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Cady mariée : $b roman

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XV

Après le thé qu’ils venaient de prendre, Cady rangeait minutieusement les ustensiles, avec la joie puérile et profonde que lui causaient les soins de ce ménage pour rire. Un mot de Georges la fit sursauter de surprise, et s’écrier :

— Comment, tu connais Fernande Voisin ?

Georges, la cigarette aux lèvres, souriait.

— Un peu !… Tiens, justement, je sortais de chez Rumpelmayer, où j’avais rendez-vous avec elle, le jour où je t’ai rencontrée, rue de Rivoli.

La jeune femme vint se rasseoir à côté de lui, dans le petit coin de serre à la fraîche senteur de plantes humides, où ils faisaient leurs dînettes.

— Raconte…

— Quoi ?

— Tout ce que tu sais de Fernande.

— Oh ! ça serait long !… Vois-tu, je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui la connaisse aussi bien que moi.

— Tu es son amant ?

— Oui, et mieux encore que cela.

— Qu’est-ce que cela veut dire ?…

— Je vais t’expliquer… C’est assez curieux… D’abord, que je te dise, elle n’est pas à moitié louf, ton amie…

Cady se récria :

— Oh ! ce n’est pas mon amie, sûr !… Elle et sa mère sont les amies de maman, pas les miennes !

— Peu importe.

— Comment l’as-tu connue ?

— Oh ! bien simple !… A un thé, je ne sais plus lequel… J’étais là, bien tranquille, elle s’est assise à une table auprès de moi, avec une autre femme… Et, tout de suite, elles se sont mises à me dévisager… Moi, naturellement, j’ai répondu de l’œil avec complaisance, je ne risquais rien, on voyait que c’était des gonzesses cossues… A la sortie, l’amie a filé en riant… moi, comme de juste, j’ai accosté la personne… Et ça n’a pas traîné… On a été de suite à l’hôtel.

Cady hochait la tête.

— Non, vrai ?… Je n’aurais tout de même pas cru cela d’elle !…

— Tu peux être sûre qu’elle n’en était pas à son coup d’essai… De la désinvolture, et puis, du jugement… Car, n’est-ce pas, je lui avais raconté que j’étais étudiant, mais si tu crois qu’elle y a coupé… Elle a souri, et en se séparant de moi, elle m’a gentiment glissé un billet de cent francs…

Les yeux sur Georges, Cady questionna :

— Et puis, quoi, tu l’as revue ?

— Bien sûr !… Elle m’avait demandé où elle pourrait m’écrire au cas où elle aurait envie de me retrouver… Je lui avais donné une adresse poste restante… et, ma foi, j’ai été plus de quinze jours sans aller y voir… Je n’avais pas dans l’idée qu’elle aurait repensé à moi… Une drôle de bonne femme !… Elle n’avait pas paru plus enthousiasmée que ça de moi, et je supposais que ça serait la première et la dernière fois que je la verrais… Ah ! bien, j’étais loin de compte !… Si tu croirais qu’à la poste, j’ai trouvé six lettres !… Et quelles lettres !… passionnées, impérieuses… Elle se fâchait de mon silence, elle faisait cent promesses, mille menaces… Et puis, crâne avec cela, me disant son nom, et tout… Et, en même temps qu’elle avait confiance, et aussi que je ferais bien de marcher droit, autrement, elle me faisait coffrer sans raffut, amie qu’elle était avec le préfet de police.

— Coffrer ?… A propos de quoi ?… Si tu ne voulais pas coucher avec elle, ça ne regarde tout de même pas M. Lesévère !…

Georges rit.

— Oh ! elle pouvait, y avait prétexte… Il paraît qu’elle avait barboté dans mes poches un papier d’un type qui m’en écrivait de toutes les couleurs… Que veux-tu, c’est leur manie… faut qu’ils se répandent sur le papier… et justement, il nommait une boîte qu’on avait sur l’œil…

— Et alors ?

— Eh bien, j’ai répondu vite que j’étais désolé, que mon silence s’expliquait de ce que j’étais en voyage, et je lui donnais rendez-vous pour le lendemain.

— Elle y vint ?

— Si elle rappliqua !… Mais, ce que tu ne supposerais pas, c’est les comédies qu’elle me joue… Ah ! elle n’est pas qu’un peu marteau !

— Enfin quoi ?

