprendre !… Je vous avoue que je suis abasourdi par le ton de cette maison… Il est logique qu’on m’ait prêté des intentions que je n’avais pas. Il semble ici qu’il n’y ait que des amants ou des gens sur le point de le devenir… J’ai surpris des fragments de conversation !… Vraiment, je me demandais dans quel monde je me trouvais !… Quand je pense que Mme de Montaux est votre parente, votre amie… que vous la fréquentez intimement !…
Le rire de Cady fusa.
— Quel sauvage vous faites !… D’ailleurs, vous êtes tout à fait injuste… Par hasard, vous avez donné en plein dans le clan particulier, si vous aviez loué auprès du banc des vénérables raseurs, vous auriez une tout autre impression… Voyez là-bas ces sales têtes de vieillards… Vous avez là un président de chambre, la femme du rigide procureur Lobertin, dit la Seringue… deux épouses de chefs de division à l’intérieur et aux finances… le grand vermicellier de France et sa chaste vieille fille de sœur, le couple le plus confit en dévotion qui soit, et faisant partie de toutes les ligues de moralisation… Au fond, tous de bonnes fripouilles, mais le dessus de la façade décorative… Quand on peut s’offrir un panneau d’affiches pareil, on n’est pas un salon équivoque, comme vous voulez bien nous faire l’honneur de l’insinuer, cher monsieur !…
Deber hochait la tête, mal convaincu.
— Admettons que vous ayez raison… Je suis un provincial… Mais, ce qui me gâte, c’est que ma famille, bien que parisienne, est restée à l’écart de ces modifications de la société qui permettent le mélange que l’on voit ici… Elle a gardé ses vieilles relations irréprochables, ses mœurs paisibles, ses effarouchements, son horreur des compromissions… Si ma mère ou mes sœurs eussent entendu ce que j’ai surpris tout à l’heure entre flirteurs, ou simplement entre jeunes femmes, et qu’elles l’eussent compris, elles en seraient malades de saisissement.
Cady souriait ironiquement.
— Mon Dieu, mais quelles abominations ont donc offensé vos chastes oreilles ?… Je ne vous aurais pas cru si pudibond… Les coloniaux passent pour rien moins que candides, cependant…
— Ne vous moquez pas de moi… J’ai été, en effet, en face de trop de turpitudes pour que quoi que ce soit puisse me surprendre… Mais ce que je trouve écœurant, c’est que le vice ne se cantonne pas dans les bas-fonds… Là, il est à sa place, et je suis libre de l’éviter, il ne m’étonne ni ne m’indigne… Au lieu que, lorsqu’il se glisse parmi les rangs de ceux qui m’environnent, lorsque je le vois s’établir ouvertement, impudemment, chez des femmes que j’ai la coutume et le devoir de respecter… eh bien, oui, cela m’exaspère et cela m’épouvante !…
Cady l’écoutait très attentivement, toujours enfouie dans les coussins, et goûtant un bien-être physique indicible.
— En vérité, vous parlez fort bien ; mais précisez donc ce qui vous a offusqué ; je n’ai jamais rien entendu que de banal et de stupide ici.
— Je ne saurais point vous redire au juste ce qui m’a choqué… Tout !… l’air sent mauvais… Il semble non seulement qu’il paraisse naturel à toutes ces jeunes femmes d’avoir des amants, d’avoir des maris qui les trompent avec leurs propres amies, mais on bafoue même l’amour, on le ridiculise, on le ravale à on ne sait quel geste ennuyeux que l’on accomplit par routine, par désœuvrement… ou vénalité…
Cady admira :
— Dieu ! que vous prêchez bien !
Il tressaillit, piqué.
