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Cady mariée : $b roman

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XIV

Des jours avaient passé ; ils se retrouvaient fréquemment. A ce moment, il était l’heure de se séparer. Georges était déjà rhabillé, mais il s’attardait, sans courage pour partir, grave, les yeux attachés sur Cady, assise au bord du lit, les cheveux défaits, mettant ses bas avec distraction et nonchalance.

— Cady, pourquoi m’aimes-tu ? fit-il, soudain.

Elle leva la tête et le considéra, pénétrée par l’angoisse indicible de cette question qu’elle comprenait bien n’être point banale, verbiage quelconque d’amoureux.

Sans répondre, réfléchissant, elle se dressa, glissa ses pieds dans les souliers découverts qu’elle mettait pour ses visites à l’appartement clandestin, par paresse de boutonner elle-même des bottines ou de lacer des souliers.

— Pourquoi je t’aime ? répéta-t-elle enfin, lentement. Tu pourrais aussi bien me demander pourquoi je vis… Sûrement, il y a des raisons, mais elles sont si loin, si emmêlées…

Les mains dans les poches de son pantalon, il hocha la tête.

— Moi, je sais pourquoi je t’aime… Tu es tout ce qui est bon et beau, presque pas vrai dans ma vie… Mais moi ?… Qu’est-ce que je suis pour toi ?… Si je n’étais que ton vice, ça me ferait de la peine.

Elle rattachait ses cheveux, les bras levés, frêles, mais délicatement arrondis. Et, sous les frisons, les ondulations de la chevelure qui rabattait sur son front, ses yeux paraissaient plus sombres, son épiderme plus fin, un rien ambré par l’éclairage spécial de la pièce. Elle dit sans hâte, s’interrogeant :

— Non, ce n’est pas cela… Il y a de cela, mais ce n’est pas tout… Et encore, peut-être même que ce n’est pas du tout cela… tu sais ?… Si tu étais un autre qui aurait tous tes défauts, cela me choquerait, tu me déplairais sûrement… C’est parce que c’est toi que j’admets tout.

Il la considérait attentivement, cherchant sur ses traits au delà de ce qu’elle disait.

— Mais, ce « moi » là, pourquoi l’aimes-tu ?

— Je pense, à cause de l’ancien temps… On n’avait personne pour s’occuper de nous… On était comme frère et sœur… On s’est habitué l’un à l’autre.

— C’est de l’amitié, ça, ce n’est pas de l’amour… Pourtant, tu m’aimes d’amour ?

— Je ne sais pas… Oui… Peut-être que non, après tout… C’est plus fort, plus profond que l’amour comment je t’aime, Georges.

— Cependant, si on disait qu’on ne se caresserait plus, ça te ferait quelque chose ?…

Elle haussa les épaules, subitement impatientée.

— Ah ! tu m’embêtes, tu dis des inepties !

— Mais non, je voudrais savoir…

— Savoir quoi ?… Tu es stupide… On ne sait jamais rien dans l’existence… On a beau réfléchir, comparer, juger… tout cela est faux… On croit avoir deviné des mobiles, des raisons, et un beau jour on s’aperçoit que tout cela fiche le camp, et qu’il y a au fond de vous quelque chose d’invisible, qu’on ne peut définir et qui vous pousse.

— Est-ce que tu crois en Dieu, Cady ?…

— Non !… personne n’y croit.

— Oh ! si, je t’assure !…

— Peut-être des pauvres… des gens très simples… les autres, non… Il y a ceux qui font semblant d’y croire par pose, et ceux qui prennent la pose contraire… La religion, c’est une attitude et un moyen, voilà tout…

— Tu ne penses pas que ce serait bon si c’était vrai ?

— Quoi ?

— Eh bien, des saints, des Vierges… des choses à qui on ferait des vœux, et qui vous accorderaient tout ce qu’on demanderait, par gentillesse, en ne réclamant rien d’embêtant en échange.

Cady sourit, sceptique.

— Peuh ! il faudrait toujours payer, va !… Les bons dieux, c’est dans son genre encore plus exigeant que le monde, tu peux en être sûr… Et, si cela vous donnait quelque chose gratis par hasard, j’ai idée que cela ne serait pas ce qu’on voudrait… Tous les gens charitables et bons sont comme cela… jamais ils ne s’occupent de vos goûts ni de vos vrais besoins… Les uns vous offrent ce dont ils ne voudraient pas… Les meilleurs vous imposent ce qui leur ferait plaisir à eux, mais ça n’est pas une raison pour que ça fasse votre bonheur à vous.

Georges hocha la tête, et déclara :

— Alors, le mieux c’est de dire zut à tout, et de ne s’occuper que de nous deux ?…

Cady acheva avec mélancolie :

— Et surtout, il faut ne pas penser, ne jamais penser à l’avenir, vois-tu… parce que, c’est le noir…

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