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Cady mariée : $b roman

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Depuis huit jours, sans donner d’explications, Cady refusait de rencontrer Georges autrement que durant quelques minutes, furtivement, dans la rue.

Il ne s’inquiétait pas de ce caprice, la gaieté, la confiance, la tendresse de la jeune femme lui garantissant qu’elle ne songeait point à l’éloigner. Sa vie d’aventures, son genre d’existence particulier lui avaient appris la patience et la passivité. Il attendait docilement les ordres de Cady, et se pliait sans résistance à sa volonté.

En réalité, elle installait en cachette le minuscule et bizarre appartement qu’elle avait loué à l’entresol d’une vieille maison du passage Porsin pour y dissimuler ses amours ; et, malgré ses efforts, son impatience, l’emménagement se prolongeait au delà de ce qu’elle avait prévu.

Cependant, elle persistait à ne rien révéler à son ami, escomptant la surprise joyeuse qu’il aurait à l’heure où elle l’amènerait dans ce gîte complètement paré, et qu’elle aimait déjà avec une frénésie toute particulière, bien différente de l’apathie avec laquelle elle avait présidé à l’installation de son intérieur conjugal.

Dans le logis clandestin, elle retrouvait l’entrain d’une fillette jouant au ménage. Là seulement elle se sentait chez elle, et se livrait avec goût, avec enthousiasme, à mille travaux qui lui eussent paru fastidieux chez Victor Renaudin.

Son existence était bouleversée. Au lieu de se lever tard, de paresser ou de lire dans sa chambre pendant toute la matinée, d’employer ses après-midi en courses ou en visites, elle s’échappait de l’appartement du quai dès que Victor était sorti, et ne rentrait, les yeux brillants, l’esprit envolé, les cheveux en désordre, les doigts salis et meurtris de coups de marteau maladroitement appliqués, les jambes rompues de fatigue, qu’à la minute précédant celle où le juge revenait pour les repas.

Pour l’arrangement de ces quatre pièces telles qu’elle les rêvait, il lui fallait courir les magasins, harceler les ouvriers, et, à leur défaut, faire la besogne elle-même, ce qui l’enchantait.

L’attrait de cette occupation finissait par dépasser celui qu’elle attendait des heures d’amour qui suivraient en ce lieu ; ou, pour mieux dire, l’évocation de celles-ci se mélangeait si intimement avec chacun des détails de l’installation que c’était sans doute ce qui en faisait le charme puissant.

Si bien que, malgré son impatience de tout terminer, son irritation des retards étrangers à sa volonté, Cady éprouvait néanmoins un sourd regret de voir s’écouler ces heures délicieuses, dont elle emportait jusque chez elle le souvenir toujours attrayant, toujours cher, toujours nouveau…

Cependant tout était réuni et mis à sa place. Quelques heures suffiraient pour les derniers rangements qui donneraient au logis neuf l’air intime et habité, l’aspect d’avoir déjà abrité des heures d’amour et d’affection, le quelque chose d’indicible qui fait que l’on a l’impression d’être chez soi.

Le lendemain, Georges, convoqué, viendrait au rendez-vous, devant la porte par laquelle elle le guiderait chez eux.

Or, réservant pour cet après-midi divers soins et rentrant quai du Louvre à l’heure du déjeuner, elle eut la désagréable surprise d’y trouver son mari qui l’avait devancée.

Il lui parut soucieux et sombre. Elle s’inquiéta, imaginant mille incidents : il avait peut-être questionné les domestiques, appris les sorties inusitées de la jeune femme ; peut-être même l’avait-il suivie à son insu.

Toutes ces suppositions et mille autres tourbillonnaient dans son esprit. D’ailleurs, il n’était pas dans son caractère de longtemps supporter un doute. Elle fonça résolument sur le danger supposé.

— Qu’as-tu ? Pourquoi fais-tu une aussi sale tête ?