— Oh ! je parle dans le vide, je m’en doute bien !… Et pourtant, Cady, si vous les imitez, ces perruches, ces écervelées, ces amorales, ce n’est pas votre réelle nature. Vous avez autre chose dans le cœur et l’esprit… Vous pourriez être une femme exquise, une vraie femme… Je le sens, je le vois, à votre regard parfois si profond, si anxieux, aux paroles qui vous échappent… Je le reconnais jusque dans vos fébrilités, vos caprices, vos tristesses, qui proviennent d’une âme mal à l’aise, mécontente, dépaysée…
Elle dit doucement, les yeux presque clos, absorbée dans une vision de bonheur éperdu :
— Vous vous trompez, je suis très heureuse… Pas depuis longtemps, c’est vrai… Mettons depuis hier…
La sincérité de son accent était évidente, et, bien qu’elle ne songeât point à l’abuser, sa pensée volant vers un autre, il ne pouvait manquer d’en prendre le sens à son adresse.
— Oh ! Cady ! balbutia-t-il d’une voix altérée.
Elle revint à elle, le regarda avec surprise et étouffa un rire.
— Oh ! mais, faudrait pas que ça vous suffoque ! s’écria-t-elle avec une intonation gamine.
Et, l’abandonnant, légère, bondissante, elle courut rejoindre le cercle qui entourait Marie-Annette.
— De quoi qu’on se pâme pour l’instant ? demanda-t-elle railleuse, au milieu des regards de jalousie, de suspicion, et de dédain affecté.
Marie-Annette prit son bras, et l’entraîna.
— Allons, Cady, ne fais pas le voyou !…
— Non ! mais, tu sais, il ne faudrait pas que tes copains croient qu’ils se paient ma tête !…
Marie-Annette l’interrogeait avec curiosité, jetant un coup d’œil furtif à Deber, immobile où Cady l’avait laissé.
— Que te disait-il ?… Il a l’air rudement ému !…
Cady protesta, la mine confite.
— Ah ! Dieu, que vas-tu imaginer ?… Il me faisait la description du grand pont de Tananarive… Cent soixante-sept arches sans compter les culées…
Marie-Annette resta stupide.
— Le pont de…?
— Eh bien ! quoi ? fit Cady avec candeur. Il n’y a pas de pont à Madagascar ?… C’est que j’aurai mal compris… Après tout, c’est peut-être sur la mer Rouge, là-bas, au bout…
Et, s’interrompant, ardente, suppliante :
— Alors, dis, quand est-ce que tu parleras à Victor pour l’argent ?… Oh ! c’est que je le voudrais tout de suite, tu sais ?…
Mme de Montaux fit un geste.
— Je ne demande pas mieux, mais encore faut-il que je le rencontre… Je ne peux tout de même pas aller le trouver au Palais…
Cady proposa :
— Viens dîner demain… Non ! il n’y aurait pas le temps de faire les invitations… Après-demain, avec ton mari… Il y aura… Voyons, qui ?… Deber, Laumière, Argatte, et puis… et puis, c’est tout, je ne veux pas de raseurs… Tu viendras de bonne heure avant dîner, je dirai que je ne suis pas habillée, Victor te recevra, et tu lui glisseras la chose…
Marie-Annette fit la grimace.
— C’est convenu, mais si tu savais ce que ça me sourit peu !… Il m’intimide, ton mari !…
Cady, préoccupée, ne l’écoutait pas.
— Ne te décollète pas trop, il déteste ça… Pleure un peu, si c’est possible… une larme, ou même une moitié, ça suffit… Dis-lui que tu as perdu aux courses, et qu’alors il t’a fallu emprunter à ta femme de chambre, et que ta dignité ne te permet pas de conserver cette dette.
— Mais, c’est idiot !
— C’est peut-être idiot, cependant c’est arrivé, Victor me l’a raconté l’autre soir, c’était dans une de ses affaires…
— Alors, il devinera que tu me l’as suggéré.
— Pas du tout, parce que je dormais quand il en a parlé, il ne croit pas que je l’aie entendue, l’histoire.
— Si tu dormais, comment…
— Tiens donc, je faisais semblant… Je fais toujours semblant de m’endormir quand il me rase avec ses machines du Palais… Ça lui coupe le fil…
Marie-Annette ne put réprimer un sourire.
— Que tu es gaie, aujourd’hui !… Je retrouve la Cady d’autrefois.
La jeune femme pinça les lèvres.
— Oui, j’ai idée qu’elle rôde depuis qu’elle a revu un vieux camarade… Mais évitons-les, c’est de mauvaises connaissances !…