— C’est une femme qui a des idées de grandeur, et puis aussi un joli solde de rancunes et de rancœurs… Pour arriver à sa situation, elle a dû en avaler des couleuvres !… et elle en conserve le goût, alors elle se venge en imagination… Tour à tour, qu’elle m’appelle d’un nom ou d’un autre, tous les personnages connus de la politique ou autrement, et on voit qu’elle a marché avec, pas pour le plaisir, pour l’ambition, et alors qu’elle me couvre de toutes les injures qu’elle peut se ressouvenir… et elle en a un capital !… Tu peux me croire que j’en ai appris partout où j’ai circulé. Eh bien, je t’affirme qu’elle m’en a remontré !

Attentive, curieuse, Cady demanda :

— Alors, tu joues le rôle de ces personnages ?

— Oh ! je n’ai pas grand mal… Je ne me déguise pas, je reste au naturel… Je ne dis pas un mot… J’arrive tel que, n’est-ce pas, je l’embrasse, je la prends dans mes bras… C’est elle qui se monte la boussole… et elle en a des idées !… et une tapette !… elle n’arrête pas !… D’abord elle se montre câline, elle me fait du plat tant et plus, toujours en me nommant d’un blaze que je connais ou que je ne reconnais pas… ministre, député, sénateur, magistrat… elle en a une tapée de relations !… Et puis, subitement, elle fait la grimace, sa figure se contorsionne, elle se peint un air mauvais sur le portrait, qu’on dirait qu’elle va jeter du venin, et elle m’agonit de sottises… elle en débagoule de toutes les nuances… Et qu’elle les connaît dans les coins ses types, et qu’ils ont dû la raser et la dégoûter pour qu’elle leur resserve avec cette fidélité leurs ridicules, leurs défauts, leurs vices !… L’œil de poisson de celui-là, le ventre de l’autre, et celui-ci qui bave, et l’autre qui hoquette. Elle en a des mots pointus, cinglants !… Ceux à qui elle s’adresse, s’ils l’entendaient, ils en ressauteraient, je t’en réponds !…

— Et toi, ça ne te fait rien qu’elle te dise tout cela ?

— Moi, je m’en fiche… D’abord, je l’écoute ou je ne l’écoute pas. Dans les commencements j’ai trouvé ça rigolo, et je me suis instruit… A présent que je connais ses princes, je ne fais plus bien attention, quoiqu’elle en sorte encore de nouveaux… Mais d’ailleurs, n’est-ce pas, je n’ai pas à m’offenser, c’est pas moi qu’elle voit dans ces instants… Quand elle reprend ses esprits, elle est bien différente et pour moi personnellement, elle est très affectueuse.

— Alors elle ne fait pas que t’injurier ?

— Tu penses bien que la comédie ne s’arrête pas là… Je ne dois pas m’occuper de ses paroles ni de ses gestes, et ma foi, si ceux qu’elle interpelle étaient à ma place, ils ne s’embêteraient pas, s’ils aimaient le plaisir et qu’ils seraient sourds.

— Et toi ?

Il fit un geste d’insouciance.

— Tu parles !… Au déshabillé, elle est moche, tu sais… Et puis, toutes ces giries, ça ne m’excite pas, je ne suis pas vicieux.

— Tu as beaucoup de numéros comme cela dans tes connaissances ?

— Heureusement, non… Mais, les femmes à lubies, c’est plus rare que les hommes… D’ordinaire, elles y vont uniment.

— Et des hommes loufoques, tu en connais ?

Il leva les bras.

— Tu penses !… Pour dire vrai, je ne vois guère que ça… Ah ! il y en a des timbrés, de par le monde !

Cady se détourna, songeuse, les sourcils froncés, perdue en on ne sait quelles visions pénibles. Georges se coula près d’elle et l’enlaça tendrement.

— Tu m’en veux ?… Pourquoi me fais-tu parler, si ce que je te dis te cause de la peine ?… Je ne te raconterai plus ces choses-là… c’est vrai qu’elles ne sont guère pour une femme comme toi…

Elle tressaillit, et se serra contre lui.

— Non, non, je veux que tu me dises toujours tout !

— Et tu m’aimeras quand même ?

Elle resta silencieuse pendant quelques instants ; puis elle se dégagea et se redressa, montrant un visage rasséréné, des yeux pleins de tendresse et d’insouciance.

— Pardi oui, que je t’aimerai quand même !… Au fond, ma vie n’est pas tellement différente de la tienne… et vois-tu, je sais bien que tout ça ne marque pas, et n’a guère d’importance !

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