Renaudin porta la main à son crâne et dit avec effort :

— J’ai tellement mal !… Je crois bien que j’ai attrapé la grippe !

Un allégement divin se répandit en Cady. Elle se retint pour ne pas sauter de joie, battre des mains, se livrer à mille démonstrations incongrues.

Se pinçant les lèvres pour ne pas rire, éteignant l’éclat de ses yeux espiègles, elle murmura avec onction :

— Oh ! comme c’est ennuyeux !… Qu’est-ce que je peux faire pour te guérir ?… Veux-tu du thé, de la tisane, de l’ouate, des cataplasmes ?…

Il ne put réprimer un sourire.

— Rien du tout… Je vais simplement rester à la maison aujourd’hui… Car j’ai une telle courbature que je ne puis pas me tenir debout… Demain, j’espère que ce sera fini.

Brusquement, Cady envisagea les conséquences de cette décision. Victor, rester à la maison ?… Alors, pour elle, sa liberté était perdue !… Et les rangements à terminer là-bas ?… Une révolte, une colère l’envahirent, la pâlirent, firent trembler ses lèvres… Non, non, rien ne l’empêcherait de courir passage Porsin !… Mais, comment s’y prendre ? Quels prétextes invoquer ?… Car elle ne doutait pas de l’étonnement, de l’incrédulité de son mari si elle lui déclarait qu’elle avait des « visites indispensables » à rendre ce jour où, par hasard, il devait rester chez lui. Elle n’était malheureusement pas la mondaine avérée qui, quoi qu’il se passe chez elle, sort à heure fixe, immuablement, pour le « jour » de celles-ci ou de celles-là.

Or, ce qu’elle redoutait le plus, ce qu’elle savait le plus dangereux, à cause du genre d’esprit du juge d’instruction, c’était de provoquer en lui des surprises, de lui donner l’éveil par des obscurités qu’il n’aurait de cesse d’éclaircir.

Pourtant, certes, elle ne céderait pas. Elle sortirait !…

La cuisinière eut la stupeur de la voir entrer comme une trombe dans son domaine, où jamais la jeune femme ne faisait la plus brève apparition.

— Dites-moi, Marie, quelle tisane peut-on faire pour monsieur, qui a la grippe, afin de le guérir tout de suite ?

La femme répéta, confondue :

— Une tisane ?… une tisane pour monsieur ?

— Mais oui, voyons, vous n’entendez pas ? Vous ne connaissez pas de tisanes pour le rhume ?

— Oh ! si, madame ! Il y a le tilleul, la bourrache, les quatre-fleurs…

— Vous avez de ça ?

— Non, madame !… c’est des choses de pharmacien.

Cady trépigna.

— Alors, ça ne vaut rien !… Je vous dis que je veux cela immédiatement… fait avec quelque chose que vous avez sous la main, naturellement !…

La cuisinière réfléchit.

— Il y a l’eau de navets, le lait d’orge…

— Très bien, faites-en tout de suite, et apportez-le.

— C’est que, madame, pour cuire les navets, il faut bien trois heures…

Cady se laissa tomber sur une chaise, désespérée.

— Trois heures, bon Dieu !… Alors, autant courir chez le pharmacien !…

La femme de chambre proposa, empressée :

— Mais oui, madame, j’irai, ce ne sera pas long ! En attendant, Marie pourrait toujours faire un lait de poule… deux œufs battus, dans du lait et du bouillon, c’est souverain.

La cuisinière, piquée par cette intervention, voulut prouver sa bonne volonté.

— J’ai de l’orge mondé ; dans dix minutes, cela sera prêt !

Cady se leva et commanda, l’air inspiré :

— Très bien ! Marie, faites la tisane d’orge ; Joséphine ira chercher les quatre-fleurs et le tilleul. Moi, je me charge du lait de poule !

