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Cady mariée : $b roman

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XI

… Du cabinet de toilette où il barbotait, Georges observa :

— Cela, minet… c’est la seule chose incomplète ici… Il est vraiment moche, ton lavabo.

Cady, étendue sur le grand lit défait, la chair à l’aise dans la grosse chaleur qu’entretenaient les radiateurs, se rebiffa, piquée.

— Tiens donc !… Avec le peu d’argent que j’avais pour le tout, ça n’aurait pas suffi pour l’installation d’un cabinet chic !

Le jeune homme parut dans l’embrasure de la porte, soulevant la draperie blanche de son bras nu.

— Aussi, ce que je t’en dis, vois-tu, c’est parce que je pense que je pourrai te faire arranger cela tout à fait bien…

Le torse entièrement découvert, d’un blanc mat et chaud, la chair grasse et fine sur l’armature svelte, il avait entouré ses reins d’un kimono de soie citron pâle, noué ainsi qu’un pagne.

Un peu redressée, presque assise, les épaules appuyées aux oreillers, les bras noués derrière la tête, la pose renversée de son buste faisant saillir sa gorge menue aux pointes blondes, la jeune femme eut un appel tendre.

— Viens donc…

Lorsqu’il fut étendu, près d’elle, tous deux blottis l’un contre l’autre, en un instinctif besoin de tendre et pour ainsi dire de chaste intimité, il ramena sur eux les draps et la courtepointe.

Georges reprit, poursuivant son idée :

— Oui, un ami que j’ai, qui est précisément directeur d’une entreprise d’installations de bains, de chauffage, de tout ce fourbi-là… Je lui parlerai, et il nous fera ça à l’œil.

Cady admira avec un petit rire ironique.

— Eh bien, tu as des amis précieux !

Il dit, l’accent pénétré :

— Sûr que je voudrais en avoir beaucoup comme celui-là.

— Jeune ?… Vieux ?

— Un homme sérieux… mais un type gentil, affectueux, et puis, dans son genre, pas vicieux… Et ce qu’il serait généreux s’il n’avait pas la passion du jeu qui lui emporte tout !…

— Quel jeu ?

— Le seul qui compte pour ceux qui l’ont vraiment dans le sang : la roulette.

Cady fit un geste.

— Ah ! oui… Monte-Carlo…

Georges rit.

— Oh ! jamais mon bonhomme n’a fiché les pieds là-bas !… Néanmoins, il trouve bien à se contenter sur place… Il ne s’agit que de connaître les endroits…

Les doigts de Cady palpaient doucement la place, où, sous le sein gauche du jeune homme, se trouvait un petit tatouage presque imperceptible au toucher. Elle questionna :

— Dis… C’est bien sûr mon nom qu’il y a là, dans ce gribouillis ?

— Puisque je te l’affirme… D’ailleurs, en regardant bien, tu peux le vérifier, les lettres y sont toutes.

— Des lettres françaises ?…

— Mais oui… malgré que ça soit un Chinois qui m’ait dessiné cela.

— C’était un Chinois ?… Alors, c’est pour cela qu’il a fait des lettres si drôles qu’on ne reconnaît pas ?

— C’est-à-dire que c’est pour que le chiffre fasse mieux… et aussi que je lui avais recommandé que tout le monde ne puisse pas lire ce qu’il y avait.

Elle le pinça, relevant avec irritation :

— Tout le monde !… Non, mais, tout de même !

Il s’excusa avec modestie.

— Oh ! c’est une manière de dire, naturellement !…

Elle s’apaisa.

— Enfin, tu as bien fait… Y en a-t-il, des fois, des gens qui ont deviné ?

— Non, jamais… Et pourtant, ça intriguait, je te jure… surtout que c’est joliment exécuté… Et puis, écoute… moi aussi, j’ai appris à écrire ton nom comme cela. Et si tu irais à Venise, à Florence, ou tout bonnement à Monte-Carlo… Oui, sur le mur du Casino, derrière le pavillon de musique, tu verrais ton nom que j’ai gravé, tout pareil à mon tatouage.

Elle se serra contre lui, enchantée.

— Tu as fait cela, vrai ?…

— Je te le jure.

— Tu pensais donc à moi souvent ?

— Pour te dire vrai, c’était mon occupation dès que je n’en avais pas d’autre.

— Oui, enfin, à tes moments perdus !…

— Comprends donc !… On ne pense pas aux gens à volonté… Ça vous vient tout seul… Eh bien, ton souvenir, ton idée plutôt, elle me surprenait comme cela, brusquement… Oh ! à de moments très différents… Quand je m’amusais bien, que, par hasard, je n’avais pas de soucis, pas d’embêtements, de la galette plein mes poches, que je pouvais me payer de la flemme… « Cady » ! que je me disais… et ça m’ajoutait comme un rayon de soleil… Et de même, aux minutes où ça tirait dur, où je flanchais, qu’il me paraissait que j’étais à bout… Alors, ta petite figure ancienne, je la revoyais… Il me semblait que tu te penchais sur moi, sérieuse, avec de bons yeux, et que tu me disais comme autrefois : « Pauvre gosse ! »… Alors, je sentais que je pouvais durer encore…

Les lèvres dans le cou de son ami, elle songeait, se laissant aller au cours de ses propres ressouvenirs.

