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Cady mariée : $b roman

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XII

Cet après-midi-là, le jour avait fui sans qu’ils songeassent à allumer. Ils étaient étendus sur le lit, et causaient enlacés, dans ce bien-être indicible que leur procurait leur intimité, la certitude de leur oubli, momentané mais absolu, de tout ce qu’ils venaient de quitter pour se réunir, et la sensation sans prix de leur communion suprême en l’heure présente.

Les persiennes de la fenêtre étaient restées ouvertes ; il venait un peu, très peu de clarté du passage, où les magasins s’allumaient chichement, et toute la gaieté douce provenait de la lueur émanant des carreaux de verre du sol. Une forte chaleur régnait en ces petites pièces, saturées du parfum des œillets et des roses garnissant les tubes de cristal que Cady ne laissait jamais vides.

Elle dit subitement :

— Georges !… Si tu étais malade, qui te soignerait ?… Où irais-tu ?

— Mais, ma chérie, ça ne ferait pas un pli… à l’hôpital… Ça m’est déjà arrivé.

— Tu as été gravement malade ?

— Ma foi, jamais souvent… Et c’est même épatant que dans ma situation je n’aie jamais écopé de la prison ni la… enfin, du mauvais mal… Non, je n’ai jamais entré dans la boîte à mourir que deux fois… Une typhoïde que j’avais attrapée en Suisse… Quatre mois que j’ai passés dans ce sale patelin, dont trois à l’hôpital… Tu parles si ça m’a dégoûté de l’endroit !…

— Et l’autre fois ?

— Pas grand’chose… Une entorse, à cause d’un brutal qui m’avait fait descendre l’escalier plus vite que je n’aurais voulu…

— Et la cicatrice que tu as là, à la lèvre, qu’est-ce qui te l’a faite ?

Il se troubla et répondit évasivement :

— Oh ! ça, ce n’est rien…

Cady n’insista pas, poursuivant son idée.

— Tu serais bien souffrant, à présent, tu n’aurais personne pour te garder chez toi ?

— Certainement non… Et puis, tu sais, je n’ai pour ainsi dire pas de chez moi…

Elle rêvait.

— Ce doit être triste d’être seul, tout seul dans la vie… de n’avoir pas un coin à soi où se réfugier…

Puis elle se reprit avec amertume :

— Que je suis sotte !… Avec cela, quand on a un tas de monde autour de soi que l’on n’est pas seul tout de même !… Et est-on chez soi dans la maison que l’on partage avec ceux que l’on n’aime pas !…

— Tu ne l’aimes pas un peu, ta famille, Cady ?

Elle répondit, sombre, froidement, pleine de rancunes profondes, de ressouvenirs obscurs et douloureux.

— Non.

— Pourtant, ton mari paraît un brave type ?…

Elle reconnut plus doucement :

— Lui, oui, il est aussi bon que possible… et il n’y a pas longtemps, je croyais l’aimer assez… Seulement, tu comprends qu’on n’éprouve pas une vraie affection pour quelqu’un auquel on ne peut rien avouer de soi… sinon des niaiseries… Et puis, que veux-tu, depuis que je t’ai retrouvé, je ne me sens plus pareille à tous ces gens-là !…

Et brusquement, se serrant contre lui, elle implora :

— Pourquoi ne veux-tu pas que je quitte tout pour toi ?… Si tu le permettais, mon Georges, je ne retournerais plus jamais là-bas… Ils ne sauraient pas ce que je suis devenue… et nous serions tout l’un pour l’autre.

Les yeux clos, il la pressa sur sa poitrine.

— Dis comment tu rêves qu’on vivrait si l’on était ensemble tout à fait ?…

Et, pendant de longues minutes, ils bâtirent des projets dorés, absurdes, captivants, emportés bien au delà des réalités, négligeant celles-ci résolument pour s’envoler dans le songe lumineux… redevenus enfants, plus enfants encore que jadis… singulièrement chastes et simples dans leurs imaginations, malgré tous les germes impurs que la vie avait déposés en eux.

Cependant le réveil — un réveil neuf, intact, celui-là, — vint sans pitié les arracher à leur songe, leur rappeler qu’il fallait une fois encore se séparer, reprendre chacun son masque.

Cady étreignit son ami ; et, de nouveau, plus sérieusement qu’auparavant, offrant vraiment toute son existence, elle proposa :

— Veux-tu que je reste ?

Il eut un petit frisson intérieur, saisissant la gravité de leur dialogue. Ils demeurèrent pendant quelques instants en un silence plein d’anxiété.

Puis, il secoua la tête, deux larmes parurent sous ses cils baissés, il prononça avec une infinie désolation :

— Non, Cady, tu ne dois pas… Je ne vaux pas cher, et je finirai mal, c’est certain… Il faut que tu puisses m’oublier… me renier le jour où ça deviendra nécessaire.

Elle posa ses deux mains sur les épaules du jeune homme et approche son visage. Il sentit son haleine tiède sur son front.

— Tu crois qu’un jour viendra où je t’oublierai ?

Il répondit faiblement :

— Je ne sais pas… Je l’espère.

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