Joséphine rattacha son tablier blanc, tapa sur sa chevelure, échangea ses pantoufles de feutre contre des bottines qu’elle négligea de boutonner et s’élança dans l’escalier de service, pleine de zèle. Pendant ce temps, la cuisinière, mettant à l’écart le bifteck et les pommes de terre frites du déjeuner, se hâta de placer sur le fourneau deux casseroles de lait et de bouillon.

Cady s’activait de même, bousculant tout pour trouver un bol, un fouet, des œufs.

Marie, tout en tournant l’orge en plein feu, recommandait :

— Madame mettra ses œufs d’abord dans le bol et délayera doucement avec le bouillon chaud, pour ne pas que ça cuise les jaunes trop à la brusque… elle ajoutera une tasse de lait, une pincée de sel et deux bonnes cuillerées de sucre en poudre.

— Bien, bien ! fit Cady impatiente.

Et elle ne tarda pas à se saisir du bouillon, le déclarant assez chaud, et délayant furieusement avec le fouet.

Marie lui passa le lait. Cady l’ajouta, battant toujours, et examinant le mélange, les sourcils froncés, ses dents mordant sa lèvre.

— Ça fait drôle, observa-t-elle.

Elle atteignit sur l’étagère deux boîtes émaillées portant l’indication « sel », « sucre ». Les yeux toujours fixés sur sa mixture, elle plongea la cuiller à deux reprises dans la poudre blanche.

Justement, Marie regardait de son côté. Elle cria avec alarme :

— Madame ! c’est le sel !…

Cady resta figée, la cuiller pleine en l’air.

— Le sel ?… J’en ai déjà mis une cuillerée ! dit-elle avec consternation.

La cuisinière se détourna, prise d’une folle envie de rire.

— Ah ! bien, si monsieur trouve que ça n’a pas assez de goût !…

— Est-ce que c’est perdu, dites ?

La cuisinière hésita :

— Peut-être non… Que madame mette beaucoup de sucre, ça masquera…

Cady vida le reste de la boîte à sucre.

— Oh ! alors !…

Cependant elle considérait la tisane avec méfiance.

— Il faudrait goûter pour voir si c’est bon… mais, je n’ai pas le courage… Marie, regardez donc, vous ne trouvez pas que c’est bizarre ?

La cuisinière donna un dernier tour à sa casserole, approcha et examina le lait de poule avec étonnement. Tout à coup, elle demanda :

— Est-ce que madame n’aurait pas mis les blancs d’œufs ?

Cady répondit avec la tranquillité d’une conscience pure :

— Si, si, j’ai mis les blancs… J’ai tout mis.

Marie leva les bras avec désolation.

— Il ne fallait que les jaunes, bien sûr.

Cady se démonta :

— Ah ?

Sa figure s’allongeait ; elle pleurait presque d’énervement.

— Alors, on ne peut pas le boire ?… Dieu que c’est agaçant !… Moi qui voulais donner cela tout de suite à Victor !

L’envie de rire recommençait à tourmenter la bonne.

— Écoutez, madame, je vais le passer à la passoire fine… Peut-être que ça ira tout de même.

L’opération achevée, Cady s’empara du bol, d’un air déterminé.

— Maintenant, cela a très bonne mine !… Je vais le lui faire prendre… Ensuite, vous apporterez le lait d’orge aussitôt qu’il sera prêt.

Elle courut au cabinet du juge, qui sommeillait, les pieds touchant presque le feu. Il ouvrit un œil languissant.

— Cady, ma petite, déjeune seule, je suis incapable de manger quoi que ce soit.

— Je n’ai pas faim ! déclara-t-elle. Tiens, voilà une excellente tisane qui te remettra.

Il protesta :

— Oh ! non, les tisanes !…

Pourtant, Cady insista avec tant de chaleur que, pour la contenter, il se résigna.