Puis, soudain, tout s’effaça ; elle ressauta sans transition à leur premier sujet de conversation.

— Tu disais que ton ami nous ferait un cabinet de toilette très chic ?…

— Oui.

— Mais, peut-être pas avec une baignoire ?

— Si, avec une baignoire, un machin pour chauffer l’eau, et puis un truc pour la douche… et des faïences tout autour et par terre… Quelque chose comme j’ai vu chez lui, c’était très riche.

Elle se trémoussa, ravie.

— Oh ! ce sera épatant !… Figure-toi que sur le quai, notre vieille baraque n’a rien de ça, et que jamais Victor n’a voulu entendre parler de m’installer des bains… Il dit que quand on l’a sous la main, on en prend trop, que ce n’est pas sain, et que mon tub, c’est mieux.

— C’est peut-être mieux pour la santé, mais le bain chaud avec du bon parfum, c’est agréable comme de la caresse… Tu verras… Je connais une femme qui a des odeurs étonnantes pour ses bains… Je lui en prendrai pour toi.

Elle réfléchissait.

— Cet ami, tu lui dirais pour qui c’est ?

— C’est-à-dire, oui et non… J’arrangerai… Je ne voudrais pas le froisser… Je vais t’expliquer… C’est un homme qui connaît la vie, et puis qui n’est pas exclusif… Il n’est pas sans deviner que j’ai des amies, mais, comme de juste, il n’aime guère que je lui en cause… Donc, comme je sais qu’il serait heureux de me faire plaisir, je lui dirai que le travail est pour une personne qui m’a rendu un service, et que c’est une manière pour moi d’éteindre une dette… Cela ira tout seul.

Les sourcils froncés, la voix brève, Cady demanda :

— Où l’as-tu connu, cet homme ?…

— Au cercle.

Elle s’était détachée de lui et avait passé une chemise tombée au pied du lit. Assise, les genoux relevés, qu’elle enserrait de ses deux bras, elle questionna curieusement :

— Explique-moi ce que c’est que ce cercle, et ce que tu y fais ?

Il se drapa, lui aussi, dans le kimono citron, et répondit, un peu contraint :

— C’est un cercle comme il y en a beaucoup, et j’en suis le secrétaire.

— Qu’est-ce qu’on y fait ?

— On y joue.

— A quoi ?

Il lui jeta un coup d’œil gêné. Puis, se décidant :

— A toi, je dis tout… Seulement, comprends bien que c’est sérieux… Faudrait pas d’indiscrétions…

Elle haussa les épaules.

— Dieu, que tu es bête !… A qui veux-tu que je raconte tes confidences ?…

— C’est vrai… Eh bien, voilà… C’est une boîte un peu truquée… Tu entrerais, tu verrais un café comme tous les autres, avec des clients bien tranquilles… un billard, des tables de manille, d’échecs, tout cela sans chic, mais convenable… Seulement, après la cour, il y a une salle où n’entrent que les membres du cercle… Il y a une roulette, et je te réponds qu’il se remue de l’argent !… bien que ce soient des types très ordinaires qui y fréquentent.

Cady réfléchissait.

— La roulette, c’est défendu à Paris ?

— Pour sûr !… Ah ! on n’y couperait pas si on était pincé !… Mais, voilà sept ans que la boîte existe, et il n’y a jamais eu d’embêtements… C’est bien tenu. Le patron a été croupier à Monte-Carlo, il a l’œil, il choisit son monde… Jamais de femmes, pas de types douteux… Tous ceux qui viennent, c’est des commerçants ayant boutique… des Levantins, des Allemands en majorité… Je parle, naturellement, des pontes, parce que, autour, il y a de la jeunesse qui ne marque pas aussi bien… mais c’est nécessaire…

Cady réfléchissait :

— Parce que ?…

Il fit un geste.

— Dame !… ça se devine… pour égayer les salles.

— Tu as dit… pas de femmes…

— Pas une !… Ce n’est pas dans les idées du patron, ni des clients… D’ailleurs, rien que par prudence, on les écarterait… Avec ces chameaux-là, on a toujours la rousse derrière soi.

Alors, très bas, Cady posa des questions à l’oreille de Georges qui répondait par monosyllabes ennuyés.

Enfin, il l’éloigna de lui doucement ; et, ses yeux bleus cernés la contemplant avec affection et gravité, il affirma :

— Voyons, Cady, tu comprends bien que, dans la vie, pour ceux qui sont nés en pleine mouise, il faut se faire une raison, mais ce n’est pas des choses qu’on fait pour son plaisir, je t’assure.

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