Accroupie auprès du fauteuil de son mari, elle le contemplait avec la plus vive curiosité ; tandis que, sans regarder le contenu de la tasse qu’il avait prise, il la portait à ses lèvres.

Le résultat fut désastreux.

A peine avait-il avalé une gorgée du liquide tiède qu’il se leva, fuit avec égarement vers son cabinet de toilette, en déposant au passage la tasse sur une table avec une telle précipitation qu’elle chavira.

Cady se redressa, déconfite.

— Ah ! bien, par exemple !

Quelques instants après, Victor revint, murmurant d’une voix éteinte :

— Veux-tu me donner un verre d’eau ?… J’ai si mal au cœur !… Cet affreux goût ne passe pas…

Et, apercevant le lait de poule qui achevait de s’égoutter sur le tapis, il fit un geste d’horreur.

— Fais enlever cela !… Qu’on l’essuie !… Que je ne le voie plus !… Et puis, plus de tisane, hein ?…

Désolée, découragée, furieuse, Cady courut à la cuisine, jetant d’une voix tragique :

— Ne faites plus rien, Marie, monsieur ne veut pas qu’on le soigne !…

Et elle se réfugia dans sa chambre pour y sangloter à son aise.

Deux heures plus tard, ayant épuisé toutes ses larmes et peu à peu repris son équilibre, Cady songea qu’après ce fâcheux incident, elle n’avait plus rien à ménager. Elle sortirait et, à son retour, elle opposerait un mutisme absolu aux questions de Victor.

A peine avait-elle pris cette décision que Joséphine vint annoncer :

— Monsieur Deber est au salon.

Cady n’ayant qu’un seul jour de réception par mois avait l’habitude de ne jamais fermer sa porte quand elle était chez elle. Mais, aujourd’hui, elle faillit tomber à coups de poing sur la domestique, innocente observatrice de la consigne.

— Bien, j’y vais ! fit-elle d’une voix caverneuse, résolue à se venger sur le malencontreux visiteur.

Cette consolation devait encore lui être refusée.

Averti de la présence du colonial, Renaudin, un peu remis par une heure de sommeil, l’avait fait entrer dans son cabinet.

Cady déclara avec une amabilité douteuse :

— Puisque vous venez pour Victor, je m’en vais.

Mais Deber protesta en riant.

— Je suis certainement enchanté de rencontrer Renaudin ; cependant, le croyant au Palais, je ne venais pas pour lui, mais bien pour vous… Je n’entends pas du tout que vous nous faussiez compagnie.

Le juge proposa :

— Si nous faisions un bridge aux enchères ?… à trois…

Cady sursauta. — Par exemple !… Je dois sortir… ma mère m’a priée de venir la voir.

Maurice jeta avec empressement :

— Oh ! Mme Darquet ne vous attend pas en ce moment ! J’ai précisément déjeuné chez elle ce matin et je viens de la mettre à la porte de Mme Durand de l’Ile.

Cady lui lança un regard noir, et ne souffla plus mot, désemparée, rêvant à la douceur d’un suicide que l’on pourrait réaliser sans souffrance, rien que par un geste facile.

Du reste, quelque chose la dédommagea : la déconvenue et la sourde irritation de Maurice Deber, que cette partie de cartes inattendue avec le mari de Cady exaspérait.

Dès lors, elle se résigna, presque indifférente, au morne ennui de cette journée qui enchantait l’âme simple de Renaudin.

— Ma foi, déclarait celui-ci tout joyeux, l’après-midi, qui avait si mal commencé pour moi, se termine fort agréablement… Mon accès de grippe est passé et je profite d’un congé que je ne me serais pas donné sans motif…

Enfin, à bout de patience, Maurice Deber se décida à se retirer…

Victor appela Cady en souriant avec tendresse.

— Maintenant que nous sommes seuls, viens, petit monstre, me demander pardon pour l’horrible drogue que tu m’as fait boire…

Mais Cady, réveillée de l’espèce de torpeur qui l’insensibilisait naguère, bondit sur place, comme un chat en fureur.

— Ah ! zut, zut, zut ! Si on reparle encore de cela !

Et, sans écouter son mari qui lui conseillait affectueusement d’aller prendre l’air pour se détendre les nerfs, elle se précipita dans sa chambre, se jeta à plat ventre sur la chaise longue, enfouit son visage dans les coussins, et ragea silencieusement, tellement outrée de tout que même la perspective de se rendre à l’appartement du passage Porsin lui était insupportable.

Elle s’endormit.

Un bruit léger et continu la réveilla. Elle se souleva et écouta. La nuit était complètement venue et la pluie fouettait le balcon.

— Quelle chance ! pensa-t-elle, sans savoir le moins du monde pourquoi elle se réjouissait de cette pluie et de cette obscurité.

Et elle se leva doucement, se chaussa sans appeler sa femme de chambre, mit un chapeau, passa un grand vêtement sombre sur sa robe d’intérieur, prit le parapluie de Victor et se glissa hors de l’appartement en chantonnant.

Dehors, le trottoir luisant, les gouttes dégringolant de toutes parts, le souffle d’air vif l’enchantèrent. C’était comme si ce déluge, ce vent lavaient et emportaient ses soucis précédents.

Au galop, tête baissée, bousculant les passants de son large parapluie tendu en bouclier, elle parcourut en cinq minutes le court trajet qui la séparait de son « chez elle ». Et elle soupira de contentement en gravissant l’immense escalier sombre et humide, aux marches de pierre déjetées de l’antique construction.

A l’entresol, une porte étroite, toute basse, s’enfonçait à gauche du palier. Il semblait que l’on ne pourrait entrer qu’en se courbant, parce que l’appartement se trouvait en contrebas de l’escalier.

Par gaminerie, Cady appuya le doigt sur le bouton de la sonnerie électrique, et tressaillit d’aise au grelottement argentin qui retentit dans le vide.

Puis, elle tira une clef de son petit sac, ouvrit la porte, descendit les deux marches, s’enferma vivement, et regarda autour d’elle avec ravissement.

Elle eut la sensation qu’elle entrait dans le domaine encore inconnu pour elle des joies aiguës et profondes de l’amour et de la tendresse.

Malgré la nuit, une surprenante clarté l’environnait, provenant de la fenêtre, là-bas, qui donnait sur le passage éclairé, et surtout, montant du magasin du rez-de-chaussée, au travers du sol de la première pièce, entièrement fait de carreaux de verre dépoli.

Cette antichambre, disposée en jardin d’hiver, garnie de meubles en rotin, au sol lumineux envoyant partout des rayées diffuses, était blanche comme tout l’appartement. Une profusion de hautes plantes vertes montaient jusqu’au plafond vitré. Au bas du lambris, courait une jardinière de porcelaine, comble de fleurs épanouies. Dans cette étrange demi-nuit, les clartés, les ombres, les reflets s’emmêlaient, déformaient les objets, dénaturaient les couleurs, et détruisaient les proportions.

Au fond, à droite, une large baie cintrée laissait voir la chambre très petite, au plafond bas, au grand lit de milieu laqué blanc. Deux petites portes sous les palmiers conduisaient à une cuisine minuscule décorée de glaces par la fantaisie de Cady, et à un cabinet de toilette. Une dernière pièce complètement sombre était aménagée en appartement arabe, avec un divan large, des tapis sur le sol et pendus aux murs ; un immense brûle-parfum d’émail et de cuivre ciselé se dressait au milieu de la chambre.

Cady alla tirer les rideaux de damas blanc frangé de vert pâle de la fenêtre dans la première chambre, et elle tourna le commutateur.

L’aspect des lieux se métamorphosa subitement. Le mystère de la demi-obscurité traversée de lueurs fantasques fit place à une intimité claire, blanche, éclatante et voluptueuse.

Les palmiers, qui, auparavant, semblaient des silhouettes japonaises sur un fond peut-être de vide, se dessinaient nets, en vert lumineux sur la muraille tapissée de moire rayée blanc sur blanc. On distinguait l’élégance harmonieuse des oreillers, des draps ornés de guipure du lit, du couvre-pied de satin bleu pâle, du tapis blanc à ramages verts couvrant le sol.

Cady recommença la minutieuse et amoureuse inspection de toutes les pièces, rangeant de-ci de-là, pour le seul plaisir de toucher, de palper ses trésors.

Par crainte de s’oublier en ce lieu perdu, où elle goûtait un anéantissement si charmeur, elle avait monté un petit réveil placé dans la cuisine, et dont la sonnerie, à sept heures précises, la rappellerait à ses sujétions inéluctables.

A la fin, un peu lasse, elle gagna la chambre arabe et s’étendit sur les coussins.

Pas un bruit ne parvenait jusqu’à cette pièce close, perdue au milieu des murs. Il y régnait une clarté très atténuée, l’électricité étant enfermée en des lampes de cuivre ciselé aux globes opalins, et les tapis de chaude coloration foncée absorbant encore la lumière.

L’émail du brûle-parfum luisait par cent petits yeux ronds fixes, inquiétants.

Et, peu à peu, la rêverie de Cady, en ce silence, cette immobilité, cette torpeur lourde, dans l’odeur un peu âcre des tentures, dégénéra en un singulier malaise.

Elle avait l’impression d’être enfermée dans un tombeau.

— Si je mourais ici subitement, pensait-elle, personne ne me retrouverait…

De partout, de tout autour d’elle, la peur, une peur envahissante, irrésistible, sourdait, l’enveloppait, faisait d’elle, si insouciante et hardie d’ordinaire, un petit être fragile et tressaillant.

— Georges ! appela-t-elle d’une voix faible.

Mais ce nom ne fit plus rien vibrer en elle qu’un effroi inexpliqué. Son ami lui-même lui paraissait distant, étranger… il émanait de lui un mystère menaçant…

Elle ferma les yeux et s’abandonna à sa terreur grandissante, sans nom, l’idée de la mort lui semblant cent fois préférable à cette attente angoissée d’on ne sait quels désastres…

Et soudain, éclatant violemment, impérativement, avec insolence et vulgarité, la sonnerie aigre, fausse, grêle, perçante du petit réveil de nickel emplit l’appartement.

Cady sauta sur ses pieds, tremblante, éperdue, sans comprendre d’abord.

Puis la conscience lui revint.

— Ah ! saleté, cria-t-elle, furieuse.

Et elle se rua vers la clameur trépidante, agressive, qui ne finissait point !

D’une tape brutale, elle renversa la petite chose, qui, sur le sol, continua sa sonnerie impertinente.

Alors Cady, affolée, saisit une pelle et frappa, frappa, faisant voler verre, métal, rouages !

Enfin, avec une dernier sursaut de bête vaincue, cela se tut, et Cady continua à piler des restes informes avec rage, haletante et bouleversée.

Pourtant cet incident avait chassé ses précédentes impressions. De nouveau, l’appartement lui fut cher, lui parut délicieux, imprégné à l’avance de volupté. Elle se désola de devoir le quitter et s’apprêta avec lenteur à rejoindre le logis conjugal.

A l’aide d’un petit balai, elle ramassa les miettes du réveil et les enveloppa soigneusement d’un papier.

— Madame, dit-elle à la concierge, en lui remettant le paquet, voici une petite pendule que je viens de casser, vous seriez bien aimable de la jeter aux ordures.

Comme la bonne femme compatissante, sans voir l’objet, invoquait la possibilité d’une réparation, Cady étouffa un rire et répondit d’une voix angélique :

— Oh ! je ne crois pas que ce soit possible !

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